Il m’a enseigné l’histoire et la géographie. Bien peu. Grâce
aux dieux, ma route croisât plus tard celles de Jean Chesneaux et de Jean
Delvert qui rallumèrent une flamme que l’autre minable avait pratiquement
éteinte. Pour évoquer la face du monde et son histoire, il avait le charisme un
coléoptère coprophage, donnant à tout territoire l’étendue d‘un ticket de bus
et l’épaisseur d’un bible Bolloré. Et quel que soit le sujet, la fin du cours
était invariable. Il annonçait d’une voix qui se voulait grave :
conclusion les villes.
C’est Lao Pierre qui m’a expliqué de nombreuses années plus
tard. Mon vieux prof était un indécrottable vidalien. Après quoi, Lao Pierre me fit lire le Tableau
géographique. Remarquable synthèse qui influence toujours l’école de géographie
française. Pour Vidal, les villes structurent le territoire. On peut dire aussi
que les villes aménagent la campagne. Pour le dire vite, la ruralité est un produit
de l’urbanité. Je caricature à
peine. Vidal croyait que le territoire avait été structuré par les
civitates romaines, base du système épiscopal. Croyance qui a perduré pendant
tout le 20ème siècle et qui commence à céder sous les coups de
jeunes historiens, à la suite de Florian Mazel.
Du coup, je regarde le paysage de la pensée. Les aménageurs
analysent le territoire comme consubstantiel à la ville et, par voie de
conséquence, la ville devient l’alpha et l’oméga de la réflexion. Il ne vient à
l’idée de personne que le territoire hors la ville puisse être analysé sans
cette dernière, comme un en-soi. Il est exact que c’est plus compliqué mais
d’analyse en analyse, de consultant en consultant, les coûts augmentent quand
même.
Les politiques suivent les aménageurs. Forcément. Les
politiques sont les clients des aménageurs qui servent le brouet que l’on
attend d‘eux. Ils vivent tous
dans la même idéologie vidalienne.
Comme d’ailleurs les opposants. Quand je lis Christophe Guilluy, je lis une
critique voilée de Vidal, mais aucune opposition. Baser l’aménagement sur la
ville est géographiquement stupide. On refait avec la banlieue ce que le Moyen
Age fit avec les faubourgs. A une
autre échelle et avec d’autres moyens. Peut on attendre des résultats
différents ?
Cz matin Sud-Ouest annonçait que l’aménagement du Pays basque
côtier avait provoqué une baisse de 22% des terres agricoles (3% de moyenne
nationale). On est dans le délire le plus total. On installe de plus en plus de
consommateurs en amputant le territoire des producteurs. S’agissant d’une
agriculture locale et raisonnée, c’est ouvrir les vannes de la globalisation et
donc tracer une autoroute à la grande distribution.
Il importe d’inverser la problématique vidalienne. La ville
n’est pas un moyen, mais un résultat. Elle ne structure pas le territoire, elle
en est le produit. On peut, éventuellement, introduire une dimension
diachronique qui montrera, évidemment, un battement dialectique. Produit de son
territoire, la ville, dans sa croissance, influera sur ce territoire qui
réagira à son tour. Mais la limite reste inscrite dans le territoire, dans sa
capacité à nourrir les citadins, dans les voies de communication que permet le
relief et qui déterminent les marchés et les échanges. Ceci ressemble
furieusement à du finalisme qui reste pêché mortel de géographe, mais le
cartographe que je fus, lumpenprolétaire du noble géographe, a appris que les
rivières ne remontent pas les vallées et que les vents sont d‘Ouest en Europe
occidentale, sans parler des méandres dont la sédimentation se fait toujours
sur la rive interne. Je ne plaisante pas : des aménageurs de génie ont
agrandi le port de Bayonne sur l’intérieur d’un méandre, obligeant les
gestionnaires à payer une drague à prix d’or, pour maintenir un tirant d’eau
correct sur les quais nouvellement construits. Ce n’est pas grave : un
Président a inauguré les quais, son successeur paye la facture. Refuser les
contraintes du terrain est d’autant plus noble qu’on laisse le coût à d’autres.
Tout n’est pas à jeter chez Vidal. Mais, du moins, peut on
se poser la question de la place de la ville, moins centrale qu’il n’a dit. Car
l’idée est perverse et aboutit en ce moment au développement d’intercommunalités aberrantes dont le noyau est aux
antipodes du territoire.
Je vous rassure : ce n’est pas pour demain. Les
vidaliens produisent des vidaliens depuis plus d‘un siècle. C’est dire si le
ventre est encore fécond….
On en reparlera…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire