lundi 30 mars 2015

LA GUERRE ET LA COMMUNICATION

Faut reconnaitre ça aux Ricains : ils sont très bon en communication. Au point de faire penser au monde, qu’ils sont meilleurs qu’ils ne sont.

Prends la dernière Guerre Mondiale (attention « dernière » ne veut pas dire qu’il n’y en aura plus). A coup de films, d’expos de photos, de commémorations et de vétérans encalottés, ils ont fait croire qu’ils l’avaient gagnée quasi tous seuls.

Regardons y voir.

Sur le front Pacifique, les Chinois bloquent environ 4 millions de soldats japonais. Ces quatre millions, ils manquent cruellement dans les chapelets d’îles. En fait, les Américains se battent contre à peine la moitié de l’armée japonaise. Il leur faudra pourtant quatre ans pour remporter la victoire. Grâce à la bombe atomique. Ce n’est pas si glorieux que ça…..

En Europe, les meilleurs soldats allemands sont aux prises avec l’Armée Rouge, empêtrés dans des sièges coûteux et compliqués. Tout le monde connaît Stalingrad et oublie Sébastopol ou Léningrad. Quand les Américains débarquent, les Allemands reculent à l’Est, les meilleurs régiments sont décimés et épuisés. Le 6 juin, 150 000 hommes débarquent en Normandie. En face, sur l’ensemble du territoire français, il y a 300 000 soldats. Les Alliés vont débarquer jusqu’à 2 millions d’hommes. Le déséquilibre numérique est colossal. Et pourtant, à six contre un, il leur faudra plus de trois mois pour aller de Caen à Paris. Et encore, fallut-il que Leclerc force un peu la main…

Et après….

En Corée, les forces sont à peu près égales : en gros, un million d’hommes de chaque côté. Trois ans de guerre pour un match nul. Personne n’a vraiment gagné, du point de vue militaire..

Pour le reste : Viêt Nam, Afghanistan, Irak,…nul besoin de s’étendre. Tapez « Saigon 1975 » sur You Tube…c’est les mêmes hélicos que dans Apocalypse Now…

Ben voilà… Apocalypse Now, Le Jour le Plus Long, MASH, Un pont plus loin…ça change…Là, les Américains sont bons, efficaces, sympas. Oui, mais c’est Hollywood, pas la cruelle vérité. Et voilà comment avec John Wayne et quelques autres, ont fait croire au monde qu’on l’a libéré.

Cette fiction, plus personne ne la conteste. D’ailleurs, ces lignes vont me valoir quelques lettres d’injures. Mais la cruelle réalité est là : sans l’Armée Rouge ici, l’Armée Populaire de Libération là, les Américains ne pouvaient pas gagner. Chaque fois qu’ils ont été seuls sur un théâtre d’opérations, ils ont pris une raclée. OK. Y’a eu la Guerre du Golfe : les USA et 33 pays alliés contre l’Irak tout seul. Qui peut perdre dans ces conditions ?

L’armée américaine est une armée calamiteuse. D’abord parce qu’elle a d’immenses besoins. Il lui faut dix logisticiens pour un combattant ce qui montre une totale inadaptation à la guerre moderne. De plus, elle engage des logisticiens privés à des sociétés comme Blackwater montrant une totale méconnaissance de la première qualité de la guerre qui est basée sur le patriotisme des participants. On sait depuis longtemps que les mercenaires ne font pas de bons soldats.

Pour compenser, les Américains font, comme toujours, confiance à la technologie. Mais la meilleure technologie ne suffit pas : aucun satellite ne donne une meilleure imagerie qu’un cartographe connaissant le terrain. Et les hélicoptères d’Apocalypse Now ne faisaient pas le poids face aux fourmis de Giap qui transportaient des armes avec des bicyclettes.

Les Américains ne font pas le poids. Ils ne l’ont jamais fait vraiment. Mais pour s’en apercevoir, il faut d’abord se laver le cerveau et oublier Hollywood. Regarder les textes, regarder les cartes et se demander comment quelques bataillons ont pu bloquer des régiments entiers pendant des semaines. A condition de savoir ce qu’est un bataillon, bien entendu.

Le problème de la communication, c’est qu’elle finit par imprégner ceux qui la créent. Je suis bien certain que beaucoup de responsables du Pentagone croient à la guerre vue par Hollywood. Qu’ils sont persuadés être les meilleurs et les mieux équipés. Ou les meilleurs parce que les mieux équipés.

Le danger est là : ils se croient encore les meilleurs. Jusqu’à ce qu’ils découvrent qu’on ne fait pas la guerre avec Facebook. Mais là, il sera trop tard. Pour eux, et je m’en fiche. Pour nous aussi, et ça m’inquiète.

On en reparlera…

vendredi 20 mars 2015

CHEZ MOI

Chez moi. Ou chez nous.. Expression récurrente quand on parle avec les sympathisants du FN. Le plus souvent avec l’expression-clef : « Ils n’ont rien à foutre chez nous ».

On devrait peut être réfléchir à ça. Réfléchir, pas s’envoyer des invectives ou traiter le locuteur d’imbécile sous-corticalisé. Parce que le locuteur, dans un processus de vote démocratique, il compte. On ne peut pas le nier, l’annihiler.

J’essaye. J’essaye d’aller plus loi, de comprendre, parce que « chez nous », c’est une locution qui parle du lieu. C’est de la géographie. Et donc de la géopolitique.

En fait, le locuteur, il me parle de lieu parce que c’est le plus simple. Le lieu devient le confluent de tout un tas d’arguments, de raisons, de symboles. On en parle rarement avec des arguments géographiques. C’est plus souvent historique, religieux, sociologique, économique ou linguistique même. Normal. Parce que « chez moi » ne signifie jamais le titre cadastral. C’est plus complexe, plus riche.

« Chez moi », c’est d’abord une exclusion, pas une appropriation. Ça exclue tous ceux qui ne sont pas chez moi. La vraie fracture est là, entre ceux qui excluent et ceux qui acceptent. La doxa affirme qu’exclure l’Autre (remarquez la majuscule qui magnifie l’autre), c’est pas bien. C’est pas humaniste, pas humain. L’Autre, il faut l’aider. Le sympathisant du FN, il pose la question : pourquoi ? Qui m’aide, moi ? Et est ce que l’aider ne diminue pas l’aide dont, moi, j’ai besoin ?

On en a déjà parlé. C’est un sentiment communautaire. On doit remarquer ceci : dans le FN, le syntagme validant, c’est « National » parce qu’il implique une communauté géographiquement délimitée, ce que n’impliquent ni le « socialiste » des uns ou le « populaire » des autres.

On est front contre front. Communauté géographique contre communauté idéologique. D’autant plus que ceux qui affichent une idéologie s’en préoccupent peu, dans les faits. Deux fois plus de candidats ouvriers au FN qu’au PS ou à l’UMP.

Voilà quarante ans (depuis Giscard, en gros) que la doxa veut annihiler le sentiment national. La doxa refuse de voir des signes pertinents jugés inutiles. La montée en puissance des clubs de généalogistes par exemple. De plus en plus de citoyens s’intéressent à l’histoire de leur famille, à leurs racines. Et tout les ramène à la Nation. A un terroir. On pourrait d’ailleurs en rapprocher les milliers de gens qui s’intéressent au vin. Ou aux locavores. Tout un fonctionnement qui privilégie la proximité, le voisinage, le cousinage. On s’entend mieux avec le proche qu’avec le lointain. C’est comme ça.

C’est ce que dit le Front National. Chez nous veut dire entre nous. La doxa affirme que le lointain est une richesse, culturelle, intellectuelle. Ce qui est indéniable. A ce détail près que connaître n’est pas approuver ou accepter. Je peux connaître la culture des tribus du haut-Sepik et ne pas accepter le cannibalisme ou les étuis péniens. Je peux aimer les griots et les joueurs de kora et rejeter l’excision. La connaissance ne laisse aucune place aux sentiments.

Et là, la doxa renâcle. Elle me demande une adhésion complète en mélangeant tous les argumentaires. L’argument le plus fort est l’argument économique. La survie de l’Autre. L’émigrant n’a pas le choix s’il veut survivre. Tu parles d’un argument ! L’électeur populaire, il voit d’abord que la survie de l’Autre menace la sienne propre. Il n’hésite pas à dire qu’il n’a pas vocation à accueillir toute la misère du monde. On revient à Raymond Cartier : la Corrèze avant le Zambèze. Avec le Président qu’on a, je m’étonne que personne n’ait ressorti le slogan, ça aurait du sens.

Tout ça, je le retourne dans tous les sens. Je viens d’un pays d’émigration : il y a plus de Basques en Amérique qu’en Europe et j’ai plus de cousins au Paraguay que dans le bas-Adour. Des mecs qui sont partis avec des passeurs et des filières, car tout est toujours pareil. Avec plein de morts car dans les années 1880, le taux de mortalité des émigrés tournait autour de 30% mais on parle toujours plus de ceux qui ont réussi car ils sont visibles que des morts enterrés à la va-vite et vite oubliés.

Mes cousins, ils sont plus Paraguayens ou Chiliens que Français. Ils sont totalement assimilés. Il y a toutefois une différence essentielle : ils sont partis pour construire un pays (éventuellement en détruisant quelques Mapuches ou Guaranis) et non pour s’installer dans un pays déjà construit. Si on commençait par distinguer les deux cas, je crois que notre réflexion serait différente : ce n’est pas la même chose de faire sa place et de prendre la place d’un autre.

Et, effectivement, mettre la communauté nationale au centre du débat entraine nécessairement un peu d’égoïsme.

On en vient donc à la vraie question : l’égoïsme est il une tare ?

