C'est presque trop beau pour être vrai. Voilà un moment que je voulais vous parler de cette aberration intellectuelle : l'IGP sur les canards gras du Sud-Ouest.
Regardons de près la fiche technique, en commençant par la
définition. « Les produits du
canard à foie gras du Sud-ouest sont issus d’un canard de Barbarie mâle. »
He bé ! ça commence bien. Le canard de Barbarie, malgré
son nom, est un canard américain portant le nom scientifique de Cairina
moschata. Au passage, le figuier de Barbarie est aussi américain puisqu’il
désigne l’oponce. Les Européens ont su très tôt que les Américains étaient
barbares.
Le canard de Barbarie, par définition, on n’a pu l’avoir qu’après
la découverte de l’Amérique. Ça relativise la tradition. Tradition qui
s’appuie, selon l’INAO, et dès le Moyen Age, sur la taille des exploitations trop petites pour
produire autre chose que de la volaille. Y’avait aussi du cochon mais doit on
en tenir compte ? Et les bouseux du Sud-Ouest ne connaissaient que le
confit pour préserver la viande. Il me semblait que le Sud-Ouest avait une
assez belle tradition saunière et que nos ancêtre fumaient avec quelque succès.
D’ailleurs, les jambons (salés) relèvent aussi de l’INAO. Sûrement pas du même
département.
Le descabello arrive avec Parmentier qui aurait affirmé que
le succès du canard venait du maïs (le blé d’Inde provenant du Mexique). La
tradition est donc issue du couplage entre deux produits introduits
tardivement. Ça, c’est la vision de l’INAO. Avec la question qui
tue : est ce parce qu’on l’a qu’on l’utilise ? Un élément de
réponse : prenez une presse à canard ancienne, du type de celles qu’on
utilise pour le canard au sang. Là, on est au XIXème siècle. Essayez de faire
entrer un canard américain dedans, c’est impossible. Le cairina, il est obèse
comme un adolescent gonflé au MacDonald. Comme j’imagine que les fabricants
d’ustensiles de cuisine étaient pas idiots, j’en déduis qu’aux temps bénis
d’Escoffier et d’Alexandre Dumas, la canard de Barbarie n’était pas utilisé en
cuisine. La tradition se dégonfle. Mais alors, Parmentier ? Le maïs était
là. Très tôt. La prise de Mexico, c’est 1519 et dès 1523, le blé d’Inde pose un
problème évoqué dans les archives de Bayonne. On peut donc supposer qu’il
servait à engraisser d’autres
espèces de canards. Mais sur quelle aire géographique ?
Alors, là, c’est rigolo. D’abord parce que ça commence par
des régions qui ne sont pas dans l’intitulé de l‘IGP : Aquitaine,
Midi-Pyrénées, Limousin. Et c’est vrai que le Sud-Ouest sans l’Aquitaine, ça
fait désordre !! Pour faire bonne mesure on ajoute la Corrèze et plutôt
deux fois qu’une, un coup tout le département avec le Limousin, un coup une
poignée de cantons avec le Périgord. C’est un mélange à mourir de rire :
il y a des départements (le Gers ou les Landes), des régions historiques
(Quercy), un grand ensemble (la Gascogne), un peu comme si on ne savait pas où
on était. Parce que la Chalosse, c’est en Gascogne, mais aussi dans les Landes.
C’est ceinture et bretelles, leur truc. On a le sentiment d’un ensemble bricolé
à la demande, style "j'ai quelques clients, là, ajoute moi le canton."
Je résume : le canard gras du Sud-Ouest, c’est un
canard américain gavé sur un bon quart de la France.
Dans quel but ? Je livre une phrase d’anthologie tirée
du dossier : « L’objectif qualitatif est d’avoir un foie autour de
550 g. » Plus clairement, l’objectif qualitatif est d’atteindre une
quantité.
C’est que la tradition bouge. Entre la première IGP et
aujourd’hui : « La durée de gavage est diminuée de 12 à 10 jours
minimum. Les diverses améliorations scientifiques et techniques en sélection,
élevage et gavage le permettent sans remettre en cause le poids du foie. »
Priez, braves gens ! On enlève 20% de gavage sans rien changer. Même pas
le régime alimentaire ?
Parce que le régime alimentaire, il
vaut le coup. Au départ et selon Parmentier, c’est le maïs qui fait le canard.
Pas dans le cahier des charges : « L’alimentation des canards en
élevage est composée d’au moins 50% de graines de céréales et de graines de
légumineuses ». Et ce jusqu’à 42 jours. Ensuite on passe à 70% de graines
de céréales avec un minium de 15% de maïs et un maximum de 40% de blé. 15%,
c’est pas trop, faut dire. Parmentier, il a pas du tout suivre parce qu’à 15%, l’impact du maïs sur le foie du palmipède, il est pas évident. Pourtant, il
grossit. Les magrets atteignent 300g chacun (au minimum) Avec les 550 g du
foie,voilà un bestiau qui va flirter avec les 4 kilos, voire plus. Belle bête…
Affinons le résumé : un canard
gras du Sud-Ouest, c’est un canard américain qui a laissé le maïs en cours de
route.
Avec seulement le choix de l’espèce,
cette IGP était une escroquerie. Faire remonter au Moyen Age une tradition et
l’appuyer sur une volaille qui ne pouvait pas être connue avant le 16ème
siècle, faut avoir peur de rien. Mais allons plus loin. L’insistance mise sur
la maïs pose question d’autant que les plus puissants acteurs de la filière
sont des producteurs de maïs : Lur Berri possède Labeyrie et Maïsadour
Delpeyrat et Comtesse du Barry. Bel exemple d’intégration. Bel exemple surtout
de valeur ajoutée : quand il a transité dans le canard, le maïs il a pris
de la marge. Ceci étant, point trop n’en faut et d’autres céréales ou
légumineuses peuvent aussi apporter de la marge.
Le Cairina, on en a déjà parlé. Il a
deux qualités : il grossit vite et plus que le canard européen et il est
assez costaud pour supporter le gavage mécanique. Ce qui permet d’avoir des
exploitations industrielles avec des bandes de 2 à 3000 canards. Et donc d’avoir
un autre avantage: quand un virus se colle sur un saturnin, les copains
ne tardent pas à l’héberger aussi. Bon l’IGP limite et encadre les traitements
ce qui conduit immanquablement à une canardière shoah. En fait, sont trop
nombreux pour être soignés, les volatiles. C’est Sud-Ouest qui le dit en
annonçant les millions de morts. C’est là que tu prends conscience de
l’escroquerie.. La « filière », c’est des millions de volatiles. La
qualité, elle se mesure en centaines de tonnes.
Et donc, l’INAO est un groupement
d’escrocs. Parce que l’intitulé exact, c‘est Institut National de l’Origine et
de la Qualité. Or la qualité a un antonyme qui est la quantité. Personne ne
peut produire beaucoup et bien, sauf à « approximer » comme disent
les producteurs. Pour faire beaucoup, il faut faire à peu près. Ce à quoi
s’échinent les escrocs de l’INAO dont le job est de fournir en arguments et
procédures les industriels de diverses filières. On en a déjà parlé à propos du
Jambon de Bayonne. Mais on aurait pu aussi bien regarder le piment d’Espelette
dont les jocrisses de l’INAO affirment qu’il est arrivé en Labourd au XVIème
siècle. En Labourd !!! Alors que dès le XIIIème siècle, les barons
d’Espelette sont ricombres…de Navarre et siègent au Conseil du Roi…de Navarre.
Mais, on vous l’a dit, l’INAO est le domicile de l’à peu près et de
l’approximation.
Moi, je rêve d’un institut
d’ayatollahs chargés de protéger les consommateurs des dérives des industriels.
Par exemple, en rendant obligatoire le gavage manuel. Ho ! c’est pas possible.
Ben si, traditionnellement, c’est ça, la production de canards gras. Et c’est
possible. C’est comme ça que ça marchait quand j’étais petit. Quand le kilo de
foie gras coûtait 20% du SMIC. Avant Lur Berri et Maïsadour.
Qui ont tiré les prix vers le bas en
même temps que la qualité. Mais, ça ne se vendrait plus !!! Si. Ça se
vendrait moins en quantité mais plus cher. Comme le caviar. Et la marge, elle
resterait dans les exploitations. A
mon idée, le boulot de l’INAO, ça devrait être un truc comme ça. Facile :
si une demande arrive d’un des poids lourds de la filière, refusé. Refusé d’autant
plus que les produits se trouvent dans les rayons de la Grande Distribution.
Bon, en attendant, j’ai trouvé un
second producteur de kriaxera, à Arraute-Charitte. Minaberrigray, il s’appelle.
Ferme Hameka. Génial ! Il a un site ? Non, il est normal. Mais alors ?
Pour acheter ? He bé, à Bidache, tu prends la route de Saint-Palais, tu
trouveras. Les produits d’exception, ça se mérite.
On en reparlera…
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