L’avantage avec les livres, c’est que si on les loupe quand
ils sortent, on en vient toujours à les retrouver. De celui consacré à la
décadence de l’Empire romain que je suis en train de lire, 40 ans après sa
parution, j’extrais cette phrase admirable :
La puissance des seigneurs fait que, même si leur intérêt
collectif reste d’assurer la puissance de l’Etat, ils ne peuvent que le nier
individuellement.
On ne saurait mieux dire et décrire notre monde. L’auteur se
nomme Pierre Dockès et le livre est publié dans la remarquable Nouvelle
Bibliothèque Scientifique, dirigée par Braudel chez Flammarion.
A la suite de Marc Bloch, l’auteur voit dans le féodalisme
le passage de l’esclavage à l’état servile. Et à la suite de Marx, il voit dans
l’esclavage l’origine du salariat. Pas très politiquement correct,
ça !!!!!
Mais que se passe t’il donc ? Simple. Les latifundistes
romains ont besoin de l’Etat, des armées de l’Etat, des fonctionnaires de
l’Etat. Mais pas toujours, pas tous les jours. En revanche, pèse sur eux le
poids de la fiscalité. Faut bien
payer les soldats. Et ce discours là, on l’utilise tous les jours. Pour se
plaindre. Pour refuser une augmentation. Pour retarder un investissement.
Récurrent, il prend naturellement la première place. Il devient dominant, il se
transforme en doxa. Et de ce fait, il conduit à l’affaiblissement de l’Etat. Le
discours tenu par chaque propriétaire devient partie d’un discours dominant qui
va à l’encontre de ses intérêts.
Nous le vivons. Le patronat, par la bouche de l’ineffable
Gattaz, ne cesse de fulminer contre l’Etat. L’Etat qui assure plus ou moins
bien la paix sociale, la protection des citoyens et qui garantit la croissance
en injectant des sommes colossales dans la protection des plus faibles. Car ne
nous leurrons pas, le RSA, il file direct dans un chariot de supermarché et une
pompe à essence. C’est un cadeau déguisé à la grande distribution. Laquelle
aimerait bien prendre le cadeau et ne rien donner en échange et surtout pas des
charges sociales.
Pendant ce temps, les Barbares infiltrent l’Empire et
s’étonnent de son peu de résistance. Deuxième citation :
L’affaiblissement de l’Etat lié à l’affaiblissement de sa base sociale rend nécessaire à la
classe dominante la recherche d’une autre organisation de son pouvoir.
Et on commence donc à intégrer les Barbares (ici, les
Germains) au processus de changement. Ce qui revient à renforcer ceux qui ont
intérêt à l’affaiblissement. On peut y voir le manque de mémoire du patronat.
Tout au long de la construction de sa puissance, l’Etat a envoyé ses soldats
calmer les ardeurs populaires. Relire Germinal. Mais ce besoin d’Etat s’est
estompé. Les grévistes n’ont plus besoin d’émasculer les petits commerçants et
les CRS sont loin d’avoir la virulence des lignards du siècle dernier. Le
besoin d’Etat est plus diffus, plus subtil mais la subtilité ne semble pas la
qualité première des représentants du patronat.
Dans la mesure où, de surcroit, l’Etat a été dilué dans
l’ensemble européen qui le rejette expressément et ne prend pas le chemin de le
remplacer, la destruction de l’Empire est en marche. Le problème, c’est que ce
sont des processus longs. L’agonie du capitalisme va durer et les soubresauts risquent
fort d’être intéressants. Que vont ils pouvoir inventer ? Pour nous
grignoter, avant de se cannibaliser.
Les années à venir vont être amusantes, moi, je vous le dis.
On en reparlera…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire