A ne juger l’économie que par les chiffres, on oublie les
lettres. Heureusement qu’il y a des virus pour remettre les choses en place. Du
coup, je me suis replongé dans un économiste oublié mais qui eut son heure de
gloire dans les années 1970.
Il avait été surnommé « l’économiste renégat » ce
qui aurait du suffire à sa gloire s’il n’avait finalement été étouffé par la
doxa. Le livre d’Ernest Schumacher, Small is beautiful est dans le droit fil
des préoccupations du temps, de Jean Dorst au Club de Rome. Ce petit rappel
pour tous les imbéciles qui pensent que l’écologie a été créée par Nicolas
Hulot ou Brice Lalonde.
Schumacher nous donne un outil épistémologique précieux et
littéraire. Il explique que nous de devons pas confondre les biens produits
avec les biens trouvés. Les premiers sont renouvelables, les seconds sont
irrémédiablement gachés. L’homme exploite le pétrole mais ne le produit pas.
Cette distinction est fondamentale dans la mesure où la
production est un facteur de la création de monnaie. Si ton économie produit
moins, ta monnaie est moins forte.
De cette opposition fondamentale entre produit et trouvé,
Schumacher extrapole une vision plus globale qui prend en compte les
transports, plaidant pour le localisme et pour une économie à taille humaine
d’où le titre du livre. Traduction française en 1969, la plupart des locavores
n’étaient pas nés.
Renégat parce qu’économiste classique, collaborateur de
Galbraith et de Keynes et spécialiste de la monnaie. Il écrivait dans une
revue, Resurgence, qui fut la première à publier sur des thèmes
collapsologiques. Nihil novem sub sole. D’où l’oubli dans lequel il est
tombé ; d’où le travail de récupération qu’il a suscité. Travail
essentiellement sémantique : l’opposition produit/trouvé était une bombe
épistémologique qu’il convenait de désamorcer.On ne peut pas dire que Total
s’enrichit sur des objets trouvés comme n’importe quel chiffonnier fouillant
dans une benne.
L‘attitude vis a vis de la pensée des années 1960/1970 est
devenue un marqueur fort. Par exemple, les déchets. Dorst avertissait que la
production croissante de déchets était un danger. Il voyait une seule
solution : produire moins de déchets. Insupportable pour le capitalisme
qui sait bien que la croissance des déchets est un signe fort de la
sacro-sainte croissance économique. Il importe donc de ne pas limiter les
déchets mais d’en faire un outil pour plus de croissance. D’où le tri qui a
pris la place symbolique de cette horreur écologique qu’est le papier recyclé.
Il ne faut pas sortir d’une grande école pour comprendre que 10 poubelles de 10
kilos de déchets triés pèsent autant qu’une poubelle de 100 kilos.. Oui, mais
quand on trie on recycle. Pas tout, mais admettons.
Le seul point noir, écolo mononeuronal, c’est que tu viens
de basculer dans l’idéologie de ton ennemi. Ton tri est un outil de croissance
qui l’aidera à te détruire parce que tu admets la possibilité d’une croissance
infinie dans un monde fini. Il suffit désormais de parler de croissance verte
pour cacher l’arme de destruction (la croissance) dans le fourreau de la doxa
repeint en vert. Penser comme son ennemi, c’est se mettre entre ses mains.
On l‘avait bien vu avec le papier recyclé qui devait lutter
contre la déforestation. Trente ans de papier recyclé et on n’a jamais autant
déforesté. Tu parles d’un combat ! Tu te sens pas cocu toi qui envoie tes
grisâtres messages dans des enveloppes grisâtres ?
Hé ! ho ! je sais bien moi que le papier c’est
fait avec du bois. Ouais. Avec du bois de résineux subarctiques, pas avec du
bois d’Amazonie C’est pas pareil. Le bois qu’on utilise, il subit le climat et
le déroulé des saisons qui ne sont pas les mêmes en Finlande qu’au Brésil. Le
résineux de Finlande va donc avoir des fibres de cellulose plus longues qui
donnent un papier plus résistant et plus facile à imprimer que le papier
brésilien. C’est de l’écologie en action, du sol, des saisons, du climat. En
plus, les forêts sont des puits à carbone quand elles poussent. Quand elles
arrivent à maturité, on les rase, on replante, c’est bon pour le climat.
Et nous voici à nouveau chez Schumacher. Il y a des bois
qu’on trouve (au Brésil) et des bois qu’on produit (en Finlande), et c’est pas
pareil. Ajoutons que quand t’as vu le jus produit par le blanchiment du papier
recyclé, tu comprends vite où est l’intérêt écologique. Mais voilà. Ton ennemi
a glissé sa pensée dans tes neurones. Tu es manipulé. Ça fait pas plaisir, je
peux comprendre.
Et le virus dans tout ça ? Ça m’est venu hier, devant
une émission où étaient indiqués les secteurs menacés de chômage. Les
commentateurs avaient pas eu le temps de peaufiner les arguments, alors ils se
lâchaient. « On voit bien, disait l’un, que les secteurs les plus menacés
sont les plus inutiles ». Exact camarade ! 40% de chômeurs prévus
dans le marketing, l’événementiel, la pub, c’est le poids des inutiles parfois
malfaisants. Si ceux qui restent en profitaient pour réfléchir, ça serait
mieux.
Faut pas rêver. Adopter la méthode Schumacher serait un
bordel incommensurable. Rien que refaire les catégories INSEE ou les nomenclatures
de la douane, y’en a pour des mois. On est dans la dentelle, cette dentelle que
rejettent les mecs formés à l’administration ;formatés pour inventer des
ensembles de plus en plus gros qu’ils imaginent plus faciles à gérer Ainsi de l’Europe qui, année
après année, enjoint à la Ftance de diminuer le nombre de ses communes. Qu’est
ce que ça peut leur foutre ?
Relisez Schumacher…
Small is beautiful…
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