Mon fils,
Je sais qu’en ce moment, tu t’inquiètes du risque de guerre auquel je t’ai bien mal préparé. Je sais aussi que ton écosystème actuel, tant familial qu’universitaire, n’est pas favorable à l’apprentissage de la confrontation. Il est temps que je te parle de moi. C’est après tout le rôle d’un père.
A 27 ans, sursis résilié, libraire, géographe, linguiste, jeune marié, je me vois dans l’obligation de rejoindre l’armée. J’étais pacifiste, non par conviction mais par confort et sans menace avérée sur ma tête. Fait comme un rat dans un labyrinthe, en testant les échappatoires je m’adresse à un colonel sympathique et bon vivant jovial qui me propose une exemption à condition que je sois réserviste sous ses ordres au service géographique de la DGSE et qu’il soit mon « officier traitant ». Tout plutôt que balayer pendant un an la cour de la caserne de Lunéville !
J’ai donc découvert l’armée dans les meilleures conditions. Pour le dire simplement, j’ai découvert un monde quasi-universitaire où des officiers généraux sélectionnaient les meilleurs de chaque discipline pour former les troupes : les transmissions ou le chiffre recrutaient aux Langues O’. Ben oui, quand tu vas en Afghanistan, t’as intérêt à avoir avec toi des locuteurs du pashtoun. Pour comprendre une négociation, des psychologues sont utiles. En terre inconnue, le savoir des ethnologues compte. Et l’école de guerre abrite des spécialistes des guerres médiques ou des archéologues voués à la poliorcétique médiévale.
L’armée, lieu de savoir, personne n’y pense. Et même de savoir « mou » celui des sciences humaines ou des arts : depuis Colbert, la Marine entretient des peintres officiels. L’armée a besoin de musiciens, de rédacteurs et même de « gameurs » (pour piloter des drones). Chacun peut trouver dans l’armée son lieu d’épanouissement à condition d’avoir le gout de l’excellence et de la transmission. Dans mon poste non officiel, j’avais la chance d’être en liaison avec les meilleurs chefs de corps, généralement des paras..Je n’oublierais jamais la préparation d’une mission avec le colonel Erulin. J’étais allé chercher des cartes en Belgique. Il a posé ma récolte sur la grande table. En dix minutes, il m’a donné une leçon de lecture cartographique telle qu’aucun de mes profs n’en était capable. L’armée est un lieu de savoir car le savoir est une arme.
Réfléchis et parlons en. Et n’oublie pas mes conseils statistiques : les civils meurent plus que les militaires et les hommes du rang meurent plus que les officiers généraux. La guerre, ça se prépare.
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