mardi 24 avril 2012

MON VOISIN

Contrairement à beaucoup, j’ai vécu en HLM. Deux ans. Chez ma belle-mère. J’ai découvert la vie des gens ordinaires. Sur le palier, j’avais un voisin.

Mon voisin prétend qu’il est Peul. Vu sa stature, j’en doute, mais est-ce si important ?

Mon voisin a emmenagé voici 10 ans dans l’appartement mitoyen de celui de ma belle-mère, donc ce n’est pas vraiment mon voisin, mais est-ce si important ? Il arrivait du Sénégal avec sa jeune femme et ses trois enfants. L’aînée, la petite Doura, était si mignonne….. Je ne l’ai pas connue alors mais je peux témoigner que dix ans après, c’est un sacré beau brin de fille.

Mon voisin ne travaille pas. Ce n’est pas faute d’avoir essayé mais l’ANPE n’a rien à lui proposer. Il faut dire que marabout n’est pas une profession répertoriée et l’ANPE prouve ainsi son incompétence. Rendons lui cette justice : il ne travaille pas mais il n’est pas indemnisé non plus. Comme il faut bien que quelqu’un travaille pour avoir droit à un logement social et aux aides qui vont avec, c’est sa femme qui s’y est collée : elle fait des ménages, à mi-temps, en banlieue nord, tous les matins vers 6 heures. Tout ça, je le sais, parce que je lui remplis ses dossiers, déclaration de ressources, demandes diverses… Il n’atteint jamais le plafond. Forcément, 420 euros de revenus mensuels pour neuf personnes, c’est pas terrible.

Neuf personnes parce que depuis son arrivée, il a régulièrement engrossé sa jeune épouse et qu’aujourd’hui, mon voisin a sept enfants. Dans le même appartement ? Bien entendu. Certes, ils sont un peu entassés mais ce n’est pas très grave. La petite Mariama vient faire ses devoirs chez ma belle-mère. Les autres jouent dehors.
Les services sociaux sont assez efficaces : mon voisin a eu des propositions pour un nouvel appartement, plus grand, en banlieue nord. Je le sais, c’est moi qui ai rédigé la lettre de refus. C’est vrai que ça aurait évité à sa femme des trajets pénibles à 5 heures du matin. Mais ça l’aurait aussi éloigné de la mosquée où il travaille, à Barbès. Mon voisin a le sens des priorités.

Parce qu’il travaille, mon voisin, malgré l’incompétence de l’ANPE. Il est marabout. Bon, il n’a pas pu déclarer son activité. L’administration française, raciste, n’a pas prévu de numéro APE pour les marabouts. Ça ne le pénalise pas vraiment puisqu’il n’a pas de TPE et refuse les chèques. Simplement, tous les ans, il part au Sénégal mettre ses bénéfices dans une jolie maison non loin de Kayes. Il prévoit ses vieux jours, on ne sait jamais.

Je ne sais pas s’il est efficace. Il m’a bien offert un gri-gri pour que mon fils ne puisse pas être marabouté. Mais comme rien ne ressemble plus à une hostie chrétienne qu’une amulette islamique, je me suis bien gardé de l’attacher au cou du bambin pour pas qu’il l’avale. En tous cas, c’était gentil.

Bien sûr, mon voisin a des problèmes. Ses enfants travaillent mal. Les devoirs sur la table de la cuisine avec des parents illettrés, ça prépare pas à intégrer Sciences Po. A 15 ans, le petit Sadia rentre en 5ème. Y’a que l’aînée, la jolie Doura qui s’en est sortie : elle a trouvé un copain, malien, qui l’a engrossée. Bien entendu, mon voisin a jugé qu’il s’agissait d’une double atteinte aux enseignements du Prophète et à sa qualité de marabout, alors il l’a chassée du foyer familial. Ça fait un peu de place. Doura et son copain vivent dehors, pour l’instant. Ils dorment dans les squares ou les gares. Elle attend son accouchement pour avoir une place dans un foyer. Mais elle angoisse aussi un peu : son copain n’a pas de papiers et il fait tout ce qu’il peut pour rester discret. Doura a peur qu’il soit expulsé parce que, du coup, elle se retrouverait bien seule. Heureusement, l’assistante sociale gère en finesse.

Des fois, je me demande ce que, depuis dix ans, mon voisin a apporté à la France. Sûrement un peu d’argent à la machine économique : sept enfants, ça mange et ça a besoin de vêtements. A sa manière, il a soutenu la croissance de la France avec l’argent de la France. Y compris la croissance démographique : ils sont Français, les petits. Français et donc inexpulsables. Tant qu’ils sont mineurs, les parents aussi. Mon voisin le sait qui parle de mettre en route le huitième. Il a le temps puisque sa femme n’a que trente-cinq ans, vingt ans de moins que lui, ce qui nous rapproche. Les enfants sont un don de Dieu et plus un marabout a d’enfants, plus il est béni de Dieu.


A dix-huit ans, il a marié la petite Mariama. Elle voulait être infirmière. Fini les études, à quoi ça sert ? La gamine, on lui a trouvé un compatriote coreligionnaire et il lui a tout de suite fait un enfant. Je ne sais pas ce qu’il fait dans la vie, le nouveau marié. Pour l’instant, il vit avec ses beaux-parents. Les valeurs traditionnelles survivent et infirmière, c’est pas dans la tradition. Les femmes qui bossent hors de la maison, non plus. Heureusement, les assistantes sociales aiment les valeurs traditionnelles. Elles gèrent, tout en finesse.


Si je veux être objectif, je dois dire que depuis dix ans, la France a investi dans sa famille. Elle va récupérer sept gosses incapables de travailler mais parfaitement rompus aux subtilités des aides sociales. Si elle a pas de pot, la France, en plus ils seront croyants. Au moins seront-ils en parfaite santé.

Je me dis aussi qu’après tout, ce que mon voisin a remporté au Sénégal a donné un peu de travail, que c’est une forme d’aide déguisée au développement de l’Afrique. Mais, si je veux être honnête, je me fais chier à trouver de bonnes raisons. Spontanément, c’est pas ça qui me vient et je ne suis pas très fier de moi, par moments. C’est parfois dur d’avoir une cohérence politique. Quand je lui rapporte ses dossiers remplis, je regarde le grand écran plasma, plus facile à acheter parce que Monsieur Delanoé va payer l’électricité. C’était ça le dossier urgent. Parce que mon voisin à de l’argent. De l’argent noir, forcément. Le marabout, il est payé qu’en espèces, alors la TVA et la déclaration fiscale, ça lui mange pas le bénéfice. Le RSI, il connaît pas. La solidarité nationale, il s’en tape. Elle existe pourtant. A sens unique.

Je pense à mon voisin quand j’entends Madame Joly. Elle doit pas vivre dans un HLM avec l’ascenseur tagué. Pas en banlieue. Dans Paris, neuvième arrondissement. C’est sûr qu’il y a plein d’immigrés qui ont fait la France. C’est tout aussi sûr qu’il y en a d’autres qui parasitent sévère. Minoritaires ? Peut-être, mais c’est d’abord eux que tu vois. Parfois même, tu vois plus qu’eux. Les mecs qui ont pas les sous pour payer le permis mais qui ont les sous pour s’offrir une grosse allemande (je parle auto, pas Angela Merkel). T’es voisin, tu vois que ça. Et tu te demandes : mais qu’est ce qu’ils apportent à la France ?

Je peux en causer. Mes enfants, même avec des mères différentes, ils sont comme plein de Français. Ils ont tous un grand-père qui vient d’ailleurs. Pour les filles, c’était la vallée du Po et la fuite devant Mussolini. Pour le garçon, c’est la petite Kabylie. Le grand-père des filles, il s’est fait naturaliser et Mario est devenu Maurice. Pour le garçon, pas besoin de naturalisation, l’Algérie était française. Hamid est devenu Bernard, c’est plus facile à porter, et il a enseigné la philosophie pendant vingt ans dans un lycée provençal. Dans les deux cas, farouche volonté de s’intégrer. En commençant par la laïcité. En multipliant les signes : Mario-Maurice, sur ses cartes de visites, il mettait un Y à la fin de son nom. Manière de faire moins Rital. Ça l’empêchait pas d’aller tous les ans faire la bise à la famille. Mais il avait fait son choix.

C’est peut-être ça qui manque : la volonté du choix. A contrario, le désir d’avoir le beurre et l’argent du beurre, la double-nationalité, d’être ici et ailleurs en même temps. Comme tous mes copains de lycée dont les parents avaient fui l’Espagne devant les troupes de Franco. Ils rêvaient pas d’une bicoque à Gernika. Ils avaient choisi. Comme tous mes cousins et copains argentins, uruguayens ou américains. Ils ont émigré et ils ont choisi. Ils ont refusé d’avoir le cul entre deux chaises. Parce que c’est comme ça qu’on se retrouve le cul par terre.

Parce que faut pas l’oublier. Personne n’est forcé d’émigrer. C’est un choix. Un choix douloureux, un choix avec des risques, un choix d’homme responsable. Et les responsabilités, ça s’assume.

J’espère qu’on en reparlera pas….

mercredi 18 avril 2012

POURQUOI JE ME SUIS PLANTE

La montée en puissance de Mélenchon semblait prouver qu’à l’évidence, je me suis planté dans un billet récent.

Ça mérite d’y réfléchir. En fait, je reste obsédé par l’Histoire, même récente, en un temps où tout est fait pour la faire disparaître. L’itinéraire de Mélenchon me paraissait emblématique. On ne peut pas (et en tous cas, moi je ne peux pas) barrer d’un trait de plume les actes d’un homme et faire comme s’il était tout neuf après trente ans de vie politique.

On pourrait au moins attendre une contrition. Tu parles ! Rien. Voilà : je vous promets de faire ça. Que j’ai fait le contraire voici pas si longtemps, tout le monde s’en fout.

Idem pour le Président. Cinq ans dans les divers gouvernements, à des postes importants, cinq ans Président et il promet de faire le contraire de ce qu’il a fait depuis dix ans. Et un bon tiers des Français font confiance. Il suffit de leur dire que la crise a changé les conditions. Passez muscade !

Idem pour Hollande. Il durcit son discours à cause de Mélenchon. Mais on sent bien qu’il y croit pas vraiment.

Idem pour Marine. Elle, c’est le contraire. Elle temporise, elle s’adoucit. Papa a gagné sa vie en éditant des chants nazis, elle va à Vienne valser avec les zélateurs d’Adolf, mais elle la joue gentille petite Française.

Comme toujours, je me suis planté parce que je crois en l’Homme. Je crois en ses capacités de mémoire, en ses capacités de discriminer, de réfléchir. Faut être naïf, quand même.

Sauf que, si j’en crois les commentateurs, je me suis pas vraiment planté. Ils sont assez unanimes, les commentateurs. Le vote Mélenchon est d’abord un vote bobo, à ce qu’il paraît. Un vote de protestation paré des plumes de l’humanisme. Raison pour laquelle les sondages sont volatiles et que l’électorat Mélenchon lorgne vers Hollande. Le bobo collectionne les gadgets inutiles mais aime le vote utile.

Le bobo n’a pas de mémoire, surtout politique. C’est ce qui le différencie du peuple. Le bobo a un fonctionnement statistique. Il suit la masse. Normal : il est la masse. Le peuple, ce peuple que tous vénèrent en paroles et moquent dans les faits, a beaucoup plus de mémoire parce qu’il a beaucoup plus de cicatrices. Il se souvient des faits parce que les faits le conduisent à Pole Emploi, aux crédits renouvelables et à la lente paupérisation. On pouvait croire il y a encore trois semaines que Mélenchon drainait le vote populaire. Bernique ! Le peuple regarde Mélenchon et voit le PS derrière lui.

J’ai des copains bobos. Ils ne veulent pas le séisme. L’un dans l’autre, la situation leur convient. Ils admettent assez facilement que tout ne va pas si mal. Ils aiment bien l’Europe. Alors, après avoir été tentés par Mélenchon qui est un grand tribun, faut le reconnaître, ils reviennent au bercail social-démocrate. Ils ont bien compris, après l’interview de Mélenchon sur France 24 que l’opposition PS/Front de Gauche était d’abord une lutte de pouvoir. Comme dit Mélenchon : « Je lui pardonnerai jamais ». C’est pas ça le sujet. Hollande a méprisé Mélenchon ? On s’en fout. C’est un problème d’ego, pas un problème politique.

Même les communistes, ils se méfient. Les plus vieux se souviennent du PCF à 25%. C’était avant le Programme Commun. Ils sont sortis à poil de l’alliance avec la social-démocratie. Les caciques du PS, ils connaissent. Et Mélenchon a contribué à leur dégringolade. Alors…

Ce qui me fait marrer, c’est tous ces appels au peuple. Il semblerait que la clef de l’élection soit entre ses mains. Pas compliqué à comprendre. Onze millions de pauvres, c’est 25% de l’électorat. Et si ça continue, la prochaine fois, ce sera 30 ou 35%. Ces 25%, ils raisonnent simplement. Simplistes, disent les commentateurs. Peut-être. Mais quand ils mettent leur bulletin dans l’urne, simple ou simpliste c’est pareil.

Alors, non, je ne me suis pas planté. Finalement, la mémoire fonctionne. Mémoire courte pour Nicolas, mémoire un peu plus longue pour Jean-Luc. On le vérifiera dimanche.

Après… le vote du 6 mai n’aura aucun intérêt. Ce sera un vote par défaut. On saura vraiment après les législatives. C’est peut-être là que ça va péter…

On en reparlera….

jeudi 12 avril 2012

TOTAL ET LES THONS

C’est une bonne nouvelle pour Total : toute la procédure va être annulée. Au motif que Corinne Lepage s’est plantée. D’un seul coup d’un seul, on retrouve le bon vieux concept d’eaux territoriales.

Faisons simple : l’Erika a coulé hors des eaux territoriales françaises, soit à plus de 12 miles des côtes. Et donc, la justice française n’était pas compétente vu que seules les eaux territoriales sont considérées comme du territoire. Les mecs, il leur a fallu dix ans pour découvrir ça !

C’est que le droit de la mer, c’est vachement compliqué. Jusqu’il y a peu, y’avait que ce concept d’eaux territoriales. Après, on a voulu exploiter la mer.

On a commencé par décider d’une « zone contiguë » pour mieux fliquer. C’est la zone où on a le doit de poursuivre et d’arrêter les délinquants. Avant, le mec, il passait la barre des 12 miles, il était tranquille. On a donc rajouté 12 miles pour les douanes et la gendarmerie maritime.

Comme ça suffisait pas, on a créé les Zones économiques exclusives pour l’exploitation des ressources. 200 miles, c’est pas mal. Dans cette zone, seuls les ressortissants de l’Etat concerné peuvent exploiter la mer. En clair, forer des puits et pêcher. Ça explique pourquoi tout le monde s’accroche au moindre caillou. Clipperton, par exemple, îlot français totalement désertique au large du Mexique. Tu poses la pointe d’un compas sur Clipperton, tu traces un cercle et voilà quelques milliers de kilomètres carrés où t’es seul à avoir le droit de ramasser des nodules polymétalliques. C’est pas mal.

Tout ça est assez théorique. On a ajouté une définition géographique : le plateau continental. Si le plateau continental fait plus de 200 miles, alors la zone économique peut aller jusqu’au bord du plateau continental, sous certaines conditions.

Ce qui reste, c’est la haute mer. Là, tu fais ce que tu veux, personne vient t’emmerder. Ça fait de la place. Beaucoup de place. Pas pour Total : trop profond pour y installer des plates-formes de forage. Pour les pêcheurs. En haute mer, personne ne peut intervenir, personne ne va vérifier tes filets, la taille de leur maille, la taille des poissons, ni même les espèces que tu pêches. T’es libre, totalement, entièrement libre.

Les scientifiques et les écolos, ils arrêtent pas de légiférer pour préserver la ressource halieutique, c’est comme ça qu’on appelle les poissons en novlangue. Taille des filets, taille des poissons, espèces interdites, y’a un paquet de restrictions, toutes justifiées. Bien. Mais au dessus de la dorsale médio-atlantique, comment tu contrôles ?

Les optimistes ont la réponse : tu contrôles au débarquement. Le bateau arrive, tu vas vérifier si le pêcheur a respecté la loi. Pour ça, il y a un outil européen, le Comité Consultatif de la Pêche et de l’Aquaculture. Déjà, « consultatif », ça relativise. Ce « machin », comme aurait dit De Gaulle, décide de la gestion des poissons dans la zone économique européenne. En clair, espèce par espèce, ce que chaque pays peut pêcher. Et on contrôle : la Commission dispose de 25 contrôleurs. Pour toute l’Europe ? Ouais. Y compris les zones tropicales ? Ouais. Et c’est efficace ? Ils disent que oui, bien entendu.

