On me pose, en ce moment, plein de questions sur le voyage
dans les mois qui viennent. Toutes, en fait, tournent autour du même sujet,
qu’il s’agisse de prix, de sécurité aérienne, de soleil ou de beaux
paysages : Où aller ? La réponse est tellement simple….
N’importe où…. Mais oui, n’importe où…. Voyager, ce n’est pas aller, c’est
quitter. On ne voyage pas d’abord parce qu’on aime, on voyage d’abord parce
qu’on n’aime pas. On n’aime pas sa vie, on n’aime pas son environnement, on
n’aime pas son travail, peu importe… D’ailleurs, si on était bien, on resterait
là. Ce désir de partir qui nous taraude reflète un quotidien lourd à vivre,
lourd à supporter ; il faut qu’un ailleurs puisse offrir l’oxygène dont
nous avons tous besoin. Après, mais après seulement, on met des mots et des
raisons, de bonnes raisons ou de fausses raisons, c’est du pareil au même.
Au fond de vous, vous savez bien que c’est vrai. Et
d’ailleurs, c’est pas nouveau. Tenez, prenez la Suisse. Dans l’histoire récente
des voyages, la Suisse a produit trois icônes : Blaise Cendrars, Ella
Maillart et Nicolas Bouvier. C’est pas rien pour un petit pays comme ça. Trois
grands écrivains dont le talent n’a pu s’épanouir que loin des alpages vaudois
et valaisans. Si tout en voyage leur est bonheur, c’est qu’à la maison c’était
pas vraiment le pied. C’est calviniste, la Suisse, c’est confit de bons
sentiments, de bonne conduite. Fais pas ça, que vont penser les voisins, la
famille et le pasteur ? Pour se lâcher un peu, vaut mieux prendre ses
distances. J’invente rien : c’est Georges, un facteur d’Estavayer-le-Lac,
qui m’a expliqué, il y a trente ans, au Japon. Belle journée, j’ai découvert
Bouvier et Estavayer-le-Lac dans la même après-midi. Ceci pour dire que, même
avec des minarets en Suisse, Nicolas Bouvier aurait préféré l’original afghan à
la copie bernoise. A propos, si vous connaissez Georges, passez-lui le bonjour
de ma part. Sa moustache doit grisonner…
Après, j’ai réfléchi. L’Angleterre….. Quand elle est
victorienne et cul-coincée, elle produit des dizaines de voyageurs de haute
volée, des aventuriers, des bonshommes qui parcourent le monde comme si c’était
un jardin du Sussex : Lawrence, Thesiger, Newby, Hudson, Durrell et j’en
passe, la liste est impressionnante. Après les Beatles, Mary Quant et la
mini-jupe, c’est quasiment fini. Non que les Anglais ne se déplacent plus, mais
leurs motivations ont changé : on ne fuit plus une société figée, on échappe
à une géographie déprimante, ce qui ne justifie plus l’écriture.
Quoiqu’on en dise, le voyage reste une fuite. Non. Dit comme
ça, c’est négatif. Qu’on le veuille ou non, il n’est de plus belle évasion que
le voyage. Là, ça va mieux. L’évasion ennoblit la fuite. Encore que, dans tous
les cas, il s’agit de chercher à être mieux, de s’éloigner d’un lieu néfaste,
de reprendre au temps un espace de liberté. Le voyageur est d’abord quelqu’un
qui sait fermer une porte pour laisser derrière elle les freins à son bonheur. Et donc, une fois la porte fermée,
qu’importe la destination ? Quelle qu’elle soit, elle sera toujours
préférable à ce qu’on abandonne.
Alors, on part. Peut-être un peu moins loin, peut-être un
peu moins longtemps, peut-être pas exactement comme on l’avait rêvé mais ce
n’est pas si grave. L’essentiel est de prouver que le proverbe a tort :
partir, ce n’est pas mourir un peu. C’est, enfin, vivre. Vivre comme on veut,
reprendre la main.
C’est aussi pourquoi les sempiternelles discussions sur la
manière de voyager sont d’une hypocrisie rare. Faut-il avaler trois musées par
jour ou suer sang et eau sur un sentier aride ? On s’en fout. T’aimes
marcher ? Marche. T’aimes l’apéro au soleil ? A la tienne. C’est ta
vie, si elle te rend à heureux à Mimizan, vas à Mimizan, et si ton bonheur
s’épanouit aux rives du Pangong Tso, dépêche-toi de faire ton sac. On est tous
différents, on a des vies différentes, des rêves différents, des voyages
différents. Voyager, c’est pas appliquer un dogme religieux et les ayatollahs
qui m’expliquent que leur manière de voyager est meilleure que celle du voisin
me font penser aux ecclésiastiques qui veulent tous que leur religion soit la
seule acceptable. Sans compter que ça peut changer, que cette année je peux
avoir envie de buller au bord d’une piscine comme l’an dernier j’avais envie de
collectionner les églises paléo-chrétiennes.
Voyager, c’est être libre, vraiment libre. Malgré les
contraintes, les retards, les dépenses, parce que tous ces petits ennuis du
voyage, c’est vous qui les choisissez. Vous le savez bien qu’il y a aura des
bouchons sur l’autoroute, des files d’attente dans les aéroports, des
commerçants pas très réguliers et des hôteliers mal embouchés. Vous le savez
bien qu’on ne vit pas dans un monde parfait. On doit arbitrer sans cesse,
décider sans cesse, choisir sans cesse. Arbitrer seul, décider seul, choisir
pour soi. Et c’est bien ça, la liberté, non ?
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