lundi 19 mai 2014

LES CONS MEMORENT


Ça, c'est un cadeau pour Christiane Taubira. Ce petit garçon est comme elle, ce qu'on appelle pompeusement un Afro-descendant. Ça signifie tout simplement qu'un de ses ancêtres était esclave africain aux Antilles. A la Martinique pour être précis. C'était au milieu du XVIII° siècle. Pour le petit garçon, ça fait très précisément huit générations.

Le petit garçon, Schoelcher, il s'en tamponne le coquillard. Pour une simple raison : son ancêtre direct, petit-fils d'esclave, a été le premier à proclamer l'abolition de l'esclavage aux Antilles. C'était à Pointe-à-Pitre, un matin de décembre 1792. Certes, il n'était pas tout seul. Il était accompagné de son copain Louis Delgrès. Quand il regarde l'Histoire, le petit garçon, il est fier que Delgrès ait été un ami de la famille. Ce fut tout simple : Lacrosse venait d'annoncer la proclamation de la République et l'adoption de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et donc, Delgrès et Serrant en ont tiré les conclusions et ont aboli l'esclavage. J'admets que ça n'a pas duré très longtemps. Mais il fallait le faire.

Dans la famille (car le petit garçon est mon fils), on aime pas trop Schoelcher vu qu'on lui colle une paternité abolitioniste qui nous défrise. C'est pas pour autant qu'on commémore l'abolition par l'aïeul. En fait, on s'en fout. Y'a plus d'esclaves et c'est bien comme ça. On se tresse pas non plus les couronnes de la négritude. Valoriser une couleur, c'est mépriser l'autre. Tu peux le tourner dans tous les sens, c'est comme ça.

On chante la Marseillaise. Comme le fit l'aïeul. A Raguse, à Murazzo, à Gospich, à Maloyaroslavets, à Ostrovno. L'aïeul, il s'est battu pendant trente ans pour la République et pour la France et la Marseillaise, c'est pas mal pour galvaniser les troupes. C'est comme ça que le petit cordonnier libre de couleur de Saint Pierre de la Martinique s'est retrouvé officier de la Légion d'Honneur et général de brigade. Ben oui, quand tu connais ton métier, la couleur n'est pas un handicap.

Tout ça pour dire que les commémorations ridicules, les postures idéologiques qu'affectionnent particulièrement ceux qui ne savent pas grand chose de l'histoire de l'abolition et quasiment rien de l'histoire de la République, ceux qui marchent droit dans les bottes de leurs certitudes me font gentiment marrer.

Quant à ceux qui manient l'anathème.... Tiens, l'aïeul abolitionniste, il en raconte une bien bonne. Après la proclamation de la République, les planteurs quittent en masse la Martinique pour filer chez les Anglais. La République récupère donc les plantations qui deviennent biens nationaux. Avec un bémol : les esclaves de ces plantations font partie des biens nationaux. Sans eux, les plantations perdent de leur valeur car elles deviennent incultivables. Et donc peut-on appauvrir la République au nom de l'abolition ? Peut-il, alors qu'il est militaire, disposer des biens de l'Etat ? Un vrai cas de conscience, la République contre le Républicain.

C'est compliqué la vie....

L'aïeul, on en a déjà parlé ici

samedi 10 mai 2014

LE VAISSEAU AMIRAL

Semaine de sémantique sur les « réseaux sociaux ». Ici, une dame au profil très correct s’extasie sur le « courage » de Hollande sur BFM.

Courage ! La première définition que je trouve stipule que cela consiste « à surmonter sa peur pour affronter un danger ». OK. Regardons « danger ». Il s’agit d’une « situation où un personne est menacée dans sa sécurité ou son existence ».

Bon. Si les mots ont un sens, être courageux consiste donc à se battre pour sa vie. Admettons au fil du temps, des utilisations littéraires et un affaiblissement du sens initial. Ce ne serait pas la première fois. Admettons (c’est le jour) que le courage consiste à prendre un risque, sans pour autant caresser les quatre planches.

