mercredi 27 juillet 2011

BAYONNE-BRUXELLES-LHASA

J’ai une voisine sympa. Je lui dit où je suis né, elle s’extasie : « Ah, oui ? mes beaux-parents, aussi, ils sont Bayonnais ». Du coup, j’extasie en miroir : « Génial ! comment ils s’appellent ? ». Un nom que je connais pas. Pourtant, je les connais mes concitoyens. « Normal, qu’elle me rétorque, ils se sont installés il y a cinq ans quand ils ont pris leur retraite ».

Bon. Des allochtones qui s’auto-proclament autochtones. Au fond de moi, ça me gratouille un peu. Au XVIIème siècle, mes ancêtres sont meuniers à Aritxague. Je me sens quand même un peu plus Bayonnais que les néo-retraités. Je dis rien, parce que c’est pas bien, surtout en ce moment ousqu’il faut pas faire entrer l’Histoire dans le débat sur la nationalité. Comme si la Nation n’avait pas d’Histoire. Je me force, je cherche à me convaincre. Mais ça me gratouille quand même….

J’ai un copain sympa. Il s’indigne : « Tu te rends compte ? Les Chinois, ils envoient plein de Chinois pour coloniser le Tibet. Des gens qui sont même pas Tibétains ! Alors, forcément, ça biaise les élections, le Tibet va disparaître sous la masse des émigrés étrangers ». J’approuve, je comprends. Et pas qu’un peu, je fais pas semblant. La situation, je la connais. Voir ci-dessus….

Ho ! c’est pas pareil… Moi, je vois pas la différence. Un pouvoir central qui favorise l’installation d’allochtones (attention, c’est pas des étrangers, faut choisir les mots), que tu sois à Lhassa ou à Bayonne, le résultat est le même. Mais le gouvernement français ne favorise pas ! Il s’oppose pas non plus. Même si ça crée des distorsions sociales, même si ça fait flamber les prix au point que les autochtones ne peuvent plus se loger, même si l’économie change doucement de mains. Au bout du bout, l’autochtone, il se sent viré de chez lui. Hé ! me dit mon copain Gérard, Niçois d’adoption et né à Tulle, je suis chez moi à Nice, c’est la France. Admettons. Admettons en miroir que le Han du Guangdong qui s’installe à Lhassa, il est chez lui vu que Lhassa, c’est la Chine. Ha, non ! Ça, on peut pas l’admettre. Il doit y avoir une sorte d’exception culturelle tibétaine. Un truc qui marche au Tibet mais qui marche pas au Pays basque ou à Nice. Faudra m’expliquer….

Quand tu te maries, tu échanges les consentements. Faut être deux à être d’accord. Pareil quand tu divorces. Et si les deux sont pas d’accord, la justice intervient. Plus ou moins vite. Mais ça, c’est réservé aux personnes. Pour les groupes sociaux, ça marche pas comme ça.

Prends Mayotte. On a demandé aux Mahorais s’ils voulaient être Français. Plébiscite. Oui à plus de 99%. On n’a rien demandé aux Français. C’est un mariage sans consentement mutuel. Peut-être que les Français, ils ont pas envie que Mayotte soit française, va savoir. C’est pareil pour tout. C’est vrai que les mariages forcés, ça marche parfois. Ou que ça marche un temps et après, ça marche plus.

Les consultations dites populaires, elles sont toujours biaisées parce qu’on ne consulte jamais les deux parties. Ou que les corps électoraux ne sont plus vraiment représentatifs. Des fois, je pense à Siné. J’ai toujours adoré Siné, son anarchisme, son anti-cléricalisme. Siné, le conchieur de la Nation. Sauf quand on a fait sauter sa maison en Corse. Alors, là, ça allait plus du tout ! Siné, il s’est emparé de la Nation comme d’un bouclier. Il était chez lui, en Corse, non mais !!!!! Pas un instant, il ne lui est venu à l’idée qu’il était en Corse comme un colon israélien en Palestine. Ou, à tout le moins, qu’il était perçu comme ça. Les grands principes, c’est toujours à géométrie variable.

On pourrait imaginer des consultations quasi-matrimoniales : d’un côté, on demande à un groupe « Voulez-vous vivre avec la France ? » et de l’autre, on demande aux autres groupes « Voulez vous vivre avec ceux-là ? ». Si tout le monde dit « Oui », banco ! on entérine. Si un groupe dit « Non », on se sépare. Peut-être qu’on aurait des surprises.

Bon, la mondialisation est passée par là. Il y a quinze ans, au Pays basque, près de 80% des habitants voulaient un département basque. C’est pas l’indépendance, un département. Juste une modification administrative. Une modification qui, par parenthèse, faisait partie des 101 promesses du candidat Mitterrand. On l’attend encore.

Aujourd’hui, le pourcentage a baissé. Les allochtones, ils se foutent totalement de ce symbole là. Et plus, il y aura d’allochtones, plus le pourcentage baissera. Comme au Tibet.

On en revient, encore et toujours, au problème du territoire. Y’a plein de géographes qui voient encore le territoire comme un état des lieux et qui lui dénient tout sens historique. Ils ne pensent pas qu’il faille songer au XIIIème siècle quand on planifie une autoroute. Ce qui n’empêche pas de poser, comme des crottes historiciennes, des panneaux au bord des autoroutes pour rappeler les richesses historiques des lieux.

Que la matière d’un homme puisse être historique aussi n’effleure plus personne. Tout simplement parce que l’Histoire complique les choses et n’est pas réductible à une base de données. Notre époque n’aime pas ce qui est compliqué.

Mais l’Histoire, elle est là. Elle gratouille sans cesse. C’est elle qui fait dire à certains, aux racines avérées, qu’ils sont plus Français que d’autres, ceux qui viennent de passer la porte. Mais c’est juridiquement faux ! Bien entendu. Il n’empêche que ça gratouille, que la trace est là et que personne ne peut la gommer. On peut mettre des mots, parler de communautarisme, de chauvinisme, d’égoïsme, de racisme. On peut approuver ou rejeter, on ne peut pas nier l’Histoire. Et on ne peut pas nier que l’Histoire n’est pas équivalente et que sa lecture n’est pas la même. Pour moi, l’esclavage est un objet d’études, un peu froid. Pour mes copains antillais, c’est beaucoup plus présent. Il m’arrive de déconner avec. Eux, ils ont pas le même sens de l’humour.

C’est encore plus prégnant quand il s’agit de territoires. Un territoire, ce n’est pas abstrait. C’est des siècles d’utilisation, de mariages, de labours. C’est une culture, une langue, des musiques, des odeurs de cuisine. Des signes impalpables et qu’on s’approprie. Du ressenti mêlé à du savoir. Un ensemble qu’on ne peut partager qu’avec ceux qui en ont les codes, c’est à dire avec nos semblables. Le beau-père de ma copine qui s’autoproclame Bayonnais, que ressentira-t’il s’il entend dans un bistro du Petit Bayonne quelqu’un entonner le chant des Tilholiers ? Que sait-il des tilholes, ces embarcations chargées de vider les bateaux ancrés sur le fleuve ? Que sait-il des tilholiers, nom donné dès la Renaissance aux lamaneurs de la ville ? Et s’il sait, réagira t’il comme moi dont un ancêtre était jurat de la corporation ?

Peut-on passer sur ces différences ? Peut-on gommer l’Histoire ? Peut-on considérer comme négligeable ce mélange de faits historiques et d’expériences personnelles ? Qu’on le veuille ou non, l’allochtone sera toujours considéré comme un autochtone au rabais par les autochtones ancrés dans leur Histoire. Il ne sert à rien de s’indigner, de protester ou de refuser. C’est juste un fait.

Le citoyen du monde n’existe pas. Celui qui est de partout n’est de nulle part. Ce peut être une posture intellectuelle mais elle est immensément minoritaire. La plupart des citoyens sont ou se veulent d’un territoire. Ils grattent, fouillent, cherchent. Les plus concernés vont faire de la généalogie ou de l’Histoire. On va se choisir un territoire. On sera Belge ou on se bornera à être Flamand. On sera Basque ou on voudra se préciser Souletin. On élargit ou on rétrécit son champ d’appartenance, c’est à dire son territoire. Mais, dans tous les cas de figure, on le délimite. On peut dire aussi qu’on le limite. Ben oui, on a le droit d’être limités.

Ce territoire limité sera souvent brandi comme un drapeau. C’est d’autant plus facile que la médiatisation y pousse, que la politique y aide. C’est d’autant plus facile que le vocabulaire courant est imprécis, presque vulgaire. Tiens, reprenons les Antilles. C’est quoi être Antillais ? Haïtien ? Ben oui. Jamaïcain ? Aussi. Cubain ? Evidemment. Antillais, c’est une appartenance géographique. Alors ? Antillais de France ? Mais ce peut-être un Dominicain vivant à Strasbourg. Français des Antilles ? Ce peut être un Béarnais vivant à la Guadeloupe. Bref, c’est un bordel sémantique. Mais dès qu’on fait appel à l’Histoire, ça se range, ça s’ordonne.

On en reparlera…..

mardi 19 juillet 2011

LA BELGIQUE, UN EXEMPLE

Ainsi donc, le Roi des Belges vient de piquer une grosse colère. Après un an sans gouvernement, il est temps…..

Il a piqué une grosse colère et le chef nationaliste flamand, Bart de Wever, l’a envoyé sur les roses. Bart, il veut l’indépendance. Tous les gens sérieux affirment que c’est pas possible. Bart, il s’en fout. Et il est vachement sérieux. Vachement calme aussi. Le Roi se demande s’il va pas organiser de nouvelles élections pour sortir de l’impasse. En même temps, il sait qu’il court un risque : se retrouver à nouveau avec Bart majoritaire. Pour sortir d’une impasse, il faut faire marche arrière.

Inutile de se poser des questions existentielles. Bart de Wever est un chef politique. Et les électeurs (le peuple, les citoyens, choisis le mot), les électeurs adorent les chefs. Inutile de hurler, de dire que c’est pas bien, que c’est une dérive, que c’est la porte ouverte à la dictature. C’est juste un fait. Juste un fait qui peut, effectivement, conduire à la dictature. Et même que dans plein de cas, le peuple (les électeurs, les citoyens, la majorité) adore cette dictature. Le peuple, il a plébiscité Napoléon III, Hitler ou Mao Dzedong. OK, c’est pas tout à fait pareil. Mais c’est bien proche quand même.

Le peuple, on lui donne le droit de choisir son chef. Alors, il choisit un chef. Il a besoin d’un mec qui prend des décisions difficiles, qui lui donne des réponses nettes. Il aime qu’on lui montre une route. Il aime qu’un chef soit un chef. Sartre a bien écrit sur le sujet.

Celui qui gagne, c’est pas le plus compétent, le plus humaniste, le plus raisonnable, c’est celui qui montre ses biceps. Chirac face à Jospin. Sarkozy face à Royal. Et plein d’autres : Reagan, Thatcher et même Schwarzenegger qui, lui, en avait des biscottos. C’est pas un problème de sexe (Thatcher, Merkel), c’est un problème de volonté affichée.

Un chef, ça hésite pas, ça réfléchit pas, ça dirige. C’est pas interdit de réfléchir mais faut pas le montrer. C’est pas interdit d’hésiter à condition que ça reste caché. Comme c’est pas interdit d’en faire baver les citoyens, à condition de gagner. Voir Churchill…

Le peuple (les électeurs, les citoyens) n’est pas con. Il voit bien quand, au bout de quelques mois ou quelques années, le chef n’a pas tenu ses promesses. Quand le chef ne maîtrise pas la situation, qu’il est englué dans le réel. « Que de la gueule ! » pense le peuple qui se détourne alors, s’il en est encore temps.

Les gens raisonnables sont scandalisés : Bart de Wever conduit à l’éclatement de la Belgique. Ben, tiens ! C’est ce qu’il a promis à ses électeurs. Plus, il dit non, plus ses électeurs sont convaincus d’avoir fait le bon choix. Plus il casse le jeu, plus il engrange de voix . Pourquoi devrait-il respecter des règles qu’il dénonce ?

Mais, mééééh, bêlent les commentateurs, les règles sont universelles. Justement. C’est bien pour ça que les peuples les refusent. Le Flamand, il a pas envie de règles qui s’appliquent dans le Wisconsin. Le citoyen, la mondialisation, il n’en veut pas parce qu’il ne se sent pas citoyen du monde, qu’il ne se sent rien de commun avec des gens qui ne parlent pas comme lui, qui ne prient pas comme lui, qui ne pensent pas comme lui, qui ne bouffent pas comme lui, qui vivent sur un autre territoire que lui.

C’est humain. Quelques pseudo-intellectuels nous disent que c’est con. Attali, par exemple, qui se demande qui sera capable de diriger le monde. Attali, il est tellement intelligent qu’il s’imagine que les citoyens ont envie de règles communes, que le Lapon se sent proche du Pygmée ou que le taliban va faire la bise au Dalaï-Lama. Foutaises ! Nous sommes tous des enfants de nos terres, de l’histoire de nos terres, nous sommes fils de nos langues, de nos traditions culinaires. Pour faire littéraire, j’écrirais bien que nous sommes tous fils du Soleil. Et c’est vrai que quand t’es né à Kiruna, t’as pas le même rapport au soleil que si tu as grandi à Tamanrasset.

