jeudi 28 décembre 2023

LES JOURNALEUX

Je l’emploie souvent et on me reproche sa connotation méprisante.

C’était mon premier métier, celui que je voulais vraiment faire. Alors, je m’y suis mis. Ma première pige m’a été payée en 1970 par Pierre Lazareff qui m’a donné ma première leçon en me disant « Votre papier est mauvais. Vous n’êtes plus à la Sorbonne. Mes lecteurs sont les taxis et les concierges, écrivez pour eux et refaites moi ça ». J’étais pistonné, j’ai recommencé. Trois fois. Adoubé par Lazareff, j’ai ensuite pu faire des papiers dans plusieurs journaux et rencontrer de nombreux « confrères ».J’ai donc appris le journalisme sur le tas, il n’existait pratiquement pas d’école de journalisme. Rappelons les fondamentaux.

 

Un journaliste est un chasseur d’infos et il doit présenter ses propres infos qu’il sait aller chercher. Ce n’est en aucune manière un compilateur de dépêches d’agence ou de communiqués de presse, sauf à vouloir que toutes les rédactions se ressemblent. En pleine guerre du Viet Nam, pour avoir des informations, il arrivait que le gouvernement français interroge Le Gros, comme on appelait Lucien Bodard, mieux informé que les services officiels. Le Gros n’appartenait à aucun réseau mais il avait un carnet d’adresses comme on disait alors. Pour chacun il savait quoi demander et ce qu’il pouvait publier ou celer. Ne pas mettre ses sources en danger. Il pouvait même relayer une information fausse en toute connaissance de cause afin de rendre service à sa source ce qui faisait de son informateur son débiteur. Jeu subtil et dangereux qui m’a appris qu’un jeune journaliste n’ayant pas de carnet d’adresses n’a aucun intérêt. Egalement qu’on doit, toute une vie, labourer le champ qu’on s’est choisi, on ne peut pas tout maîtriser. Le Gros avait l’obsession de la civilisation (américaine) qu’il voyait à la racine des maux du monde. Cinquante ans après, je dois lui donner raison.J’ai suivi un bon bout de la guerre au Viet Nam avec Le Gros et aujourd’hui, je suis affligé de voir ce que les gamins font de la guerre en Ukraine. J’imagine Le Gros avec les infos des satellites.


Tous les soirs, j’ai envie de demander aux commentateurs : « envoyés spéciaux ? combien sur la ligne de front ? une équipe sur 2000 km ? tu rigoles ou t’es sérieux ? » Et je pense à Jean Bertolino et à une soirée chez Claude Sauvageot. Berto était un spécialiste du Kurdistan et il en a parlé toute la soirée car il en revenait après avoir été parachuté par les forces spéciales françaises. Il y avait certainement un deal mais j’ignore lequel. Journalistes contre journaleux.

Après, il y a les annuaires, notamment ceux édités par Jane’s.Une trentaine de volumes : un sur les avions de combat, un sur les navires de guerre, deux sur les tanks (roues et chenilles), un sur les canons et obusiers, un sur les mines et explosifs, une synthèse sur les armées, un volume sur les forces spéciales, pays par pays, pour l’instant manquent les drones. Avec une collection de Jane’s, tu peux parler technique militaire 3 à 5 minutes par jour en donnant l’impression que tu sors de l’usine. Bon, ça coute un bras (1000 à 1500 euros le volume) et ça se change tous les ans, le rédac’chef fait la grimace.


On n’a rien sans rien. Le rédac’ chef préfère inviter des officiers généraux qui ont les Jane’s dans leurs bureaux et qui sont tous passés par l’Otan sans penser que leur vision stratégique est celle du Pentagone, pas celle de Poutine. On fera un correctif plus tard.


Et personne ne parle de Cheliabinsk. La Russie a basculé dans l’économie de guerre. L’usine de tracteurs de Cheliabinsk a été transformée pour fabriquer des blindés. C’est pas nouveau, Staline l’avait fait au début de la Grande guerre patriotique. Il doit bien rester quelques vieux contremaitres pour s’en souvenir. J’attends un reportage sur le sujet qui est actuel avec une profondeur historique. Et si pas Cheliabinsk, ailleurs, y’a pas qu’une usine chez les soviets. Je ne suis pas journaliste, pas spécialiste de la Russie, mais je savais aller sur le terrain en pensant au lecteur (ou au spectateur). Chez les Soviets comme Tintin. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire