jeudi 11 février 2016

HUGO ET LE CORBILLARD

C’est pas pour dire, mais il faut arrêter avec l’avalanche de sottises qu’on entend sur les transports scolaires depuis deux jours. C’est pourtant simple, il suffit d’ouvrir les yeux.

Jadis, quand j’étais petit, il n’y avait aucun accident de bus scolaires. Tout simplement parce qu’il n’y avait pas de bus scolaire. C’était mieux. Il y avait des écoles. Des écoles partout, des écoles où on pouvait aller à pied, même quand il neigeait.

Or donc, depuis trente ans, au moins, au motif de faire des économies, des écoles ont été fermées partout. Il était moins onéreux d’organiser des transports scolaires. Ils étaient tous d’accord les ministres, Chevènement, Jospin, Lang, Bayrou, Allègre, Ferry, Peillon, Hamon et leurs conseillers.

Je passe sur les heures de sommeil enlevées à nos gosses. Forcément, quand t’as une heure de bus au lieu de cinq minutes de marche, tu dors moins. Pas grave, les parents sont certains que la faute en est aux rythmes biologiques déglingués par l’heure d’hiver (ou d’été, c’est selon).

Aucun de ces gros nazes n’a vu que, mettre des gosses sur la route pouvait représenter un danger. Au contraire, ça montrait qu’on savait gérer et organiser. Tuer aussi, parce que la route tue. Tout homme public qui a fermé une école a mis en danger la vie des enfants. Je crois que la mise en danger de la vie d’autrui est punissable.

Mais, meeeh, vont bêler les cuistres, on peut pas garder une école et un instituteur dans un village pour cinq mômes ! C’est trop cher !

Bon, ben c’est simple. Tu fais le total des économies, tu divises par le nombre d’enfants tués et tu obtiens le prix d’un enfant. Après quoi, je te laisse aller annoncer aux parents que le petit qu’ils vont enterrer il coûtait tant.

Surtout que le coût des transports scolaires étant pris en charge par la collectivité, je suis pas sûr que le prix soit si élevé. Faut voir.

C’est ça la gestion à courte vue, celle qu’on subit depuis que les polytechniciens ont remplacé les normaliens dans les ministères. Vous voyez pas la différence ? Un polytechnicien c’est un mec pour qui « il neigeait » est une explication climatique à un problème. Pour un normalien, c’est le début d’un poème de Hugo.

Remarque la suite du vers, c’est « on était vaincu par sa conquête ». Je trouve que ça va bien avec la circulation routière.

On en reparlera…

jeudi 4 février 2016

APATRIDE

On dirait une maladie honteuse. Pourtant, celui qui m’en a parlé le mieux, c’est Adrian, mon vieil Adrian à qui je rapportais du lomo chaque fois que mes pas m’amenaient sur les routes du Sud. Pas que du lomo d’ailleurs, mais ça nous entrainerait trop loin, du côté de Sanlucar de Barrameda et de l’usine Barbadillo.

Adrian avait été apatride. Il en était fier. Tout comme sa femme. Ils avaient fui l’Espagne franquiste. Le Caudillo, c’était pas trop leur verre de fino. Arrivés en France, ils demandent l’asile. Pas de problèmes. Sauf que l’Espagne les rejette. Sont pas à nous. Quelque chose comme ça. Des fois, il suffit de pas répondre.

Nous, on accueillait les Espagnols mais eux, ils étaient plus Espagnols. Et donc vu qu’on pouvait pas les accueillir, ils ont eu leurs belles cartes d’apatrides. Parce que apatride, c’est un statut. Ils ont pu bosser, ouvrir leur cours de danse, avoir la Sécu, cotiser pour la retraite et même acheter leur appartement. Vu qu’on est un grand pays, on leur a même accordé le privilège de payer des impôts.

Le hic, c’était pour voyager. Parce qu’une carte d’apatride, c’est pas un passeport. Pour ce qu’on appelait alors le Marché Commun, pas de problèmes. C’était bien, vu qu’ils avaient des engagements dans les pays où il y avait des théâtres : Allemagne, Italie, Belgique…Le Zimbabwe leur manquait pas.

L’apatridie a duré un peu plus de dix ans. Ils ont fini par accéder à la nationalité française. Adrian s’en foutait. Il se sentait international. Si la danse avait été un pays, ç’aurait été le sien. Après la mort de Francisco, il aurait pu revenir. Mais voilà, comme il me disait : la mort ne change rien. Sous Franco, y’avait Fraga Iribarne et Aznar. Après aussi. Maintenant ma vie est ici.

En ces temps de discussions excessives, je pense beaucoup à Adrian. Forcément. A son séjour chez les privés de nation. Comment aurait il réagi ? Je suis bien obligé de constater que ceux qui hurlent après l’apatridie se retrouvent souvent dans les rangs des conchieurs de nations. Ho ! les mecs ! si la nation est insupportable, l’apatridie est un soulagement, non ?

Ou alors, c’est qu’on ne peut pas priver quelqu’un de nationalité parce que la nationalité est consubstantielle aux groupes humains.

Bref, j’ai le sentiment qu’on est, encore et toujours, dans le plus grand bordel intellectuel qui soit.

C’est pas vrai. Intellectuel suppose qu’on réfléchisse.

On en reparlera…