Bayonne, Porte d’Espgne. Ils sont six, c’est une petite
rondouillarde qui parle :
« Ouah, c’est juste trop beau… On va faire une vidéo,
on part de là, on suit là… »
Je peux pas m’empêcher :
« Vous laisserez une pièce pour le
décorateur ? »
Etonnement, stupéfaction. Le décorateur ? Quel
décorateur ? Ben le mec ou les mecs qui entretiennent le décor, qui le
nettoient, qui mettent des fleurs dans les vasques. En général, on dit le
contribuable. Les gamins, ils me comprennent pas bien. Je suis obligé de faire
le vieux con pédagogue. De leur dire que depuis que ça a été construit, il a
bien fallu entretenir, reconstruire des fois, réparer, repeindre les volets,
entretenir les plantations, bref, dépenser des sous pour le décor de leur vidéo
dont ils seront si fiers sur Fesse de Bouc. Ben oui, mais ça vous rapporte. A
moi ? Non, ça me coûte. Comme à mon père, à mon grand père, à tous mes
aïeux (17 générations dans la même ville, ça fait des sous en euro constants).
Les mômes, ils sont dans un camping sur la côte landaise, ils fastfoudent non
loin de la guitoune, ils trouvent que le Pays basque c’est pas cher. Ben, quand
tu payes pas, c’est jamais cher. Bon, on est chez les rats..On connaît.
Par contre (non, en revanche, juste pour Cécile), ce qui me
troue le cul, c’est qu’ils puissent imaginer qu’une ville historique ne coûtait
rien. Ben oui, c’est construit, c’est construit…Comme une forêt. Ben non, dans
une forêt, y’a des gens qui travaillent, qui coupent des arbres, qui en
replantent, qui nettoient. Une forêt aussi ça coûte. Et même un champ. Des que
des hommes travaillent, ça coûte. Pour que tu puisses faire ta belle photo qui
te vaudra l’admiration des amateurs de cartes postales, de l’argent est dépensé
et c’est même pas par toi. Tu prends. Qu’est ce que donnes en échange ? Et
surtout en équivalence ? Nous, on te donne de l’histoire, de la beauté, du
savoir. Toi, tu crois que le fric suffit. Je repense à ce brave Café qui avait
viré un mec de son bistro en lui disant : « Tu m’as acheté un verre,
tu l’as eu. Tu n’as pas acheté mon amitié, mon attention, mon goût pour Pradera.
Alors, ton verre, je te l’offre et tu dégages ».
A force de faire du fric l’étalon des relations humaines, on
en est là. Tout ce qui fait la réalité d’un paysage, les générations qui se
sont suivies, les gens qui ont cherché à mieux faire, tout ça est gommé. Le
voyageur est devenu touriste, c’est à dire consommateur d’émotions, pas de
savoir. Avec un consumérisme arrogant, où on rogne sur tout, sauf sur les stéréotypes.
On explique à l’indigène ce qu’il doit penser et savoir de son pays, mais on
refuse de payer ce qu’offre ce pays.
Trente ans que je suis dans le tourisme. Mon premier Guide
Bleu, je l’ai écrit en 1981. Aujourd’hui, on fait confiance au Petit Futé. Et
parfois, à pire. Le niveau moyen de l’information touristique, c’est un
catalogue de tour operator. Pas qu’ils soient tous mauvais. Mais aucun n’est
bon, aucun ne met en avant ces deux mamelles de l’écriture touristique :
la géographie et l’histoire. Là, ça commence à coincer. L’indigène se rebiffe.
Quand l’allochtone permettait à son village de vivre, de préserver des maisons,
de maintenir des emplois, l’indigène acceptait les nuisances. C’est fini. Le touriste fréquente les
épiceries qu’il connaît, les magasins qu’il a chez lui. La vague des nuisances
engloutit la plage des bénéfices.
Pire encore, on transforme les lieux touristiques en
berceaux de domestiques. On ne forme plus pour créer ou pour inventer, on forme
pour servir. Servir est une activité noble quand le servi ennoblit son
serviteur. Mais quel ennoblissement attendre de la plupart des servis ?
Ils ne trouveront jamais Vatel chez McDonald
On en reparlera….
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire