La forme est essentielle. J’écoutais les échanges de Macron
dans ce quartier de Mulhouse. Les paroles comptaient peu finalement. On le
verra quand les propos seront rapportés, et donc transcrits. Entre le Président
et ses interlocuteurs, c’est la musique qui brouillait le message. Je me dois
de faire mes remarques avant d’être cloué au pilori (étant précisé que je sais
ce qu’est un pilori et je sais qu’on n’y cloue pas). Mais, bon, il y a
prescription.
Comme beaucoup, j’ai eu à embaucher des gens. J’embauchais
des libraires, et donc des gens censés savoir ce qu’est la langue française. On
embauche des vendeurs, non pour un poste, mais pour des clients. J’ai eu des
candidats avec l’épouvantable accent des interlocuteurs macron-compatibles. Je
n’en ai embauché aucun. A la seule idée qu’ils puissent parler à mes clients,
j’avais la nausée. J’avoue être sociomarqué. Et je me disais : pas la
peine que Macron se décarcasse. Pas un commerçant, pas un artisan n’embauchera
des mecs qui parlent comme ça.
Après quoi, vient la réflexion. Francine venait du Québec et
dès qu’elle avait dit Bonjour, on le savait ; Fatima était ivoirienne et
musulmane, elle avait le même accent que Senghor, je veux dire aucun
accent ; moi, en fonction de l’interlocuteur, je libérai mes inflexions
gasconnes, ou pas. Je n’ai donc rien contre l’accent. Sauf celui-là. Celui-là,
il sent la cité, l’inculture et les trafics, la tablette plus que le livre. Il
est puissamment territorialisé mais pas régionalisé. J’aime beaucoup l’accent
alsacien, c’est un peu lié à mon histoire. Mais là, on était à Mulhouse et les
types parlaient comme à Saint Denis.
J’ai longtemps cru que l’accent était « naturel »
jusqu’à ce que j’apprenne que l’accent n’existait pas en russe. On parle pareil
de la Carélie au Kamtchatka, sur neuf fuseaux horaires, ça relativise le côté
naturel de l’accent. Seconde leçon : il existe, en français, un accent
géographiquement marqué sans que cela ait à voir avec la région. Je repense au
vieux Martinet qui nous parlait des accents différents de la région parisienne,
comme quoi on mouillait plus certaines sonores dans la vallée de Chevreuse.
C’était pas un bon axe de recherche. Je repense aussi à Zink, l’alsaco qui
stigmatisa un jour mon accent tonique aturin.
Alors Macron il parlait statistiques, formation, Pôle
Emploi. Il ne lui est venu à l’idée de dire « Hé, Brother, avec ton
accent, pas la peine que tu cherches. Surtout qu’au football, les équipes sont
pleines et que dans le rap, ça risque de pas le faire ». L’un des mecs, en
face, plaidait pour les innombrables talents que l’on trouve en banlieue. Il
causait comme Apolline de Malherbe, avec l’accent en plus. Puis il récriminait
contre la stigmatisation avec les mots de la petite Belkacem. Personne ne lui a
jamais expliqué que la stigmatisation était un moyen de marquer les esclaves au
fer chaud et qu’être esclave d’un discours dominant pouvait justifier
l’invention d’un stigmate, ni même que son accent était un stigmate librement
choisi.
La langue est un trait d’union entre les citoyens, surtout
avec l’utilisation de l’accent, cet accent qui ajoute encore à la
proximité : tu viens d’ailleurs, mais on est semblable. Trait dominant qui
permet au kabyle Dany Boon d’être le fils de Line Renaud. Avec une évidente
sincérité. On peut lutter contre les langues régionales alors que leurs
locuteurs sont majoritairement bilingues et ne cessent de s’engueuler. En
français.
Je suggère à Macron de trouver un jeune linguiste de qualité
qui essaiera d’expliquer pourquoi cet accent signe le séparatisme avec une
pertinence implacable. Je me trouvais un jour empêtré dans un problème
administratif. Je fis semblant de m’énerver et je hurlais « Hostia »
avec l’accent qui convenait. « Vous venez d’où ? » s’enquit le
fonctionnaire dont j’avais lu subrepticement le nom sur une enveloppe à lui
adressée. Dix minutes plus tard, la solution était trouvée. Entre Basques
exilés à Paris, n’est ce pas ?…. Miracle de la linguistique.
Je vais pas vous refaire le coup d’Esope mais réfléchir à la
langue, dans tous ses aspects, accent inclus, n’est pas toujours inutile. Faut
juste pas avoir peur des marqueurs que la langue révèle. Et choisir les
mots : un marqueur n’est pas nécessairement un stigmate.
« Mal nommer, c’est ajouter au malheur du monde »
disait Camus. Cessons donc de stigmatiser, ça libérera les esclaves du sens. Et
ça annulera les éléments de langage qui sont les chaines où s’empêtrent les
politiques.
On en reparlera…..
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