mardi 11 décembre 2012

NOEL ET CHOCOLAT

Bon, on va s’en gaver. Il paraît qu’on va en bouffer plus de 30 000 tonnes en cette fin d’année. De quoi ? Du chocolat. Enfin, de ce qu’on appelle chocolat. C’est écrit dessus.

Ce qu’on va bouffer surtout, c’est du discours sur le chocolat. Dans ma rue, sur 200 mètres, quatre chocolatiers. Auto-proclamés, les chocolatiers. Je ne peux pas les voir sans penser au vieux moulin Noblia à Ayherre et à ses machines à broyer les cabosses. Sans avoir le nez plein (car il y a une mémoire olfactive) des jours de torréfaction chez Cazenave, à Bayonne. L’atelier de torréfaction était voisin de mon école. Ça facilite l’apprentissage des tables de multiplication, vous pouvez me croire.

Encore le Pays basque ? Ben oui. Au cas où vous l’auriez pas remarqué, le Pays basque, c’est une porte d’entrée pour les produits qui viennent d’Espagne et le chocolat, ça vient peut-être du Mexique, mais via l’Espagne. C’est à Bayonne que Madame de Sévigné achetait son chocolat, c’est elle-même qui le dit. Jeff de Bruges n’était pas né et mon ancêtre Poylo était jurat de la confrérie des chocolatiers.

Ça donne une légitimité historique quand même. Je sais bien que ça fait pas tout, mais ça compte. Jeff de Bruges était pas né.

Il m’arrive de penser à mon copain Christophe Puyodebat. Vous connaissez pas ? Pas grave, on peut pas tout connaître. Il continue à tenir son échoppe et à vivre sa passion à l’ombre de la Cathédrale. Il était compagnon chocolatier chez un grand chocolatier bayonnais. Il aimait son boulot et son patron qui lui avait tout appris. Et puis, le succès aidant, le patron eut l’idée d’ouvrir une seconde boutique qu’il appelât tout naturellement l’Atelier, histoire de faire artisanal, et c’était vrai. Le succès du premier Atelier entrainât l’ouverture du second, du troisième… Aujourd’hui on doit bien être à la quarantaine.

Alors, Christophe est parti. Pour fournir les Ateliers, le premier atelier s’était transformé en petite usine. Usine cachée, ateliers visibles, procédures et fournitures standardisées. Ça ne lui convenait pas.

De toutes façons, pratiquement aucun chocolatier ne maîtrise la première étape de la fabrication, la couverture. Torréfier et broyer, ça nécessite du temps, des machines sophistiquées, des investissements. En France, ils ne sont guère qu’une dizaine. Faut y penser : 4000 chocolatiers achètent la même matière première à une dizaine de fournisseurs. Pas tout à fait la même, cependant. Il y a des variantes, plus ou moins chères, en fonction de la qualité. Certains torréfacteurs (Pralus, Weiss) ont aussi des boutiques. Le plus gros, Valrhona, est juste un fournisseur de matière première.

Bon, vous avez compris. Quel que soit votre chocolatier chéri, y’a de fortes chances qu’il soit tributaire d’un industriel de la torréfaction. Ça relativise l’artisanat, ce truc. L’artisan, il intervient après. Quels que soient les mérites du torréfacteur, le produit livré n’est pas toujours identique. Le chocolatier va intervenir lorsqu’il va faire ses mélanges, qu’il va sentir (sentir avec son nez) les arômes qui se développent. Et cette étape, elle n’est pas industrialisable. C’est juste une histoire entre un mec et un produit. Une histoire qui fait que le chocolatier, il peut pas produire des tonnes et des tonnes de chocolat.

Et donc, on se trouve sur les barreaux d’une échelle. En bas, y’a Lindt, ses usines et son marketing envahisseur de grandes surfaces. En haut, y’a un petit mec qui passe des heures dans son laboratoire à faire son boulot au mieux. Chaque fois qu’on grimpe un barreau, on trouve que c’est mieux. Forcément. Et puis, on a pas toujours le choix. Moi, je peux pas filer à Bayonne voir Christophe chaque fois que j’ai envie de chocolat. Christophe, ou Cazenave, ou Daranatz. C’est mon tiercé, l’ordre d’arrivée dépend des jours et de mon humeur. Il m’arrive de me contenter de Debeauve et Gallais. Me contenter ? Oui. Quand j’y vais, il me manque les rues anciennes et l’histoire qui me fait frissonner. Alors, je préfère aller à la Maison du Chocolat, en souvenir de Robert Linxe, qui fut le premier à transporter ma culture provinciale dans la capitale. Ça n’a rien à voir avec le goût ? T’as qu’à croire !!!

Si ça n’avait rien à voir pourquoi les publicistes s’efforcent-ils de rajouter des légendes historiques., des notations stupides ? Des exemples ?

Le chocolat avait des vertus aphrodisiaques. Au XVIIème siècle, oui. On le consommait alors à la mexicaine, sous forme de mole, avec des épices et notamment du piment. C’est le piment qui faisait bander. Enlève le piment, tu retrouveras ta flaccidité habituelle.

Le chocolat a été introduit par les Juifs expulsés d’Espagne. Tu parles. Les Juifs sont expulsés en 1492, l’année ou Colomb débarque aux Antilles. Le chocolat arrive trente ans plus tard, après la prise de Mexico.

Le chocolat est devenu un discours. Comme le reste…. Et ça m’emmerde…..

On en reparlera…

Joyeux Noël quand même…

jeudi 6 décembre 2012

L’ART DE LA NEGOCIATION

Bon. La déception est générale sauf au MEDEF et chez les chroniqueurs économiques, notamment l’écurie BFM, François Lenglet, le vieux cheval de retour passé à la concurrence et Nicolas Doze, le poulain frétillant qui rêve d’une carrière identique.

Qui pouvait attendre autre chose que cet accord boiteux dont on commence à dire que le maintien d’emplois dans la circonscription d’Ayrault fut une clef ?

Hollande sort de l’ENA, école qui conduit indifféremment à la fonction publique ou au service privé. Il est à l’Elysée, il aurait pu être chez Mittal. Ou chez Vinci. Ou ailleurs, ça importe peu.

Ce qui importe, c’est que, lorsqu’il s’assoit à la table de négociation, il est prêt à comprendre, et donc à accepter, les arguments de l’adversaire. Que peut-il négocier dans ces conditions ? Comprendre l’adversaire, dans une négociation, est une erreur. Il faut seulement le connaître et connaître ses forces et ses faiblesses. Le comprendre, c’est déjà être dans sa main.

Le marché de l’acier est pas bon, dit Lakshmi. « Hélas ! » dit Hollande qui devrait dire « C’est votre problème. Vous auriez du anticiper. Vous êtes payé grassement pour ça. Anticiper. Gouverner, c’est prévoir. Je n’ai pas a payer vos insuffisances ».

« Je tiens 20 000 emplois » dit Mittal.. Là, Hollande sent sa vessie qui se serre. Il imagine Mittal fermer les sites, les uns derrière les autres. Mittal égrène : « Nantes, Saint Nazaire… » Là, c’est Ayrault qui balise…

Ce que Hollande ne dira pas : « Je m’en fous. Si j’en nationalise un, je peux bien nationaliser les autres. Sans indemnités. Il me suffit d’une loi et j’ai la majorité ». Alors, Mittal brandira l’Europe, les lois internationales. Et alors ? Van Rompuy nous déclarera pas la guerre. L’Inde, non plus. Il y aura des rétorsions ? Même pas en rêve. Ou alors, sur des sujets secondaires. L’Inde peut interdire à Carrefour d’implanter de nouveaux supermarchés. C’est juste un exemple. On s’en fout. La sidérurgie, c’est stratégique. Comment tu construis un sous-marin sans acier ? On va pas sacrifier notre défense aux marchands de carottes, tout de même ! L’Inde nous achètera plus d’armes ? Même pas en rêve ! On est excellents, par exemple, dans la fabrication de mortiers de montagne. Tu sais pas ce que c’est ? C’est un gros mortier, capable d’envoyer de bons gros obus d’une vallée himalayenne dans la vallée voisine. Les Indiens, ils en ont besoin pour canarder les vallées du Pakistan. Et vice-versa. Qui peut croire qu’ils vont y renoncer ? Et pour les construire, comme pour construire nos beaux Rafales, il nous faut de l’acier. L’acier, c’est stratégique, plus que les Ipad. Avec de l’acier, tu construis un avion qui va pulvériser l’usine d’Ipad. Avec l’Ipad, tu vas juste demander « Devine où je suis ? ».

Négocier, ce n’est pas céder. Jamais. Surtout aujourd’hui que tout le monde a peur de la baston. Le négociateur d’Etat, le négociateur politique, quand il s’assoit à la table, il a derrière lui un peuple, une armée et sa souveraineté. C’est pas rien. Ouais, mais le Mittal, il sait bien que l’armée, c’est pas une carte. Il sait que la souveraineté est entravée par l’OMC.

Il sait surtout qu’il a affaire avec des gens qui ont peur de passer pour des voyous, ou des mal élevés. Des gens qui ne savent pas se tenir mal. Là, Montebourg, il a un avantage, il est avocat. Il sait bien qu’un peu de brutalité ne messied pas. J’ai connu un avocat, un ténor du barreau, un qui n’avait pas peur de la mauvaise éducation. Quand son adversaire plaidait, il faisait semblant de dormir, affalé sur sa table. Le Président le tançait et il répliquait « Je m’emmerde, Monsieur le Président ». Il lui arrivait même de lâcher un rot sonore lors de la plaidoirie de son adversaire. Déstabilisation garantie. L’autre protestait, perdait le fil, menaçait de s’en aller. Le public se marrait, l’ambiance était pourrie. C’était un ténor du barreau, je vous assure. Il avait un associé, super-chicos, bien élevé. Dans les procès importants, ils étaient à deux et ils faisaient leur numéro. Le voyou et le gentleman. Succès garanti.

Je m’égare mais l’essentiel est là. Succès garanti. Montebourg, il est certainement mieux élevé ce qui est un peu dommage. Mais il sait qu’une baffe dans la gueule, ça assainit parfois la discussion. Comme au rugby.

C’est pour ça que les Français aiment bien Montebourg. Ils ont le sentiment d’être défendus. Pareil pour Mélenchon ou Marine. Le citoyen, il élit un politique pour être défendu. Aujourd’hui, il pense que Hollande défend mieux les homos que les ouvriers, ce qui est un truc à vous rendre homophobe.

C’est subtil. Copé, il croit faire pareil mais le militant de base, il commence à se dire que Copé ne défend rien d’autre que son poste. Leader populaire, ça s’apprend pas. En tous cas, pas à l’ENA.

D’accord, il peut y avoir des dérives. Les Teutons, ils ont voté Adolf pour être mieux défendus. Mais ça ne change rien à ma démonstration. Les peuples veulent être protégés, vraiment, par des gens qui le montrent. A s’écraser toujours, on ouvre la porte à ceux qui montrent les biscottos. Personne n’admire jamais les mous du gland, même s’ils sont efficaces. La faiblesse de François fait le jeu de Marine.

On en reparlera…

jeudi 29 novembre 2012

CHEZ CAFÉ

J’entre chez Café. Stupeur ! y’a un mec au comptoir. A ma place. Juste à ma place.

Chez Café, faut dire que c’est un bistro. Le vrai nom est écrit sur la façade : Bodega Ibaia, mais personne ne le connaît. On va chez Café. Café, il s’appelait Café avant de tenir un café. Il s’est toujours appelé Café vu qu’il a une tâche de naissance sur le corps, comme une tâche de café.

Café, c’est l’Auvergnat de Brassens. Un cœur plus gros que ça, un amour immodéré pour les chanteuses mexicaines et un goût certain pour les petits vins de propriétaires, surtout de Rioja et terres adjacentes. Avant d’avoir un café, Café travaillait chez Bréguet. Il construisait des avions. Pour dire le vrai, il ajustait des fuselages de Caravelles. Un avion qui n’est jamais tombé. Il aime le travail bien fait, Café.

Et donc, il y a un mec à ma place au comptoir. Chez Café, c’est un vrai bistro, c’est à dire un territoire. Au bout du comptoir, il y a Michou. Toujours. A côté, c’est Txomin. C’est obligé qu’ils soient côte à côte ou face à face. Sans ça, comment ils feraient ces deux-là quand l’un démarre une jota aragonaise et que l’autre doit lui répondre, les yeux dans les yeux. Chaque voix à sa place et les paroles qui s’enchaînent, c’est pas possible si on se regarde pas. Moi, je suis derrière Txomin. Je sais, quand il s’écarte, que le duel de chant est terminé et qu’on va pouvoir se mêler à la prochaine chanson. Sur le banc, à droite, c’est la place de Jojo, toujours assis à cause de ses jambes lourdes d’artériosclérose. Gorka, il est mieux à l’autre bout du comptoir. C’est un superbe ténor, Gorka, il a besoin de place quand il s’exprime et qu’il défie Txomin. Entre eux, il y a une rivalité bienveillante et il leur faut cette distance.

C’est comme ça en hiver. Mais là, on est en juillet, et un mec a pris ma place. Je m’approche et je lui demande poliment d’aller se mettre ailleurs vu qu’il est à ma place. Le mec, il est sidéré. Une chaise, une table, il comprendrait. Mais au comptoir, c’est no man’s land pour lui. Premier arrivé, premier servi, comme dans un bistro parisien. Il le proclame avec son accent de mec qu’a pas d’accent. « Fallait arriver avant, mon pote ». Txomin se retourne, Jojo se lève, ça va faire vilain. Mais, en bon patron, c’est Café qui devance tout le monde.

« Bon. Mon pote, comme tu dis, ici t’es chez moi. Tu m’as acheté un verre de vin. Tu m’as pas acheté de l’amour, ni le droit d’exister, ni le droit d’être ici ou là. Alors, le verre, je te l’offre, tu le bois et tu dégages. Ou alors, c’est moi qui te dégage ».

Le mec, il est pétrifié. Il comprend pas. Il peut pas comprendre. Il croyait qu’avec un euro, il avait droit à autre chose que son verre de Sonsierra. Qu’il allait pouvoir écouter, se mêler, se fondre dans un groupe. Il comprend pas que son euro ne peut pas lui servir à acheter tout ça, notre histoire, nos soirées d’hiver à comparer les mérites respectifs de Chavela Vargas et Maria-Dolorès Pradera, notre amitié. Il a acheté une consommation, comme on dit. Le droit de consommer, pas d’exister juste parce qu’il paye. De nous, il ne connaît rien. De lui, il ne nous apprend rien.

Il m’a laissé ma place. Il est allé s’asseoir à une table avec son verre. Et puis, longtemps après, il est revenu me parler. Il voulait comprendre. Alors, je lui ai expliqué. Il est parti sans rien dire.

Il est revenu le lendemain, et les jours d’après. Il ne s’est pas intégré, pas vraiment. Il était juste en vacances, de passage. Un soir que les Gitans sont venus, Café a fait comme toujours. Il a fermé le bistrot, en ne gardant que les copains, les Gitans et leurs guitares. Soirée privée. Quand le Parisien s’est levé pour sortir, il lui a posé la main sur l’épaule « Toi, tu restes ». Le mec, il doit encore en parler de cette fin de nuit.

C’est pas difficile de s’intégrer, pourtant. Un jour, j’ai amené chez Café mon copain Vincent. Encore un Parisien. On lui a fait une place, on a bu des coups. Et puis Vincent est parti pisser car le txakoli, à forte dose, c’est diurétique. Il est revenu aussi sec, il s’est approché de Café, lui a parlé à l’oreille. Ils ont eu une discussion à mi-voix mais avec une gestuelle parlante. Et Vincent est reparti avec une ventouse déboucher les chiottes. Comme on fait pour rendre service à un copain. Forcément, il a aussi sec gagné sa place au comptoir. J’ai revu Café, dix ans après, retraité. « Comment il va, Vincent ? » a été une de ses premières questions.

J’allais chez Café quand j’étais au plus bas de ma forme. Raide comme pas un. Je mangeais l’un des plats du jour que sa femme Coco mitonnait dans une cuisine grande comme un mouchoir de poche. Quand j’allais à la caisse, la réponse était invariablement la même. « C’est payé, t’inquiètes pas ». Et il m’offrait un verre de plus, un qu’on partageait les yeux dans les yeux.

Je crois qu’il nous a tous beaucoup aimé.

Chez Café, j’ai compris la culture du bistrot. Un bistrot, c’est un territoire, un lieu pour géographes. Un territoire avec une société. Ce n’est pas vrai que ça reproduit la société extérieure vu que ça fonctionne par affinités et donc, par exclusion. Tout le monde ne va pas dans tous les bistrots. Un bistrot, c’est un patron, comme un chef d’orchestre, il définit la partition, il garantit l’harmonie. Il choisit et d’abord, il choisit ses clients. Bien entendu, il y a des patrons plus ou moins sélectifs. Ça dépend de leurs besoins financiers. Un gros con avec un gros portefeuille reste un gros con. Y’a des patrons qui voient la recette et des patrons qui voient un mec qu’ils laisseraient pas entrer chez eux. Et le bistro, c’est chez eux.

Le patron du bistro, il choisit ce qu’il met au mur et la musique qu’il passe, les vins qu’il sert et à qui il les sert. Malgré les innombrables textes pseudo-littéraires sur le sujet, le patron de bistro, il vend pas d’amour et il ne remplace pas le psy. Il vend des consommations. S’il a pas envie de m’écouter, il est en droit de me le dire. Par contre, moi, client, si je veux qu’il m’écoute, c’est à moi de faire un effort, de m’adapter, de lui donner envie de m’écouter. Ou de me virer si je l’emmerde.

Mais, meeeh, bêlent les moutons de la communication, le client est roi. Exact. Il est roi dans l’échange commercial. Il peut juger le vin pas à son goût, ou trop cher, ou je ne sais quoi. Or, l’échange de paroles n’est pas un échange commercial, c’est un acte social. Pour beaucoup de patrons de bistro, l’écoute du client, c’est juste un moyen d’augmenter la recette : parler assoiffe. Pour une minorité, ceux que j’aime, c’est autre chose, l’envie de définir un lieu. Par conversations successives, on écrème, on élimine, mais dans le même temps, on agrège, on construit. Pierre après pierre, client après client, on invente une sorte de famille dont les membres ont à se dire des choses. On construit une société, on définit un territoire.

