Elle est mignonne la petite. J’en sais rien je la connais
pas..Mais ses mots sont mignons.. Ils suent l’envie de plaire, l’envie d‘aller
dans ce qu’elle croit être la cour des grands alors que c’est seulement le
bûcher des vanités. Il faudra qu’elle comprenne que plaire, c’est avant tout
déplaire, qu’on construit mieux sur le rejet
« Eh bien oui ! c’est mon vice. Déplaire est mon
plaisir. J’aime qu’on me haïsse. »
Je vais pas tout copier. Cyrano, acte 2, scène 8. Tout est
dit. Il l’avait dit avant : « Moi, c’est moralement que j’ai mes
élégances. »
Là, elle parle d’un chef que je connais peu. Mais bien. Et
elle m’énerve. Ses mots sont convenus, elle flirte avec le poncif. Moi, c’est
moralement que j‘ai mes élégances. Ça colle tellement au mec que ça n’en est
pas drôle. C’était ça qu’il fallait dire. Phrase qui allait aussi avec Alain
Dutournier et Christian Parra. Ils sont pas nombreux dans le groupe.
Alors, je lui donne une clef, mais elle ne la prend pas. Il
y a les chefs musiciens et les autres. Premier point : les signes sont
innombrables et vont du tournedos Rossini à la pêche à la Melba ou aux
amourettes Tosca. Une large partie de la gastronomie classique s’est construite
sur les rapports entre musique et cuisine, entre musiciens et cuisiniers. Mais là
n’est pas l’essentiel, à mes yeux.
Une recette est une partition. Le cuisinier oscille toujours
entre exécution et interprétation, tout comme le musicien. Dans les deux cas,
les différences sont infimes : un poil d‘hygrométrie change le son d’un
violon ou le goût d’un légume. Il faut s’adapter, adapter, rattraper. Il faut
surtout percevoir la différence, oublier toute certitude, vivre dans l’anxiété.
Les grands cuisiniers portent cette anxiété, comme les virtuoses. Et comme les
virtuoses, ils la gèrent et la dépassent. Et il importe peu que la partition
soit de leur main. Le chef dont elle parle, s’est attaqué à un plat
d‘anthologie, l’oreiller de la belle Aurore, créé par Brillat-Savarin lui-même, en hommage à sa mère. Ça, c’est le côté Karajan de l’homme. Ou Furtwangler.
Mais dans le même temps, ou presque, il mettait à son menu des salicornes,
cette plante des dunes dont même les chèvres ne veulent pas. Ah ! la mode
est au croquant ? Tu vas en avoir du croquant. Ça, c’est son côté Samson
François. Ou Horowitz. J’ai cherché dans les grands classiques. Même Babinsky
n’a pas traité des salicornes. On peut passer de Chopin à Satie.
Pour moi, Alain Pégouret est le fils spirituel de Christian
Parra. J’ai essayé de l’expliquer, je me suis fait rire au nez. Entre
l’aubergiste rondouillard des rives d‘Adour et le dandy des Champs Elysées, il
n’y a rien de commun. Que vous croyez. Moi qui déteste mes ressentis, je suis
obligé de les appeler à la rescousse. Avec ces deux-là, je me suis senti bien
Détendu. Confiant. Christian m’a dit une phrase qu’Alain ne peut pas
prononcer : « L’aubergiste, c’est celui qui allume sa lumière quand
la nuit tombe ». Tu parles ! Aux Champs Elysées, la nuit ne tombe
jamais. Et pourtant. J’ai longtemps cherché. Quand tu ressens un truc, il y a
une raison.
J’ai compris quand on m’a dit qu’Alain avait hérité du
Pleyel de Samson François. Le flash m’est venu en imaginant Christian visitant
Alain. Bon sang, mais c’est bien sûr ! Le bon Christian aurait demandé,
mendié, de pouvoir s’asseoir à la relique sacrée. Les salicornes pouvaient
attendre. Il était là le pont. Le partage entre ces deux là passait par la
musique. Il y a les chefs musiciens et les autres. Ceux qui réintègrent leur
métier dans une vaste histoire culturelle, qui comptent les temps de cuisson
comme des mesures, qui savent le poids d’un soupir et le rôle d‘un dièse. Ce
sont les chefs de la subtilité.
Cette subtilité qui me manque tant que je la cherche à
table.
On en reparlera…
PS : je n’ai jamais mangé d‘amourettes Tosca
(auxquelles j’aurais donné le nom de Scarpia, question de convenances). Pour la
poularde en vessie Albufera, je cherche encore.
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