Il me regarde comme si j’étais une défécation aviaire tombée
par hasard sur sa boutonnière qu’il doit déjà imaginer rougeoyante.
« Monsieur Chabaud, avec votre accent tonique, vous ne
comprendrez jamais rien à la langue française ».
Bon, c’est dit. Lui, il est normalien, assistant de
l’honorable Claude Régnier, Professeur de littérature médiévale à la Sorbonne.
Il doit savoir de quoi il cause. C’est vrai que je collectionne les bulles.
L’ancien français a évolué sous la pression de l’accent tonique et je suis
toujours à côté de la plaque. J’y comprends rien. Et je ne veux pas comprendre.
Il me faudra trente ans pour démêler le nœud gordien. Ce
vieux français qui finira par donner cette langue que j’adore, c’est le patois
merdique d‘une bande de sauvages, picards, artésiens, un peu germains qui
gutturent plus qu’ils ne parlent. On appelle ça le français d‘oïl. Moi, le fils
d’oc, je n’ai aucune passerelle pour accéder à cette chose. Et je ne connais
pas encore la bataille de Muret et la destruction de la noblesse d’oc par Simon
de Montfort, génocidaire pré-hitlérien.
Quand je prends l’apostrophe, cela fait quelques décennies
que de braves médiévistes et d’intellectuels chenus passent leur lumineuse vie
à rapetasser les liens entre le français et les patois des vieux ch’tis. Je ne
veux voir qu’une seule ligne !
Tout ceci remonte lors d‘une prise de bec avec une jeune fille qui
ne veut pas que je boute le feu au XIème siècle. « Le mot apparaît à
peine en français, regarde Greimas ». Ben oui, Greimas semble lui donner
raison mais « Soyons sérieux, à cette époque on construit la cathédrale de
Compostelle et on y installe le botafumeiro, celui qui boute la fumée ».
Non mais !!! C’est pas une gamine qui aura le dernier mot. J’avais oublié
les ressources de la rhétorique féminine. « Forcément, si tu mêles ancien
français et ancien espagnol…. »
Mais ils étaient mêlés !! C’est obligé. Comment il fait
Rotrou du Perche pour causer avec Alphonse le Batailleur ? Il utilise
Gougleu ? Non, les passerelles étaient nombreuses avant d‘être détruites.
C’était beau la filiation germaine pour la langue. Mieux que les patois
rustiques aux accents toniques déficients.
Depuis Muret (1213), les langues d‘oc tirent la langue pour
revenir dans le concert national. Molière, avec ses pègues, n‘a pas eu le
succès escompté et il faut un amendement à la loi pour faire vivre la
chocolatine. Avec l’assistant oc-phobe qui a rejoint l’Académie française, ça
va pas s’arranger. Y’a guère que « putain » qui a tiré son épingle du
jeu. A l’époque où sévissait Régnier, mes « putain » récurrents me
signalaient comme un méridional bouseux de la rue Dauphine au jardin du
Luxembourg tandis qu’aujourd’hui on remarque avant tout ceux qui n’ont pas ce
juron à la bouche. Il faudra bien un jour que la filiation romane revienne dans
le jeu philologique et que l’apport du sud à la beauté de la langue soit
reconnu.
Bon, c’est pas gagné. En nos temps, s’il y a impact du Sud,
faut bien reconnaître que l’on parle d’abord du Sud du Sud. Le travail de
Pagnol a amélioré la position de la Provence mais la Novempopulanie reste
absente. On aurait pu croire qu’avec Montaigne…pourtant, nulle postérité.
Quoique :
« Pardon, Madame, c’est loin, Bardos ?
- D’ici étant, dix minutes. »
« D’ici étant ».. Expression commune et superbe
qui fleure Rotrou du Perche. Je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas approfondi la
question. A cause de l’accent tonique. Pas la seule. « Va serrer tes
affaires ». Serrer. Montaigne l’emploie aussi. « Saquer ». Il
faut être aveugle pour ne pas y voir le « sacar » espagnol dont
Albert Lévy affirmait qu’il était entré dans le français par la communauté
séfarade de Bayonne. Le CNRTL affirme que c’est un dérivé de « sac »,
avant de concéder que la première occurrence française est Le Couronnement de
Louis, partie du cycle de Guillaume d’Orange. Narbonne, Orange, villes
picardes ? Les considérations
étymologiques sont complexes pour arriver à faire le lien entre
« sac » et « saquer » alors que le sens espagnol est
exactement le même que le sens
français. Il faudra un jour que, comme les biologistes, les philologues
admettent que les solutions simples et élégantes sont les meilleures. C’est une
règle épistémologique.
Depuis Napoléon III, les philologues s’évertuent à éradiquer
toute trace d’oc dans la construction de la langue française. Le Rhin surpasse
la Garonne. On choisit ses ancêtres. Napoléon III avait préféré les Gaulois aux
Germains, gommant les Francs du roman national. Les Romains abandonnés
reprirent leur place grâce aux Gallo-Romains et l’oc devint un supplétif du
latin. Quant au gaulois, celte comme le gaélique, le manque de sources l’a
placé derrière le germain dans le réservoir des origines.
Et donc, mon vieux professeur, je n’avais pas l’accent
tonique, mais il me restait le lexique. Chez moi, on flambe les portes ce qui
ne signifie pas qu’on les brûle mais qu’on les ferme avec violence, la violence
du feu. Sens que le CNRTL ne signale pas. Mais, d‘ici étant, le CNRTL, c’est
bien loin. D‘ailleurs, il ignore la chocolatine.
Le CNRTL est un organisme de leugnes, vieux mot de chez moi
qui désigne des bouts de bois inutilisables et un peu pourris, avec une belle
étymologie latine, celle de la lignite. Chez moi, c’est un conservatoire de
mots que le CNRTL ignore. Ils doivent être noyautés par les Alsaciens. Seule
Florence Delay pourrait m’aider.
On en reparlera
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