A dire vrai, étymologiquement, le commerce, c’est ça : un partage, avec ce Cum initial qui signifie « avec ». Même que ça a dérivé : avoir commerce avec une femme, ça veut dire « baiser ».

Sauf qu’aujourd’hui, dans le commerce moderne, on est plus souvent baisés qu'on ne baise.

On en reparlera…


mardi 20 novembre 2012

PICOLER A L'EUROPEENNE

Je me suis penché, par curiosité, sur la fiscalité européenne de l’alcool. C’est édifiant. Et je vais être obligé d’être un peu chiant.

D’abord, y’a un terme qui me fait frémir. Outre la TVA, le vin, mais aussi le tabac et autres joyeusetés qui nous permettent de survivre, le vin supporte un droit d’accise. C’est un mot que j’ignorais bien qu’il soit au dictionnaire de l’Académie. Ça désigne un impôt féodal, disparu, mais remis au goût du jour par la Commission de Bruxelles pour traduire l’anglais excise. En français, on avait déjà excision, alors on a ressorti accise. L’étymologie, c’est « couper ». Pour le clitoris, ça s’explique. Pour un impôt, un peu moins. En principe, l’accise, c’est pour des raisons de santé. Alors, on coupe le plaisir.

Et donc, le droit d’accise a été codifié par Bruxelles, avec l’aval de nos eurodéputés à nous. Ça commence par un classement. Les grandes catégories, c’est (1) bière, (2) vin, (3) autres produits fermentés, (4) produits intermédiaires et (5) alcools.

Vous affolez pas : c’est juste des noms pour classer en fonction du degré alcoolique. Le vin, c’est moins de 15°. Entre 15 et 22°, « produit intermédiaire ». Et « alcool » au delà de 22°. Inutile de dire que c’est un classement très con. Pour Bruxelles, un porto ou un Jerez, c’est pas un vin. Un vin cuit, c’est pas un vin non plus. Le Malibu, avec ses 21°, c’est pas un alcool. Qu’est ce que tu crois ? Chez Pernod-Ricard, les mecs, ils connaissent la loi. Leur bibine, ils l’ont collée dans la bonne catégorie. Pas un degré qui dépasse.

Le classement des bières, j’ai pas tout compris. La bière, c’est pas un truc pour moi. Trop de liquide pour le nombre de degrés. J’aime bien la picole efficace.

Pour le vin, Bruxelles divise : vin tranquille et vin mousseux. Les bulles, c’est pourtant pas primordial, c’et juste un mode de vinification. Regarde les taux, avant de dire des conneries. Les bulles, c’est le luxe. Si tu mousses, tu douilles. Même le cava ou la clairette de Die ? Même.

Pour être honnête, la Commission, sur les vins, elle est pas chienne. Aucun impôt obligatoire et européen. Chaque pays choisit son accise. Les Italiens et les Espagnols sont les plus raisonnables : 0 €, rien, nada, niente. La France met la pédale douce : 3,60 € l’hectolitre, soit 0,027 € pour un flacon de vin tranquille. Les bulles, c’est plus cher : 8,92 € l’hectolitre, quelque chose comme 0,05 € par roteuse. Après, y’a les luthériens, les nordiques, les qu’ont pas de vignes. Eux, ils y vont pas avec le dos de la cuillère. Les Anglais, ils collent 295 € de taxes à l’hectolitre de vin tranquille, soit 2 € la bouteille. Les Danois, les Irlandais, les Suédois sont dans le même ordre, en dessous du record finlandais de 312 €. Les Irlandais, ils aiment pas le champagne, ils te collent un impôt de 524 € par hectolitre. J’ai une explication : le dernier bateau qu’ils ont baptisé au champagne, c’était le Titanic !

Je veux bien qu’il s’agisse de lutter contre l’alcoolisme. Moi, ça me paraît surtout férocement protectionniste : j’en produis pas, alors je frappe.

Même topo pour les produits intermédiaires : l’accise minimum est à 45 €. La France l’a fixée à 180 €, l’Espagne a 55, l’Italie à 68, le Portugal à 64, la GB à 393, avec encore un record pour la Finlande à 625 €. Même punition, même motif. Les pays qui produisent des vins forts, porto, malaga, jerez, taxent peu. Les autres cognent.

Pour l’alcool, la Commission fixe un taux minimum de 550 € par hectolitre de produit. La France taxe à 1660 €, l’Italie (800 €) et l’Espagne (830 €) sont plus raisonnables. Les Anglais sont plus sévères : 3118 euro. Sauf que tout le monde profite du tarif spécial « petit producteur ». Un petit producteur, c’est quelqu’un qui produit moins de 10 hectolitres d’alcool pur. Soit en gros, 22 hectolitres d’alcool par an. Pour un producteur d’armagnac, ça fait, en gros 1600 bouteilles/an. En Angleterre ou en France, l’accise des petits producteurs, c’est 0. En Grèce, l’accise, c’est 2459, sauf pour l’ouzo 1225. Record pour la Suède à 5474 euro. Y’a d’autres exceptions : en France, c’est 903 € pour les alcools pas trop forts ou avec des particularismes régionaux, et 872 € pour les rhums d’outre-mer. T’as compris : un gros producteur de cognac paie 1660, un petit producteur d’armagnac ne paie rien, un producteur antillais de rhum, c’est 903, sauf s’il est tout petit, et ainsi de suite.

Et ainsi de suite… l’accise, c’est au-delà du bordel. D’autant que c’est le consommateur final qui paye. On peut imaginer que c’est comme la TVA. Tu vends hors taxes, tu expédies et les douanes du pays qui reçoit perçoivent auprès de l’acheteur. Ben non. Il faut que tu sois agréé et que les bouteilles voyagent avec un papier officiel, quelque chose comme l’acquit-congé d’il y a vingt ans. Résultat : le petit vigneron du Frontonais peut pas vendre son vin en Angleterre, sauf à passer par un intermédiaire agréé, un grossiste par exemple qui ajoutera sa marge. Non content d’être complexe, le système est délicatement verrouillé.

Sous des dehors hygiénistes (lutter contre l’alcoolisme), on a bâti un système où les pays du Nord font preuve d’un protectionnisme rare. Le système de l’accise interdit de facto au vin de circuler librement. Pas seulement le vin, mais surtout le vin. Moi, j’y vois la marque d’un luthérianisme exacerbé ou encore d’un capitalisme moralisateur. Le XIXème siècle hurlait contre l’ivrognerie du prolétariat. Thomas Cook a commencé dans le voyage en organisant des excursions destinées à éviter au prolo britannique de passer son dimanche au pub.

Le marché du vin peut donc se concentrer entre quelques mains, de préférence puissantes, avec des services juridiques et fiscaux importants. C’est la liberté européenne. Quand on voit ce qu’ils sont capables de concocter pour éviter qu’on boive un coup entre amis, on peut imaginer ce qu’ils vont inventer pour l’Europe sociale et fiscale. Autant dire qu’on n’en verra jamais la couleur.

On en reparlera….

vendredi 16 novembre 2012

LA CAVE ET LE CAVISTE

Tout le monde a un caviste. C’est du dernier chic. « Mon » caviste, il a toutes les qualités, il déniche des petits vins, il en parle à ravir…

Le mien, il est somme toute assez médiocre. Je n’y trouve que peu de merveilles, quelques Bordeaux de consommation courante parfaitement corrects, un Madiran qui me convient tout à fait, pas de quoi s’extasier.

La semaine dernière, j’avais envie de Rioja. Il me sort une bouteille d’une banalité d’anthologie à 22 euro. Je le connais son pinard. Chez moi, il est à 8 euro en moyenne. 22 euro, je les mets sur un Riscal, un Remelluri, un Campillo. Pas sur un Rioja basique. Le caviste me prend pour un cave…

Je veux bien qu’il faille le transporter le nectar. Mais quand je l’achète chez Calvo, à Irun, à côté de la Poste, le vieux Calvo, il a compté son bénef d’épicemard. On est en Europe, quand t’achètes en boutique, la structure de prix, elle est partout la même. Y’a que le transport qui différencie. On me dit que mon caviste, il achète peut-être chez un grossiste et qu’il y a les frais et la marge du grossiste. Admettons.

Mais si c’est le cas, c’est un mauvais caviste. C’est même pas un caviste du tout. Le caviste, c’est un mec qui achète des vins chez des producteurs qu’il connaît, qui les met en cave (d’où son nom), qui les fait vieillir, qui les accompagne dans leur vie de vin. Mais voilà, nous sommes au temps des cavistes sans cave. De tout ce que dessus (choix, achat, mise en cave, accompagnement), il ne reste que le discours tenu sur le vin. Le baratin. L’écume.

Aujourd’hui, un caviste, c’est un marchand de vin et d’alcools, un commerçant classique qui utilise des grossistes, des importateurs, qui gère des stocks. Quand le vieux caviste de mon père te renvoyait chez l’épicier pour tout ce qui n’était pas issu du vin, stricto sensu, mon caviste te vend du pastis (attention, du pastis artisanal, deux fois plus cher qu’un vieux 51) et d’improbables liqueurs italiennes dans des emballages dessinés par des émules de Starck.

C’est une question que je pose souvent à mes copains : ton caviste, tu as vu sa cave ? Ils ouvrent des yeux ronds. Un caviste doit-il avoir une cave ? Remarque, c’est pareil pour les fromagers. Androuet, quand il était rue d’Amsterdam, il avait une cave et pas de succursales. Aujourd’hui, il a des succursales et plus de cave. Il s’en fout. Ses clients croient que le fromage, ça se conserve au frigo.

Tu vas me dire : vas ailleurs, si t’es pas content. C’est ce que je fais quand je peux. Mais, pour être franc, j’ai du mal. Les mecs, ils me démarrent direct sur la bouteille qu’ils ont en mains, les effluves, les senteurs, la longueur en bouche. Jamais, ils me parlent du vigneron, de la propriété, des vignes. J’éprouve un plaisir malin à poser ce genre de questions : « c’est très loin de Gaillac ? » ou « elles sont orientées comment les vignes » ? Là, il sait plus. Il me redégueule juste un discours convenu, ce qu’il croit être un discours de caviste. Il lui vient pas à l’idée qu’à mon âge, tous ces trucs, je les ai lus et entendus et plutôt deux fois qu’une. Il ne lui vient pas à l’idée que j’ai visité pas mal de vignobles et que, professionnellement, j’ai eu à goûter et à juger quelques flacons. Il ne sait rien de moi, alors il me sert le brouet qu’il sert à tout le monde. Sans oublier le soufre, pont aux ânes de l’œnologie actuelle. Il ne lui vient pas à l’idée que j’ai quelque connaissance des prix, quelques repères, et que je trouve ses marges indécentes. Comme n’importe quel magasin, il a des prix d’appel, inscrits bien gros sur des étiquettes bien grosses, histoire de me faire croire qu’il est raisonnable.

Il y a quelque temps, il a ajouté à son assortiment de la charcuterie « artisanale » (bien entendu) qui va bien avec le vin. Artisanale, tu parles ! C’est de la charcuterie espagnole et l’usine, tu la vois de l’autopista quand tu t’approches de Salamanque.

Bref, mon caviste me baratine. Gentiment, mais il me baratine. Il est sérieux pourtant. Ouvert tous les jours. Il va quand se balader dans les vignes ? Pendant son mois de vacances ? C’est un peu court, jeune homme.

Ainsi va le monde du commerce. Communication, baratin et pipeau. Tu finis par regretter les temps anciens et nostalgiser. Je regrette Peyrache. C’était mon copain, rue Monge, quand j’avais vingt ans. Il venait de Lyon et ne vendait que des vins du Lyonnais et du Beaujolais. Tu pouvais y aller avec ta bouteille vide qu’il te remplissait au tonneau. Des vins de ses copains. Bon, t’avais pas la si jolie étiquette et, en fin de journée, l’élocution pouvait être pâteuse. Mais quelles fêtes ! Si t’avais plein de copains, il te livrait lui même le petit tonneau que tu lui avais commandé une semaine avant.

Une semaine avant ? Il fallait prévoir ? Non. Il fallait mettre du temps et le vin, comme le livre, est fils du temps. Si t’as pas compris ça, bois de l’eau. Y’a pas de soufre et la qualité est constante. Et les caves sont inutiles.

On en reparlera….

PS : n’allez pas rue Monge. Voilà beau temps que Peyrache n’existe plus. Comme quoi, il y a des gens irremplaçables.

mardi 13 novembre 2012

jardin des supplices et victoire d'ignace

Dimanche, il était au supplice Alexandre Jardin. Il s’emportait contre Vincent Peillon à qui il reprochait de mentir. J’aime bien Alexandre Jardin, il a oublié d’être con. Mais il aurait pu garder son énervement s’il avait un poil réfléchi.

Il devrait savoir qu’Ignace a gagné depuis longtemps. Ignace, c’est un petit, petit nom charmant sauf s’il est suivi par « de Loyola ». C’est que le papa des Jésuites est aussi le papa du laxisme moral. Laxisme moral, ça semble pas aller trop bien avec Ignace. Et pourtant….

Retour sur image.. au début du XVIIème siècle, ça cartonne sec dans les facs de théologie. Le sujet : le mensonge. Sur le principe, tout le monde est d’accord. Mentir, c’est pas bien. C’est péché. Après, vient la vraie question : où commence le mensonge ? Et là, ça se discute comme disait le cocaïnomane télévisuel.

Si tu dis rien, est ce que tu mens ? Non, disent les uns (les Jésuites et leurs copains). Si tu dis rien, tu mens pas. Horreur ! disent les autres. C’est un mensonge par prétérition. Tu dis rien, mais tu dissimules la vérité. Et donc, tu mens. « Monsieur le Ministre, avez vous décidé … ? » . Le ministre te regarde droit dans les yeux. « La question est à l’étude ». Il ne ment pas, le ministre. Le décret n’est pas signé et donc, c’est pas fait. Pourtant, le décret est prêt. Et donc, c’est décidé. Mensonge ?

Ça va loin. Les Jésuites, ils ont une arme suprême : l’intention. Si l’intention est pure, il n’y a pas de mensonge. L’exemple le plus simple est celui du médecin qui affirme à son malade qu’il va guérir. L’intention est pure : il ne faut pas désespérer le malade. Le gros bobard n’est donc pas un mensonge. Juste une manière d’alléger la souffrance d’un autre.

On n’a pas hésité longtemps entre les deux attitudes. Tu penses bien que l’autre janséniste rigoureux, il faisait pas le poids. Rien que pour la baise, tiens ! Tu te vois dire la vérité quand tu veux tirer un coup ? Même le mariage, t’es prêt à promettre pour décider la gisquette à plonger dans les draps. L’intention est-elle pure dans ce cas précis ? Pourquoi pas ? Il s’agit simplement de permettre à une donzelle de profiter de mes capacités sexuelles exceptionnelles, de lui faire plaisir. Selon les copains d’Ignace, c’est pas un vrai mensonge. D’autant qu’il suffit d’être sincère quand on profère. Après, si les circonstances ont changé, on peut revoir sa position. Et les bourses vides, c’est un vrai changement de circonstances, non ?

Si ça s’appliquait qu’à la baise, ce serait moindre mal. Mais non. La position jésuitique, elle a été mise au point pour satisfaire le Créateur. Et ses créatures. Dans tous les domaines, notamment le commerce et la politique. Et là, je dois dire que depuis quelques années, ça fait fort.

Tiens, le Made in France. Si 50% du produit est français, t’as droit à l’étiquette. 50%, c’est que la moitié pourtant… Remarque, dans les antiquités, si 50% du meuble est XVIIIème, tu peux vendre le meuble pour bon. Du coup, y’a des ébénistes malins qui font une paire de bergères avec une seule bergère. Si t’es marchand, tu trouves ça normal… Si t’es client, tu peux tordre le nez. Mais au regard de la loi, y’a pas tromperie. Pas mensonge.

Des règles comme ça, y’en a un tombereau. On a un bel exemple en ce moment avec le cumul des mandats. Pas cumul, en bon français, ça veut dire un seul mandat. Ben non. Y’a des mecs qui t’expliquent que maire d’une commune de moins de 5000 habitants, c’est pas vraiment maire, juste un peu maire. Ceux là, c’est des héritiers d’Ignace. L’intention est pure : il faut aider les petites communes à être bien représentées. Des fois, t’écoutes, tu te demandes dans quel monde tu vis. On se dirige donc vers une interdiction du cumul des mandats sauf… C’est le « sauf » qui compte, faites moi confiance. Autre chose : il s’agit de mandats électifs. Des vrais mandats, avec des salles de vote, des urnes et des résultats dans le journal. Mais Président d’une communauté d’agglomération ? Là aussi, y’a des commentateurs qui chipotent. Comme quoi, ce serait pas vraiment électif. Tes pas élu par le peuple, t’es élu par d’autres élus. Comme les sénateurs ? Oui, mais non. Faut pas confondre….

On a du bol, nous les Français. On a une langue compliquée, certes, mais d’une précision extrême. C’est sympa, mais contraignant. Heureusement qu’on a des mots-icônes, des concepts totalement artificiels qui permettent l’évasion. La « civilisation » est un de ces mots. C’est quoi une civilisation ? Posez la question, vous aurez autant de définitions que d’interlocuteurs. Ça permet plein de dérives. La « civilisation arabe », par exemple, c’est quoi ? Est-ce que c’est déconnecté de l’Islam ? Tu vois, c’est pas si simple. Y’a de l’engueulade possible.

Et donc la communication est devenu un vaste bordel où les définitions précises copulent avec les notions floues. C’est vachement bien. Ça te permet de toujours avoir raison. De jamais mentir. De balader idées et concepts d’un monde à l’autre.

