Tous les gens un peu cultivés connaissent feu Stephen Jay
Gould. Délicieux penseur, grand maître de l’évolution darwinienne, écrivain
prodigue qui savait mettre à la portée de tous des idées complexes. Personne ne
connaît son copain Nils Elredge.
Gould et Elredge sont les créateurs d’un des concepts les
plus intelligents de l’épistémologie contemporaine : l’évolutionnisme
ponctué. Kesaco ?
Depuis deux siècles, les paléontologues se battaient comme
des chiffonniers sur la manière dont l’évolution fonctionnait. Y’avait deux
écoles : les évolutionnistes et les saltationnistes. Ils pouvaient pas se
piffer tant leurs idées étaient différentes.
Les évolutionnistes affirmaient que l’évolution allait
lentement. Que siècle après siècle, les espèces accumulaient les changements
mineurs qui, avec le temps, devenaient changements majeurs. Ils s’appuyaient
sur des séries comme celle des nautiles fossiles et quand tu les regardes, les
nautiles, tu leur donnes raison.
Les saltationnistes, eux, croyaient dur comme fer que
l’évolution procédait par saut. Que les changements arrivaient d’un coup et,
plouf ! une nouvelle espèce apparaissait. Leurs exemples venaient plutôt
du monde des vertébrés et, quand tu regardais, tu leur donnais raison.
L’évolutionnisme ponctué donne raison à tout le monde.
Raison ou tort, selon que t’es optimiste ou pessimiste. Pour Gould et Elredge,
l’évolution fonctionne généralement lentement mais il est des époques où ça va
très vite. L’évolutionnisme est ponctué de saltationnisme. Quelques millénaires
où il ne se passe quasiment rien et, soudain, irruption dans le monde d’une
tétrachiée de nouvelles espèces. Bien entendu, ça ne doit rien au hasard. Ces
périodes de saltationnisme, ces ponctuations dans l’évolution viennent de
changements brutaux (enfin, brutaux, c’est à l’échelle géologique, on cause en
siècles quand même) dans l’environnement. Si ton environnement change, t’as
intérêt à t’adapter fissa sinon tu disparais.
Là où c’est génial, c’est que ça remet l’environnement au
centre de la problématique. Jusqu’à Gould et Elredge, on l’ignorait, on
analysait l’évolution comme un en-soi détaché des contingences. Bien sûr, on
savait que les continents dérivaient, que dans une région donnée le climat
changeait, mais tout ça va pas très vite. Ça faisait les affaires des
évolutionnistes.
Sauf que c’est pas vrai. Ça dérive lentement mais il y a un
moment où ça touche. Et là, les faunes se mélangent. Les animaux (mais aussi
les plantes) passent d’un continent à l ‘autre. Les proies ont de nouveaux
prédateurs, les virus et les maladies s’échangent. Y’en a qui renforcent leur
immunité, d’autres pas. L’environnement explose. En quelques siècles (c’est pas
beaucoup), tout change. Faut s’adapter ou disparaître. Pendant quelques siècles,
l’évolutionnisme plan-plan est remplacé par le saltationnisme. C’est
l’évolutionnisme ponctué.
C’est génial parce que ça met tout le monde d’accord. On
arrête de dépenser son énergie à des querelles sans intérêt. On se concentre
sur l’essentiel.
C’est génial parce que ça remet la géographie au premier
plan. Ce sont les changements de terrain qui font bouger la vie. Elle bouge pas
toute seule dans un environnement indifférent. C’est comme les anciens ports de
Crète que les archéologues retrouvent à 50 m d’altitude. Un bon tremblement de
terre avec un léger basculement et ton bistro sur le port devient refuge pour
randonneurs. Des fois, c’est moins brutal. Tu prends ton eau dans un fleuve qui
alluvionne et dont le cours s’éloigne lentement. Année après année, tu vas
corriger, allonger tes canaux, modifier tes écluses, mais la pente est de moins
en moins favorable. Un jour, t’auras plus accès à l’eau. Gentelle a étudié le
phénomène dans Traces d’Eau.
C’est juste la vieille idée du point de rupture. De la
dernière paille qui casse le dos du chameau. De la crise. Kruzein, en grec,
c’est un moment, le moment culminant d’une maladie. T’en meurs ou t’en sors
guéri. Et la critique, normalement, c’est ce qui provoque la crise. Il n’est
pas nécessaire qu’il y ait accélération d’un mouvement. Mais il y a un moment
où ça pète, où le fil casse. Même en dérivant très très lentement, il y a
nécessairement un moment où les continents se touchent. Sauf que moment, c’est
pas le bon mot. A l’échelle géologique, un moment ça peut durer des siècles. Et
un moment historique comme la Révolution française, ça dure dix ans. Faut faire
gaffe aux mots.
L’essentiel, c’est cette idée que les changements du terrain
font bouger la vie. Cette idée, elle est diaboliquement absente de nos débats
parce que les changements ne sont que peu perceptibles. Les changements
climatiques, par exemple. Ça va pas vite à l’échelle humaine. Tu prends un ou
deux centimètres de montée des océans par décennie. T’avales un degré moyen
tous les demi-siècles. Pour les néo-évolutionnistes, c’est peanuts. Ils croient
dur comme fer que ça va lentement et, corrélativement, que ce sera réversible.
Par voie de conséquence, ils ne peuvent pas prendre en compte le discours des
catastrophistes. Les catastrophistes, les mecs du GIEC par exemple, sont
généralement des scientifiques. Ils sont habitués à d’autres échelles
temporelles que le grand public ou les politiques. Prends les climatologues.
Ils s’appuient sur les travaux de Lorius qui te parle du climat il y a 300 000
ans. Comment tu veux qu’un politique dont l’horizon est limité à l’élection de
2022 comprenne ? Mais les scientifiques, ils savent qu’une paille suffit à
briser le dos du chameau. La dernière. Minuscule. Celle qui te fait passer de
la lente évolution à la brutale rupture.
Face aux changements du terrain, les clivages deviennent
flous. Les tenants du Progrès
(droite et gauche confondues) sont fermement convaincus que la technologie
réglera les problèmes. Quand y’aura plus de pétrole, on aura des autos
électriques. Les anxieux sont totalement persuadés qu’on n’y arrivera pas.
Pourra t-on construire des autos sans du tout de pétrole, c’est à dire sans
plastiques ? On a des exemples : pour produire des biocarburants, il
faut beaucoup de pétrole ce qui rend l’opération moins rentable qu’on ne
l’affirme. On peut se jeter des arguments à la tête pendant des années.
Et puis, les dinosaures n’ont pas disparu. Y’a que les
baltringues pour y croire… Les dinosaures ont évolué…. En oiseaux par exemple..
Ben oui, les palombes de Darroze sont des dinosaures qui ont évolué. En
général, les extinctions de masse sont suivies de créations de masse… Avec des
chameaux qui résistent à la dernière paille.
Faut le dire à Greta
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