jeudi 3 mai 2012

SACRE VICTOR !

« Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille applaudit à grands cris »

Tu parles. Le grand-père, grand poète, il fait la bise au gnard et il se dépêche d’aller sauter Juliette Drouet. Parce que Totor, c’est ça. Le poète de la famille (Ah ! l’amour d’une mère), il a passé sa vie à cocufier Bobonne et il était plus souvent dehors que dedans. J’exagère à peine. Remarquez, il avait de qui tenir. Maman Hugo, Sophie Trébuchet de son nom de jeune fille, elle a filé des cornes au général (mon père, ce héros) qu’il aurait pu épousseter le sommet de la Tour Eiffel si elle avait existé.

Ceci dit, on s’en fout. La bonne littérature ne s’accommode pas nécessairement d’une vie bien réglée. Et quand elle est vraiment bonne, on finit même par oublier la vraie vie. Pour ça, Hugo, il a fait très fort. Ce qu’il a pu nous coller dans les neurones est effrayant. On est tous persuadés que Napoléon III est calamiteux et que la Cour des Miracles était une sorte de pensionnat où poussaient les grands sentiments. Que tu peux bien aimer que si t'es très vilain, comme Quasimodo. Et quand tu vois une gamine qui bosse, c'est tout de suite Cosette.

Totor vénère le peuple qui le lui a bien rendu. Il nous colle dans les dents un monde où la solidarité est une vertu cardinale (Tiens dit-elle, en ouvrant les rideaux…), un monde où les enfants pauvres savent mourir pour la Patrie (c’est la faute à Voltaire), un monde où Dieu pourchasse les fautes (l’œil était dans la tombe). C’est récurrent chez Totor : le pauvre est grand et seuls les valets savent aimer (un ver de terre amoureux d’une étoile). Pas con, Hugo : il sait bien que les pauvres, plus nombreux, assurent les plus gros tirages. Il y a du Hugo chez Marc Lévy.

Notre vision de la justice est valjeanienne. Vous vous souvenez ? Le brave évêque de Digne (déjà, Digne, ça a du sens, Arras ça aurait pas marché pareil) qui jure aux gendarmes qu’il a offert les chandeliers à Jean Valjean. Et devant tant de bonté, le forçat qui s’amende et passe sa vie à faire le bien. Hein ? C’est pas beau ça ? Donnez le bel exemple et il sera suivi. Même si l’exemple est clérical ? Même. Surtout.

Tu lis Les Misérables, t’as tout compris. La rédemption est quasiment inscrite dans nos gènes. Il faut être un Javert pour ne pas comprendre. L’homme est bon, la société le détruit. L’antienne hugolienne, elle a passé les siècles, elle est toujours là, solide, omniprésente. C’est pas Marianne qu’il faut mettre dans les tribunaux, c’est le buste de Totor. Il nous a créé une vision rédemptrice de la Justice : on ne condamne pas l’Homme, on croit en lui. T’écoutes les médias, c’est que ça. Tout flic est un Javert, un gros méchant, quasi un assassin. Le dernier, c’est le pauvre type qui a tué un évadé multirécidiviste armé d’un P38. Ce mec, je le connais pas. Je peux juste l’imaginer arrivant sur les lieux d’un braquage à main armé en sachant qu’il a en face un bonhomme déterminé. Tu peux pas lui demander d’être rationnel. Mais voilà. Il a Javert sur la tête. Quoiqu’il fasse, il est dans le camp des salauds. Il peut dire merci à Victor.

La plupart des magistrats, ils se prennent pour l’évêque de Digne. C’est des curés laïques. Ils sont persuadés de la possibilité de rédemption. Tout dealer vingt fois condamné est à leurs yeux une sorte de Jean Valjean. Bien entendu, ils sont aidés par tout un arsenal juridique, ils ont des textes pour leur servir de parapluie. Ils sont aussi aidés par des niais médiatiques. Le dernier, c’est Botton. Une référence, Botton. Gendre de Michel Noir, il a passé deux ans en prison pour « abus de biens sociaux ». A ce niveau de relations et pour ce genre de délit, s’il a chopé deux ans, c’est que ça devait être du lourd. Alors, Botton, il a découvert la prison et il a trouvé ça bien dur. Du coup, il veut aménager la vie pénitentiaire avec une association qu’il a appelé « Les Prisons du cœur ». Il en est pas à filer ses chandeliers comme l’évêque de Digne, mais c’est pas loin.

Il a pas complètement tort. La prison, c’est la privation de liberté. Il n’y a pas de vraie raison pour que ça soit pire. En même temps, y’a pas de vraie raison pour que ça se transforme en club de vacances. Il en est pas loin, Botton. Il réclame des menus aménagés. Pour les malades ? Non, ça, ça existe déjà. Pour les végétariens. Ou pour les religieux. Je l’ai entendu, à la télé, s’offusquer parce que « 45% des prisonniers ne mangent pas de porc » et qu’ils ne sont pas sûrs qu’on leur file du vrai hallal. Dis donc, c’est pas loin de Zemmour, ce genre de phrases. Botton, il a du oublier que la prison était laïque. Par définition. Et puis, en principe, si t’es religieux, tu te balades pas avec un P38. Enfin, je crois pas. On n’est plus sûr de rien au jour d’aujourd’hui. Les mecs, ils doivent avoir la religion à géométrie variable. Flinguer un mec, c’est autorisé par le Coran ? A mon humble avis, si t’es en prison, c’est que tu pratiques pas trop les principes religieux de compassion et de mansuétude. Alors, le hallal….

Pas la peine de lui parler de multirécidivistes. Jean Valjean aussi était multirécidiviste et, Victor nous l’assure, il a été touché par la Grâce. Par voie de conséquence, la Rédemption est toujours possible. C’est un dogme. En tous cas pour Botton.

Du coup, on inverse la perspective. Le mec a été conduit en prison par une société injuste et dont l’injustice est responsable de sa conduite. Donc, la société doit payer. Quand j’étais petit, on m’a appris le contraire. Que c’était le prisonnier qui payait sa dette à la société. He ben ! c’est plus vrai. C’est même juste le contraire. C’est fou ce qu’on progresse. Il doit être content Totor dans son Panthéon.

C’est la force de la Littérature. Elle te rentre par tous les pores de la peau, elle t’envahit les neurones, elle règle tes conduites. Sauf que ça reste de la littérature : un mec qui se paluche l’imaginaire. Un mec qui truque un peu, ou beaucoup. Un mec qui se fait plaisir.

Tiens, en préparant ce billet, j’ai trouvé un truc superbe. Un site algérien : http://www.setif-dz.org/t19-quelques-vers-de-victor-hugo où j’ai appris (?) que Victor était musulman, converti à l’Islam en 1881 par un cheikh de Tlemcen. Il paraît que c’est amplement prouvé par quelques vers de la Légende des Siècles écrits en 1859. C’est ça qui est génial avec les grands auteurs : chacun y trouve sa provende.

Et donc, bouclons la boucle et revenons à Botton. Musulman, Hugo devait manger hallal. Il n’en a pas parlé dans les Misérables mais s’il avait vécu, il n’aurait pas manqué de le faire. Ce qui justifie doublement Botton dans sa quête de rédemption et dans son plaidoyer hallal.

Comme disait Vialatte : Et c’est ainsi qu’Allah est grand….

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