mardi 18 février 2020

LE SÉPARATISME ET L'ACCENT

La forme est essentielle. J’écoutais les échanges de Macron dans ce quartier de Mulhouse. Les paroles comptaient peu finalement. On le verra quand les propos seront rapportés, et donc transcrits. Entre le Président et ses interlocuteurs, c’est la musique qui brouillait le message. Je me dois de faire mes remarques avant d’être cloué au pilori (étant précisé que je sais ce qu’est un pilori et je sais qu’on n’y cloue pas). Mais, bon, il y a prescription.

Comme beaucoup, j’ai eu à embaucher des gens. J’embauchais des libraires, et donc des gens censés savoir ce qu’est la langue française. On embauche des vendeurs, non pour un poste, mais pour des clients. J’ai eu des candidats avec l’épouvantable accent des interlocuteurs macron-compatibles. Je n’en ai embauché aucun. A la seule idée qu’ils puissent parler à mes clients, j’avais la nausée. J’avoue être sociomarqué. Et je me disais : pas la peine que Macron se décarcasse. Pas un commerçant, pas un artisan n’embauchera des mecs qui parlent comme ça.

Après quoi, vient la réflexion. Francine venait du Québec et dès qu’elle avait dit Bonjour, on le savait ; Fatima était ivoirienne et musulmane, elle avait le même accent que Senghor, je veux dire aucun accent ; moi, en fonction de l’interlocuteur, je libérai mes inflexions gasconnes, ou pas. Je n’ai donc rien contre l’accent. Sauf celui-là. Celui-là, il sent la cité, l’inculture et les trafics, la tablette plus que le livre. Il est puissamment territorialisé mais pas régionalisé. J’aime beaucoup l’accent alsacien, c’est un peu lié à mon histoire. Mais là, on était à Mulhouse et les types parlaient comme à Saint Denis.

J’ai longtemps cru que l’accent était « naturel » jusqu’à ce que j’apprenne que l’accent n’existait pas en russe. On parle pareil de la Carélie au Kamtchatka, sur neuf fuseaux horaires, ça relativise le côté naturel de l’accent. Seconde leçon : il existe, en français, un accent géographiquement marqué sans que cela ait à voir avec la région. Je repense au vieux Martinet qui nous parlait des accents différents de la région parisienne, comme quoi on mouillait plus certaines sonores dans la vallée de Chevreuse. C’était pas un bon axe de recherche. Je repense aussi à Zink, l’alsaco qui stigmatisa un jour mon accent tonique aturin.

Alors Macron il parlait statistiques, formation, Pôle Emploi. Il ne lui est venu à l’idée de dire « Hé, Brother, avec ton accent, pas la peine que tu cherches. Surtout qu’au football, les équipes sont pleines et que dans le rap, ça risque de pas le faire ». L’un des mecs, en face, plaidait pour les innombrables talents que l’on trouve en banlieue. Il causait comme Apolline de Malherbe, avec l’accent en plus. Puis il récriminait contre la stigmatisation avec les mots de la petite Belkacem. Personne ne lui a jamais expliqué que la stigmatisation était un moyen de marquer les esclaves au fer chaud et qu’être esclave d’un discours dominant pouvait justifier l’invention d’un stigmate, ni même que son accent était un stigmate librement choisi.

La langue est un trait d’union entre les citoyens, surtout avec l’utilisation de l’accent, cet accent qui ajoute encore à la proximité : tu viens d’ailleurs, mais on est semblable. Trait dominant qui permet au kabyle Dany Boon d’être le fils de Line Renaud. Avec une évidente sincérité. On peut lutter contre les langues régionales alors que leurs locuteurs sont majoritairement bilingues et ne cessent de s’engueuler. En français.

Je suggère à Macron de trouver un jeune linguiste de qualité qui essaiera d’expliquer pourquoi cet accent signe le séparatisme avec une pertinence implacable. Je me trouvais un jour empêtré dans un problème administratif. Je fis semblant de m’énerver et je hurlais « Hostia » avec l’accent qui convenait. « Vous venez d’où ? » s’enquit le fonctionnaire dont j’avais lu subrepticement le nom sur une enveloppe à lui adressée. Dix minutes plus tard, la solution était trouvée. Entre Basques exilés à Paris, n’est ce pas ?…. Miracle de la linguistique.

Je vais pas vous refaire le coup d’Esope mais réfléchir à la langue, dans tous ses aspects, accent inclus, n’est pas toujours inutile. Faut juste pas avoir peur des marqueurs que la langue révèle. Et choisir les mots : un marqueur n’est pas nécessairement un stigmate.

« Mal nommer, c’est ajouter au malheur du monde » disait Camus. Cessons donc de stigmatiser, ça libérera les esclaves du sens. Et ça annulera les éléments de langage qui sont les chaines où s’empêtrent les politiques.


On en reparlera…..

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