mercredi 24 mai 2023

Atout France


 C’est une agence nationale. Destinée à rendre incontournable la destination France. Et donc on peut la supprimer. Le monde entier veut venir en France, Atout-France ou pas. Le désir est là. Une Madame Leboucher préside cette chose. X-Mines, c’est du lourd. Sur CV et seulement sur CV.

 

J’ai quelques idées sur le tourisme. Je suis donc allé voir le site de cette chose, pour me faire du mal. Je m’en voudrais de qualifier les textes, inqualifiables, du niveau d’une agence de voyages du IIIème arrondissement. Pompeux, bêtifiant, enveloppant d’un vocabulaire mièvre des généralités insignifiantes. Médiocres ce qui est le pire s’agissant du plus beau pays du monde.

 

Madame Leboucher, sur son site, fait preuve d’une ignorance crasse du tourisme. Il est exact que des millions d’étrangers veulent venir en France et son boulot devrait être de faciliter cette rencontre. Le site offre 18 langues dont l’espagnol qui est utile aux sud-américains : en Espagne, on parle castillan, eventuellement le catalan. Le portugais est proposé mais pas sa variante brésilienne. Un bon point pour la Chine où on offre mandarin et cantonais.

 

Quand on veut vendre, on s’intéresse d’abord aux acheteurs. A ceux qui achètent aujourd’hui et à ceux qui achèteront demain. A priori, les Indiens ne sont pas concernés par la France. Je présume que Madame Leboucher sait que la France est une dentelle mais elle ne sait rien de ceux qui cherchent la dentelle. Et là, Polytechnique passe devant Mines et le Mont Saint Michel devant Montargis. Pourquoi Montargis ? Parce que l’Histoire a fait que Montargis est une étape quasi obligatoire pour les Chinois.

 

Et comme tout voyageur consciencieux, le touriste chinois va à l’Office de Tourisme chercher des informations et ma question sera : Y’a-t-il un interprète chinois à l’OT de Montargis ? Je doute, il n’y en pas à l’OT de Biarritz que les services de Madame Leboucher ont affublé du titre de marque-ombrelle pour le Pays basque. Il n’y a pas non plus d’interprète de russe alors que Biarritz abrite une colonie franco-ukrainienne non négligeable et une cathédrale orthodoxe. Et ceci grace à l’Ecole des Mines. Je vous raconterai un jour.

 

Le boulot d’Atout France devrait être l’accueil des touristes, là où ils veulent aller et non pas là où les statistiques disent qu’ils vont, les statistiques noyant les particularités sous l’épaisse sauce des généralités. Atout-France devrait permettre aux OT de province d’accueillir prioritairement certaines nationalités en payant les interprètes et les prospectus dans diverses langues qui permettent de travailler efficacement.

 

Voici plus de vingt ans, un travail amusant sur la langue des Routards indiquait que la phrase la plus utilisée dans le GDR était « Le patron parle français ». Le sens est clair : le touriste a toujours besoin de truchements pour augmenter sa connaissance, des passerelles entre sa culture et la culture qu’il découvre. Cela signifie connaitre la dentelle d’un territoire déjà dentelé. Pas Paris, mais chaque vallée des Pyrénées ou chaque domaine du Bordelais. Ce n’est pas un travail titanesque, il a déjà été fait. Chaque OT a dans ses tiroirs des spécialistes appelés érudits locaux qui ont fait ce travail. Il suffit d’aller à la source. C’est un travail.

 

Voilà le gros mot laché. Il est plus facile de s’abriter derrière quelques statistiques  de belle taille qui permettent de faire croire qu’on maîtrise le sujet puisque le corpus est gros. On bichonne le gros bide de la courbe de Gauss sans voir que la pertinence est le plus souvent dans les singularités de la tête.

