lundi 29 juin 2020

LA PENSÉE NÉGATIVE

Période d’élections….¨Période favorable à l’introspection, surtout dans une petite ville. J’avais oublié. Beaucoup de candidats me sont connus. J’ai mon Jiminy Cricket avec moi. Il m’interroge ; et lui ? Tu n’y penses pas.. Il n’a qu’un neurone, et encore on lui a greffé.

Le jeu est facile : avec lesquels de ces candidats aimerions nous diner ? L’avantage, c’est que ça va pas nous détruire le budget.

Jiminy revient a l’essentiel, la littérature. On parle de nos favoris ; Céline, Cioran, Bernanos. Se profile ainsi une parenté : les auteurs qui savaient dans quel monde ils vivaient. Les auteurs négatifs. Race disparue. Ce sont les auteurs de la lucidité, ceux qui voient les dangers qui se profilent. Ceux qui consultent l’Histoire et la convoquent dans leur réflexion. Ceux qui ne cèdent pas aux sirènes de la modernité et appellent Sénèque au secours pour comprendre Macron.

Ils ne sont pas audibles. Souvent par la forme. La lucidité rend violent avec le temps qui passe et l’époque hait la violence. L’époque hait la haine et l’affiche sans cesse car elle a encagé la haine dans des lieux réservés à cet effet. On a le droit de haïr les groupes haineux. Je hais la haine et ma haine n’est plus haine car son objet est haïssable. Quand une réflexion commence ainsi, elle est intellectuellement morte.

Ils ne sont pas audibles. Souvent par leur culture. Cette culture sans cesse appelée au micro, mais toujours rejetée dès lors qu’elle existe, au motif de son élitisme. Il est inutile de parler de Jules César dans un groupe LBGT. César, le mari de toutes les femmes, la femme de tous les maris. Jules devrait être une icône. Mais, comme je l’ai entendu, personne n’a lu César. Pas grave, la formule est de Suétone que personne n’a lu non plus.

Ils ne sont pas audibles. La doxa leur est indifférente. Ils savent bien que les moutons vont en troupe. Eux sont des béliers et n’ont que faire de la taille du troupeau. Ils écrivent pour peu. Parfois, on se demande : écrivent ils pour quelqu’un ?

Il est temps de refonder le négativisme Jiminy me souffle à l’oreille : personne ne te lira.. Jiminy se trompe. Ils seront peu nombreux. J’en connais déjà quelques uns. Peu nombreux, il est vrai. Peu modernes, il est vrai également.

Nous sommes dimanche 28 juin. J’écoute les commentaires électoraux stupides. L’abstention augmente. Faux. Les Français de base, ceux avec qui je m’entends bien, ont déjà voté et ont élu leur Maire. Nous votons pour les maires des métropoles, la fausse France. L’abstention est urbaine, citadine. Car le citadin, je l’ai déjà écrit, veut le beurre et l’argent du beurre : il vote pour qui lui promet les deux et comme tous promettent les deux, il hésite, vacille et s’abstient. Les commentateurs me filent des boutons. Après avoir passé des mois à analyser les Gilets jaunes, ils les gomment de la réflexion et reviennent aux antiques logiciels. On s’oriente vers une vague verte. En ville. Il n’y a pas de vague verte dans la France périphérique. Et encore moins dans la France rurale : elle est déjà verte.

A Escos, il n’y a pas eu de second tour. Le premier tour enregistrait 86% de participation, en nette baisse par rapport aux 91% de l’élection précédente. Abstention ? A côté, à Labastide, 74% des habitants avaient voté au premier tour (baisse de neuf points, note le commentateur) pour porter à la mairie le frère de Maryse et le fils d’Albert, le menuisier. Abstention ?

La France, c’est ça. Un pays rural, émietté, une dentelle de territoires administrés par des individus qui bossent sur le curage des fossés et la réparation du mur du cimetière. Des individus oubliés, méprisés par une administration imbécile et des médias inconséquents. Des territoires qui échappent à la statistique et sur lesquels le discours de la science politique glisse sans trouver prise. Des territoires tellement nombreux, tellement divers qu’on ne sait pas comment les regrouper. Ils échappent à la discursivité ; il n’y a rien à en dire que puisse entendre la masse laquelle justifie les tarifs de la pub. La ruralité est économiquement transparente.

La pensée négative semble se draper dans les oripeaux de  Barrès ou Giono mais c’est une vision d’écolo. La ruralité est une incessante lutte contre la Nature, une lutte raisonnée devenue déraisonnable par la pensée quantitative. Les gestionnaires des villes s’opposent sur les moyens de gérer la campagne. En laissant les campagnards sur le bord de la route. Que l’on remplace l’instituteur par le bus de ramassage ou par le télé-enseignement est pareil : c’est enlever un homme à un lieu qui en a besoin.

J’ai vu disparaitre les instituteurs-secrétaires de mairie au nom de la rentabilité. Personne ne voulait voir que l’instituteur était d’abord un truchement, l’homme qui expliquait au responsable rural la volonté de l’administrateur urbain. Un lien entre discours opposés. Un lien humain, pas économique.

Jiminy m’écoute. Il sait de quoi je parle, il a été carassoneur. Métier ingrat, fatigant, indispensable au vigneron, non mécanisable, un métier de la terre. C’est l’homme qui vérifie, chaque année, les piquets de la vigne et la conduite de la plante, c’est à dire, in fine, sa production. Le métier n’existe pas dans les statistiques : on écrit « ouvrier agricole ».

Remettre l’homme au centre. Tout le monde en parle. Mais personne ne sait. Il faut simplement gommer le mépris. L’administrateur sciencepotard n’a plus besoin de l’instituteur truchement. Il a imposé son discours et méprise les autres.

La pensée négativiste ne méprise rien, sauf les égos surgonflés. C’est une pensée de l’erreur, plus encore de l’erreur créatrice, une pensée qui valorise la création quel que soit le chemin choisi.

Surtout s‘il est solitaire. Le chemin du bélier est toujours solitaire. Seuls les moutons, derrière, vont en groupe.



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