Qu’est ce qu’un lieu public ? En premier lieu, un lieu
appartenant à la puissance publique, un bâtiment officiel. Tout comme un lieu privé
est un lieu appartenant à une personne privée.
La différence est fondée sur la qualité du propriétaire.
C’est clair, simple et indubitable.
Or donc, voici que, depuis des années, cette différence a
été gommée, par l’Etat lui même. Est considéré comme public, tout lieu
susceptible d’accueillir du public. Ce qui n’est à l’évidence, pas le cas.
.Certains lieux sont des lieux privés susceptibles d’accueillir du public. Tous
les commerces, par exemple.
Le commerçant est un homme libre. Cette liberté inclut le
choix de vendre ce qu’il veut, à qui il veut, dans les conditions qu’il
détermine librement.
Bon, moi je ne m’intéresse qu’aux biens culturels. Les
livres, pour lesquels j’ai quelque expérience, mais ce peut être la gastronomie,
par exemple. Premier point : il y a des gens qu’on n’a pas envie de
servir. C’est pas une question de couleur ou je ne sais quoi. C’est des gens
qui te parlent mal. Le mec qui entre chez toi et te dit pas bonjour. Ouais,
c’est pas important… Ben si…Moi, le mec qui entre chez moi et me dit pas
bonjour, je veux dire normalement, poliment, en français correct, il peut aller
crever ailleurs. Moi, je suis un commerçant normal, pas une grande surface à la
con. Tu entres, tu enlèves ta coiffure. Ben oui, les codes de la politesse
imposent que tu enlèves ton chapeau ou ta casquette. Tu me trouves
ringard ? Tu vas ailleurs. Si tu veux pas de mes codes, tu veux pas de ma
marchandise. Je te rejette pas. C’est toi qui me rejettes en rejetant mes
codes.
C’est toi qui veux m’entraîner dans un monde qui n’est pas
le mien. Un monde avec tes horaires, tes envies, tes produits. Moi, je décide
de mes horaires, de mes envies, de mes produits. Si ça te va pas, tu vas
ailleurs. Tu peux hurler ou pleurer que c’est chez moi que tu veux venir. Tu
viens. Mais à MES conditions, vu que t’es chez moi.
Mes librairies ont toujours été « fumeurs ». Tu
supportes pas la fumée ? Je comprends. Je comprends d’abord que tu me
supportes pas. Notre relation est mal engagée. Inutile de hurler, de râler.
T’as pas besoin de moi, et vice-versa. Si tu as besoin de moi, de mes
produits, de mes conseils, tu as besoin de tout ce que je suis. Fumée incluse.
Tu peux pas avoir le beurre et l’argent du beurre.
Avec l’ami Gentelle et le copain Vienet, on fréquentait un
restau du 18ème, tenu par un mal embouché que j’adorais. Restau
fumeur, cuisine classique, et clope au bec du patron. Plaintes régulières et
amendes à la clef. Les plaintes, il savait qui…Alors il avait une belle
feuille »Réservations impossibles » avec les noms. Ceux qui n’avaient
aucune chance, jamais. Il partageait cette liste avec quelques copains qui en
faisaient autant. « Font chier. En plus, ils boivent pas. » Je dois
dire que j’étais bluffé : il y avait des mecs qui portaient plainte contre
un établissement et qui avaient ensuite l’outrecuidance de vouloir y retourner
!
J’ai jamais été aux normes handicapés. Jamais. Trop de
livres, trop de cartes, trop de bordel. Ça empêchait pas de vivre. Quand Parick
Ségal venait préparer un voyage, c’était un voyageur, pas un handicapé. Des
fois (souvent) il disait « Là, ça passe pas » et il y avait quelqu’un
pour lui filer un coup de main, le plus souvent un client. C’est comme ça un
commerce, de la connivence entre clients… Le commerçant, il est là pour lier la
sauce. Pas pour considérer que la chaise roulante, c‘est un grumeau.
Le client est roi. Oui. Mais le mec qui pousse la porte
n’est pas un client. Il sera client quand il aura payé. Jusque là, c’est un
visiteur, un prospect. Et quand il aura payé, on aura vraiment échangé. On aura
parlé. J’en saurais plus sur lui… Visite après visite, notre relation grandira,
s’affinera. On est loin d’Amazon. Tout simplement parce que nous avons
réintroduit la notion de plaisir dans ce qui paraît n’être qu’utilitaire.
Plaisir dans le commerce ? Pour les biens culturels,
oui. Les livres, la musique, la bouffe, les voyages, tout ceci n’est que
plaisir. La culture ne peut pas être réductible à un corpus statistique, à des
normes, à des processus. La culture est le domaine de l’unique, de l’individuel,
de l’individu. C’est chiant pour les managers incultes. Les managers veulent
des groupes, pas de l’individu. Les voyagistes modernes fonctionnent sur les
codes. ESP si tu veux aller sur une plage de la Costa Brava. ESP si tu veux
visiter les Alpujarras. ESP pour un week end à Bilbao….Idem pour les éditeurs
et les marchands de bouffe. Et donc, ESP, c’est paella, même à Bilbao. Normalement, à Bilbao, c’est
morue à la biscayenne. Mais y’a pas de code pour le Pays basque. Alors on se
démerde, on fait dans l’approximation et tout le monde fait semblant d’être
heureux.
On en reparlera.
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