 

Je viens d’écouter une interview de Madame Leboucher à l’occasion de sa nomination où elle se félicite du retour des touristes en France alors qu’elle n’y est pour rien, vu les délais de son activité. C’est pathétique. Elle veut nous persuader qu’elle a inversé la tendance en moins d’une semaine !

 

La France est belle mais, surtout, la France est différente et les voyageurs cherchent la différence avec les points qui aident à se sentir chez soi quand on est ailleurs.

 

J’ai envie de parler à Madame Leboucher d’un ingénieur des Mines, polonais et qui fut l’un des plus grands cuisiniers de la Belle Epoque. Lui, connaissait intimement la France. Pas elle.

 

dimanche 21 mai 2023

MACRON EST UN CON

 Ce n’est pas moi qui le dit, je ne me permettrai pas… C’est le Kremlin en langage diplomatique. « Le president Macron a une compréhension erronée. » Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre. Si on me dit que j’ai une compréhension erronée, on me traite, poliment, de con.

 

D’autant plus que j’ai les éléments pour comprendre. Un Président a des conseillers qui préparent et éclairent les dossiers, soulignent les éventuelles incompréhensions, mettent en garde. Dans ce cas, il s’agit de l’OCS, une alliance qui existe depuis plus de 20 ans. Alliance économique, mais aussi militaire (défensive mais on voit bien que la marge est faible). Alliance fondée par la Chine et la Russie, rapidement rejoints par les « stan »(Kazakhstan, Tadjikistan, Uzbekistan) puis plus recemment par l’Inde, l’Iran, le Pakistan. Certains pays sont qualifiés d’observateurs, antichambre à l’intégration (Mongolie, Afghanistan, Sri Lanka, Bielorussie). Le cadre formel est assez strict mais les relations entre Etats restent plutôt libres. Dans ces conditions, parler de vassalisation est une erreur majeure, une connerie.

 

L’OCS commence à inquiéter. Elle a repris les accords Chine-Russie signés par Eltsine et portant sur le nucléaire civil et l’industrie de l’armement. C’est ainsi que le Sukhoi-57 et le Chengdu-J20 partagent de nombreux éléments que l’on trouve également sur les prototypes indiens. Les participations sont différenciées, les Chinois se spécialisant dans l’électronique et les matériaux composites, et les Russes dans la motorisation. Dans ces conditions, les sanctions contre la Russie apparaissent comme un vœu pieux. Les Russes auront toujours assez de semi-conducteurs pour motoriser les avions chinois.

 

Il aura fallu plus de vingt ans pour que l’OCS ait droit à quelques timides mentions dans la presse. Les débuts étaient caractérisés par la timidité chinoise, timidité toute stratégique. Mais quand ça grandit, vient un moment où on ne peut plus rien cacher : les pays de l’OCS représentent 50% de la population mondiale. Ça fait du monde…plus de quatre millions de soldats mobilisables. Bien entendu, la vassalisation suppose que l’on obéisse au suzerain, à condition que le suzerain ordonne, ce qu’il ne fait pas.

 

C’est là que le bat blesse. Le suzerain conseille, suggère, laisse libre, induisant une compréhension erronée. Le monde de l’OCS est un autre monde mental, inadapté aux outils reflexifs occidentaux.


La colonisation est morte.

JACK MA ET LI HONG ZHANG

 C’est marrant comme on peut être invisibilisé… La toile bruisse d’articles sur Jack Ma alors que je donnais les clés dès octobre 2010.

 

Jack Ma est un fils de Li Hong Zhang (fils spirituel j’ignore tout de son père biologique qui n’a aucun intérêt) C’est donc un fils du système guang du shang bang.(contrôle d’Etat-gestion privée). En clair l’Etat chinois a financé Ali Baba que Jack Ma gérait en suivant une feuille de route. Quand il n’a plus suivi la feuille de route, il a été viré par le pourvoyeur de fonds.

