Je l’ai découvert au début des années 1970. Avec Mario. On
arrivait à Modène, la première soirée était consacrée aux tortellini que ses
sœurs avaient passé la journée à préparer, servis avec une crème épaisse
parfumée aux champignons des bois après cuisson dans un bouillon qui sentait
les rives du Po.
Le lendemain matin, c’était visite au Consorzio où un de ses
beaux-frères occupait de hautes fonctions. Je n’ai jamais su le nom exact. En
gros, c’était le Consortium des producteurs de vinaigre balsamique lequel, tout
le monde sait ça, est une production modénaise. Comme Ferrari. Et comme
Pavarotti.
Là, dans les boiseries classiques d’un bureau de bon aloi,
on apportait à Mario un flacon qui ressemblait à un gros testicule vautré dans
un écrin façon Mauboussin, adorné d‘un numéro qui proclamait sa singularité, et
bien rempli du nectar pourpre. Et je voyais Mario payer avec ravissement une
somme qui me semblait indécente pour un vinaigre. Faut dire qu’à Bayonne, le
vinaigre, c’était Tête Noire (de Bordeaux). La première fois, je m’étais étonné
et vlan ! j’avais pris un cours de balsamique, comme quoi c’était le
meilleur vinaigre du monde et qu’avec une goutte (deux si t’étais dispendieux)
tu parfumais tout un saladier. Même un gros. Et donc Mario payait cher sa
consommation de l’année. Et puis cher…. Faut relativiser. Mario était
raisonnable. Il achetait rarement des vinaigres avec plus de vingt ans
d‘élevage. Les très grands crus pouvaient avoir été élevés pendant un siècle.
Pour du vinaigre ! Vous demandez pas pourquoi l’Emilie est considérée
comme la plus grande région gastronomique de la péninsule.
Après…. Ça se gâte. Les industriels comprennent le potentiel
« marketing » du balsamique. Original, exotique, prix élevé et donc
marges assurées, discours traditionnaliste avéré, toutes les conditions de la
destruction sont réunies. Surtout qu’avec les aromes artificiels, on peut
facilement torcher un ersatz. Bon, pour le testicule verrier et le numéro de
garantie, vous repasserez…. Mais à 4 euro la bouteille chez Maille, vous allez
pas, en plus, avoir des exigences. Vous avez le droit de dire à vos
convives : « Moi, je fais tout au balsamique, c’est le meilleur
vinaigre du monde ». Comme ils sont aussi incultes que vous, c’est pas
grave et ça passe. A 4 euros, c'est pas cher la couronne.
Mais, c’est protégé !! Ben non. Il y a bien une IGP (ou
une AOP) pour le vinaigre de Modène, mais la mention « vinaigre
balsamique », elle est libre. Même si c’est pas du balsamique. C’et beau
la légalité agro-alimentaire. En clair, t'as pas le droit de dire "vinaigre balsamique de Modène". Toute IGP porte en elle les germes de l'escroquerie.
Je te rassure, on trouve encore du vrai balsamique de Modène, celui du Consorcio, dans les
épiceries de qualité et même sur Internet. Juste un conseil : achètes en
deux flacons. Vu que le premier, tu vas le consumer en essais. Même en te
restreignant, tu vas utiliser le vinaigre comme tu en as l’habitude.. Et tu vas
tout pourrir tellement que c’est puissant. Va falloir changer tes habitudes. Et
t’as interêt à être bon cuisinier. Le balsamique ne pardonne pas l’erreur.
Ha, bon ? C’est cher et ça pardonne pas l’erreur ?
Faut être con, alors.
Ben voilà. Tu réfléchis comme le patron de Carrouf…Tu vois
qu’en me lisant, tu progresses.
On en reparlera…
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