Ce matin, c’est le mot qui parsème toutes les interviews,
toutes les interventions, surtout celles du pouvoir. Pour les macronophiles,
c’est un mantra, la négociation est le maître-mot qui marque leur volonté de régler les difficultés du
pays. Les macronophiles ne connaissent rien à la communication. Les Gilets
Jaunes ne négocieront pas.
Un d‘entre eux, un brave type, l’a affirmé ce matin. Sans le
dire, évidemment.
« Ils veulent nous enfumer.. Moi, moratoire, je sais
pas ce que c’est. J’ai du aller sur Internet pour comprendre ».
Tout est dit et plutôt deux fois qu’une. Le mec ne possède
pas le vocabulaire pour négocier. Et il ne possède même pas de dictionnaire. Le fossé linguistique se
double d’une barrière culturelle. Il perçoit parfaitement cette distance, il
sait qu’on le convoque à un duel sans qu’il ait les armes. Accepter la
négociation, c’est aller à la défaite. Il n’ira donc pas.
En face, ce refus de négociation va être commenté, amplifié,
déformé, comme une preuve de désir insurrectionnel, alors que la seule demande
du type, c’est d’avoir un interlocuteur qu’il puisse comprendre. Et qui le
comprendra en retour. Un mec avec qui il puisse parler sans dictionnaire.
De tous les politiques et journalistes que j’ai pu écouter,
un seul m’a semblé capable de l’exercice, le mec qui me faisait zapper
systématiquement tant il ne m’intéressait pas : Pascal Praud. Je suis
tombé dessus par hasard, il ne parlait pas de foot, il m’a bloqué. Il faisait
régner l’ordre sur son plateau en donnant la parole aux manifestants de base,
en les faisant préciser, en utilisant leur vocabulaire, en faisant taire les
intervenants dont le vocabulaire suait le mépris de l’autre. Il créait les
conditions de l’égalité des discours, sans démagogie et sans forfanterie. On
était loin des débats à la con qui font penser que le journaliste organise une
confrontation pouvant se tenir dans un amphi de Sciences Po.
Je me suis dit que Praud avait la chance d’être en prise
directe avec la « vraie » France, celle qui s’exprime dans les tribunes
des stades. Ce pays là est soigneusement méprisé et évité : il ne possède
aucun code linguistique de l’ordre du pouvoir. Et donc, quand il ne comprend
pas, il se tait ou il dit « Non ». Ils veulent entendre Macron sans
comprendre que Macron ne les entend pas.
Sans compter que les mots n’ont pas le même sens. Le peuple
sait que la négociation est le moyen de le baiser par les mots. On met en
première ligne les femmes, bouclier habituel du pouvoir. Alors que le peuple
connaît de la négociation les premières minutes de toute confrontation
sportive, la fourchette sous la mêlée ou le tacle sec pour que l’autre
comprenne qui est le patron. Toute négociation sérieuse est précédée d’une
bagarre. Il convient de connaitre le rapport des forces. La négociation est le
moyen de liquider la violence ce qui suppose qu’elle s’exprime. Et c’est vrai
que si tu te mets à la table de négociations avec un œil au beurre noir et
l’arcade sourcilière recousue, ça décrit un monde, pas nécessairement à ton
avantage.
La négociation n’a jamais été un moyen d’éradiquer la
violence mais plus simplement la voie d‘en minimiser les effets. On arrête de
se taper dessus alors qu’on avait commencé. Ce qui suppose un langage commun.
Un langage, des codes, un vocabulaire. En ce moment, les journalistes affectent
de croire que ce langage est celui qu’ils partagent avec les politiques entre
gens de bonne compagnie, à l’éducation identique. Ce qui conduit le peuple à
lancer aux journalistes les injures qu’ils réservaient aux politiques : le
langage commun conduit aux réactions semblables.
L’injure est compagne de l’insurrection. Relire les tirades
de Hébert dans Le Père Duchesne. Hébert qui utilisait un langage volontiers
ordurier reste l’une des grandes figures de la Révolution. Hébert écrivait pour
le peuple, avec le langage du peuple et les injures du peuple. Il savait que
l’injure n’est pas la violence en un temps où la violence consistait à
raccourcir les têtes ce que ne fait pas l’injure. Les glissements sémantiques
nous ont convaincu du contraire mais le peuple n’est pas dupe car il ne confond
pas les mots et les actes.
Raison pour laquelle il est parfois difficile à convaincre.
On en reparlera..
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