 

Il était là pour dominer Amazon en s’appuyant sur le marché intérieur chinois. Mais pas en appliquant les règles du capitalisme étatsunien, en appliquant les règles du socialisme à la chinoise, lesquelles supposent que les épiciers ne sont pas des banquiers. Créer une filiale financière était une sorte de suicide, il sortait de sa feuille de route. S’il avait besoin d’une telle structure, il devait la confier à un acteur de la finance, agréé par le PCC.

 

Depuis sa mise à l’écart, il accumule les conneries, par exemple en se réfugiant au Japon, ennemi héréditaire de la Chine, prouvant ainsi qu’il est corrompu par la pensée américaine.

 

Il ne s’agit pas d’argent mais d’un nationalisme exacerbé où chaque détail compte pour le pouvoir politique qui tient en mains le pouvoir économique. Nous sommes incapables de comprendre cette situation qui correspond à la phrase de De Gaulle : « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille. » La politique de la Chine, non plus, et c’est logique. La Bourse, surtout celle de Hong-Kong, est une relicte des Traités Inégaux.

 

J’attendais un peu plus de savoir des commentateurs, mais je suis un vieux con

lundi 15 mai 2023

PENSER A LA MORT

 C’est un de mes copains. Macroniste jusqu’à l’hippocampe. Inclus.

 

J’essaye de lui expliquer la stupidité présidentielle. Et là, toc ! il baisse la garde. « Mais il ne pouvait pas prévoir le COVID !!

 

Si, il pouvait et devait prévoir.

 

Le COVID fut une pandémie. Comme la grippe espagnole ou la peste noire. Les pandémies escortent l’humanité depuis la nuit des temps. Rien de nouveau sous le soleil. Aujourd’hui, elles sont plus virales que bactériennes, mais ce sont toujours des pandémies.

 

Protecteur des Français, le Président doit aussi les protéger contre les pandémies et, dans le cas de la pandémie de Covid, il a lamentablement échoué. Alors qu’il avait les instruments en mains avec le plan Biotox, élaboré par Kouchner (un médecin), plan prévu en cas d’attaque biologique du pays. Mais, ça n’a rien à voir !

 

Tu es con ou tu fais semblant ? Peu importe que la pandémie soit d’origine humaine ou naturelle, ça n’a aucun intérêt. Le malade demande d’être soigné et possiblement guéri. Il se trouve que le plan Biotox approuve cela mais avec des instruments différents. Ainsi, prévoit- il ; « disponibilité en permanence de laboratoires (hospitaliers ou militaires) permettant d'analyser les prélèvements suspects ». Hospitaliers ou militaires, cela veut dire publics. Or, c’est un gros mot pour Manu. Allons plus loin (source Wikipedia) : «  établissement d'une organisation de gestion de crise, basée sur les établissements hospitaliers (qui gèrent déjà en permanence des agents infectieux et sont rompus aux mesures d'hygiène et d'isolement) ». Cette organisation n’existait plus, les établissements hospitaliers étant en déshérence, au nom de la rentabilité.

 

Et donc, le Président s’était oté les moyens de se battre. Bien entendu la racine était lointaine, mais depuis 2017, il avait eu le temps de réagir. Sauf qu’il n’était pas concerné par une exceptionnelle pandémie, mais par le quotidien qui fait la provende des seuls Français qui l’intéressent : les journalistes.

 

Macron n’a jamais été un vrai Président, soucieux du long terme pour ses électeurs, pas du court terme pour les élections. Après trente ans d’abandons, il promet une ré-industrialisation, mais ce sont seulement des mots car il refuse les outils qui y aideraient, notamment la nationalisation ou la re-nationalisation et leurs corollaires: le politique conduit l’économique ou le public est supérieur au privé.

 

Mais il n’a pas été élu pour ça ! En êtes vous certain ? Il choisit les sujets sur lesquels il est confortable de s’appuyer : le COVID plutôt que la pandémie.

 

Il n’a pas non plus été élu pour préparer la guerre mais ça fait partie de son quotidien de Chef d’Etat : Penser à la mort.

samedi 13 mai 2023

LA LÉGITIMITÉ

 

 

C’est le grand manque de notre temps. En quoi est-on légitime à se saisir d’un sujet ? Et, au-delà, à s’exprimer sur le dit sujet. Pire encore, à en juger.

 

Ce n’est pas lié à Internet ou aux réseaux sociaux, contrairement aux apparences. Internet a seulement gonflé de façon caricaturale un phénomène pré-existant qui date, peu ou prou, des années 1960. Avant ce temps, la légitimité était acquise par l’apprentissage qui donnait une voie vers le savoir. Peut parler celui qui sait ou qui a appris à savoir, non seulement les faits mais aussi les conditions de l’acquisition des faits, le contexte des faits, l’histoire du savoir et le contexte épistémologique. J’admets que c’est limitatif.

 

Libraire, j’ai du engager quelques collaborateurs. D’emblée, ils ont voulu améliorer leurs chiffres par « des coups de cœur », des conseils de lecture, des post-it mièvres et répétitifs, à la limite de l’injure aux clients et baignant dans la publicité mensongère. J’ai du me gendarmer au risque de passer pour un vieux con ronchon. Je sortais de chez RB où nous avions passé deux ans à travailler sur les 40 pages de la Sarrazine de Balzac et des gamins pensaient avoir un avis à donner sur les 600 titres d’une rentrée littéraire avalés en moins d‘un mois ! Mes collaborateurs se moquaient de moi, et, plus grave, de mes clients. Je leur posais la question : « Quelle est votre légitimité à juger ? » Le texte était le cadet de leurs soucis, ils surfaient sur l’air du temps.

 

Il me fallait leur apprendre qu’ils devaient vendre des livres, pas des textes. La Découverte remplaçait Maspero en vendant les grands textes du 18ème en format poche. « Est-ce le même livre ? » La réponse était unanime et négative. « Et pourtant c’est le même texte ». Discriminer livre et texte est le premier devoir du libraire. Il me fallait leur apprendre à cataloguer, à regarder chaque détail. Ils ignoraient qu’un livre n’a jamais de pagination impaire, la dernière page (blanche) est une page comme les autres et doit être comptée. Il me fallait leur dire qu’on se moquait des nouveautés qui sont provende de maisons de la presse, pas gourmandise de libraire, puis leur apprendre qu’il n’y a pas d’ontologie du livre, que tout livre est héritier de livres précédents et que notre métier est de reconnaitre cette généalogie. Bref, je devais annihiler leur médiocre personnalité pour leur montrer l’Eden du savoir univoque.

 

Je leur rappelais l’immortelle phrase de Berthet (libraire à Nogent) : « Un charcutier sait faire un saucisson, un libraire ne sait pas faire un livre. » pour leur signifier l’importance de la matière. Bref, j’essayais de leur donner les armes de la légitimité. J’étais un dinosaure, ma disparition était programmée comme était programmée la disparition de la légitimité.

 

La légitimité est fille de la méritocratie, elle s’appuie sur le travail et le savoir. Pour juger publiquement d’un livre, il ne semble pas déraisonnable d’exiger un bac+3 d’études littéraires. Critère obsolète. Notre envahissement par le mode de vie américain a privilégié la quantité : un influenceur a la légitimité de son audience. Chacun peut juger de tout et devenir critique littéraire, cinématographique ou gastronomique et publier les pires énormités sur des sujets dont il ignore tout. On appelle ça la liberté d’opinion et c’est un droit de l’homme. Plus le sujet est complexe, plus ouverte est la liberté. Moins tu sais, plus tu es libre. Prime aux cancres, aux fainéants et aux mauvais élèves. En fait, prime à la lie et aux déchets, prime à l’ignorance et à la fainéantise car les opinions sont comme les trous du cul : chacun en a.

