Je parlais un jour avec Lao Pierre de l’obsession chinoise
pour la bouffe. Il m’a alors expliqué que c’était un tropisme de peuple pauvre.
Les Chinois ne mangent pas tout le temps. Ils mangent quand ils ont à manger.
Parce qu’on sait ce qu’on a et jamais ce qu’on aura.. Pierre m’avait dit, à peu
près : « Regarde le juge Ti, il ne mange pas tout le temps. Il mange
aux heures des repas, avec ses femmes, dans son yamen. »
Et on avait continué à gloser sur le sujet. Et sur les
raviolis de chair humaine de la littérature classique.
J’y ai repensé voici quelques jours. En milieu d’après-midi,
sur un trottoir métropolitain, une bande de zivas partageait des pizzas. Je me
suis demandé s’ils avaient faim ou s’ils profitaient d’un « effet
d’aubaine ». Comme les Chinois, on mange parce qu’il y a à manger.
Le riche ne fonctionne pas comme ça. Il planifie ses repas
parce qu’il peut le faire : la table sera mise. C’est un marqueur de
l’aisance, pour les peuples comme pour les familles. On n’a que l’heure à décider, l’abondance est assurée. En
fait, le riche, le vrai, c’est celui qui mange à heures fixes. On devrait y penser plus souvent.
Il est vrai que la paupérisation de certaines couches
sociales s’est accompagnée de cette conquête magnifique : la liberté de
manger sans contraintes. Bien entendu, la bouffe disponible à toute heure est
la plus facilement disponible, la moins chère. La pas bonne, en fait, celle qui
rend obèse. Mais les conditions d’absorption sont elles innocentes ? Ne
faudrait il pas des horaires, des règles, des heures d’attente ?
Malheureusement les spécialistes de la molécule sont aux abonnés absents.
Bon, je vais pas vous la faire « perte du lien familial »
voire du lien social. Parce que ce serait pas vrai. Les mômes, ils fabriquent
du lien, sans voir que ça les coupe des liens utiles.. Parce que si tu as faim
au moment de l’entretien d’embauche….. Y’en a d’autres, remarque.. Je me
souviens d’un jeune homme de nationalité française et d’origine indéterminée
qui a failli me casser la gueule parce que je lui expliquais que malgré son
beau diplôme de libraire, l’accent qu’il se trainait lui interdisait de facto
tout accès à cette noble profession.. Clairement, je ne voulais pas qu’il parle
à mes clients avec l’accent qui ravissait ses copains. « Mais je parle
français » qu’il me disait. Ben non. Quand tu ne maitrises pas la musique
d’une langue, tu ne la parles pas. C’est un code commun qui doit fonctionner
partout. Sauf que « partout », pour lui, ça voulait surtout dire dans
son quartier. C’est là que tu vois que c’est mort. Quand les mômes n’imaginent
pas autre chose que leur univers. « Vous voulez que je parle comme à la
télé ? »..Non, je veux mieux, plus de vocabulaire, plus de nuances,
plus d’états de langue.. La télé, c’est une langue de pauvres. Là, j’étais
classé « méprisant ». Fin de partie.
Les marqueurs sociaux, c’est ça. Pas la peine de faire des
statistiques à la con ou des tests grammaticaux. La gamine, elle bosse, elle
réussira son test. Mais tu lui confieras pas ton standard téléphonique, tous
tes clients penseront que tu sous traites à une plate-forme d’appels en
Tunisie. Les profs, je les entends d’ici. Je suis vieux, ringard et dépassé, on
parle plus avec l’accent de Ronsard. Si. Dans plein de milieux. En général,
ceux qui embauchent. Mais quand tu as toute une classe comme ça ? He bé,
tu prends les meilleurs. Les autres, c’est mort. Fini. Foutu. Tu n’y es pour
rien, prof perdu dans un océan d’hypocrisie. Demande à tous les journalistes
vertueux et indignés s’ils prendraient tes mômes et leur accent au standard de
leur canard. S’ils accepteraient que le français approximatif soit bouffé par
une portion de pizza à quatre heures de l’après-midi. Que les avocats de la
multiculturalité leur donnent donc des jobs à ces gosses. Pas possible. Ils ont
pas le niveau.
C’est ce que je dis.
On en reparlera…
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