vendredi 5 juin 2020

SE FAIRE BIAISER

Pauvre Ruth ElKrief…Comment qu’elle s’est faite renvoyer dans ses 22 par Panoramix !! J’avais honte pour elle, mais je dois admettre qu’elle a été un  toro brave. Plus elle en prenait, plus elle y retournait. Dans l’ensemble, Raoult a été sympa. Il a eu dix occasions de porter l’estocade dont il n’a pas profité.

Elle ne se rendait absolument pas compte du décalage épistémologique. Raoult l’a dit à plusieurs reprises, en termes assez galants. Quand un journaliste cite un journal scientifique de haut niveau et parlant de ses sources, commence à se remplir la baignoire du mensonge. Personne ne peut imaginer Madame Ruth lisant  Cell ou le NEJM au petit déjeuner. Elle a ses décodeurs qui lui disent ce qu’il faut lire et ce qu’elle doit comprendre. Ses vraies sources ne sont pas les périodiques qu’elle cite, mais les conseillers qu’elle a choisis et dont je ne sais rien. Elle ment sur ses sources. Tous les journalistes affirment qu’il faut protéger ses sources ce qui évite d’avoir à dévoiler les sources qui les protègent.

Le titre du décodeur semble une protection. Sur tous les plateaux, on a vu se promener les Professeurs de Médecine. Il y en a une tétrachiée dans le pays, donc y’a du stock. Ce qui permet d’interroger un urgentiste qui va intervenir en matière de microbiologie. C’est pas comme ça que ça marche. Il y a dans l’écosystème médical des affinités, des complicités, des coteries, des intérêts croisés, et même des histoires de cul qui dessinent des réseaux. Et là, je pense que Madame Ruth ne sait pas dévoiler l’écheveau.

Mais elle en joue parce que son salaire est décidé par ses auditeurs qui la veulent « sachante » même si elle sait peu ou mal. Et donc, elle se précipite vers le degré zéro du savoir : la statistique, cette merveille qui permet d’asséner des chiffres sur tout et n’importe quoi sans avoir rien à justifier. Avec la prime à la méthodologie qui devient déontologie pour se parer des plumes de l’éthique. Avec la fuite du toro quand la pique devient forte : et vous, si je vous propose un traitement et un placebo, que choisissez vous ? Ce n’est pas le problème. Ben si. C’est même le seul. Soigner.

En fait, Madame Ruth pense que les chiffres sont une passerelle qui lui permet de « conduire » son interview. C’est faux, évidemment. Raoult, il lui a fallu une petite demi-heure pout décrypter l’étude du Lancet : biblio, analyse des chiffres et de leur origine, un nom ici, une équipe là, plein de signes lui sont apparus à la lecture. Des signes qui ne parlent qu’aux pros, ce qui lui permet de conclure : « foireuse ».  Mais jamais ces signes ne sauteront aux yeux de Madame Ruth, car elle n’est pas une pro en virologie et parce que ses décodeurs n’ont pas attiré son attention. Sur le sujet, elle est comme le toro : limpio, naïve. D’où ma comparaison.

48 heures plus tard, le Lancet se rétractait. Ça arrive souvent qu’une revue se rétracte, mais rarement aussi vite. En général, ça vient un mois ou deux plus tard, sous forme de compléments ou de nouvelles informations.. A priori, il y avait le feu au lac.

Raoult, avec tact, l’avait prévenue : nous ne sommes pas dans le même écosystème. Elle doit avoir des lacunes dans l’écosystème des revues scientifiques. Dans la vie, il y a ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Raoult a vraisemblablement posé son arme sur la table. Et le Lancet creuse.

Toute étude a des biais. Mais si tu ajoutes les glissements sémantiques aux manipulations statistiques, t’as  intérêt à être bordé. Madame Ruth, elle croit que les journalistes sont légitimes quel que soit le sujet dès lors qu’ils pratiquent l’art de la synthèse qui est à la base de leur travail et qui leur permet de squelettiser une pensée pour plaire à ceux  qu’ils pensent être leur public. Et donc, elle se vautre et entraine dans son naufrage une gamine qui devra se reconvertir dans l’art du maquillage.

Elle oublie les bases. Elle a cité Hippocrate en oubliant Galien. Pour définir la médecine, Galien avait imaginé un triangle :  le malade, la maladie, le médecin. Trois singularités. Dix fois, Raoult l’a ramenée à la singularité. Le problème n’est pas de gérer des cohortes, mais de soigner des individus. Le problème est la médecine du talent, pas la médecine du chiffre. Dix fois, elle s’est dérobée, revenant à son écosystème et se ridiculisant.

Là où j’ai eu le plus de honte pour elle, c’est quand elle a demandé à Raoult s’il n’avait jamais pensé à émigrer et qu’il a répondu qu’il était la quatrième génération d’officiers de la Légion d’honneur. Sans insister.


Entre les deux, le fossé était béant.

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