La leçon belge, elle est là. Les Flamands, majoritairement, élection après élection, ils nous disent qu’ils ne veulent plus vivre avec les Wallons. C’est leur droit. Ça s’appelle l’autodétermination. On l’accepte pour le Sud-Soudan, on le refuse pour la Flandre (ou les Flandres, je sais pas comment on dit quand on est Flamand). Faut pas dire que c’est pas pareil vu que c’est exactement la même chose : un groupe de gens partageant une langue et une culture sur un territoire donné et qui veulent que le monde en tienne compte.

Le Sud-Soudan, faut être clair, on s’en fout. La Belgique, ça angoisse. On me dit : tu te rends compte, si la Belgique implose… (ça, c’est pour faire chic : implosion ou explosion, c’est du kif en l’espèce). Si la Belgique se sépare, c’est la porte ouverte à tout. Les Catalans vont en profiter, l’Europe est foutue. Ouais. On a laissé démembrer la Yougoslavie, remplacée par six Etats souverains, ça nous a pas gênés. Il paraît que c’est pas pareil.

C’est pas pareil. La phrase qui clôt le débat. On te dira jamais pourquoi c’est pas pareil, ou alors on te sortira de grosses conneries sur des points de détail. Avec au fond, l’idée que la Belgique c’est plus l’Europe que le Kosovo. Que la Belgique soit une création récente (moins de deux siècles), artificielle (on a foutu ensemble des catholiques aux langues différentes) et conservatrice (fallait pas accepter que les Wallons soient Français comme au beau temps de la Révolution), tout le monde s’en tape.

Les Flamands ont droit à l’autodétermination, comme les Sud-Soudanais ou les Kanaks. L’autodétermination, c’est une valeur universelle. Tu peux pas obliger deux groupes à vivre ensemble si l’un des deux n’en a pas envie. Et s’il n’en a vraiment pas envie, il se choisit un chef qui va lui dire : « Je vous ai compris » et se battre pour atteindre le but.

Y’a d’autres exemples : tiens, les Tibétains. J’ai des copains, ils manifestent pour les Tibétains et ils traitent Bart de Wever de facho. On n’a pas le même sens sémantique, eux et moi. Déjà, Bart, il a pas l’air trop religieux et j’ai dans l’idée que la religion c’est la première marche vers le fascisme. Mais ça, c’est perso. A cause des curés espagnols.

Tout ceci reflète, une fois de plus, une incohérence majuscule. Tous ces gens qui veulent nous faire vivre sous des valeurs universelles passent leur temps à les saucissonner, à faire des cas particuliers, à créer des exceptions.

Je suis un peu désolé parce que je sais que ce texte va déplaire à mon vieux copain André Poncelet, Belge d’une belgitude absolue. Mais, en même temps, je le sais assez intelligent pour que ça n’obère pas nos relations.

La Belgique, on en reparlera…

lundi 11 juillet 2011

L'ACTUALITE

Bien. Pour une fois, je colle en plein dans l’actualité. Total va augmenter le prix de l’essence. Du coup, ce week-end, c’est en boucle partout. Tu parles ! Annoncer ça pendant les vacances, quand tout le monde est obligé de passer à la pompe, ça la fout mal.

Du coup, les journalistes, ils se croient obligés de causer des marges de Total. Les politiques aussi. Tous d’accord : les marges de Total en France sont tellement négligeables que si Total touchait pas au prix de l’essence, ça changerait pas grand chose à son résultat. Dis donc ! c’est que j’expliquais juste avant le week-end (http://rchabaud.blogspot.com/2011/07/la-demondialisation-et-la-dignite.html )

C’est pas sorcier, faut dire. Non. Dans tous les commentaires, ce qui manque le plus, c’est la dimension historique. Comment en est-on arrivé là ? A cette situation dominante ? A ce groupe français qui ne paye plus d’impôts en France ? J’ai déjà évoqué la question (http://rchabaud.blogspot.com/2011/06/le-cens-de-letat.html ). Mais ça vaut la peine d’y revenir. Juste pour le fun.