Ce fut d’ailleurs, l’un des premiers actes des Jésuites. En Chine. Les fils d’Ignace, ils avaient à leur disposition un caractère vachement pratique. Shen. Shen, ça désigne l’esprit, ça marche avec tout. Les dieux de la campagne et les mânes des ancêtres. Ils ont traduit ça par « Dieu ». Forcément, pour convertir, il leur fallait un Dieu. A partir de là, ils ont créé le concept de « religion chinoise ». S’il y avait un Dieu, fallait bien une religion. Ce qui permet à tout un chacun de parler des religions chinoises, y compris pour le confucianisme. On va pas y passer la nuit : je vous renvoie à Cyrille Javary et à son remarquable livre sur Les Sagesses chinoises. Sagesses, par religions.

Balader les concepts ainsi d’une société à l’autre, d’une civilisation à l’autre, c’est rajouter du bordel au désordre. Les traducteurs font ça avec délectation. Nous, on avale la bouillie traduite et on en déduit ce qui nous arrange. Tiens, juste un exemple tout bête. Le Grondement de la Montagne de Kawabata. Le titre japonais, c’est Yama no Oto. Oto signifie le bruit, simplement le bruit. Un grondement est certes un bruit, mais un bruit n’est pas nécessairement un grondement. Dans le texte, le traducteur a traduit amado par « volet ». Il se trouve qu’amado, ce n’est pas un volet, ni un contrevent, ni une persienne. Juste un panneau de bois qu’on glisse pour protéger les cloisons extérieures. C’est absolument intraduisible. Mais, pour le confort du lecteur, on traduit. On va pas lui demander de s’intéresser à la civilisation japonaise quand même ! Déjà qu’il a acheté le livre.

Tu chipotes, me disent mes copains. Oui. J’aimerais tellement pouvoir communiquer sans embrouilles. Et écouter sans passer mon temps à me demander où et quand on me prend pour un con…

On en reparlera…

vendredi 26 octobre 2012

LA SUBTILITE

Je sais, je suis pas un mec subtil. Je viens de découvrir qu’il y avait à Paris des dégustations de saké. Et même des mecs qui t’expliquent que si le grain de riz est bien poli, le saké est meilleur. Polisseur de grains de riz, ça c’est un boulot. Je me demande si Pole-Emploi l’accepterait.

Le saké, j’ai découvert ça, il y a quarante ans aux Langues O’. Enfin, pas aux Langues O’. Ils nous filaient des cours d’histoire, de grammaire, mais pas de saké. Et mon cher prof de philo Mori Arimasa, il avait la passion du foie gras. Ça nous rapprochait. Pas le saké.

Dans la rue de Nesle, y’avait un bar à saké. On y allait toutes les semaines voir l’arrivage. Pas l’arrivage de saké. L’arrivage de Nipponnes friponnes. Les gisquettes aux yeux fendus, dès qu’elles arrivaient à Paris, elles passaient là, histoire de se faciliter la compréhension, de trouver les bonnes adresses et de causer avec les compatriotes. Normal. Tout le monde fait ça. Le bar à saké, c’était un nid de filles à lever. C’était d’une facilité déconcertante. On était jeunes et beaux. Si pas beaux, pas grave, elles ont pas le même sens de l’esthétique que nous. Surtout, on était Français et on baragouinait le nippon. Moi, pas terrible, mais ça suffisait. On avait l’image du French lover comme un halo autour de la tête, on avait du temps libre pour les emmener à Montmartre. On était des passerelles.

Alors, tu parles que du saké, j’en ai ingurgité. Moi qui avais le palais culotté à l’Armagnac, je trouvais ça dégueu. T’as pas les arômes du vieux chêne. Le mec, il te servait le tiédasse breuvage avec des mines de curé de campagne remplissant les burettes. On était pas là pour remplir les burettes. Plutôt pour les vider. On faisait le marché, on détaillait, on soupesait. Je sais, c’est pas très romantique. Question utilisation de la langue, c’était pas terrible non plus. Kuchizuke, c'était pas d'eblée.

En avançant dans la gastronomie japonaise, j’ai pas été déçu. Surtout au Japon. Je vous parle d’un temps où les restaus japonais, y’en avait qu’un à Paris. Miki, aux Champs Elysées. Les temps ont changé. Le goût des sushis aussi. Et, par voie de conséquence, pour se taper du sushi bon marché, fallait prendre l’avion. Mon premier déjeuner à Osaka avec l’ami Gérard, il m’a emmené dans un restaurant traditionnel, un petit pavillon planqué dans un jardin avec un musicos qui jouait du shakuhachi. Le shakuhachi, c’est une sorte de flûte grave avec un son proche du saxo. Mais le mec qui jouait, c’était pas Johnny Hodges. La musique non plus. Musique traditionnelle aussi excitante que le gamelan. On nous a apporté un pot en fonte, très joli, avec une eau claire où flottaient quelques algues et des cubes de tofu. J’arrivais de Bayonne. Passer des chipirons au tofu, c’est pas possible. Surtout avec le shakuhachi. En japonais, shakuhachi suru, c’est faire une pipe. Là, je tolère. Mais musicalement, non.

Bon copain, Gérard m’a fait la totale en m’initiant au thé vert que, depuis ce jour, je tiens pour une boisson pour moine hépatique. On m’avait élevé au Madiran et à l’Armagnac. C’est ça le choc culturel.

Après, t’as toujours le droit de faire semblant, de t’extasier, d’avoir l’œil qui chavire, de trouver des subtilités introuvables. Ou alors, tu dis comme Kipling : East is East, West is West, and never they’ll meet.

Le Japon m’a prodigieusement emmerdé. J’ai toléré parce que je bossais au restau du pavillon français de l’Exposition Universelle. Cuisinier interprète, j’étais. Je devais transmettre à une armada de marmitons nippons, les instructions du chef Chanel (c’était son nom, un Bourguignon qui m’a initié au Chablis). Fais moi confiance, aux Langues O’, t’apprenais pas comment on dit roux ou fond de sauce. J’ai pas progressé en japonais, mais en technique culinaire, ça allait. Surtout, je bouffais avec le personnel. Quand tu t’es collé un vol-au-vent à midi, t’acceptes le sushi vespéral. Une fois par semaine, le mardi, l’avion de Paris apportait les fromages. Et les Crozes-Hermitage permettait de supporter le thé vert et la soupe au miso.

J’ai vécu avec le peuple. Mes copains japonais, c’étaient pas des maîtres de zen. Y’a pas plus de maîtres de zen au Japon que d’abbés bénédictins en France, faut pas croire. Je le savais, Mori Arimasa m’avait prévenu. Il avait un regard aigu sur la civilisation japonaise. Tellement aigu qu’il s’était barré. Aujourd’hui, je vois avec surprise et hilarité, les japoniaiseries envahir la France. On voit partout des trucs à pendre. Tu sais pas ce que c’est ? Mono en japonais, c’est la chose, le truc, le bidule. Et kakeru, c’est pendre. Kakemono, ça veut dire chose qui pend. Truc qui pendouille. C’est moins joli, non ? Hé, Ducon, si tu trouves kakemono joli, c’est que tu sais pas ce que ça veut dire. Moi, je traduis, automatiquement, et je rigole. C’est vrai que si le publiciste il te disait qu’il a ajouté des trucs qui pendouillent à ta com’, tu lui paierais pas sa facture.

Pareil pour les sushis. J’ai adoré les sushis. Dans certains restaus, les mecs, ils te sortaient le poisson de l’aquarium et, en deux temps, trois mouvements, les filets se retrouvaient ensushités. T’avais dans l’assiette le poisson qui nageait dix minutes avant. Tu pouvais pas dire que c’était pas frais. Remarque, congelé, c’est plus que frais. Mon problème, c’est que les sushis, ça coûtait un bras. T’étais obligé de limiter. Pour passer deux heures à table, fallait avoir la carte bleue super-platinium. Au Japon, j’ai passé mon temps à avoir faim.

Alors, c’est vrai, je suis pas subtil. J’ai pas l’admiration hyperbolique. J’ai fait semblant un temps. J’écoutais du gagaku et du gamelan pour faire classieux alors que ma passion, c’est les chœurs d’hommes basques et John Lee Hooker. J’ai participé à des cérémonies du thé en me demandant si on se foutait pas de ma gueule parce que mes copains japonais, ils me disaient que c’était des trucs à touristes. Je me suis même fusillé les pieds avec des getas pour faire couleur locale, j’ai visité des mégachiées de temples et des jardins de sable ratissé en faisant semblant d’y découvrir l’univers, comme on me l’avait appris à l’école.

Et puis un jour, je me suis dit que les discours convenus, ça commençait à bien faire. Que je me paluchais les neurones avec la signification du torii mais que je ne savais rien des tympans romans. Qu’avant le gagaku, je ferais mieux d’écouter le grégorien que j‘ignorais. Et que pour méditer j’avais ce bon vieux Ignace et ses Exercices spirituels qui me disait autant que les maîtres du zen.

Et que l’Armagnac, c’est tout aussi subtil que le saké….

On en reparlera..

mercredi 17 octobre 2012

JE SUIS UN BON FRANÇAIS

Des fois, les copains viennent prendre l’apéro à la maison. On fait gaffe à être modérés : ce qu’on modère le plus d’ailleurs, c’est la modération. Mais vous savez ce que c’est. Y’en a toujours un qui a découvert un petit rouge de la vallée du Lot. Un autre qui veut nous faire un comparatif des anis méditerranéens, bref, l’un dans l’autre, on se met un peu minables. On se prend une belle torchée, une murge, une mufflée. Même que les plus faibles, ils doivent parfois s’isoler pour faire caca par la bouche. On poursuit une tradition historique longue, avec des banquets républicains, des conseils de révision homériques et des précédents culturels qui remontent au moins jusqu’à Noé. Bref, on est des bons Français.

On s’abime le budget mais on s’allège la feuille d’impôts. Nos fournisseurs, qu’ils soient au CAC 40 comme notre fournisseur de jaune ou petits vignerons, ils payent des taxes, des impôts, de l’URSAFF, des acquits-congés, ils salarient des hommes et des femmes qui, à leur tour, vont payer des impôts et des taxes. Nos picolages sont une modeste contribution à l’effort national pour relancer la croissance. On a le sens civique ou on l’a pas.

C’est pour ça que je suis farouchement contre la dépénalisation du cannabis. Surtout quand on m’explique que c’est le consommateur qu’il faut dépénaliser. Ho ! ça va pas la tête ? Le consommateur de cannabis, il entretient une économie souterraine et illégale (ou parce qu’illégale, ça change rien) et il serait, en plus, exonéré de taxes ? Au moment où on a le budget qui part en roue libre ? Ben non. Faut pas être con : le consommateur, on l’a sous la main, il est pas organisé, il pense pas à mal, il faut le taxer, c’est une proie facile. Pourquoi on taxe mes addictions et pas les siennes ? Et le principe de l’égalité républicaine, alors ?

C’est vrai, ça. C’est un des principes de base de notre société, l’égalité devant l’impôt. Le fumeur de joints, il nous coûte une fortune et il nous rapporte rien. Parasite ! Mauvais Français !

Il paraît que c’est à cause de ça qu’il faut dépénaliser. Parce que ça coûte trop cher ; OK, mais faut pas faire les choses à moitié. On pourrait monter une entreprise d’Etat (Bruxelles va encore râler, mais on s’en fout), un truc sur le modèle de l’antique SEITA, un truc qu’on appellerait la Société des Hallucinatoires Importés et Taxés (en abrégé SHIT) qui importerait, emballerait et taxerait la production botanique marocaine. Je dis marocain, mais c’est juste un exemple, je suis pas raciste. Là, du coup, le chanvre devient rentable et mes impôts baissent.

Remarque, on avait ça pour le tabac, la SEITA précisément. On l’a privatisée. Du coup, on s’est privés de plein de pognon qui est allé se nicher dans les poches d’Altadis. En plus, la SEITA, ça servait à enrichir les paysans du Sud-ouest. Il y a cinquante ans, des producteurs de tabac, y’en avait plein la vallée de l’Adour. Ils se sont reconvertis dans le kiwi, mais c’est moins bon à fumer, forcément. Et ça rapporte moins à l’Etat. On leur suggérerait de faire du chanvre et ça réglerait une partie du problème de nos campagnes. Les mecs, ils auraient tout comme les autres, une Chambre syndicale et un stand au Salon de l’Agriculture, avec dégustation gratuite. Succès assuré.

D’où je suis, je vois mon addictologue préféré faire la gueule. JLP, il tolère le jaune (tradition culturelle et rugbystique oblige) mais la fumée, il supporte pas. Alors la fumette, même pas en rêve. Je connais tous ses arguments mais il est médecin, pas économiste. Faudra que je lui explique que ça pourrait faire baisser ses impôts, ça lui relativisera la sainte colère.

Il va me dire que le chanvre détruit les neurones. Certes. Quand il y en a et quand on voit les émissions qui marchent à la télé, on peut se poser la question. Tous ces arguments, on les connaît. Ils sont tous bâtis avec le même sable que les arguments contre l’alcool et le tabac. Cessez de jouir pour vivre vieux ! Alors qu’économiquement, c’est le contraire qu’il faut faire : soyez malade, ça fait du PIB…Mourez jeune, ça allège les caisses de retraite. L’idéal, c’est le citoyen qui cotise pendant quarante ans et meurt après trois ans de retraite. Tout bénef…

Docteur, si j’arrête de fumer, de picoler et de baiser, je vais vivre plus vieux ?

Certainement, mais ça va te paraître encore plus long….

On en reparlera…

lundi 15 octobre 2012

UNE SIMPLE FRAUDE FISCALE

Il est gonflé l’avocat de Madame Lamblin. Pour dédouaner sa cliente, il ose parler « d’une simple fraude fiscale ». Bon. Madame Lamblin est élue d’un parti de gouvernement. Un gouvernement qui se bagarre pour aller chercher le moindre euro avec les dents. Et, elle, qu’est ce qu’elle fait ? Elle fraude. C’est pas grave, c’est une « simple » fraude fiscale.

On peut se douter qu’elle collabore pas avec les réseaux de la drogue. Les Verts, ils sont pour la dépénalisation. Alors, vivre du blanchiment, c’est très con. Tout simplement parce qu’on se bat d’un autre côté pour que le blanchiment devienne inutile. Ce serait scier la branche, non ?

Mais Madame Lamblin, elle pense pas qu’elle est élue et que, de ce fait, elle doit être exemplaire. Ho ! va me dire l’avocat, t’as jamais pensé à frauder, toi ? Mais moi, je suis pas élu. Moi, je n’ai pas ce devoir d’exemplarité. Et moi, je me dis qu’être élue de gauche avec un compte en Suisse, c’est pas logique. C’est pas sa faute, dit l’avocat. Elle en a juste hérité. Qu’est ce qu’elle pouvait faire ?

Ce qu’elle pouvait faire ? L’annuler, le vider, rapatrier son argent légalement en payant les taxes ad hoc. Etre claire par rapport à ses idées et à son engagement politique. Sauf que l’engagement politique, dans son cas, c’était rien. Que dalle. Rien que des mots pour que le couillon de base vote pour elle. Une manière de faire carrière, de continuer à toucher des subventions pour son association qui cause de design.

Sur Facebook, je communique avec des élus EELV, dont pas mal d’avocats et, depuis trois jours, je trouve leur silence exemplaire. Ils doivent être génés. Ils cherchent les mots. Taper sur une copine, ils peuvent pas. La défendre, ils savent pas. Ils vont me faire le coup de la présomption d’innocence. Pour la drogue, j’admets. Pour la fraude fiscale, elle est pas innocente. Son avocat l’admet. C’est moins grave.

Elle m’a fait repenser à ma copine Martine. Syndicaliste, conseiller aux prudhommes, responsable des Verts dans sa région, Martine c’était un fer de lance de l’opposition au maire UMP de sa ville. Qu’est ce qu’elle lui a passé ! Et puis, aux dernières élections, il lui a proposé un poste sur sa liste. Et Martine a accepté. Comme elle m’a dit : « Je vais pouvoir faire ». Faire quoi ? Le contraire de ce que tu as dit pendant dix ans ? Martine, elle m’a regardé comme si j’étais fou. Faire bouger les choses, le convaincre. Alors, elle a fait. Du cosmétique. Le notable, il lui a filé des miettes. Et il l’a utilisée comme il voulait, comme un alibi.

Les Verts (appelez les comme vous voulez et essayez de distinguer les divers courants), ils ont ce fonctionnement. Ils veulent des postes. De Waechter à Duflot, ils fonctionnent toujours pareil, planqués derrière Cohn-Bendit qui est passé de fourrier de la Révolution à stipendié de l’Europe. Il se veulent raisonnables, responsables. Et moi, je pense à Fournier et à l’An O1. Etre Vert, ce n’est pas être raisonnable, c’est demander l’impossible, c’est se battre contre les gens raisonnables qui acceptent la bouffe industrielle au motif qu’il faut nourrir l’Humanité.

Une qu’on n’a pas entendu, c’est Eva Joly. Qu’est ce qu’elle pense la juge inflexible d’une copine de son parti qui fraude le fisc ? C’est le moment de faire un exemple, de montrer qu’on n’est pas un juge à géométrie variable.

Le vrai problème est autre et il est plus profond. Notre mental nous pousse à croire qu’une explication peut être une excuse. Mais ce n’est pas le cas. On peut comprendre et ne pas pardonner. C’est comme ça qu’on pourrit le fonctionnement de la justice. En mélangeant la compréhension (le rationnel) et le pardon (l’affect). On peut comprendre qu’un môme au chômage cherche à survivre en dealant du shit. Doit-on l’excuser pour autant ? C’est la réponse à cette question qui est la vraie ligne de fracture.