 

Un cancre aura la légitimité d‘un bataillon de cancres qui l’admirent et personne ne veut dire qu’être admiré par un troupeau d’imbéciles ne rend pas intelligent. Panurge rigole….Mais c’est la base de la religion et de la politique.

jeudi 11 mai 2023

42 MOIS PLUS TARD

Je reviens sur mon billet du 10/12/2019.

 

J’y annonçais la décision du gouvernement chinois de cesser toute recherche et tout investissement sur les batteries des voitures électriques pour passer à l’hydrogène. Trois ans et demi plus tard, la presse n’en finit pas de se féliciter des choix industriels qui installent de grosses usines de ces batteries en Europe et notamment en France (on dit gigafactories pour faire chic). Autant faire la promotion des cercueils à deux places !!

 

Parallélement, nous est annoncée une offensive chinoise sur le marché des voitures électriques. Sont prévoyants les fils de Mao : ils vont construire les batteries qui serviront aux autos qu’ils vont nous vendre. Dans un premier temps. Après, l’hydrogène prendra le relais.

 

La stratégie est limpide. Les batteries accompagneront les voitures de première génération (importées ou construites en Europe) pour faciliter l’accoutumance à l’électrique et ferrer les constructeurs-gros poissons qui abandonneront la piste hydrogène.

 

La génération suivante sera à hydrogène et les clients n’auront plus le choix. Le marché de l’occasion survivra grâce aux usines et on se félicitera de choix industriels obsolètes avant que toutes les autos soient entre les mains des constructeurs  chinois, détenteurs des brevets et de la technologie. Xi Jiping nous aura aidé à décarboner, c’est déjà ça.

 

Faudra pas dire qu’on savait pas ! Nos dirigeants ont des conseillers (a priori mauvais) et des services de veille meilleurs que moi mais on ne surveille que ce qu’on veut. Si ça gêne, on met sous le tapis.

 

Et faudra pas dire que les Chinois sont fourbes et dissimulateurs. Tout est sur la table depuis 42 mois.

lundi 1 mai 2023

LIBRAIRIES : TOUT FAUX


 Ça circule : le marché de l‘occasion se développe dans le livre, selon certains, il explose. Bien entendu, c’est faux. C’est un marché qu’on découvre et, comme on croit le mesurer, on le voit plus gros qu’il n’est puisqu’on part de zéro.

 

C’est un marché « gris », aux ventes indiscernables. Les ventes explosent-elles chez les bouquinistes, dans les salles de ventes aux enchères, dans les vides-greniers, tous lieux où règne le livre d’occasion ? Il ne semble pas et ce n’est, tout simplement pas, mesurable. Il explose dans les librairies qui viennent de  le découvrir et n’y connaissent rien. On part  de zéro, le zéro statistique du non-mesuré.

 

Libraire pendant trente ans, j’ai toujours vendu des livres d’occasion, mais sous un autre nom. Avant Jack Lang, on distinguait « livres disponibles » et « livres épuisés ». Les premiers s’achetaient chez les éditeurs, les seconds se chinaient au gré des recherches. Facilité contre savoir. Un livre épuisé était un livre qui valait plus cher qu’un livre disponible, et parfois beaucoup, beaucoup plus cher. Les 40% de remise concédée par le distributeur se transformaient en 200 ou 500%, voire plus. Ce qui permettait aux comptables de s’inquiéter : « Vous n’etes pas dans les clous ». Forcément, je passais ma vie à sortir des clous.

 

Cela suppose d’avoir une connaissance fine de la clientèle, une connaissance de commerçant, pas de magasinier. Simple exemple : « Annapurna, premier 8000 » de Maurice Herzog, un des plus gros succès des années 1960, sans cesse réimprimé. Dès le second ou troisième tirage, par souci d’économie, l’éditeur Arthaud décide de supprimer la carte en couleurs du massif de l’Annapurna contrecollée en fin d’ouvrage. Pour qui voulait lire un récit d’aventures, aucun changement. Pour qui voulait faire le tour de l’Annapurna, c’était le jour et la nuit. Mes clients payaient sans sourciller 100 balles pour un livre dont l’édition de poche valait 10 balles sur le catalogue Arthaud. Encore fallait-il les trouver…le livre comme le client.

