« Vous avez pu parler ? »
Elle semble inquiète, la psy.
Ben oui. On a parlé. On a échangé des mots Enfin, pas
vraiment. Déjà,on n’a pas le même vocabulaire. Et on n’a pas la même
utilisation de ce vocabulaire. Pour parler, ça aide pas. Il ne comprend pas mes
citations latines. C’est juste un exemple.
La psy lève les yeux au ciel. « Il faut libérer la
parole entre vous. »
Libérer la parole !!! La plus belle connerie actuelle.
Elle n’a jamais été aussi entravée, la parole. Jamais été aussi
corsetée. Moi, la phrase que j’entends sans cesse, c’est : « Ça,
tu ne peux pas dire. » Il est clair que la parole libérée n’est pas la
mienne.
Je déteste les déprimés. Ils m’imposent leur mal vivre alors
que j’ai bien de raisons personnelles d’être mal. Ne pas trop charger la mule.
Donc j’élimine les déprimés de mon cercle. Je n’ai aucune raison de me charger
de leurs problèmes. Il y a des psys pour ça. Des psys qui me prennent pour un
con.
Le gamin, je l’aime bien. Peintre de talent, impliqué dans
son art, une vraie recherche, structurée, à l’opposé des milliers de
barbouilleurs qui emplissent les galeries. Lundi, on a une vraie soirée de
travail d’où sort une feuille de route avec les tâches à faire et leur
planning. Nous convenons d’une soirée de travail pour le mardi.
Et là, patatras. ! Rien n’a été fait. Il a passé la
journée au lit ; « Je suis déprimé » me dit-il avec une
élocution empâtée. J’ai apporté une bouteille de rosé pour la soirée. En mois
de vingt minutes, elle est sèche, engloutie à force lampées. Un alcoolisme
vulgaire et excessif. Vulgaire, surtout. Le peintre est devenu un ivrogne sans
talent. Un minable.
J’en parle à son psy. Lequel affirme que je suis hystérique.
En termes clairs, il change la donne en me collant une pathologie qui
dévalorise ma parole. Laquelle peut se libérer désormais, elle ne compte plus.
Etre pris pour un con.
L’alcoolisme est nié du même mouvement. Il est
« dipsophobe ». On revient aux classiques mais clairement dévoyés..
Le grand voyage de Pantagruel dans le Quart Livre commence par la visite de
l’île des Dipsodes. Le gamin n’est pas dipsophobe, il est dipsode, il aime
picoler. Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. Dipsophobe,
c’est exactement le contraire de ce que j’ai vu. Il ne supporte pas de
boire : à cette cadence, personne ne supporte, ce n’est pas une
pathologie, c’est une norme.
Moi, ce que j’ai vu (mais je suis hystérique, donc ça ne
compte pas), c’est un gamin gâté et fainéant, jouant à la déprime pour excuser
sa fainéantise. Non, me dit le psy. Son expo approche, il a la trouille. Encore
une fois, on délire. Le môme, il a choisi d’être peintre. Il a fait les
beaux-arts pour ça. Il peint depuis trente ans. Alors, sa trouille, il a eu
trente ans pour la tenir en laisse. Parce qu’exposer, c’est son métier et qu’il
a voulu le faire. Personne ne lui a imposé. Il n’empêche qu’il a la trouille.
Peut être. Comme un soldat partant en opération, comme un sportif pénétrant
dans un stade, comme des milliers de gens ayant à gérer un passage difficile.
Sa trouille est une norme, pas une pathologie.
Moi, ce que je constate d’abord, c’est que le psy n’a pas
réussi à endiguer et contrôler cette trouille dont la déprime est une
conséquence. Ce qui est normal vu que ce n’est pas une maladie. Jadis, on
n’avait pas de ces gracieusetés. La règle c’était : Je me fous de ta
trouille. T’y vas. J’admets, y’avait des dommages collatéraux. Pour moi, ce fut
une fracture du pied, pour un saut qui dépassait mes capacités. Ma fracture
s’est réduite. Mon ego aussi. J’ai déplacé mes priorités.
Ces derniers mois, ma fréquentation des psys a largement
augmentée. J’ai d’abord constaté que le métier s’était abondamment féminisé. Et
que, par voie de conséquence, la parole des femmes y est devenue majoritaire.
Partant, leurs obsessions sociales également. Ainsi, de cette sottise
majuscule : il exprime une souffrance. L’expression de la souffrance
relève de la parole, c’est à dire de l’art du comédien. Tout parlant est un
menteur en puissance. Faire confiance à la parole est une erreur épistémologique.
Exprimer une souffrance rend importante l’expression, pas la souffrance.
Le déprimé joue sur l’expression. J’en connais plusieurs que
je fuis comme la peste. Ceux qui répondent « Mal » quand tu leur
demandes comment ça va. Ils t’ont choisi comme réceptacle et leur pseudo
déprime va couler dans tes oreilles jusqu’à ce que tu aies réussi à te barrer.
Moi, hystérique, j’ai une pensée simple. Si tu as du mal à
vivre, le fleuve est là pour t’aider à mourir. On peut le dire. Comme on est
dans le théâtre, personne ne se foutra à la baille. Personne. Parce que le
déprimé, le seul truc qui l’intéresse, c’est ta sollicitude. Il ne veut pas
mourir, il veut vivre pour t’emmerder.
Te laisse pas faire. La Sécu paye le psy pour ça. Ce qui te coûte du fric.
Voilà. J’ai libéré ma parole C’est totalement incorrect. Aux yeux de qui ? Par rapport à
quoi ? Toujours pareil. La doxa. L’opinion publique qui guide les psys et
les journalistes de Bolloré. Penser comme ça, ce n’est pas penser. Encore faut
il être capable de changer., et d’abord en éliminant le conditionnel de ta réflexion. Et si le déprimé ne
jouait pas ? S’il allait vraiment se foutre dans le fleuve ? Mais,
mon lapin tu n’y es pour rien. Il a simplement suivi sa pente naturelle Il
s’est comporté en individu responsable, pour une fois. Toi, tu lui as rendu sa
dignité d’homme responsable. Tu l’as sorti de l’infantilisme. De toutes
façons ; il va mourir. Plus tôt, plus tard. ; qu’est ce que ça
change ?
Restons de glace.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire