Sérieusement, les addictologues, je les connais bien vu que
je les fréquente depuis très (très très) longtemps. J’ai eu et j’ai encore du
mal avec eux. D’abord à cause du nom : un addictologue, c’est quelqu’un
qui soigne les addictions considérées comme des maladies. Dans la panoplie, y’a
guère que les cancérologues qui sont traitées comme ça, avec l’étiquette de la
maladie plutôt que la mention de l’organe. Ça les isole, je trouve.
Après faut supporter leur discours. Les addictologues sont
les derniers curés à l’ancienne.
« Il va vous falloir du courage..beaucoup de volonté…de
la persévérance »
Ho, docteur, vous oubliez la foi, l’espérance et la
charité….entre autres. Je viens pas rejouer au boy-scout. Je viens voir un
médecin pro pour avoir une solution, plutôt médicamenteuse….Parce que si
j’avais tout ça, la volonté, le courage et le cul de la crémière, je serais pas
en face de vous. Si je suis chez un addictologue, c’est que je n’ai aucune
qualité morale. La seule désintox que je connaisse, c’est Mezz Mezzrow dans son
autobiographie. Il en chie pendant trente pages au moins, et j’ai pas envie
d’en chier. La souffrance, comme rédemption, mon cul ! La volonté comme
mode thérapeutique, mon cul again !
Si je suis chez un addictologue, c’est que depuis des années
je cherche le plaisir dans ce qu’il a de meilleur : l’excès. Je suis accro
à l’excès. J’ai eu plein d’addictions, à l’exception de le drogue, douce ou
dure : le tabac, l’alcool, le sexe, le travail, la bouffe. Avec toujours,
le même fonctionnement. C’est bon, j’en veux encore. Et encore plus. Pas la
peine de me faire la liste des ennuis qui m’attendent. Je les connais. Mais je
connais aussi le plaisir que j’en tire.
Crois moi, cher addictologue, je n’ai jamais été accro au
déplaisir, même si je peux le comprendre. Je n’ai surtout jamais été accro à la
fadeur : l’eau, c’est pas mon truc. Dans la définition, il y a « sans
saveur ». Sans saveur, c’est sans moi. Sérieusement, faut être décérébré
pour aimer un truc « sans saveur ». Alors, mon médecin me dit :
« Oui, mais tu vas le payer ». Le payer !!! C’est un truc de
curé. Tu vas payer ton plaisir.
Et donc, je finis par me demander si nous ne sommes pas dans
une morale triomphaliste et hypocrite. Le reproche, c’est d’aimer ce qui est
bon car, en creux, on veut suggérer que ce qui est bon est dangereux et
excessivement dangereux dans l’excès. L’accro (je ne trouve pas de meilleure
traduction pour « addict ») aime ce qui lui fait du bien et, non
content de se lover dans une boule de plaisir égoïste, il veut y passer plus de
temps. Monsieur le curé, il a rien contre une branlette occasionnelle, c’est
dix Pater et dix Ave. Mais la régularité détruit le barème.Et puis, la
recherche du plaisir, ne serait-ce pas du temps volé au travail, aux devoirs,
aux obligatoires occupations qui construisent le bon citoyen, bon père, bon
époux, bon salarié, bon voisin. Bon con, pour résumer.
L’addictologue, souvent il est psy (enfin 100% de ceux que
je connais, le sont). A priori, son boulot, c’est de soigner la tête pour que
son patient soit bien. Il ne lui vient pas à l’idée que son patient peut être bien avec son addiction.
C’est mon cas. Sauf que la pression sociale devient trop forte. L’espace public
se rétrécit : j’ai la nostalgie des compartiments fumeurs des TGV qui étaient
si sympas et des bistros du coin où il y avait toujours une jolie fumeuse à
brancher. Le prix du paquet m’a ramené à mes amours adolescentes de
contrebandier. Mes enfants m’assènent des slogans improbables et méchants
certainement serinés par leurs sèches institutrices. Les nanas me veulent une
haleine d’épicea caressé par un printanier zéphyr. Voilà, c’est naze, je suis
chez l’addictologue. Et là, je prends conscience. Ce n’est pas mon désir, c’est
le désir de la doxa.
Au début, il ruse. La doxa ne peut pas être tout à fait
mauvaise. Si. Totalement. Relire Mythologies. La doxa n’est pas seulement une
idéologie, c’est la pire : l’idéologie petite bourgeoise. Il tempère. Je
l’imagine bien : « Alors, Monsieur Rimbaud, toujours avec votre
obsession d’Ethiopie ? Mais vous savez il y a de beaux voyages plus
près : les boucles de la Semois, par exemple » Ou bien « Mais
Monsieur Picasso, il y a d’autres moyens de s’exprimer que de démolir le visage
de vos contemporains. » C’est juste des exemples. Parlants. Pas des
comparaisons.
En fait, il veut me ramener dans le jardin communautaire. Et c’est moi qui l’ai sollicité. Après tant d’années, la doxa m’a rattrapé.
La doxa et la trouille. Mais au fond de moi, j’attendais un encouragement à
vivre comme j’aime. Pas un encouragement à rejoindre le troupeau.
Ça me donne une leçon. Le problème de l’addiction,
finalement, c’est que c’est un mauvais exemple donné aux autres. Tout le reste
est habillage….
On en reparlera…..
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