On en reparlera…..



mercredi 18 mars 2015

FESTIVALS

C’est la crise. Les subventions s’évaporent comme glaciers tibétains et ne vont plus irriguer quelques centaines de festivals. Le monde de la culture est en émoi, il parle de mort.

Tout d’abord, la culture ne meurt jamais. Son influence peut diminuer, mais il y a toujours des gens pour la conserver. C’est plus souvent des directeurs de recherche que des concierges, mais ça importe peu : elle continue d’exister.

D’autre part, il ne vient à l’idée de personne ne regarder le lien entre un festival et son territoire, alors que c’est ce lien qui donne la légitimité au festival. Quand Estella organise un Festival de musique juive sépharade, il y a une cohérence entre la ville et le festival qu’elle abrite et finance. Bien entendu, quand Bayreuth honore Wagner, il y a également cohérence.

Il y a quelques années, nous avions, dans ma ville préférée, un festival de Jazz. Il faudra m’expliquer le lien. En été, il y a en France des dizaines de festivals de jazz. C’est une logique économique. Les tourneurs récupèrent quelques dizaines d’artistes américains désireux de passer l’été en Europe, les organisateurs passent dans les rayons et achètent des soirées. Le plus souvent, les villes organisatrices n’ont aucun lien avec le jazz ni même avec les USA. C’est juste un spectacle. Où est la culture qui n’existe pas sans le sens de l’histoire ? Dans les goûts personnels des organisateurs ou dans ceux du Maire qui finance la soirée ? C’est un peu court comme raison.

Un festival n’est pas une promenade dans l’espace, mais une plongée dans le temps. Il ne peut se concevoir sans vision historique ancrée dans le territoire qui l’abrite : une abbaye peut abriter un festival grégorien qui n’a rien à faire dans une zone industrielle. Et à cet égard, l’imagination est faible. J’ai vainement cherché un festival de musiques prolétariennes par exemple. Pourtant, on a un paquet d’anciennes citadelles ouvrières qui pourraient s’en charger : il faut et il suffit de travailler un peu, d’aller chercher dans les répertoires, se poser les bonnes questions : que chantaient les canuts lyonnais quand ils cassaient les machines de Jacquard ? Car ils chantaient, personne ne peut en douter. Le peuple heureux chante toujours.

Travailler. C’est le mot qui fâche. Le monde de la culture travaille de moins en moins. L’histoire culturelle de notre pays reste en friche. Les musiques oubliées ne sont jamais remises à l’honneur, les compositeurs disparus ne sont jamais exhumés, les partitions oubliées ne sont jamais lues. Encore faut il savoir les lire. Nous vivons un temps où la musique n’est plus qu’exécution (et parfois, le terme prend tout ses sens).

Le travail est fait, pourtant. Dans les Universités, dans les laboratoires
de recherche. Mais il est dévalorisé car il ne concerne qu’une petite partie de la population. Il n’est pas « populaire ». Ce qui signifie que le peuple ne peut pas en profiter.

Les organisateurs ne se posent qu’une question : comment attirer le plus de monde possible ? Il faut de grosses machines, des Francofolies ou des Printemps de Bourges. Sauf que la culture nécessite une vision de Longue Traîne, une obsession de la niche. Le Festival d’Estella draine des passionnés de musique juive du monde entier. J’admets qu’ils sont moins nombreux que les groupies de Beyoncé. Mais ils sont plus fidèles et se renouvellent année après année.

Finalement, un Maire ne se posera qu’une question : qu’est ce que ça va apporter à ma ville ? Et dans la question, « à ma ville » est essentiel. Un petit festival ne peut pas avoir de visée universelle. Qu’il donne aux habitants la fierté d’avoir une histoire culturelle, qu’il attire l’attention des spécialistes (qui malgré leur savoir ne peuvent pas tout savoir), qu’il témoigne de racines, est bien suffisant. En fait, il faut et il suffit qu’il ne puisse pas avoir lieu ailleurs. Imagine t’on le Festival Interceltique à Strasbourg ?

Je n’ai pas regardé en détail la liste des festivals menacés de disparition, mais j’imagine sans peine qu’un gros paquet n’était pas organisé dans son biotope. Car il y a un biotope des pratiques culturelles. Même si c’est souvent approximatif, comme à Dax où on organise un festival Toros y Salsas, avec cette salsa cubaine qui voisine avec un toro pratiquement absent de Cuba. On y verra un lieu d’hispanité, compatible avec la vie dacquoise mais difficilement reproductible à Clermont-Ferrand.

Le biotope culturel, c’est ce mélange de pratiques anciennes, d’adoptions contemporaines, d’accent et de gastronomie. Souvent le citoyen de base ne se reconnaît pas dans la thématique d’un festival. « Qu’est ce que ça fout chez moi ? » se demande t-il.

Mais on le sait désormais : le citoyen de base a une vision étroite. La vision d’un territoire justement.

On en reparlera…