Mais, bon Dieu, quel risque Hollande prend-il à aller raconter ses salades sur BFM ? Ne pas être réélu ? Virtuellement, c’est fait, mais je ne vois pas ça comme un « risque ». Baisser dans les sondages ? Il est à l’étiage, tellement qu’on a envie de parler de l’étiage du dessous. Où est son risque ? Il n’y en a aucun. On n’assassine plus les chefs d’Etat ce qui pimentait les infos et offrait au peuple de bien belles cérémonies. On ne les emprisonne même plus. Il est arrivé au lieu parfait du risque zéro. Où est donc le courage ? Indiquez moi, dis-je à la belle dame une action courageuse de notre Président. A part faire du scooter dans Paris, bien entendu. Je ne veux pas m‘en faire une ennemie, mais ses réponses m’ont fait hurler de rire. Elles relevaient toutes de l’exercice normal du pouvoir, de l’application de principes politiques. Le mariage homosexuel ne relève pas du courage, il ne s’est pas trouvé un skinhead pour brandir un fusil à plombs.

La dame me reproche aussi d’avoir utiliser le terme « rodomontades ». Mais quand je l’entends proférer sur un ton de chanoine agressif « nous avons mis Poutine sous pression », si ce n’est pas une rodomontade, qu’est-ce ? Ajoutons les fausses surprises : si j’échoue, je ne me représenterais pas…. Ben oui, mon grand. Si t’échoues, t’auras plus un électeur. Comme tout le monde.

Sur un autre réseau, une jeune femme se plaint de l’insécurité dans Paris. « Ce matin, encore une attaque à la voiture-bélier près de notre flagship ». Là, je tique. « Pourquoi de pas dire vaisseau-amiral ? » La réponse fuse : « On parle comme ça dans nos métiers du retail ». Vlan ! comment je te l’ai allumé le mec ! Les métiers du retail ! Faut pas avoir peur !!! En anglais, un retailer, c’est un détaillant, un boutiquier. Ce qu’elle est en fait, même si elle a un service de sécurité pour lever le rideau de fer. Elle peut changer le vocabulaire et se la péter, elle est juste la dernière variante des commises du Bonheur des Dames. Avec les mêmes contraintes d’horaire, le même sourire obligatoire et les mêmes clients, chiants ou adorables. Fondamentalement, les « métiers du retail » n’ont pas changé en un siècle.

Ça m’a rajeuni. J’ai pensé à Bertrand Maus, qui était alors propriétaire du Printemps. Cet homme délicieux possédait une fort belle goélette qu’il retrouvait deux fois l’an dans un port du Pacifique. Il venait dans ma librairie commander et chercher les cartes et Instructions nautiques indispensables en ces époques sans GPS. A chaque fois, nous parlions et il me dit un jour « Je me suis fait une règle de faire mes achats dans mon quartier. Avant, j’allais avenue de la Grande Armée ». Je fis remarquer que malgré notre voisinage géographique, il n’y avait pas de commune mesure entre son vaisseau-amiral et ses 3000 employés et mon bouclard avec cinq vendeuses. « Vous vous trompez, nous faisons le même métier, ce n’est qu’une question d’échelle ». Et il eut la courtoisie d’ajouter qu’il était moins performant que nous puisque son rayon librairie était incapable de l’approvisionner en documents nautiques.

Le tout, dans un français parfait, avec un vocabulaire choisi et une imperceptible pointe d’accent genevois.

Ce souvenir m’emplit de nostalgie et de fureur. Où sommes nous tombés pour en être arrivés à une telle sottise linguistique ? Cet immonde mélange de mots anglais et français qui n’apportent rien que confusion et déshérence. Pour exprimer quoi ? quelle singularité exceptionnelle ? Je sais aujourd’hui avoir vécu la dernière époque où les responsables d’entreprises faisaient preuve de culture et de courtoisie en parlant une langue de belle facture. Où on était servi par des commises qui connaissaient les produits dont elles parlaient et en parlaient bien alors que les conseillères de vente d’aujourd’hui ne peuvent apprécier un tissu sans regarder l’étiquette.

Le vocabulaire est le parfait reflet d’une société. Boursouflé, abâtardi, maquillé d’anglais comme une péripatéticienne vieillissante, le nôtre suinte la paresse et l’oubli de tous les savoirs.

« Le français est la plus langue du monde » me disent mes amis chinois. Phrase qu’ils ont apprise en lisant Alphonse Daudet (La dernière classe in Contes du lundi). Alphonse qui ? On ne l’enseigne plus dans les écoles. Sauf en Chine.

Peut être que c’est pour ça qu’ils caracolent en tête de l’économie mondiale. Va savoir.

On en reparlera…