C’était le cousin de Maman. Le dernier représentant d’une
lignée de pépiniéristes, paysagistes, jardiniers. Jardinier à l’ancienne qui
refusait la mécanisation car elle mettait une distance entre la plante et son
regard, mais qui devait l’accepter au nom des impératifs économiques. Les
clients n’étaient plus prêts à payer de longues heures de travail. Il
souriait : « Je propose toujours deux devis, un manuel et un avec le
rotovator. Les clients prennent toujours le rotovator, il est moins cher. Et
quand je leur explique que la machine est le meilleur moyen de multiplier les
pissenlits et les chardons, ils ne me croient pas. Alors, je fais de la merde
et je m’assure le chantier pour l’an prochain ». Avec lui, j’ai beaucoup
appris. Avec lui, mais aussi Paul Maymou et Yves Delange. Trois fous de
jardins.
« Ecoute moi bien. Si la plus belle plante du monde se
naturalise dans ton jardin, tu l’arraches. Ou tu la déplaces. Un jardin n’est
que le savoir et la volonté du jardinier. C’est toi qui décides, pas le vent ou
un oiseau qui chie. »
Je ne garantis pas les mots, mais c’était le sens. Cette
conversation dans la grande cuisine fraiche, je ne l’ai jamais oubliée. Et, à
force d’y penser, je suis arrivé à la conclusion que l’art des jardins est le
plus complet, le plus difficile, le plus exigeant. Le plus décevant et le plus
gratifiant. Ne fut ce qu’à cause de sa dimension temporelle. Le petit truc que
tu mets en terre à l’automne aura développé un mètre de végétation à la fin du
printemps et sera couvert de fleurs. Cette évolution, tu dois l’intégrer à ton
boulot. Mais aussi, celle des années à venir. Il n’y a pas de hasard. Et quand
tu as la chance de voir les dessins des grands jardiniers du XVIIème siècle,
les tracés de perspective qui n’ont atteint leur maturité qu’au bout d’un
siècle, tu comprends que le hasard n’est qu’un emmerdeur. Un jardin n’est que
la volonté du jardinier.
Surtout un jardin à l’anglaise. Plus que tout autre, il est
fils du savoir. Rien n’y est laissé au hasard. Il offre cette apogée de la
pensée, une image de la nature conçue par la culture. Car rien n’y est naturel,
tout y est pensé, réfléchi, pesé. Cousin Edmond détestait qu’on touche au
terrain, qu’on envoie des bulldozers corriger une éminence ou améliorer une
perspective. Il croyait que c’était le boulot du jardinier. Il tolérait
pourtant qu’on prépare des fosses pour les plantes acidophiles dont il était un
spécialiste, mais c’était encore et toujours la volonté du jardinier. Le désir
d’avoir des rhodos en fleur à l’entrée du printemps.. J’ai pensé à lui en
Irlande. J’ai oublié le nom de la propriété où Barry Maybury m’avait emmené.
Les couleurs de la famille étant le rouge et le blanc, les jardiniers avaient
orné l’allée principale de deux rangées de rhododendrons, les rouges à gauche,
les blancs à droite. Et à la floraison, les arbres étaient protégés par une
fine gaze pour éviter toute pollinisation croisée. Une gaze assez fine pour que
le but reste visible. Cousin Edmond aurait adoré bien qu’on soit chez des
catholiques. Cousin Edmond était protestant et il avait pour le libre-arbitre
une méfiance instinctive. Même le libre arbitre des plantes.
Naturellement, ceci exclut de l’art des jardins les jardins
potagers et leurs alignements sinistres de plantes identiques. Ceux là sont des
utilitaires auxquels manque la dimension esthétique. Il faut que Cyrano soit
présent dans un jardin bien conçu. Une rose, à tout prendre, qu’est ce que
c’est ? Un point rose sur l’i du verbe aimer. Tu te promènes dans un
jardin avec la femme que tu aimes et, au moment où tu vas déclarer ta flamme,
le jardinier a prévu un rosier dont les boutons sont parfaits de maturité. Ça
marche pas avec les citrouilles, que Cendrillon le veuille ou pas.
Je suis chiant. Dans un jardin, je ne me laisse pas aller.
Je compare, j’analyse. Putain ! il est bon le mec, il me fait une haie de
potentilles, juste là, à l’endroit exact où leur abondance de jaune va me faire
craquer. Ça ne m’empêche pas de faire des conneries, souvent par flemme. Les
bougainvillées qui étaient si beaux ont crevé cet hiver faute de protection.
Pas grave ! Je vais les remplacer par des plantes non gélives.
Trachelospermum devrait convenir et j’aurais le bénéfice de l’odeur. C’est moi
qui décide. Je suis jardinier et donc je suis Dieu.
Pour une fois….
On en reparlera
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