C’est un copain…un vieux. Il m’interpelle :
« Pourquoi tu t’énerves ? Pour Raoult, t’es pas sûr ».
Si, je suis sûr. T’es biologiste ? Non. Mon métier,
c’est libraire. Ha ! Tu
vois ! Ben non, couillon, c’est toi qui vois pas.
Libraire, t’apprends les livres. Tous les livres. C’est pas
possible !!
Ben si. Il y a dix ans, quand un quelconque truc m’a informé
sur Raoult, j’ai fait sa biblio. Réaction de libraire. T’as pas besoin d’y
passer trois plombes ; Elsevier, Springer, Masson, c’est que du très lourd
au niveau international. Le top du top de l’édition scientifique mondiale. Le
mec qui a une telle biblio, t’es sûr qu’il est bon. Tu peux affiner avec les
revues, mais en général, ça confirme. Raoult, y’a dix ans, il était déjà
critiqué dans les revues de merde, celle que tu trouves dans les maisons de la
presse, mais chez les scientifiques, approbation générale. En sciences, et
ailleurs, l’approbation des pairs est un signe pertinent. Y’a des exceptions,
mais on peut décrypter avec la biblio.
Faire la biblio est la première obligation, qu’il s’agisse
d’un auteur ou d’un sujet. La biblio pose l’auteur au cœur de son sujet. Si
Raoult avait publié Le coronavirus pour les nuls ; je serais méfiant.
Méfiant mais pas négatif : First est un bon éditeur et pour de nombreux
sujets (en langues par exemple) il a choisi les meilleurs auteurs possibles.
Mais il peut y avoir des erreurs et un excellent auteur peut faire un mauvais
livre, car le pire de First, c’est son public. Quand les canaux de vente
privilégiés sont Internet et les supermarchés, le danger est grand de confondre
vulgarisation et vulgarité. Il y avait a prendre la place de Que-Sais-Je ?
et First a pris le premier segment, le plus facile. Mais QSJ s’appuyait sur son
histoire qui manque à First.
Le fonctionnement actuel de l’édition est délétère. Ainsi de
Philippe Picquier. La naissance de
l’entreprise, ce fut une divine surprise. Tous les jeunes orientalistes
d’avenir étaient au catalogue et ont assuré un démarrage prometteur. Mais
ensuite, il faut tenir et continuer. Picquier était contraint de publier pour
conserver sa place Forcement, la qualité du départ n’est pas au rendez-vous,
d’autant que la concurrence explosa. Picquier est rentré dans le rang. Non
qu’il ait démérité. Il s’est un peu banalisé et on n’a pas tous les matins un
Pimpaneau pour caracoler en tête.
Parallèlement, la qualité des libraires a baissé. J’ai
découvert avec stupeur de jeunes libraires ignorant ce qu’est le Collège de
France. Mais ils connaissent les mangas !! Autant dire rien. Quand
j’écoute Mourad Boudjellal, je pense à Gaston Gallimard et je pleure. Et oui,
je suis snob, méprisant et arrogant et je vous emmerde.
Le libraire est un individu assis sur un univers de
références. Il sait que la pensée, surtout scientifique, est un chassé-croisé
universel, qu’une idée née à Paris a grandi à Yale et est revenue à Strasbourg
en passant par Pékin. Il sait que le monde du livre est une pyramide inversée
posée sur un seul ouvrage : la Bible de Gutenberg, analysée, commentée
avant que les analystes et les commentateurs ne soient eux mêmes analysés et
commentés et qu’il y a un lointain cousinage entre Raoult et Goscinny. Le
libraire nage avec bonheur dans ce monde de références et le décrypte, jour
après jour, sans jamais se lasser. S’il se lasse, ce n’est pas un libraire.
Tiens, revenons à Raoult. Sa bio affirme qu’il a passé un
bac littéraire avant d’intégrer la fac de médecine. Rara avis. En son temps,
pour faire médecine, la voie royale, c’était Math Elem ou Sciences Ex. Pour
compléter son cursus, il lui a fallu ruser : le choix des pathologies
émergentes le débarrassait de l’obligation statistique. A mes yeux, il est l’un
des derniers représentants de l’épistémologie européenne classique, celle où un
seul cas pertinent et bien analysé remplaçait une cohorte. Pour arriver à cette
conclusion, inutile de connaître les rickettsies ou les nanovirus. Il faut et
il suffit de comprendre la pensée. Pour ça, il y a la biblio et les catalogues.
La biblio !!! au temps d’Internet !! Mais oui. La
biblio est la niche écologique du scientifique. Et Internet rend le travail
aisé.
On en reparlera.
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