On peut rigoler. Rien qu’en France, il y a une bonne quinzaine de ports de pêche vraiment actifs. Ajoutes l’Espagne, le Portugal, la Grèce, l’Italie, l’Irlande, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas. Tu peux être sûr qu’il n’y a pas de contrôle quotidien dans chaque port. Evitons de parler des ports de Guadeloupe ou des Antilles néerlandaises, bien que ce soit l’Europe aussi. Après, ça devient surréaliste : comment tu contrôles si un pêcheur européen débarque son poisson à Dakar ? Ben, tu peux pas. Comment tu contrôles les bateaux de l’armateur breton immatriculés aux Comores ? Ben, tu peux pas, ils sont pas européens. Comment tu contrôles si en haute mer un chalutier européen débarque sa pêche dans un navire-usine japonais ? Ben, tu peux pas. Et ainsi de suite. Tout ce que tu peux contrôler, c’est le petit pêcheur honnête parce qu’il n’a pas les moyens d’être malhonnête. Vu que la haute mer, ça nécessite de gros bateaux chers et une organisation avec des investissements de malade. Une organisation qui se tape des contrôles et des frontières.

Ajoutes un truc : le thon, il fait pas la différence entre les eaux territoriales et la haute mer. On lui a pas appris. Le thon, c’est un gros con : il suit les bancs de sardines sans GPS. Et il sait pas différencier le pêcheur-canneur de Saint-Jean-de-Luz du navire usine nippon. Il bouge le thon, d’un côté à l’autre de l’Atlantique ou de l’Atlantique à la Méditerranée et des fois le contraire.

Et donc, la ressource halieutique, elle diminue tranquillement d’année en année. Et avec elle, le nombre de petits pêcheurs artisanaux qui sont les seuls à la protéger. On applique les mêmes règles aux thoniers de Saint-Jean-de-Luz qui pêchent une tonne de thon par jour quand tout va bien et les chalutiers de haute mer qui raclent quelques centaines de tonnes de tout ce qui nage, y compris les dauphins.

Ouais, mais au moins, on est sûrs que ce qu’on mange est contrôlé. Ha, tu crois ça, toi ?

Y’a deux sortes de poissons. Ceux qui débarquent dans les ports et ceux qui débarquent dans les containers. Le surimi, par exemple. C’est une préparation alimentaire. Dedans, y’a au moins 35% de poisson blanc, en principe. La pâte de base, elle est préparée dans les navires-usines. Qui contrôle les espèces utilisées, leur taille, leur conformité ? Personne. Et quand ça arrive en Europe, vu que c’est une pâte, personne ne peut savoir ce qu’il y a dedans. Et de toutes façons, c’est plus des produits de la pêche et ça échappe à la toute-impuissante commission européenne. C’est devenu des produits commerciaux. C’est plus les contrôleurs de la pêche, c’est les douaniers qui s’en chargent. Douaniers qui n’ont aucun moyen de savoir si le produit est dans les clous de la préservation de la ressource halieutique.

La ressource halieutique, elle est partout : dans les pâtés pour chat, dans les farines animales, dans les plats congelés. Tous produits dont l’importation et le débarquement échappent aux contrôles des spécialistes de la pêche puisque ce ne sont plus, réglementairement, des produits de la pêche. Ce n’est pas le même numéro dans la « Nomenclature Générale des Produits » (ça, c’est de la novlangue administrative).

Et donc, année après année, l’Europe dépense un maximum de blé pour des contrôles inutiles, casse les pêcheurs et produit des tonnes de rapports pour constater que les stocks baissent. J’exagère ? Hélas ! non. J’ai même peur d’être en dessous de la vérité.

Nous baignons dans un délire administratif totalement déconnecté du réel. J’en ai déjà parlé à propos des sushis (http://rchabaud.blogspot.fr/2011/04/les-ecolotes-et-les-sushis.html) . Si tu veux protéger les poissons, c’est sur le commerce qu’il faut agir. Interdire les produits et notamment ceux qui utilisent les sous-produits de la pêche vu que les sous-produits, ils sont absolument incontrôlables. C’est broyé à bord. Dedans il peut y avoir de tout, de toutes tailles, de toute provenance.

Mais ça, c’est un rêve. Le commerce est devenu incontrôlable. Alors, on va continuer à faire semblant de contrôler la ressource halieutique et à pleurer, année après année, parce que les poissons disparaissent. On va casser des bateaux qui n’y sont pour rien, mettre au chômage des pêcheurs qui n’y sont pour rien, détruire des économies locales, perdre des savoirs. On sera content parce qu’on va développer l’aquaculture et il y aura toujours des journalistes pour affirmer qu’un turbot d’élevage vaut un turbot sauvage. Ou que les saumons castrés ne sont pas génétiquement modifiés.

Ça, on en reparlera sûrement…..

samedi 7 avril 2012

LES TOUAREGS FONT CHIER

On en a déjà parlé (http://rchabaud.blogspot.fr/2010/09/les-roms-font-chier.html) mais là, ça vaut le coup de recommencer.

Les Touaregs créent leur Etat, rien qu’à eux, au cœur du Sahara. Ouah ! je sens déjà poindre la littérature touristico-politique. Le Français de base aime bien le « seigneur du désert ». C’est comme ça qu’on dit quand on est bien pensant. Le bobo a remplacé l’écharpe Burberry’s par le chèche en coton fabriqué en Chine. Le bobo, il adore la dune au soleil, les milliers de chameaux de l’Azalaï et le grand homme bleu qui marche, imperturbable, sous un soleil de plomb.

Cet Etat, c’est une bombe. Même pas à retardement. Tu connais l’Azawad ? Et l’Adrar des Iforas ? Non ? Regarde une carte. Y’a rien. Et quand je dis rien, c’est vraiment rien. En photo, c’est magnifique. Des reliefs sculptés par le vent, de longs regs piquetés de touffes d’alpha. Tu vis de quoi dans l’Azawad ? Ben, mon gars, tu vis pas. Tu survis. Vu que t’es au cœur du désert, sur les pistes qui mènent de l’Afrique noire au Maghreb, tu survis avec un peu de contrebande, tu trafiques les armes ou la coke qui arrive de Colombie (ben oui, le Sahara, c’est une plaque tournante, tu savais pas ?), tu fais le passeur pour ceux qui veulent aller en Europe. Parce que faut pas croire, c’est pas avec le lait de tes chamelles maigres que tu vas nourrir tes gosses. Et payer le téléphone cellulaire.

Bref, tu continues à faire ce que faisaient tes ancêtres qui trimbalaient des esclaves du sud au nord, qui pillaient leurs copains ou les populations noires voisines. Parce que faut pas croire : le seigneur du désert, il a toujours vécu de pillages et de trafics. Et pas avec noblesse : la mission Foureau-Lamy, ils l’ont dézingué en empoisonnant les puits, pas à la loyale. La loyauté du nomade, c’est encore une grosse connerie. Le nomade, c’est d’abord et avant tout un contrebandier esclavagiste. Dans les années 1970, à Tam, il y avait encore des harratin. Ça veut dire « esclave » et tout le monde trouvait ça normal.

C’est pas un jugement. Le nomade, il est toujours en survie. Sa vie est une lutte permanente. Il fait ce qu’il peut avec ce qu’il a. Forcément, il a une morale élastique. Dès qu’il peut, il se sédentarise. C’est vachement mieux d’avoir une maison en dur qu’une tente que tu dois démonter, transporter et remonter tous les quinze jours en fonction des pluies, des sources et des pâturages. Mais même sédentarisé, à part tondre le touriste, y’a pas grand chose à faire. C’est pas les travaux de la terre qui te contraignent le planning. Et donc, tu te démerdes. Aux marges.

Alors, l’Etat touareg, il va vivre de quoi ? L’agriculture, t’oublies. C’est le désert total. Les minerais, y’en a pas trop : un peu d’uranium, un peu de manganèse mais quasiment pas exploités. Le commerce ? Le Mali est déjà un Etat enclavé, alors l’Azawad qui va être une enclave dans l’enclave, c’est sans espoir. Et c’est pas demain que le sel de Taoudenni va remplacer le sel de Guérande sur ta table.

