Facebook me fait souvent pleurer. La pauvreté stylistique,
le désastre sémantique me tendent un miroir vers un état de langue qui
m’horrifie. En plus (ou en moins) on les sent heureux d’écrire comme ça. ;
comme cette gisquette qui compare une de ces amies à un bonbon plein de
candeur. C’est du mauvais Delarue… Du coup ; je me demande quels sont mes
stylistes modernes préférés, dans la génération post-proustienne. Je mets
Céline hors-concours pour éviter le sempiternel débat sur l’homme et l’œuvre et
j’enlève Cioran à l’incomprise jovialité. Jovial ? Cioran ? Oui. Il y
a toujours de la jovialité à pisser dans la soupe
En fait deux statues se dressent : Frédéric Dard et
François Cavanna. Dard a été un fantastique inventeur de mots, Cavanna un
styliste hors pair et un gardien des temples. Chez Cavanna, la métaphore
est naturelle et gracieuse : « La lumière filait sur la façade comme
un pet sur une tringle » On est loin de Guillaume Musso. Cavanna excelle
dans l‘image surprenante, brève et à la scansion impeccable. Parfois, il prend
un coup de sang, comme cet article dans Charlie-mensuel sur tous les couillons
qui parlent de Perspective Nevski en croyant montrer leur culture quand ils
n’exhibent que leur vacuité. Cavanna expose, sans grande tendresse, qu’en
russe, Prospekt désigne un boulevard et que Nevski est le génitif de Neva.
Nevskii Prospekt se traduit donc par « Boulevard de la Néva » ce qui
est moins folklorique et moins flatteur que la Perspective à laquelle on s’est
habitués. Que la Neva rejoigne les nombreux cols au panthéon des traductions
géographiques imparfaites, où le Somport est, par définition, un col (port)
qu’il est inutile d’appeler col du Somport, sauf à manifester un gout maniaque
pour le pléonasme.
Sur Frédéric Dard, on peut multiplier les exemples.
« Je m’occupe de son bouton avec deux doigts dans la moniche. »
Impeccable définition technique du
cunnilingus, brève et concise comme un mode d’emploi. Mais Dard est également
capable de faire une page sur cette formule valaisanne : « Il
pleige » indiquant que le temps est à mi-chemin entre pluie et neige. Et
San-Antonio regrette que l’Académie n’ait pas emprunté le mot aux Helvètes tant
il désigne avec précision un phénomène météorologique point rare.
Le même utilise à deux ou trois reprises un vieux mot
lyonnais inconnu des dictionnaires qui
aiment se faire reluire avec le vocable des cités. Les Lyonnais
« pétafinent ». C’est quoi ? Tout simplement l’antonyme de
peaufiner. C’est le gosse qui tire sur les poils du tapis et qui le détruit
lentement, jour après jour. Lente destruction opposée à lente amélioration.
Macron pétafine le tissu social. Le mot garde un avenir n’en déplaise à Alain
Rey.
A la lecture de L’Etranger, Barthes invente la notion de
degré zéro de l’écriture tant il trouve le style de Camus froid et dépouillé.
Mais du moins, est ce un style. « Aujourd’hui, Maman est morte ».
Avant Camus, personne n’avait osé. Aujourd’hui, il y a un style Facebook,
essentiellement féminin, un style dégoulinant de bons sentiments exprimés en
mièvres images. Comme un retour de balancier. Un style tellement accepté et
valorisé qu’on ne peut même plus s’en moquer.. La minette qui compare sa copine
à « un bonbon de candeur », elle croit faire de la littérature. J’ai
essayé d’imaginer les mots sous la plume de Flaubert. J’avais envie de poser une question qui fâche. Le
bonbon, il préfère sucer ou être sucé ? Inutile. A mes interrogations
stylistiques, je n’obtiendrai que des réponses sans style. Je n’obtiens que des
réponses sans style. La mort de Maman est un définitif malheur. Pas une libération. Folcoche n'existe plus.
Le fossé est trop large. Je regarde un selfie de deux femmes
de ma génération exposant leur amour des chapeaux. Il n’y a pas si longtemps,
les écrivains (Zola, Maupassant) opposaient volontiers les femmes en chapeaux
et les femmes en cheveux, ces dernières appartenant à la grande famille des
femmes non vertueuses. Le Nobel Dylan l’a chanté : les temps changent.
Aujourd’hui, les femmes en cheveux sont vertueuses, les femmes en chapeaux
glissent dans leurs légendes une incitation coquine.
Et donc, je suis. Une femme en chapeau coquine, il y a une
célèbre gravure de Félicien Rops qui en montre une, tenant en laisse un cochon.
Suivons la piste belge. Patatras ! Il s’agissait de légèreté coquine,pas
de cochonnerie quasi-weinsteinienne. Je soupçonne Félicien Rops de disparition
dans les poubelles de la pruderie post-chiraquienne.. De l’époque Chrirac ne
reste comme symbole de la féminité que Roselyne Bachelot…. Mais, avec un
effort, je la verrai bien en chapeaux et jarretières, tenant en laisse un
verrat. Il suffit qu’elle se taise.
La lumière filait sur la façade comme un pet sur une
tringle. Merci Cavanna. Allez, je livre aussi celle la.
Le trou du cul du chien de Bilbao est plein de pensées
sombres.
C’est une simple description d‘une sculpture de Jeff Koons.
Mais je trouve que la phrase vaut mieux que la sculpture. Pense t’on avec son
cul ?
On en reparlera…
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