mercredi 24 juin 2020

DEFENSE D’AMAZON

+ 26% pour Amazon pendant le confinement !!! Ça suffit pour que les chevaliers blancs du petit commerce enfourchent leurs destriers et enjoignent d’abattre le géant américain. Faut donc rappeler quelques évidences. Amazon a pris ses parts de marché en s’appuyant sur le marché du livre pour lequel j’ai quelques connaissances. Ce qui me permet d’affirmer qu’Amazon n’a pas tué la librairie laquelle s’est suicidée toute seule avec une désarmante bonne volonté.

1/ le premier coup de poignard fut porté par la loi Lang. Les libraires affirmaient, à juste titre, que le livre n’était pas une marchandise comme les autres et exigeaient qu’on le traite comme le roquefort ou les yaourts, sur le prix, ce qui est une infâme banalisation. Vision thatchérienne et incomplète cat ils n’ont pas osé aller plus loin en affichant le prix à la page (équivalent du prix au kilo du gruyère) qui aurait démontré que Pleiade était la collection la moins chère du marché.

2/ ils ont laissé croire que les maisons de la presse étaient des librairies alors que tout les sépare. Ce n’est pas parce qu’on vend des livres qu’on est un libraire. Le public en déduira qu’Auchan est un libraire. Ce qu’il a fait.

3/ ils se sont mis entre les mains des distributeurs en adhérant en masse au système des offices avec droit de retour.

Bref, ils ont abandonné tout ce qui faisait leur savoir de libraire, y compris dans ce qu’il avait de plus rentable, le mélange entre livres récents et livres épuisés et l‘importation de livres étrangers. Car, en librairie comme ailleurs, c’est le savoir qui crée la marge.

Les débuts d’Amazon furent difficiles. Dix ans de pertes. Bezos est un génie : se faire aider par les banques pendant dix ans relève du génie. Mais il a réfléchi. Il a confié l’analyse de sa boite à un surdoué, Kevin Anderson, qui en a extrait le principe de la Longue Traine. Règle : en matière de biens culturels, chiffre et marges sont créés par les échecs. Facile à comprendre : dans le temps où tu vends 100 exemplaires d’un best-seller, tu vends aussi 200 bouquins à l’unité dont le total est supérieur à celui des ventes du best-seller. Bezos a donc réorganisé Amazon pour bénéficier de la Longue Traine et la boite a enfin décollé. En suivant des habitudes de libraires qui savent que la demande client ne peut être satisfaite que par un stock colossal. Ce qu’un libraire entend le plus souvent est : « C’est une caverne d’Ali Baba chez vous ».

Ne rentrons pas dans le détail ou l’anecdote : Amazon affiche le plus important stock du monde ce qui est la caractéristique d’une bonne librairie. Amazon surfe sur l’abandon du métier de libraire par des milliers de libraires qui se mouraient avant que le géant américain ne porte le coup de grâce.

C’est beaucoup plus grave, en fait. Amazon tue les meilleurs. Prenons un exemple facile : Spinoza. Tout libraire sait qu’il est un éditeur spécialiste de Spinoza : Brill à Leyde. Avant Amazon, un seul libraire avait tous les ouvrages Brill dans son stock : Vrin place de la Sorbonne. Amazon pioche dans les ventes de Vrin et c’est grave parce que ça affaiblit la diffusion de la philosophie dans le pays.

Je n’ai pas suivi l’itinéraire d’Amazon. Mais s’ils ont bossé sur la mousse à raser comme sur le livre, ils boufferont aussi le marché de la mousse à raser. Ça arrive quand les gens réfléchissent.


Ce que ne font pas les chevaliers anti-Amazon.

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