On réfléchit en mélangeant les catégories. De ce fait, on enlève à l’Homme ce qui est sa principale caractéristique, sa responsabilité d’Homme. La responsabilité n’est plus qu’un mot : responsable mais non coupable. Ridicule ! le responsable, étymologiquement, c’est celui qui répond de ses actes. S’il y a culpabilité, il y a, obligatoirement, responsabilité. Un acte délictueux doit entrainer une réponse. On ne peut pas accepter l’excuse qui est toujours du domaine de la cour d’école : c’est pas ma faute M’dame. Ben si, c’est ta faute et même si je peux la comprendre, ce n’est pas une raison pour la pardonner. Si je t’enlève ta responsabilité, si je nie ton libre-arbitre, je nie ton caractère humain, je te renvoie à ton animalité. Le chien mord quand on l’agresse, l’homme se contrôle. Le chien fuit quand il a peur, l’homme contrôle sa peur et sort de sa tranchée pour se faire tuer.

On en a déjà parlé.

On en reparlera…

jeudi 11 octobre 2012

LA FNAC, ROME, LE LUXE

La vente de la FNAC n’est pas une surprise. Voilà près de six ans que le groupe Pinault veut se recentrer sur le « luxe ». Ceci nous donne une indication précieuse. Le livre ne fait pas partie du luxe.

Si François Pinault se promène dans Paris, je lui conseille d’aller vers le haut du Faubourg Saint-Honoré, voir quelques librairies dont la librairie de Claude Blaizot qui fut longtemps Président du Syndicat des Anitquaires. Il verra si le livre est du domaine du luxe ou pas. J’étais voici peu dans une librairie du Quartier Latin. Deux jeunes gens, totalement incapables de me conseiller, regardaient des sites de bibliophilie et se gaussaient devant des ouvrages qui frôlaient les 3000 euro. La somme leur paraissait folle. Il est vrai qu’il ne s’agissait « que » d’un grand papier de Paul Morand avec une superbe reliure et un envoi.

En créant une librairie dont le seul critère était le prix, André Essel et Simone Mussard ont détruit la notion de luxe dans le livre. Ils ont détruit bien d’autres choses, dont la compétence d’une profession qui savait faire la différence entre ses clients et discriminer les différentes éditions d’un même ouvrage. Une vendeuse de fringues sait encore faire la différence entre un pull de chez Tati et une robe de Jean-Paul Gaultier. Un vendeur de librairie ne sait plus ce qu’est un grand papier ou un tirage de tête.

Chez Pole Emploi, que je fréquente, le métier de libraire est classé sous la rubrique ROME D1211. ROME, ça veut dire Répertoire Opérationnel des Métiers et des Emplois. Il paraît que ça sert à diriger les demandeurs d’emploi. On utilise la lettre D pour définir un Domaine professionnel. D 1211, c’est le domaine des loisirs. Pour la poignée d’imbéciles qui a défini ce domaine, la librairie est un « loisir ». Moyennant quoi, Pole Emploi m’adresse régulièrement des offres pour aller travailler chez Décathlon ou chez Toys’R Us. C’est pathétique.

C’est pathétique à une époque où tout le monde se pique de culture. Libraire n’est plus un métier de culture, c’est un métier de « loisirs ». Il est vrai que la culture sert à vendre des loisirs, des week-ends à la ferme par exemple ou des séjours dans des clubs de vacances. La culture est devenue le vernis, l’emballage pour vendre tout et n’importe quoi. La confusion est totale. On a juste besoin d’un peu d’histoire pour emballer la politique touristique d’un site, d’un peu d’ethnologie pour aller en terre inconnue, et pas du tout de littérature pour vendre le dernier Goncourt. Un jeune libraire à qui je faisais passer un entretien d’embauche et auquel je demandais ce que lui évoquait « Voiture » me répliqua qu’il dirigerait le client vers le rayon « Automobile ». Que Vincent Voiture soit un poète majeur du Grand Siècle ne l’avait pas effleuré un instant. Moyennant quoi, il se piquait de pouvoir être un acteur culturel. Le pire, c’est que l’anecdote ne choque pas et que je passe régulièrement pour un vieux con obsédé par Lagarde et Michard. Quand on vend des livres, Lagarde et Michard ne me paraît pourtant pas la pire référence.

La caractéristique du luxe, c’est d’être élitiste. Pas seulement économiquement. Il y a dans le luxe, des segments entiers fondés sur la culture. Les ventes aux enchères, par exemple, et on se demande encore si les objets d’art doivent être inclus dans l’assiette de l’ISF. Car, comme le luxe, la culture est élitiste. C’est chiant parce que tout le monde voudrait être cultivé. Et donc, on simplifie, on assèche, on écorche pour que chacun puisse se croire possesseur d’une partie de la culture universelle. Que se cultiver soit un travail quotidien, récurrent, difficile, n’effleure personne. Dans la culture aussi, il y a le prêt-à-porter (le prêt-à-penser) et la haute couture (la haute culture).

François Pinault ne me demandera pas conseil. Mais s’il le faisait, je sais bien ce que lui dirais : qu’il lui suffit de reprendre la FNAC en mains et de la transformer en vraie librairie, en librairie de luxe. Il en a les moyens. Il perdrait des clients mais il augmenterait sacrément son panier moyen. Et ses marges. Il devrait aussi revoir toute sa politique de stock et son personnel. C’est un gros travail. Un travail complexe parce que ça suppose l’abandon de procédures et surtout d’automatismes. La culture ne peut pas être dirigée par des ordinateurs avec une vision quantitative. Il y faut une connaissance fine. Et une large partie d’improvisation.

C’est certainement valable aussi pour le disque et les autres secteurs de la FNAC. A chasser sans cesse des clients qui cherchent la gratuité on finit par travailler pour rien. Ce qui vient d’arriver à Surcouf.

Ce qui pourrait aussi arriver, c’est que le concurrent permanent, Bernard Arnault, lui rachète la FNAC et réussisse cette transformation. Il est dans ce trip, Arnault. Il a investi chez les commissaires priseurs et les galeries. Il a les moyens de réussir ce pari. Ça, ça me ferait marrer. Mais j’y crois pas trop. L’idée selon laquelle le livre n’est pas, pire ne doit pas, être un luxe, est trop ancrée dans les mentalités.

On en reparlera…

mardi 9 octobre 2012

QUAND J’AVANCE, TU RECULES…

OK, la référence est un peu vulgaire… Mais j’ai beau chercher, c’est celle-là qui s’impose. Je me souviens du Bourget. Il était beau quand il disait : « Mon ennemi, c’est la finance… »

Quand t’as un ennemi, en général, tu lui fais la guerre. Enfin, moi, je vois ça comme ça… Pas lui, à priori. A moins qu’il ait une super-stratégie bien cachée, mais, je sais pas pourquoi, j’y crois pas trop.

Résumons. Les industriels lui font un bras d’honneur. Peugeot ferme, Mittal ferme et si t’es pas content, c’est pareil. Mais les industriels, c’est pas la finance. Quand ils sont cotés en Bourse, si.

On va signer le traité qui nous lie pieds et poings liés à Bruxelles. Mais Bruxelles, c’est pas la finance. Ben voyons ! Bruxelles est vautré sous la semelle du FMI et favorise une politique ultra-libérale pour « rassurer les marchés ».

Une poignée de « créateurs d’entreprise » (Meetic, tu parles d’une entreprise !) fait les gros yeux. Et il recule…

L’archétype du financier international destructeur de plus-value sociale va se planquer en Belgique et il se tait.

Peu à peu, ils avancent leurs pions, ils tapent sur la table, ils menacent et lui, il s’écrase. C’est ça la guerre à la finance ? Ils sont où les bataillons ? Elles sont où les décisions ? Elle est où la stratégie ?

La vérité, c’est qu’il pète de trouille devant son ennemi. Trouille de voir le chômage augmenter, trouille de voir la dette exploser, trouille surtout de pas être réélu. Là, je le rassure, il sera pas réélu. L’arme absolue en matière électorale, c’est l’espoir. Mais quand tu as tué l’espoir, tu te retrouves à poil. Hollande est à poil.

Bon, je suis pas trop déçu. Je le savais que c’était du pipeau, qu’il était trop confit dans la politique depuis des années, trop consensuel, trop proche de Delors. Mais on a quand même le droit de se dire qu’il pouvait corriger au moins sur les marges. Même pas. L’affaire Mittal est caricaturale. Sarko, il avait dit : on fermera pas Florange. On savait que c’étais pas vrai. Avec Hollande, on pouvait penser au moins à une action symbolique. Même pas. Par exemple, la reprise des hauts fourneaux par l’Etat. Voilà : on va recréer une sidérurgie française. A court terme, ça va coûter un peu. On va subventionner. L’Europe va pas être contente. On s’en fout. Si demain, on a besoin d’acier, on en aura. Pour faire la guerre par exemple. Meuh non ! Y’aura plus de guerres. Ça, c’est ce qu’on dit. Si on continue, y’aura plus de guerre parce qu’on n’aura pas les moyens de la faire. Sur le plan économique, c’est déjà le cas.

Le problème des politiques, c’est qu’ils sont déconnectés de leur peuple. Le peuple, il a envie, il a toujours eu envie, d’un Etat fort, c’est à dire protecteur. Le peuple, il aime la police, l’armée et les rodomontades. T’as qu’à parler avec lui, il est toujours prêt pour une bonne baston. Pas trop quand même. Mais un peu, oui. Et aujourd’hui, le peuple, il se sent pas protégé.