 

Parfois, on pouvait créer la demande. Le représentant Gallimard m’annonce une réimpression du livre de Métraux sur l’ile de Pâques. Petite vérification : l’originale est moins chère. J’achète la totalité du stock, une cinquantaine d’exemplaires. Désormais épuisé, il est libre des contraintes de la loi Lang. Je lui affecte une valeur correspondant à son contenu, son illustration et sa cartographie, quatre fois le dernier prix connu. Voilà de la marge légale qui ne doit rien au hasard et mes clients m’embrassent.

 

Ceci suppose d’être un libraire, un marchand de livres, pas un vendeur de textes. J’ai connu ce basculement, quand les professionnels ou supposés tels pensaient que les maisons de la presse étaient des librairies ce qui n’a jamais été le cas. Il ne suffit pas de vendre des livres pour être un libraire, Le petit Leclerc vous le dira, lui qui colle les livres entre un paquet de chips et des lasagnes surgelées avant de se proclamer « acteur culturel ». Il a d’autant plus le droit de le faire que ses clients lui donnent raison.

 

Je suis certain que des pépites se glissent dans l’abondance des « livres d’occasion ». Les Fables d’Anouilh par exemple, pilonnées dès parution. Du fait de ce pilon, l’édition de poche est considérée comme l’originale. Mettez deux zéros après le prix d’achat et le client ne trouvera pas ça cher. Je ne connais rien en romans policiers mais je me souviens d’un libraire lyonnais, connaisseur en Séries Noires, et qui m’a guidé un samedi dans le dédale des originales, des réimpressions, des cartonnées avec des prix de folie.

 

Dans tous ces prix, se glisse le savoir du libraire qui illumine la valeur de son incandescence allumée dans la rareté. Les textes sont presque toujours les mêmes mais, pour un libraire, le texte n’est pas le livre. Songeons à La Bruyère :

 

 « C’est la bonne édition.

J’y trouve page seize

La faute d’impression

Qui n’est pas dans la mauvaise. »

 

La « bonne » édition est l’édition fautive. Le geek de base ne peut pas comprendre, l’amoureux des livres (en français, bibliophile) oui. La faute renvoie à un environnement  où il baigne.

 

Jouvence. C’est un titre. Eugen Guido Lammer, édité par Dardel,la maison-mère d’Arthaud. Jouvence est la bible des alpinistes nazis, le livre qui fait du grimpeur le sur-homme hitlerien. Rarissime. En trente ans j’en ai trouvé deux. Le second est quelque part sur la face sud du Lhotse, dans la poche de Nicolas Jaeger à qui je l’ai offert avant son départ. Nicolas voyait dans Jouvence la motivation de Messner, son rival du temps.

 

Aujourd’hui, quelques décérébrés pensent que Sylvain Tesson est un quasi-écrivain fasciste. Combien ont lu Jouvence ? Je connais Tesson moins bien que Jaeger mais je peux dire qu’ils sont semblables, des humanistes absolus pour qui la grimpe est art de vivre personnel plus qu’idéologie. Pour affirmer cela, il faut avoir lu Lammer, ce que personne n’a fait. Le livre sert à ça, aider à la réflexion, par delà le temps et les modes. Jouvence est une borne sur une route que personne ne parcourt plus. Je viens de relire quelques articles sur Tesson, Lammer n’est jamais évoqué. Jamais.

 

Je suis libraire. J’ai quelques références que n’ont plus ceux qui se regardent penser. Ou qui croient qu’ils pensent quand ils babillent.