Jadis, le prêt à porter n’existait pas. Ha bon ?
Comment on s’habillait ?
Ben, déjà, on planifiait. L’achat d’impulsion, t’oublies. Tu
voulais pas un pantalon, t’avais besoin d’un pantalon. C’est pas pareil.
T’allais chez ton tailleur ou ton couturier, celui qui avait une fiche à ton
nom avec toutes tes mensurations. Toutes.
Avant t’étais passé chez André Charpentier, tissus et
tapis , pour choisir le tissu. Y’avait pas vingt modèles. Tu choisissais
et basta ! Le père Charpentier, à intervalles réguliers il soumettait ses
vendeuses à la question. Sur une grande table de drapier recouverte d’un drap,
il mettait des échantillons de tissu (sous le drap, ça va de soi). Les
vendeuses, elles allaient tâter l’échantillon à l’aveugle et elles annonçaient :
« Ça, c’est un taffetas, ça c’est un tweed…. » et le père Charpentier
complétait : « Oui, c’est un tweed, mais touche le bien. C’est un
tweed de l’île d’Harris. Là bas, les moutons, ils ont la laine plus épaisse, ça
se sent ». Monsieur Charpentier ne cotisait à aucun organisme de formation. Il
formait et ça rigolait pas. Yvette, la vendeuse-chef, toujours première de la
classe y veillait.
Alors, aujourd’hui, quand je rentre dans un magasin et que
je demande des précisions sur le tissu, si la gisquette, elle va lire
l’étiquette, elle prend son paquet. Parce que moi aussi je peux lire une
étiquette. Mais je ne peux pas admettre que ce qui était possible, il y a
quarante ans, soit devenu impossible. D’une vendeuse de fringues, je suis en
droit d’attendre qu’elle ait quelques notions sur les tissus.
He bé, non ! Les commises (c’est comme ça qu’on disait)
sont devenues vendeuses, puis conseilleres spécialisées et à chaque progression
sémantique s’est surajouté une régression professionnelle. C’est qu’elles ont
fait « force de vente ». Force de vente est une honte et tous ceux
qui se sont impliqués dans cette filière devraient être virés de l’Education
nationale. Force de vente suppose que toutes les ventes sont équivalentes et
que vendre des chaussettes, c’est comme vendre des assurances ou des capotes
anglaises. Chez Force de vente, on apprend la vente. De quoi ? De tout. Et
donc, par définition, on fait l’impasse sur le produit.
Personne n’imagine que savoir tout vendre, c’et ne savoir
rien vendre. Ce sera au chef des ventes de développer (ou pas) cet aspect des
choses. C’est bien, ça fait des vendeurs dociles. Comme le jeune coq à qui je
demandais des infos sur une voiture (je veux dire, le moteur, son couple, ces
choses là) et qui m’a causé bluetooth et GPS. J’ai été obligé de le recadrer,
surtout à propos du GPS, quand il a été incapable de me parler des satellites
concernés (normal, y’en a pas). J’ai fini par le traiter de quelques noms
d’oiseaux. Vu que c’est pas innocent. Ce que les vendeurs d’autos appellent des
GPS ne sont pas branchés sur le système de positionnement par satellite, mais
sur les relais de téléphones. En Europe, ça marche. Mais quand t’es dans le
désert….ça marche plus.
Plus on forme, moins ils sont formés. J’en ai déjà parlé à
propos des infographistes et même des garçons de café. La perte des savoirs est incommensurable
et le nivellement affolant. Le tout est facilité par les dérives langagières et
l’effréné désir de raboter les masses salariales. Le rêve étrange et pénétrant
d’une masse inculte appliquant des procédures fondées sur les statistiques pour
vendre à tous le même produit dont le désir nait d’une réclame bien foutue est
en bonne voie de réalisation. On n’est pas chez Orwell mais pas très loin de
l’antichambre.
Ceci dit, on est tous coupables. Tous nous avons accepté la
déliquescence du savoir des autres qui allégeait nos factures et la diminution
de notre propre savoir qui nous assurait de disposer de temps. On marchait
détail par détail… on élaguait, on allégeait..chaque détail n’était pas si
grave…. He ben, y’a un moment où on peut plus alléger…y’a plus rien. Les
centres de formation nous livrent des journalistes tout terrain qui passent de
la politique au foot, les vendeurs vont des casseroles aux sex-toys et Jaguar
construit des véhicules utilitaires. (Ferrari n’installe pas encore de boule à
caravane sur ses voitures, mais ça ne saurait tarder). Le grand nivellement est
pour demain.. Seuls y échapperont les joueurs de foot. On continuera à
l’habiller du mot stupide de « mondialisation » en trouvant admirable
qu’on mange à Pékin comme à
Abidjan alors que c’est seulement idiot.
Ceux qui voudront s’opposer seront marginalisés avant d’être
éliminés (on agrandira les asiles, c’est facile) On en gardera quelques
uns pour montrer à la jeune génération quelques vieux cons qui pensaient que la
diversité des réflexions pouvait âtre une aide à la pensée. Vieux parce que ça
coute moins cher à nourrir.
On en reparlera.
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