C’est devenu une sorte de mot-mantra. Il faut réformer. Qui
veut conquérir des voix, des parts de marché, se met à bêler : il faut
réformer. Bêler n’est pas insignifiant : si tu veux que suivent les
moutons, il est préférable de bêler.
Revenons donc à ce mot de « réforme » qui porte
l’ignominieux fardeau du glissement sémantique. Il apparaît au XIIème siècle à
propos de Bernard de Clairvaux qui réforme le système monastique.
Comprenons : re-former, former à nouveau, c’est à dire revenir aux fondamentaux en dégageant les
éléments nouveaux qui perturbent l’ensemble. Sens qui a duré jusqu’à nos
jours : au XVIème siècle, Luther réforme l’église pour revenir à l’esprit
d’origine du christianisme. En 2020, le sens se poursuit : les protestants
sont groupés au sein de l‘Eglise Réformée de France.
Réformer, c’est donc, au départ, revenir en arrière,
nettoyer les scories de la modernité. Avec la Réforme, les parpaillots
reviennent à l’Ancien Testament et exhument les psaumes. Ezéchiel bouscule
Matthieu.
Les premiers sens de « réforme » suivront cette
voie sémantique. On réforme ce qui ne vaut rien : les hommes, les chevaux,
le matériel. Jusqu’aux années 1950, les conseils de révision réforment les
jeunes gens qui ne sont pas « bons pour le service ». On n’a pas le
temps de les former, alors on les réforme.
Le grand remplacement interviendra dans les années 1960.
Alors que pour un conscrit la réforme était la honte suprême, elle devient une
sorte de brevet de modernité. On ne réforme plus pour les pieds plats, les
scolioses graves ou les problèmes pneumologiques. Freud est passé par là et la
réforme P4 pour difficultés psychiatriques triomphe. L’Armée lutte peu ;
elle sait bien que les réformés P4 ne veulent pas être formés et que leur
recrutement social va l’obliger à perdre du temps avec des problèmes qui ne
sont pas de son ressort, à gérer des interventions de parlementaires, à
s’adapter pour que le jeune conscrit soit proche de sa maman. Pour le dire
simplement, les P4 sont de petits bourgeois à problèmes dont l’armée n’a pas
besoin.
C’est l’époque où le glissement sémantique se met en place.
C’est aussi l’époque où Barthes montre, dans Mythologies, comment l’idéologie
petite bourgeoise remplace le savoir par le mythe. Ce n’est pas innocent. La
réforme perd toute connotation négative car le vocabulaire militaire est
totalement dévalué. Et logiquement, réforme va devenir synonyme d’amélioration.
Les penseurs parpaillots façon Ellul ou Barthes vont suivre : être
réformé, c’est être meilleur. Même si on doit gommer la dimension historique du
mot.
On le voit bien avec le projet de réformer l’ENA qui va bien
avec le désir d’éliminer le CNR d’un débat national.
L’ENA avait un but assigné par le CNR : former l’élite de
l’administration, des sortes de « hussards noirs » qui irriguaient
tout le monde administratif. A cette époque, dans les villages, l’instituteur
était souvent le secrétaire de mairie et ça fonctionnait plutôt bien. Il y
avait une logique à développer le système en permettant aux petits
fonctionnaires d’irriguer la fonction publique.
Macron et ses stipendiés ne sont pas Bernard de Clairvaux ou
Luther. Ils ne voient pas le biais essentiel : l’école formée pour
structurer l’administration a envahi le capitalisme et gère désormais le CAC
40. Preuve de sa qualité : des hommes formés au bien public et au temps
long s’adaptent aux intérêts privés et au temps court.
Revenir à l’esprit de la réforme n’est pas difficile. Il
faut et il suffit de couper les passerelles. Une simple interdiction du
« pantouflage ». Tu choisis. A vie. Public ou privé. Avec un peu de
coercition : des amendes, lourdes, pour qui choisit le privé. Un peu de
prison pour qui choisit le privé ET atteinte aux intérêts de la Nation. Par
exemple, un énarque qui choisirait de rejoindre une banque d’affaires pourrait
devenir inéligible. C’est juste un exemple. Tu choisis : business ou
politique afin d’éviter le mélange des genres qui est destructeur de lien
social. Inéligibilité également pour tout énarque ayant participé à une
opération de privatisation, c’est à dire ayant transféré au privé un morceau de
richesse publique. L’Etat n’a pas à former ceux qui le dépouillent.
A ce propos, regarder les privatisations approuvées par
Mélanchon, ministre de Jospin, reconverti en héraut des nationalisations. Le
mec qui veut remplir à nouveau les poches qu’il a vidées.
Et donc, réformons. Revenons aux idées anciennes. Nettoyer
peut être améliorer. Ça suppose un peu de savoir et un peu de réflexion. Bon
sujet pour les énarques en formation. Comment préférer les intérêts de l’Etat
qui me forme à mes intérêts personnels ?
On en reparlera…
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