Elf, c’était une volonté gaulliste de construire une major du pétrole pour contrer l’hégémonie américaine. Il a fallu quarante ans, le regroupement de plein de petites structures, des rachats, des investissements, et surtout de la recherche tous azimuts, surtout en Afrique où le Vieux Général avait pas mal d’accointances. Cette construction a nécessité pas mal de fric. Pas grave. Elf (à l’époque, c’était la SNPA) était une société nationale. S’il fallait du fric, le budget de l’Etat était là. Le budget de l’Etat, c’est à dire tes impôts de l’époque ou les impôts de tes parents. Ta famille a mis la main à la poche pour construire Elf et assurer l’indépendance énergétique de la France. C’était son truc au Vieux Général. Pas dépendre des autres. Les Français comprenaient. On investit pour dire « merde » aux Ricains, avoir notre pétrole d’Algérie ou du Golfe de Guinée et notre gaz de Lacq. On paye mais on en retirera des bénéfices.

Et puis, le Vieux Général est parti avec ses idées d’un autre âge. En 1994, Balladur privatise Elf pour récupérer du pognon (33 milliards de francs) et parce que la mondialisation était en marche et que ces idées politiques d’indépendance semblaient d’une absolue ringardise. Balladur dont Sarkozy était Ministre du Budget en charge des privatisations. Ben oui, c’est Sarkozy qui a privatisé Elf. Pas la peine de faire semblant de s’offusquer aujourd’hui. Il paraît que c’était pour satisfaire aux exigences du traité de Maastricht.

Dans ce processus de privatisation, l’Etat conserve environ 13% d’Elf. Suffisamment pour peser un peu. Peser, s’il le veut. Aussi, quand Total lance son OPA sur Elf en 2000, on peut penser que l’Etat va réagir. Ben non. L’Etat en 2000, c’est Lionel Jospin à Matignon et DSK Ministre des Finances. L’OPA de Total permet à l’Etat d’empocher 45 milliards de francs. Et puis, le PDG d’Elf a été nommé par Balladur. Bien fait pour sa gueule ! Après tout, c’est un ennemi politique. Et 45 milliards, c’est bon à prendre. Comme dit Jospin, « j’ai équilibré les comptes ».

Faut dire qu’il y a du blé dans les transactions. Elf que l’Etat a privatisé en 1994 pour 33 milliards est acheté par Total six ans plus tard 345 milliards. Dix fois plus ! Ou bien le PDG de chez Total est carrément fou, ou bien l’Etat s’est fait escroquer de première. Tournez les chiffres dans tous les sens, on peut pas sortir de là. Y’a bien une troisième hypothèse, mais celle-là, elle me conduirait direct devant un tribunal.

Alors, ne cherchez pas. Si Total est en position dominante aujourd’hui, c’est grâce à la classe politique, tous partis confondus. Si Total peut faire des profits considérables, c’est grâce à la classe politique, tous partis confondus. Si Total ne paye pas d’impôts, c’est grâce à la classe politique, tous partis confondus. Certes, l’Etat a récupéré sur le moment près de 80 milliards de francs. A comparer avec les 14 milliards d’euro de profits de Total l’an dernier (soit 90 milliards de francs). Ça s’appelle vendre les bijoux de famille, prendre le blé et obérer l’avenir. Ben oui ! un an de bénéfices de Total, c’est moins que ce que l’Etat a touché.

C’est con de jeter la pierre à Total. Margerie, il fait son boulot de PDG, comme l’avait fait son prédécesseur Desmarets. Margerie, il fait son boulot dans le cadre légal et fiscal qu’on lui laisse. Si les politiques, tous partis confondus, sont d’accord pour lui laisser un cadre fiscal et légal qui l’avantage, ce n’est pas de sa faute. Il profite juste de la bêtise des autres.

Les autres qui hurlent aujourd’hui. Les hiérarques du PS qui défendent DSK avec une corde vocale et utilisent l’autre pour attaquer Total, oubliant ce que Total doit à DSK. Le ministricule UMP en charge de l’énergie qui fait semblant d’oublier que c’est son Président qui a mis Total en position de faire ce qu’il veut. Dans un monde sans Histoire, seul compte l’instant présent.

On en reparlera…. Forcément…

samedi 9 juillet 2011

LA DEMONDIALISATION ET LA DIGNITE

La démondialisation, j’aimais bien l’idée. Et puis, c’est devenu patrimoine commun des politiques et la presse commence à « réfléchir ». Alors, je prends mes distances. Le débat est à peine entamé qu’il est déjà pourri. Comme toujours.

D’abord, on mélange démondialisation et protectionnisme. C’est pas pareil. C’est même pas lié. Si tu fermes les frontières, tu supprimes des flux de marchandises. Dans les deux sens. C’est très con. Tu te prives de biens dont tu as peut-être envie et de clients dont tu as sûrement besoin. Les commentateurs débiles se gaussent : comment qu’on va faire vu qu’on fabrique pas d’ordinateurs ? Hein, t’y as pensé à ton écran plat ? Le téléspectateur, il frémit : vivre sans IPad ? Quelle horreur !

Ho ! les loulous ! Réveillez-vous ! C’est pas ça, la démondialisation ! C’est juste réguler les flux financiers. C’est pas les biens qu’il faut contrôler, c’est le fric. Seulement le fric.

Un exemple ? Le pétrole. T’en as besoin. On va pas fermer les robinets. Tout le monde en a besoin. On va pas lui coller des droits de douane, ce serait se tirer une balle dans le pied. Le problème du pétrole qui renchérit, c’est tout simplement la gestion des marges qu’il produit. La compagnie pétrolière, par définition, elle est internationale. Elle a des filiales qui découvrent des champs de pétrole, d’autres filiales qui les exploitent, des filiales qui le transportent, des filiales qui le raffinent, des filiales qui le distribuent. Toute une toile d’araignée de sociétés savamment intriquées et localisées là où elles payent le moins d’impôts. C’est ça la mondialisation. T’es une société française, Total par exemple, mais ta comptabilité, elle n’est plus française. Le boss de Total, son boulot, c’est de décider quelle filiale va cracher du pognon. De répartir les marges. Il peut décider que la filiale de raffinage, installée à Dunkerque, va payer plus cher le pétrole à la filiale de production installée au Nigéria. La marge du Nigéria va monter, celle de Dunkerque va baisser, pour le groupe, c’est mieux. La fiscalité du Nigéria est plus avantageuse et donc, à la marge brute mieux répartie va s’ajouter une marge fiscale. C’est con pour la filiale de Dunkerque, mais on la ferme et le tour est joué. Après, on te laissera croire qu’on peut pas faire autrement, que c’est le marché qui décide, que les mécanismes internationaux sont à l’œuvre. Alors que les décisions appartiennent aux dirigeants français et que les mécanismes internationaux sont mis en place par les dirigeants français.

Démondialiser, ce n’est pas fermer les frontières, c’est renationaliser les comptes. C’est d’imposer à une société française de gérer ses marges au profit de la société française. C’est que le payeur profite de son paiement. Attention, c’est pas un problème nouveau et c’est pas un problème mondial. Quand tu payes ton péage à Hendaye, ton pognon, il remonte à Paris et il va financer une autoroute en Basse-Bretagne. Quand tu fais ton marché chez Carrefour à Valenciennes, ton pognon, il va payer des agriculteurs chinois, des pêcheurs chiliens et rémunérer un actionnaire américain. C’est le même principe : le fric généré localement irrigue des économies extra-locales. Après, c’est juste des questions d’échelle et de quantités. Et si tu veux trouver une différence, elle est dans la fiscalité. Cette fiscalité que tu partages avec le bonhomme qui va profiter de l’autoroute en Basse-Bretagne mais pas avec l’agriculteur chinois.

C’est la question essentielle : à quoi sert mon fric ? Est-ce que je suis d’accord pour que les impôts que je verse à l’Europe aident le gouvernement grec à rémunérer des banques plutôt que d’aider les Restos du Cœur ? Pose la question comme ça, tu verras les réponses. Et c’est pas de l’angélisme. C’est la simple constatation qu’on partage plus facilement avec les proches. C’est une réponse géographique, et donc politique.

Le PDG de Total ou celui de Carrefour, c’est simplement un organisateur de flux. Que le flux soit en euro, en dollars ou en yuan importe peu. Certes, on peut jouer sur les taux de change mais on est dans un monde globalement stable. Et donc, le PDG, il a le même rôle que le maître de l’eau dans les sociétés où l’irrigation est fondamentale. Il ferme des canaux, il en ouvre d’autres. Il décide quelle est la terre qui va produire, quelle est la filiale qui va cracher du blé. Si c’est pas ton champ, t’es mal…

Les sociétés du CAC40 et les banques sont une immense pompe à piquer le fric et à le répartir. On aspire plein de petits centimes à plein de petits mecs comme toi et moi, ça fait de gros fleuves qui vont irriguer des terres lointaines, y compris des atolls coralliens qui n’ont nul besoin d’irrigation et qu’on appelle des paradis fiscaux. Toutes ces sociétés, toutes ces banques font des profits. Beaucoup de profits. C’est ça qui plait à l’actionnaire. L’actionnaire, il se fout totalement du lieu où sont faits les profits. Il se moque du pays où les impôts sont payés. Pour parler clair, le rôle social de l’entreprise est mort. Les financiers, ils le disent pas comme ça. C’est pour ça qu’ils parlent de mondialisation. Avec la mondialisation, y’a toujours de la croissance, toujours des profits, et même des pauvres qui s’enrichissent. Bon, c’est plus toi. Toi, t’es sur le mauvais plateau de la balance, celui qui baisse. L’injustice fiscale et économique que tu ressens dans ton pays, on te la présente comme un moyen d’arriver à plus de justice dans le monde. Tu vas payer les chômeurs d’Aulnay-sous-Bois pour qu’il y ait moins de chômeurs en Slovaquie. Quand tu commences à t’en douter, t’es bon pour écouter les discours protectionnistes.

Démondialiser, ce serait casser ce système. En théorie, c’est pas très compliqué, juste rapatrier les profits faits ailleurs et les fiscaliser. Ho ! et la rentabilité des entreprises ? Elle baisserait, c’est certain. Mais alors, les actionnaires vont fuir ? Y’a des chances. Les entreprises manqueront de ressources ? Non. L’Etat peut les leur fournir, remplacer les actionnaires et peser sur les flux. C’est ce que font les Chinois et ça leur réussit pas si mal.

Mais alors, tu veux plus d’Etat ? Oui. Et non. Je veux une action plus claire de l’Etat. Parce qu’au cas où vous l’auriez pas vu, l’Etat, il arrête pas de mettre la main à la poche. Il y a quelques jours, y’avait un bon article sur le site de Reuters, à propos de la Grèce. L’auteur expliquait que, dans tous les cas de figure, les Etats devraient recapitaliser les banques. C’est à dire prendre ton petit fric pour le filer à des entreprises privées. Sans réelle contrepartie.

Une banque, c’est une entreprise qui emprunte à l’Etat à un taux très bas. Et qui prête aux gens à des taux plus hauts. La différence de taux, c’est la marge de la banque. Le boulot de la banque, c’est de s’assurer que l’emprunteur est solvable. C’est son seul boulot. Si elle se plante, elle fait faillite. Or, les banques n’arrêtent pas de se planter. Avec la Grèce, avec Madoff, avec Enron, avec les subprimes, etc… Et donc, elles perdent de l’argent. Tant que les pertes n’excèdent pas leurs fonds propres, tout va bien. Sauf pour les actionnaires qui ne voient pas la couleur des dividendes. Mais voilà… Les banques ont le droit de s’engager à hauteur de dix fois leurs fonds propres. T’empruntes un euro, t’as le droit d’en prêter dix vu qu’on suppose que tu choisis bien tes créanciers.

Alors, quand le créancier, c’est un très gros et que tu l’as mal choisi, normalement tu sautes. Ou alors, tu fais appel au marché pour lever des fonds propres et avaler tes pertes. Mais l’actionnaire de base, forcément, il aime pas trop l’idée de filer du fric pour compenser des pertes. Et donc la banque se tourne vers l’Etat qui, généralement, met la main à la poche. L’ultra-libéralisme mondialisé, c’est ça. Pas d’intervention de l’Etat, sauf si j’ai fait une grosse connerie. C’est totalement incohérent, totalement indécent.

Totalement incohérent, parce que si tu veux pas que l’Etat s'occupe de tes affaires, tu vas pas pleurer dans son giron quand t’es dans la merde. Ça s’appelle la dignité. Un banquier qui se plante, ça se suicide. Comme un joueur ruiné.

Totalement indécent parce quand on veut être maître du monde, on fait pas la manche. J’exagère pas : le banquier qui va à Bercy chouiner sur sa recapitalisation, il fait la manche. A son niveau, mais il fait la manche. Avec un autre vocabulaire, mais le vocabulaire, c’est que des mots. Ça change pas les choses.

Alors, l’Etat, il va faire comme les entreprises du CAC40. Il va prendre plein de centimes à chaque citoyen et les organiser en un flux qui ira irriguer les banques.

Les flux, on en reparlera…..

mardi 5 juillet 2011

MADAME FERMETURE

J’ai trouvé le surnom sur le Net et je l’ai adopté. Dans quelques forums, c’est le surnom de Martine Aubry.

Naturellement, j’approuve. J’ai bien connu une gentille dame, sévèrement licenciée à 50 ans passés par Martine Aubry, alors responsable des Ressources Humaines chez Pechiney. C’est pour ça que, depuis quelques années, je la regarde sans aménité Notre-Dame-des-Corons. On peut admettre qu’elle ait évolué. Moi, j’y crois pas trop. Ça me semble être que du discours, du pipeau, du flon-flon.

Vous trouverez partout des articles sur la fermeture de l’usine de Noguères. Mais, à l’époque, Pechiney avait une boulimie de rachat de petites entreprises, comme la CAUEM où travaillait ma vieille amie. Gandois, aidé par Aubry, bâtissait un empire. Les petites entreprises, c’est des parts de marché, du savoir technique, des brevets. Et des salariés. Intégrer une petite boîte à un groupe, c’est d’abord réaliser des « économies d’échelle ». En clair, virer des gens. Pas des cadres dirigeants ou des ingénieurs. Non. Des petites gens, des qui pourront pas se reclasser, des qui pourront pas retrouver du boulot à 50 ans passés.

Aubry, elle l’a fait sans état d’âme. Les secrétaires, les chauffeurs, les caristes, les agents de maintenance, dehors ! Que des petites gens travaillant dans de petites structures. Des faibles, des pas protégés, des pas syndiqués. Des gens comme ceux dont elle recherche les suffrages aujourd’hui. Pour elle, c’était pas des gens. Juste de la masse salariale qu’il fallait dégraisser. J’aimerais bien, tiens, que tous ces gens-là créent une page Facebook qu’ils appelleraient « Les virés par Martine ».

Pour elle, c’était pas des gens : elle n’avait pas besoin de leurs votes. Elle avait seulement besoin de prouver son efficacité, la qualité de sa formation, sa compréhension des problèmes d’une structure. Toutes qualités qui en ont fait une excellente responsable d’appareil politique, un remarquable spécimen de la caste dirigeante. Toutes qualités qui lui ont permis de lancer sa carrière avec des plans sociaux.

Parce que diriger, c’est pas drôle tous les jours. Des fois, il faut savoir sacrifier. Sacrifier des idées ou des hommes et des femmes. Sacrifier pour préserver la structure, l’appareil, le système auquel on appartient. On fait semblant d’en souffrir, on donne l’illusion que le sacrifice, c’est le dirigeant qui en souffre. Séguéla l’explique fort bien.

L’appareil qu’on renforce ainsi n’est rien d’autre qu’un superbe bouclier. Il va devenir l’alpha et l’oméga de la réflexion. Le prétexte absolu. C’est l’appareil qui impose le départ du salarié, l’appareil qui empêche de trouver des solutions autres. Il devient hors de question de toucher à l’intangible fonctionnement de l’intangible système. Tout juste peut-on adoucir, gommer aux marges.

Moi, je l’écoute, Martine. Va t-elle bousculer le modèle socio-économique qui lui a si bien réussi ? Va t’elle bousculer l’Europe qui est largement une œuvre familiale ? Poser ces questions, c’est y répondre. Elle sait qu’elle peut tout promettre parce qu’elle sait qu’il lui suffira d’invoquer l’appareil pour échapper à ses promesses. De quelqu’un qui, à trente ans, construisait sa vie en virant des gens, je n’attends rien. Si je lui disais, face à face, je sais bien ce qu’elle me répondrait : compétitivité, pas le choix, réorganisation, concurrence, contexte international avec, cerise sur le gâteau « c’était dur pour moi aussi ».

Comme je ne la rencontrerais pas, je lui éviterais de me servir cette litanie. Des moyens, il y en a d’autres, à commencer par un partage différent de la plus-value, pierre de touche des valeurs de gauche. Mais là, on touche aux fondamentaux de la gestion énarchique. De droite ou de gauche, les énarques gèrent pareil. La couleur politique, c’est juste un maquillage, une manière de faire carrière.

Et puis on évolue. Comme Papa, chef de cabinet de Chaban-Delmas, baignant jusqu’aux oreilles dans l’indépendance nationale et passé à l’Europe pour y diluer cette même indépendance. Chantre de la « nouvelle société » qui passa la fin de sa vie à bâtir une société rétrograde. Lui, je sais bien ce qu’il me dirait : « le monde a changé ». Evidemment : c’est lui qui l’a changé en privilégiant l’Europe du fric contre l’Europe sociale.

Il paraît que Martine passait, enfant, ses vacances à Menditte. Gros, gris village souletin, à l’entrée de la vallée, entre Mauléon et Tardets, deux petites villes ruinées par la modernité et les espadrilles chinoises. Je connais bien la Soule, c’est une terre de valeurs mais, a priori, les valeurs c’est pas comme les espadrilles. Ça s’exporte mal.

Voter, c’est exprimer un espoir. Je ne crois pas qu’un chef du personnel puisse incarner un espoir.

On n’en reparlera pas…