On y revient encore…
Sur Fesse de Bouc, l’un des unionistes espagnols les plus
virulents est ce cher Vincent Pousson. Et la question que je me pose est :
de quel droit ?
Il habite Barcelone. Et alors ? Ils sont 1,7
million dans ce cas. C’est pas le gentilé qui donne la légitimité. Si mes infos
sont bonnes, le Vincent, il est né dans le sud de la France, il a pas mal écrit
(y compris sur ce cher Xiradakis), il a une belle carrière de journaliste
gastronomique, toutes choses honorables mais qui ne donnent aucune légitimité
sur l’administration d’un territoire. Ho ! me dira Vincent, je suis libre
de mes opinions, même si mon bureau est à Coire (vous connaissez pas
Coire ? Vous avez du bol). Certes. Chacun est libre de ses opinions. Mais,
à mes yeux, les opinions de Vincent ne comptent pas plus que celles d’un natif
de Selestat ou de Kiruna. Pas moins non plus, c’est évident. Mais sur le destin
de la Catalogne, le natif de Gérone ou de Lleida a, quand même plus à dire.
Ceci me gonfle d’autant plus que sur Fesse de Bouc, il
existe un groupe de neu-neus qui s’intitule fièrement « Tu sais que tu
viens de la Côte basque quand.. » Moi, le Pays basque, je n’en
« viens » pas. J’y suis. J’y suis né, j’y ai été éduqué. Juste un
exemple. Villefranque d’où je descends en droite ligne d’un meunier de Poyloa.
Villefranque, charmant village, administré aujourd’hui par Robert Dufourcq qui
fut mon condisciple au Lycée où nous partageâmes l’enseignement de monsieur
Escarry. Villefranque me trace un système de signes qui part de la fin du
XVIIème siècle et se poursuit aujourd’hui. Du meunier sous Louis XIII au maire
sous Macron, j’y ai mes traces de vie et d’histoire. C’est juste un exemple
parce que des traces semblables, j’en ai un paquet. Alors, le jeune gandin
d’Athis-Mons qui veut me donner des leçons, il me fait hurler de rire. Je dis
Athis Mons, juste pour le fun. Dans les années 1960, j’ai bien connu deux
frères, les Gardères, deux instituteurs à la Pagnol, dont l’un enseignait à
Labastide-Villefranche, l’autre à Athis-Mons. J’avais huit ans et je
m’espantais qu’on puisse habiter un village avec un nom aussi moche. Mais bon,
le Gardères déraciné, il avait une fille qu’était jolie comme un camélia au
printemps, ça humanisait Athis-Mons.
Tout ceci pour rappeler un fait juridique évident : le
droit français est un droit du sol.
Ce qui signifie simplement que tu es d’où tu es né. Les
loulous qui s’émerveillent, leur groupe, il devrait s’appeler : « Tu
sais que tu es du Pays basque quand tu y es né ». OK. Y’en a des qui sont
nés dans des patelins que tu sais même pas qu’ils existent. C’est simple. Ils
ont pas eu de bol. Sauf si on considère qu’ils auraient pu naître à Bordeaux.
Je comprends que tu préfères te dire d’Ainhoa que de Stains ou Pierrefitte…
Mais, ça, c’est de la com.
Le droit du sol, ça s’applique aussi aux bateaux ou aux
aéronefs. Tiens, tu nais sur un paquebot suisse, t’es suisse. Idem pour un
avion Emirati. Comme quoi, si t’es un migrant malin, tu as d’autre choix que le
zodiac turc.
Je voudrais aussi rappeler aux neu-neux émerveillés que la
langue basque, sur laquelle on peut supposer qu’ils ont quelques notions
possède deux particules enclitiques pour différencier les situations. Si tu
habites Espelette, par exemple, tu
est Ezpeletako. C’est un génitif simple qui vient doubler le génitif de
possession « ren ».. Par contre, si tu es originaire d’Espelette, tu
es Ezpeletara. C’est pas la même chose. Là, tu montres l’essentiel : ta
terre de naissance. Vincent, il a du bol. Le Catalan, cette langue latine,
sorte de patois hispanisant, ne fait pas cette différence. Vincent, c’est pas
du fascisme, juste de la linguistique et précise. Parce que tu peux exprimer
que tu es né à Espelette et que tu habites à Sare (ou à Bordeaux, mais là, tu
restes discret).
Pas la peine de hurler. C’est le simple droit du sol pour
lequel tout le monde est prêt à se battre. Bon, le sol, c’est une question
d’échelle. Les analystes à la con t’expliquent que la demande pour un
territoire basque est décroissante. Exact. Elle a décru au même rythme que
l’émigration intérieure. Aujourd’hui, on est envahis d’allochtones, alors
forcément, la revendication politique, elle prend du plomb dans l’aile. Si on
allait jusqu’au bout du droit du sol, on voterait là où on est né.
Comme beaucoup, Vincent oublie un fait historique rappelé
par Marc Bloch Au début de son histoire, la Catalogne est une marche franque.
Charlemagne l’a incluse dans son empire et l’administre directement.
D’ailleurs, moins de trois siècles plus tard, quand Alphonse 1er le
Batailleur veut récupérer aux Maures la basse vallée de l’Ebre, le comte de
Barcelone, Bérenguer, ne bouge pas une oreille ce qui facilite une belle raclée
aragonaise (bataille de Fraga, 1134). Ben oui, voilà un bon moment que la
Catalogne ne fait pas partie de l’Espagne et s’est bien gardée de participer à
la Reconquista.. Et Carles suit la route de Carolus.
Parce que faut pas se leurrer. Nos territoires sont ancrés
dans le haut Moyen-Age. Derrière Charlemagne, il y a des siècles de relations
humaines, de commerce, de routes et de péages, de sang et de violence, de
mariages. Puigdemont, il fait comme Berenguer, il ignore l’Espagne. Les
Catalans, les vrais, le savent. Et ils approuvent. Et les touristes ne
comprennent pas.
Mais, dira Vincent, je ne suis pas un touriste. Ben, ce
n’est pas la durée du séjour qui fait le touriste, Trois ans ou trois semaines,
ce peut être la même chose. Non. Le touriste, c’est celui qui ne sait pas. Il
ne sait pas que la maison, là, abrite le cousin de celui qui loge ici. Il ne
sait pas que ce musicien dans une fête folklorique est aussi le médecin de son
quartier. Les noms ne lui parlent pas, les visages non plus. Le touriste, c’est
celui qui ne fait que passer. A l’échelle de l’histoire s’entend.. Pas à l’aune
de son ego.
Tiens, j’ai vécu un peu plus de trente ans à Paris. En
touriste. Je travaillais pourtant. Dans le tourisme. J’avais une famille,
j’étais installé. J’avais même une concession à perpétuité, cimetière
Montmartre, entre Berlioz et Heine et pas loin de Truffaut (je l’ai encore
d’ailleurs). Mais j’étais là en touriste. Comment expliquer ? J’étais pas
chez moi, j’étais à l’étranger. Des détails. L’absence de chocolatines. La
soupe à l’oignon plutôt qu’à l’ail. L’accent, ou plutôt les accents. Je pouvais
même pas me rabattre sur des restaus sympas car tout y était surjoué. Les
cartes plus basques que nature, la clientèle, moitié parigot jouant à
l’ethnologue, moitié rugbymen se la pétant, avec des patrons faussement
joviaux. Je sais bien que la capitale est un théâtre, mais à ce point on vire à
la caricature.
J’ai donc voyagé. Tant qu’à être touriste, autant l’être
vraiment. Surtout qu’il n’y a plus rien à découvrir. Ne hurlez pas. Voilà beau
temps que tout a été cartographié, beau temps aussi que les rites de mariage de
la moindre peuplade sont connus, que tous les dieux du monde dorment dans
d’immenses dictionnaires. Voyager impose de lire, ça tombe bien, c’est ce que
je fais de mieux.
Pendant que j’engrangeais du savoir, d’autres prenaient le pouvoir
et disaient « j’aime » plutôt que « je sais »…
Je n’ai jamais aimé la facilité.. On en reparlera…
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