Dandy est devenu un gros mot. Ou alors on vous renvoie dans
les dents, Brummell et ses costumes. C’est un peu (beaucoup) réducteur. Dandy
est un état d’esprit. Diogène était un dandy. Sans costume.
Le dandy est, avant tout, un être qui fuit toute vision téléologique.
A quoi ça sert ? est la
dernière question qu’il se pose. Quand il se la pose.
Nous venons de fêter, avec mes copains, le jubilé de notre
promotion de Japonais à l’ENLOV. Cinquante ans déjà que nous nous découvrions
et que nous commencions à tisser des liens qui existent encore. Nous ne le
savions pas, mais nous étions des dandys. Même Jean-Noël qui sévit au Collège
de France.
L’ENLOV était alors une école, et même une Grande Ecole. On
pouvait y entrer sans le bac dès lors que les enseignants acceptaient. Le
diplôme n’avait aucune équivalence. Par prudence, les autorités avaient fixé
une limite : pas question de préparer plus de dix diplômes. C’était
frustrant pour certains comme mon copain Roger Ludwig, non bachelier, prolo,
fils de prolo, mais qui, avec ses dix diplômes, s’est retrouvé Professeur de
Langues et Littératures slaves à l’Université de Ljubljana. Un grand dandy, Roger.
Il faudra que j’en parle longuement un jour. Il avait ajouté un diplôme de
hongrois. Pour le fun. Le hongrois n’est pas une langue slave, mais une langue
finno-ougrienne, ça faisait tâche.
Ceci dit, parfois, c’était compliqué. Tu voulais être
interprète à l’ONU, on te faisait passer un exam. Le diplôme était pas reconnu.
Normal. Parler une langue, ça n’a pas d’intérêt. Un petit Nippon rigolard me
l’a dit, quand je suis sorti de l’école : « Vous parlez
japonais ? On est 120 millions à faire ça tous les jours ». Il avait
raison. On apprenait une langue pour accéder à un savoir, inaccessible sans ça.
Et donc, dans notre sympathique promo, il y avait de tout. Des élèves
journalistes, des grosses têtes d’HEC, des sciencepotards voulant entrer au
Quai d’Orsay, des géographes, des jolies filles sans plan de carrière, des
musiciens. On apprenait une langue pour le plaisir, pour savoir des trucs que
les autres savaient pas, on était dans le savoir japonais comme un chien après
une bécasse, dans un taillis. La plupart picoraient. On suivait tel prof plutôt
que tel autre. On bossait. Comme des dandys. A fond mais sans le montrer.
C’était l’époque où il était vulgaire de s’efforcer.
Cinquante ans après, on est tous fous de Japon. Sauf moi,
pour raison de bouffe et de subtilité. Je me suis quand même tapé tout Kurosawa
en version originale. Si c’est pas de l’amour, qu’est ce ?
Dans les années 70, l’ENLOV a été démantelé et fut créé
l’INALCO. Avec des diplômes reconnus, des équivalences, des cursus
(cursi ?), tout ce qu’il fallait pour que les mômes butinent pas. On chiait du diplômé pour le marché du
travail. Tu voulais faire HEC et INALCO ? Choisis, petit con
L’orientalisme, c’est pas un vernis. Ou alors, tu fais l’un après
l’autre ;
C’est comme ça qu’on tue une école. En voulant qu’elle serve à quelque chose et
qu’elle s’adapte aux besoins de Gougle. En refusant de voir qu’apprendre des
choses à des mômes, c’est le devoir de base de l’enseignement. Et que décider
aujourd’hui ce qui sera utile demain, c’est de la dernière connerie. Quand on
nous apprenait l’économie asiatique, le Japon était l’exemple à suivre et la
Chine était à la ramasse. Cinquante ans après… Le dandy que je suis en conclut
que le capitalisme est destructeur.
C’est ça, le problème avec les dandys. Ils mordent la main
qui les nourrit. Ils regardent toujours ailleurs. Ils ne respectent rien. Ben
si. Je pensais à ça en regardant mes copains de promo. En écoutant l’un d’entre
eux, respectable ambassadeur, parler de Kim et de la Corée du nord. Lui, il a
appris et il applique son savoir mais personne ne le suivra. C’est un dandy, un
homme qui perçoit les changements, qui les analyse, qui en tire des
conclusions. Brummel faisait ça pour la couleur de ses cravates. C’est pareil.
Comme cet autre, administrateur d’un grand groupe du luxe français. J’étais
dans un groupe de chats dont les moustaches frémissaient aux changements du
monde. Mais les chats sont des dandys.
Allez, je vous donne une info amusante (on est entre dandys,
on va pas se faire chier) Depuis plusieurs mois et ça s’accélère, il y a un rapprochement entre les deux Corées, au point que notre beau
pays a installé un chargé d’affaires à Pyong Yang. Où ? Dans le sous sol
du chargé d’affaires allemand. Au rez de chaussée, l’employé de Merkel, dans la
cave le valet de Macron. Tout est dit. On était entre dandys : on a ouvert
une bouteille de champagne.
C’est vrai que les dandys respectent la mousse du champagne.
Ils savent que c’est la mousse qui compte car c’est la mousse qui fait chavirer
les yeux des femmes. Ils sont pragmatiques les dandys. Ils savent surtout que
le pragmatisme est vulgaire. On ne se forme pas, on ne cherche pas les
meilleures écoles et les meilleurs profs, pour être un épicier. A part peut être
Madame Thatcher.
On en reparlera…
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