Il s’appelle Harari et il est historien. Il a fait un carton
avec son livre Sapiens, une brève histoire de l‘humanité. Ecrire une histoire
pour un historien, ça semble normal. Il a décidé de la faire commencer quand
nous sommes apparus, nous Homo Sapiens. C’est gonflé vu que nous ne sommes
qu’un produit. C’est comme dire que l’Europe commence avec la féodalité. Bon,
ça a plu. Les lecteurs aiment bien qu’il y ait un point de départ identifiable.
Et donc, Harari va plus loin. L’historien se transforme en
voyante pour nous dévoiler notre futur. Et il en oublie l’Histoire. Il regarde,
soigneusement je présume, et les graines qu’il voit dans notre société, c’est le
monde des Big Datas et des algorithmes. L’historien se précipite dans la doxa
et oublie sa discipline. Les Big Datas sont une construction non
intellectuelle, l’idée selon laquelle le savoir passe par l ‘accumulation
des données. On entasse, on entasse, puis on cherche à analyser. Comment ?
Aujourd’hui, c’est encore par la quantification des occurrences. Et pour ça,
faut des algorithmes. D’où l’idée, un peu benête que les futurs maitres du
monde seront les constructeurs d’algorithmes et leurs employeurs.
J’ai envie de dire à Noé Harari : c’est comme ça que
marche l’Histoire ? Il faut beaucoup de données pour l’écrire ? C’est
vrai que Duby a expliqué un jour la chance des médiévistes qui pouvaient bâtir
une carrière sur un seul document. Mais l’accumulation a t’elle une valeur
épistémologique ? Et surtout, les historiens utilisent ils les données
sans une critique préalable ? Accumuler des données non pertinentes, est
ce chercher du sens ?
Obsédé par sa logique quantitative, le capitalisme ne sait
pas en sortir et croit, dur comme fer, qu’il faut accumuler quelque chose (en
l’occurrence des données dont personne ne sait exactement ce que c’est) pour
progresser. Et donc, on accumule, on construit d’immenses bunkers aux noms
poétiques (informatique en nuage), sans voir que l’accumulation est sans fin et
rendra l’analyse impossible, même avec des algorithmes. C’est une course sans
espoir où les plus gros, conduits à des investissements de plus en plus lourds
et de moins en moins pertinents, se casseront les dents.
Prenons un exemple simple. Voici quelques années un
spécialiste du tourisme, statisticien de haut vol (vraiment) m’affirme avoir
travaillé une pleine semaine pour identifier les destinations qui marcheront
dans les vingt ans qui viennent. Et donc, en dix minutes sur un coin de table,
j’ai fait ma propre liste basée sur mon expérience, ce qui se vend depuis vingt
ans. Toutes choses égales par ailleurs, on avait les mêmes noms. Ceci n’a aucun
intérêt. J’ai donc cherché un fil conducteur et j’ai remarqué que beaucoup de
ces lieux étaient des paysages du grès. De l’ouest américain au Hoggar, en
passant par le Rajasthan ou la Haute-Egypte, le grès escorte les touristes. Il
est suivi de près par les roches métamorphiques (la Corse, par exemple) et mon
classement mettait en dernière place les paysages du secondaire rabotés par les
glaciers. Ça vaut ce que ça vaut, mais ça marche et c’est plus rigolo à faire
que se palucher des tableaux Excel.
A partir de là, on peut se demander pourquoi d’autres
formations géologiques ont un succès différent, identifier les oiseaux comme
élément déterminant dans le succès des marécages, ou les parois calcaires dans
le tourisme d’aventure. Bref, construire une sémiotique qui dira que l’amateur
de grès rose d’Alsace sera content de le retrouver en Navarre, par exemple.
Mais c’est plus compliqué à faire que de compter les vues obtenues par une page
pour la catégorie des mâles de plus de cinquante ans.
Harari embauche les neurosciences dans son analyse. Et il
est exact que le peu qu’on sait du fonctionnement cérébral laisse à penser que
la masse de données va être énorme. Sauf que…Lorsqu’un grand savant comme
Changeux travaille sur le cerveau, il commence par cibler les gens qui
utilisent leur cerveau. Pas les informaticiens, ni les financiers. Les
peintres, les écrivains, ceux qui créent, ceux qui n’ont que faire d’un
algorithme. Et il obtient des résultats intéressants, voir Raison et Plaisir.
Mais c’est vrai que Changeux est chiant. Il donne une
importance forte à la mémoire et à l’expérience. C’est la prime aux vieux et
ça, ça ne marche qu’en Asie. Ce qui serait une bonne raison d’accorder encore
plus de place à sa réflexion vu les résultats obtenus par les sociétés et les
pays d’Asie. Mais c’est vrai aussi que les Big Datas, c’est nouveau, c’est
moderne, c’est valorisant, ça n’a que faire de l’expérience dont le seul rôle
pourrait être de nier leur pertinence qui rend pertinents les salaires qui vont
avec.
Harari nous dit que le monde va se complexifier en
simplifiant et automatisant la pensée. Lui, l’historien, ne voit pas que
l’automatisation, c’est la négation de la pensée tout autant que la
simplification. Que de ces processus, il ne peut advenir que des dépenses sans
fond et un gain insignifiant. Et qu’il s’agit d’un sujet littéraire : on
pouvait penser que le capitalisme scierait la branche qui le supporte alors qu’il
bâtit le mur sur lequel il va se fracasser. C’est à une analyse métaphorique
qu’il faut se livrer.
Mais, dans tous les cas, ça va faire mal.
On en reparlera…
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