Externaliser. Ça fait quelques années que c’est le credo des
super gestionnaires. Externaliser, ça veut dire sous-traiter en novlangue. Mais
sans le « sous » qui dévalorise.
Externaliser, c’est filer à quelqu’un d’autre, moyennant
finances, un boulot qu’on peut faire soi même. En fait, c’est pas seulement une
question d’argent. Ça alourdit la structure, ça oblige à travailler sur des
sujets secondaires. Et donc, on en vient à des quêtions aberrantes, du
style : ne peut on externaliser la sécurité de l’armée ? Rien que
pour poser la question, faut être d’une connerie rare. On imagine de faire
assurer la sécurité de pros formés à ça par des amateurs plus ou moins doués,
mais surtout moins bien formés. On peut aussi choisir les pilotes de Formule 1
chez les chauffeurs d’Uber.
En fait, ce qui est inquiétant, c’est de filer à des
amateurs, les missions régaliennes qui ne devraient en aucun cas être objets de
lucre. Tiens, un exemple. Depuis un moment (j’ai pas trouvé quand, ce serait
éclairant), depuis un moment donc, le Ministère de Affaires Etrangères a
externalisé l’instruction des dossiers de visas. Tu vas me dire, ça existait
déjà, des officines où des mecs à la coule aidaient les impétrants à mettre la
bonne lettre dans la bonne case. Là, ça change de dimension. L’organisme choisi
est une compagnie de droit émirati, basée à Dubai et dirigée par un Indien qui
a du étudier à Oxford. Notons que la société en question, VFS Global, est une
société européenne : c’est la filiale à 100% du tour-opérateur suisse Kuoni.
Sur son site, elle annonce fièrement avoir aidé à l’acquisition de 155 millions
de visas. Il est vrai qu’elle traite aussi les demandes britanniques et
américaines.
J’imagine que le mignon PDG, si tu l’interroges sur la
sécurité, te sortira de beaux PowerPoint pur t’expliquer comment tout est sous
contrôle. Bon, dans le détail, il sait pas trop si le cousin de son responsable
au Caire est pas un peu lié aux Frères Musulmans ou si le beau-frère du
tamponneur de dossiers à l’ambassade de Pétaouchnok n’est pas un peu étranglé
par un crédit et que donc… C’est que dalle 155 millions de visas, juste un
paquet de Big Datas, dont tout un chacun sait que c’est maîtrisable et
maîtrisé. OK, on peut pas nier que sur le tas, y’aura peut être un
malintentionné qui pourra se glisser. Statistiquement, c’est peanuts.
Statistiquement, ça ne change rien jusqu’au jour où le malintentionné fera
péter un engin artisanal ou aidera au développement d’une filière. Moi, je me
sentirai mieux protégé si l’instruction des dossiers était confiée aux services
en charge de ma protection. Hé ! c’est cher ! Moins que ma vie.
Accessoirement, je remarque qu’on offre un rôle de premier
plan dans le tourisme à un voyagiste suisse qui sait qui veut aller où et peut
donc analyser mieux que quiconque les flux. Par rapport aux petits bras
français, y’a comme une distorsion de concurrence.
Et donc, je pose la question : est il bien raisonnable
d’affirmer que tout est fait pour nous protéger des flux quand on confie à un
mercenaire les clés de la porte ? Bien sûr, on allège le travail des
personnels en poste, bien sûr on évite d’avoir à alourdir la masse salariale
d’un Ministère. Mais gérer les entrées dans le pays, est ce un coût
mesurable ? Et doit on le mesurer exclusivement en termes
monétaires ?
C’est que tout est défait. Schengen permet de contourner
tous les systèmes nationaux, lesquels ont par ailleurs été mis à l‘encan. Toute
garantie qui nous sera donnée ne sera que bouillie de mots face au tissu troué
du réel. Ce que je ne comprends pas, c’est que les spécialistes ne disent rien.
Les journalistes ? Soit ils ne savent pas et n’ont pas
compris le système et ses failles, soit…. Restons polis.
En tous cas, inutile de commander un voyage à Kuoni. Leur
avenir est assuré.
On en reparlera…
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