mercredi 3 juin 2020

LA PROIE ET LE PRÉDATEUR

Ça buzze sur les réseaux sociaux… Un mec vient de sortir un livre affirmant que la Chine est un prédateur dont l’Europe est la proie. J’ai fait justice de cette sottise dans un petit livre refusé par une douzaine d’éditeurs depuis huit ans.

Oui, la Chine est un prédateur. Comme les USA, l’Allemagne ou n’importe quel pays désireux d’affirmer sa puissance. Mais l’Europe n’est pas la proie.

La proie nous la connaissons depuis le 1er octobre 1949 quand le PCC a pris le pouvoir à Pékin. Deng Xiaoping a remis une couche en 1976.

« Qu’importe que le chat soit noir ou blanc s’il attrape la souris ». Encore une histoire de prédation. Le chat est évidemment la Chine. Mais quelle est donc la souris ? L’Europe ? La proie est trop petite pour tenter le prédateur. D’autant que l’Europe est prise depuis longtemps dans le filet chinois qui a eu depuis dix ans l’occasion de se refermer à plusieurs reprises ans que rien ne soit entrepris.

La souris est plus grosse que l’Europe : il s’agit simplement du capitalisme, rien de moins. Mais alors, les U.S.A. ? Non. L’idéologie dominante. L’article 1 des statuts du PCC stipule que le but du Parti est d’assurer la victoire du socialisme à la chinoise, définition où le signe important est socialisme. Une Amérique socialiste fera très bien l’affaire. Pékin ne veut pas contrôler Des Moines. En fait, Pékin ne veut pas contrôler de territoire. Les concessions sont suffisantes.

J’admets. Ce n’est pas évident. Ce n’est même pas audible. Le présupposé est devenu invraisemblable car il suppose que le politique dirige l’économique ce que plus personne ne peut même envisager. L’économie chinoise est une économie d’Etat. Le capitalisme s’en accommode fort bien et les grandes banques d’Etat ont des succursales dans tout l’Occident et interviennent sur tous les marchés.

Lénine avait dit que les capitalistes vendraient la corde pour les pendre. Deng les connaissait mieux : il savait que les capitalistes pouvaient acheter la corde pour les pendre. Et depuis trente ans, la Chine multiplie les offres sur le prix de la corde.

Et depuis trente ans, bloqué par son arrogance construite sur des dividendes obscènes, le capitalisme assuré de son avenir historique, laisse tout faire. Le fossé idéologique n’a jamais été aussi profond entre une Chine, matérialiste, pétrie d’histoire et l’Occident qui se vautre dans le virtuel et moque l’expérience. On le touche du doigt avec le redémarrage de la conquête spatiale, financée par Silicon Valley au nom d’un transhumanisme qui n’existe que dans les rêves des dirigeants. Depuis vingt ans, la Chine a comblé son retard. Elle a entrepris la construction d’une station spatiale chinoise afin de ne rien partager avec le reste du monde. Il s’agit d’une conquête pas d’un Monopoly et une station spatiale n’est pas un laboratoire mais un pas de tir. Un laboratoire peut être financé par une coopération public-privé, pas un pas de tir.

Entendons nous bien. La Chine n’a aucun intérêt à créer un conflit interstellaire façon Star Wars. Elle veut simplement pouvoir dire Non. Non à l’exploitation des terres rares qui menacerait sa politique industrielle, par exemple. Pour le capitalisme, exploiter les terres rares est un moyen de créer des dividendes. Pour la Chine, c’est un moyen de contrôle. Le politique commande à l’économique.

Nous, Français, devrions comprendre. Depuis quarante ans, l’affaiblissement de l’Etat a conduit à l’affaiblissement du pays sans que la propagande (fainéants de fonctionnaires) n’y change rien. Nous avons refusé l’Airbus A-400 sur des raisons économiques, Et nos gigantesques commandes de masques ont été livrées par des Antonov russes. D’où la question : les B-747 étant en voie de destruction qui dispose aujourd’hui de gros porteurs capables de projeter une armée à l’autre bout du monde ? En Occident, la question sonne comme une grossièreté. On élude avec  délicatesse tout ce qui touche à la guerre.

D’ailleurs, l’élision est littéraire. La prédation remplace la confrontation. Il ne s’agit pas de se foutre sur la gueule mais de se laisser bouffer. Quand le guépard fouille dans les entrailles de la gazelle, on n’est pas dans la tendresse absolue. Mais l’image emprunte à la Nature quand la guerre est Culture.

Nous revoici dans Mythologies. L’idéologie petite bourgeoise qui naturalise la culture pour convaincre. Mais l’ENA ne lit pas Barthes.

Laissons le guépard bouffer la gazelle. Personne ne dira qu’affaiblie, dénutrie, la gazelle ne peut plus s’échapper, ni se défendre. Personne ne dira non plus que depuis plus d’un siècle, tous ceux qui ont voulu expliquer la Chine ont été muselés afin de préserver l’idée que notre système était le meilleur.

Personne n’a jamais parlé de Li Hongzhang depuis Jean Chesneaux. Et le sinologue conformiste à qui j’en ai parlé, m’a balayé d’un revers de pensée : Chesneaux s’est toujours trompé.

Quand on chasse le réel par la porte, il revient par la fenêtre.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire