« Lis ça. Ça va te plaire, c’est un facho »
Un ordre. Deux assertions. Le dialogue est mal parti. Le
copain me tend un livre. Du bout des doigts, comme si c’était une tranche de
mou de veau. Mépris digital et hyperbolique. N’était l’épaisseur, j’aurais le
sentiment d’accepter Mein Kampf.
Libraire, j’ai le respect de l’imprimé. Je repère Fayard
dont j’ignorais que c’était désormais un éditeur « facho ». Je n’ouvre
jamais d’emblée un livre. Je vérifie avant tout les données techniques :
copyright, achevé d’imprimer. Je suis libraire, passeur de livres, pas passeur
d’idées. Je laisse ça aux professionnels, essayistes, universitaires, car je
sais d’expérience le niveau intellectuel de ma profession.
Vient ensuite le temps de la lecture. Ce doit être l’âge…..me
voilà en phase avec un facho. Un facho qui parle de culture, en commençant par
la langue laquelle est la meilleure chose qu’on ait trouvée pour se parler, fut-ce
par écrit. Un facho qui affirme que la langue, blessée, maltraitée, joue plus
un rôle d’exclusion que de partage. Il a raison, c’est une évidence. J’ai un
mépris total pour les massacreurs de langue. Les petits, les médiocres, ceux
qui confondent « amener » et « apporter », ceux qui
introduisent un génitif par « à », mais aussi les grandioses, les
locuteurs de « c’est qui qui », les inventeurs du « féminicide ».
Francis Blanche revient : il peut le dire. C’est qui qui a amené aux
gendarmes les preuves du féminicide de la fille à Gustave ?
Ce faisant, je suis Camus qui n’hésite pas à conchier les
ennemis de la hiérarchie de la culture. La culture est discriminante, elle
établit des hiérarchies fondées sur le savoir et l’expression du savoir. Seul
Jack Lang peut affirmer qu’un tagueur n’ayant aucun sens de la perspective vaut
Vinci ou Courbet. Camus n’aime pas Lang ; moi, je le hais. Hiérarchie.
D’autant que, soyons sérieux : dire que Mouloud de
Gennevilliers, tagueur de bâtiments publics « vaut », c’est utiliser
la hiérarchie pour détruire la hiérarchie. Erasme l’a fait avec talent, ce
talent qui manque à Jack qui ne cherche les talents que par trente. Je hais
Lang car il a concocté une loi pour offrir à la FNAC le marché du livre, loi
qui a permis à Amazon de piquer le marché et détruit la librairie française. Je
hais Lang qui croit et proclame que la musique est exécution quand c’est avant
tout une écriture.
J’aurais aimé que Renaud Camus soit avec moi quand un
enseignant de l’Institut de Formation des libraires de Montreuil m’a affirmé
avec un grand sourire : « Je les forme pour Auchan parce que c’est
Auchan qui embauche ». Résultat de la loi Lang…..
Camus a raison : la hiérarchie de la culture conduit à
l’élitisme. C’est pas nouveau. Stendhal écrivait pour les « happy few ».
Dans notre système républicain, il est temps de dire que l’élitisme est à la
portée de tous. L’école est gratuite et il suffit de travailler. Et de se débarrasser
de la doxa…. Cette doxa qui veut que le rap soit une musique. Cette doxa qui
admire que l’on puisse entrer à l’Elysée sans avoir lu La Princesse de Clèves.
Lang a été le premier à mépriser le peuple. Profondément. Ouvertement. Il a
ouvert la porte aux sans-dents de Hollande et aux ouvrières illettrées de
Macron.
Je n’ai pas fini le livre de Renaud Camus. Pas encore. Il m’a
renvoyé à mon instituteur, une sorte d’anti-Lang : socialiste, résistant,
capturé par la Gestapo, torturé, envoyé à Buchenwald, instituteur dans un quartier
populaire où il enseignait aux fils de dockers les subtilités de la langue
française. Basque et qui ne se cachait pas derrière ses origines pour fuir les
règles de l’intégration au sein de la Nation. Il aurait aussi aimé Renaud
Camus.
Qui est le facho ?
On n’a pas fini d’en reparler.
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