Restent les armes vu que la révolution libyenne a permis d’avoir du stock, les otages et leurs rançons, bref, tout ce qui touche à la guerre. On va revoir les rezzous tant vantés par Joseph Peyré et ses copains littérateurs antiques.

Après, pas la peine de se palucher pour savoir si le MNLA va s’allier avec AQMI ou pas. Ça va être un coup oui et un coup non, en fonction des opportunités. Et des financements. Parce que le nouvel Etat de l’Azawad, il ne vivra que de charité vu qu’il n’a rien d’autre. Si le pognon exige la mosquée, on construira une mosquée. S’il faut promettre, on promettra. A l’Arabie saoudite, à l’Occident, aux humanitaires. Les seigneurs du désert, ils ont pas fini de faire la manche.

Les spécialistes vont vous expliquer plein de trucs. Que le Mali est une construction coloniale (et c’est vrai) et qu’on a voulu faire vivre ensemble des populations qui se détestaient (et c’est vrai). Que le pouvoir est aux mains des gens du sud qui ont brimé et même massacré les nomades du nord. C’est vrai aussi, ça fait trente ans que l’Adrar des Iforas est le théâtre d’épouvantables massacres. Que les Touaregs supportaient plus la situation et qu’ils ont saisi la balle au bond. Tout ceci est parfaitement exact. Mais quand t’as dit ça, t’as dit quoi ? Que l’histoire coloniale explique l’évolution de l’Afrique ? C’est pas vraiment un scoop.

L’Azawad est une bombe à retardement parce qu’il n’a pas sa place dans un monde moderne et productiviste : il ne produit rien. Le seul truc qu’il peut produire, ce sont des troubles. La chance, c’est qu’il est peu peuplé et que les troubles seront limités. Ça pète déjà dans le désert libyen, ça risque de péter en Algérie du sud. On peut même imaginer que les Touaregs nigériens vont entrer dans la danse, mais là, y’a de l’uranium exploitable et exploité. Ça peut changer la donne. Dans l’ensemble et dans l’immédiat, les seuls qui vont morfler, c’est les tour-opérateurs qui exploitaient l’image du seigneur du désert.

C’est rigolo comme situation parce que c’est assez imprévisible. Que les Touaregs soient salafistes n’est pas une découverte : Charles de Foucauld a été assassiné voici près d’un siècle par des Touaregs salafistes. Qu’ils soient capables de construire un état salafiste au coeur du Sahara est une autre histoire. Plus simplement, que des nomades puissent construire un Etat, c’est quand même douteux. La seule certitude, c’est qu’ils peuvent bouleverser l’équilibre de la région et déstabiliser les états sahéliens.

Mais il y a une bonne nouvelle. On peut aussi imaginer que le Mali, enfin débarrassé de quelques milliers de kilomètres carrés sans intérêt économique va trouver un nouveau souffle de développement. Les Maliens du sud, avec ce coup-là, ils conservent leurs ressources qui sont toutes au sud et ils n’ont plus à s’occuper des terres septentrionales pauvres et improductives. Là, je galèje. C’est une vision trop pragmatique. On entend déjà les couillons qui brament le grand air de l’intégrité nationale. L’intégrité nationale d’une artificielle construction récente, tu parles !

Bref, faut poser la question simplement, comme on l’a déjà fait pour les Roms. La mondialisation supporte t-elle le nomadisme autrement que comme une image nostalgique à visée touristique ? Les nomades, tous les nomades sont condamnés. Ça a commencé au Néolithique et ça se poursuit. On peut le regretter. Mais, entre nous, à part fournir des décors à Frédéric Lopez et à ses rendez-vous en terre inconnue….

On en reparlera…

dimanche 1 avril 2012

LA PIRE PUB DU MOMENT : LA MINI

Vous l’avez sûrement vue, la dernière pub pour la Mini. Deux espèces de mafieux levantins se retrouvent en équilibre avec leur Mini sur un toit d’immeuble. Les roues avant sont dans le vide, les roues arrière ne touchent plus le sol. Avec d’infinies précautions, ils vont redresser la voiture en l’allégeant jusqu’à ce que les roues arrière portent enfin. On les voit ensuite rouler dans les rues.

Plus con, tu meurs. La Mini est une traction avant. Même si tu fais porter les roues arrière, tu ne peux pas bouger vu qu’une traction avant avec les roues qui touchent rien, elle est définitivement immobilisée.

J’ai cherché à comprendre le message : tous les amateurs de Mini ont des gueules de mafieux levantins ? J’y crois pas trop. Peut-être qu’on a voulu m’expliquer que la Mini peut passer de la traction à la propulsion. Ce serait révolutionnaire mais comme ce n’est pas le cas, ce serait de la pub mensongère.

J’ai interrogé autour de moi : personne n’a remarqué le truc. Il faut expliquer, longuement, avant que l’interlocuteur n’admette. Après quoi, il hausse les épaules pour lâcher un « c’est marrant, c’est tout ». Marrant ? Bof. Moi, ça me fait pas rire. Pas même sourire. Je cherche la motivation. Il a voulu dire quoi, le publicitaire ?

Je le connais pas, mais il doit ressembler à ses copains, à tous ses copains, y compris ceux qui bossent en ce moment pour les candidats. Ils ont tous le même fonctionnement. Le réel, on s’en fout. Ce qui compte, c’est l’empathie. Tu racontes une histoire marrante, du coup, la Mini elle semble marrante. Cool. Le candidat dit des trucs sympas ? Du coup, le candidat, il a l’air sympa. Même s’il raconte n’importe quoi. Même s’il s’accroche à des trucs qui sont tout simplement pas possibles.

Tiens, prend le Président-candidat. Il a un machin sur les épaules qui s’appelle le bilan. Cinq ans Président, après avoir été Ministre de l’Intérieur et Ministre du Budget. Autant dire que l’émigration, la dette et l’insécurité, ça fait dix ans qu’il se les paluche. Pour quel résultat ? Peanuts. Pas grave, On va raconter des histoires. Par exemple, qu’on va sauver Florange alors qu’on s’est planté grave sur Gandrange. Même si c’est impossible comme les roues avant de la Mini. Ça n’a aucune importance, personne ne s’en apercevra.

Tiens, prends le Mélenchon-candidat. Pendant des années, il a été un bon petit soldat de la social-démocratie. Il a accepté les nationalisations, il a géré l’éducation comme on doit la gérer pour que Moody’s te trouve sympa. Et aujourd’hui, il nous explique qu’il va faire tout le contraire. J’ai cherché : il n’est pas allé à Damas (pour les coincés, c’est pas une référence à Bachar Al-Assad).

Tiens, prends la Marine-candidate. Elle a été élevée avec les sous que Papa tirait de la vente de chants nazis. Pas grave, dans nazi, y’a socialisme et amour du peuple. Marine, elle fait tous les ans la bise à Jeanne d’Arc et elle enfile la robe de la laïcité. Cherchez l’erreur. He ben, non ! Personne la cherche. L’histoire de Marine, tout le monde s’en tape. Ce qui compte, c’est ici et maintenant.

Ça porte un nom. La Mini comme le candidat. Ça s’appelle : prendre les gens pour des cons. Savoir que la désinformation compte plus que l’information. Tous les conseillers en communication (les spin doctors, pour faire chic) le savent. Je suppose qu’il y a parfois quelqu’un pour dire « On peut pas dire ça » et qu’un jeune mec de noir vêtu (les spin doctors affectionnent le noir) va répondre « Mais si, on s’en fout ». On est dans l’empathie pas dans le rationalisme, on baigne dans le quotient émotionnel. On a déjà parlé de ça (cherchez dans les archives du blog le billet Emile et Adolf ou le texte sur Séguéla).

Prendre les gens pour des cons, c’est juste ça : parler à leurs tripes plus qu’à leur cerveau. Nier tout ce qui fait d’eux des hommes et pas des animaux : leur capacité de mémoire, leur possibilité de réfléchir, le contrôle des sentiments et des pulsions, la manière de discriminer et de juger ce qui est important et secondaire. Prendre les gens pour des cons, c’est le comble du mépris. Mépris affiché par des gonzes qui brandissent l’humanisme comme un drapeau alors qu’ils se moquent de tout ce qui fait l’Homme.

On en reparlera…