C’est ça, le problème.

On en reparlera…

jeudi 27 septembre 2012

MONTE BOURRE LE MOU

Il est rigolo Arnaud Montebourg. Il est avocat et donc, il pense que les mots suffisent. Normal, c’est son fonds de commerce la causette.
Il veut qu’on consomme patriotique. J’approuve, bien entendu. Mais comment je fais ? Je veux dire au quotidien.

Tiens, juste un exemple dont j’ai parlé par ailleurs. Les conserves. Chez ton épicier, tu veux acheter des haricots verts, sur l’ardoise tu as la provenance. Kenya, France. Tu sais. Tu sais à peu près, parce que les cours des halles, des fois, ils se gourent. Ou ils approximent, style « Union Européenne » pour les champignons ramassés en Pologne. Mais, bon, en gros, t’es au courant. Pas de tout. Tu sais pas si c’est du plein champ ou du sous-serre. Mais, la nationalité, ça va.

Les conserves, tu sais pas. Tu sais juste où ça a été mis en boîte. EMB 84, ça veut dire que c’est mis en boîte dans le Vaucluse. Comme la tomate qui arrive de Chine en container On en a déjà parlé. Conserveries du Cabanon, ça veut dire tomate chinoise. Là, tu admettras que pour consommer façon Déroulède, c’est pas évident.

C’est pas lié à l’Europe, pour une fois. Les Espagnols, ils sont obligés de mettre où le légume a été produit. C’est comme ça que tu vois de belles asperges dans des bocaux castillans avec la mention « Produit de Chine ». Ou des poivrons péruviens. L’Andalou de base, il peut choisir. Pas moi.

C’est une idée que je suggère au ministre bavard de l’érection efficace. A mon âge, redressement c’est synonyme d’érection, faut me comprendre. Obliger, et vite, les conserveurs à mettre là ousque le légume a poussé. On découvrirait plein de trucs marrants, par exemple sur les produits Carrefour discount. Pas la peine de te compliquer la vie. Tu passes la frontière, tu vas chez Pryca, la filiale espagnole de Carrefour et tu verras les mêmes produits que chez toi. Estampillés Chine en général. Normal. Carrefour a trois centrales d’achats en Chine, et pas que pour les jouets. On peut même penser que pour les illettrés, on pourrait mettre le drapeau.

La grande distribution va hurler, renâcler, trouver des prétextes. Dire que ça oblige à refaire les étiquettes et que ça coûte. Mais le consommateur de base, il saurait et il pourrait choisir. Des fois c’est difficile. Comment tu fais avec les macédoines de légumes où les carottes sont chinoises, les haricots verts kenyans et les petits pois argentins ? J’admets, c’est complexe. Faudra plein de drapeaux et le consommateur de base devra apprendre la vexillographie (c’est le mot correct pour l’art des drapeaux et Word me le souligne comme si c’était pas français. Imbéciles !)

Un truc comme ça, ça leur détruirait les marges. Parce que les produits importés, ils sont achetés beaucoup moins cher et vendus un peu moins cher. La différence entre moins et beaucoup, c’est beaucoup d’argent. Mais ça reste une bonne idée. Si le consommateur choisit d’acheter français, la grande distribution, elle va rogner sur ses marges pour continuer à vendre de l’exogène. Et donc, c’est bon pour le pouvoir d’achat. En faisant ça, Arnaud Pulvar, il gagne à tous les coups. D’un côté, il brosse les paysans dans le sens du poil, de l’autre il fait baisser les prix.

Dans le même ordre d’idées, ce cher Egmont Labadie, excellent journaliste car vrai fouille-merde, publie sur sa page Facebook (Les zinzins du zinc) une photo hallucinante d’un jambon industriel où il est indiqué que le cochon (retenez votre souffle) est né au Canada, élevé en Australie et abattu et transformé en Belgique. Le bestiau, il a fait le tour du monde et il reste plus rentable que le goret vendu sur le marché de Trie-sur-Baïse qui est La Mecque (si j’ose dire) du cochon. J’aimerais qu’on m’explique. Doit y avoir de la subvention planquée.

Arnaud, il s’intéresse pas aux paysans. Il parle que de ferraille. Il cogne sur les voitures coréennes produites en République Tchèque (c’est l’Europe) mais il lui vient pas à l’idée qu’on achète plus souvent des carottes que des bagnoles. Le cul-terreux, c’est pas sa tasse de thé. En plus, il doit se dire que la balance de l’agro-alimentaire étant positive, y’a pas de raison de s’énerver. Ben si. Dans le redressement productif, il y a aussi les paysans, la mort des villages, la désertification des campagnes.

Y’a d’autres idées simples. Par exemple obliger à mettre les producteurs de semences. Une belle boîte de maïs avec l’étiquette « Maïs Monsanto », ça serait de la vraie information. Géant Vert ferait un peu la gueule. Je rêve d’emballages de saumon fumé avec la mention « Saumon génétiquement castré » ou de lire chez mon poissonnier « Panga élevé au Viêt-Nam » ou « Lotte pêchée par un bateau japonais ».

Mais voilà. J’ai le sentiment qu’Arnaud nous bourre le mou. Il cause, il cause, mais des mesures simples pour nous aider à choisir, on les attend encore. Remarque, quand on a l’info, on achète pas français pour autant. Je regarde mon voisin fleuriste revenir de Rungis. Roses d’Equateur, orchidées de Thaïlande, qu’on va mettre dans des vases chinois, c’est pas patriotique. Il paraît qu’on n’en produit plus en France des roses.

C’est Ronsard qui ferait la gueule s’il revenait.

On en reparlera

samedi 11 août 2012

DOUX, C’EST DUR

Ben voilà. Grâce à la faillite de Doux, le grand public apprend des choses. Par exemple que 40% des poulets vendus en France viennent d’ailleurs. Non ? Si. Pourtant, je fais gaffe quand j’achète un poulet. Fermier. Avec une belle certification. Saint-Sever, Loué.

Oui, mais le vrai marché du poulet, c’est pas ça. C’est les préparations, les boulettes, les nuggets, tout ce qui est conditionné après avoir été broyé, malaxé. La peau, les bas morceaux, les abats. Pour ces trucs, pas la peine d’avoir du poulet de St-Sever, élevé en liberté et nourri au bon maïs des Landes. L’étique volaille chinoise ou le poulet roumain suffisent bien. Au passage, notez que la publicité des producteurs de Loué fait vendre le poulet chinois. Le pékin de base qui voit courir des poulets en liberté, vifs et gras, il enregistre le message : le poulet, c’est bon, c’est sain. Après quoi, il va acheter des nuggets aux yeux bridés.

On en a déjà parlé pour les légumes. Dans les magasins, c’est que de l’Européen bon teint : France, Espagne, Italie. Un peu de Maroc aussi, faut être juste. Mais dans les boîtes ? Dans les boîtes, on sait pas. Ça dépend des cours mondiaux. Y’a du chinois, c’est sûr. Du vietnamien aussi. Et du kenyan, de l’argentin, du péruvien. Du pas cher dont tu sais pas comment c’est cultivé.

Les cours mondiaux, c’est rigolo. Les fruits augmentent à cause du printemps humide. Chez nous. Les céréales augmentent à cause de la sécheresse. Ailleurs. La réciproque, c’est que nos céréales devraient baisser ainsi que les fruits des autres. Pas du tout. Les cours, ça s’ajuste toujours au plus haut. Les producteurs de maïs landais, ils bénéficient de la sécheresse américaine et les producteurs d’abricots marocains touchent les dividendes de la pluie languedocienne. Enfin, quand je dis ça, c’est pour simplifier. Celui qui touche, c’est le distributeur. Il calcule son prix de vente sur le produit rare et il applique ce prix au produit abondant. C’est doux, la musique du tiroir-caisse.

Sur Facebook, j’ai une copine productrice de foie gras qui pleure parce que le maïs est à 270€ la tonne. Où qu’on va ? qu’elle dit. Ben, ma chérie, tu vas où va le chemin que tu as choisi. Tu fais de l’agriculture sans amont. Jadis, les producteurs de foie gras, ils produisaient leur maïs. Les cours mondiaux, ils s’en tapaient. Faut être juste, la production du maïs, c’est vachement plus dur que la production de foie gras. Labourer, semer, arroser, récolter, stocker, égrener (c’est dur d’égrener du maïs, ça bousille les pouces, je sais, j’ai fait au long de veillées interminables sans Laurent Ruquier). Et si tu veux augmenter le nombre de canards, faut augmenter le nombre d’hectares. Et investir dans une égreneuse, toujours protéger les pouces. C’est quand même plus simple de téléphoner à Maïsadour.

Faudrait voir à comprendre que l’agriculture, c’est un tout. Avec un aval et un amont. Tu cultives des betteraves pour nourrir les cochons, du maïs pour nourrir la volaille et du foin pour l’hiver des vaches. Après, tu peux décider que c’est plus simple d’acheter les betteraves, le maïs ou le foin. Après encore, tu vas prendre des succédanés, des granulés de Duquesne-Purina, estampillés INRA, que c’est quasi la même chose.

La différence essentielle, c’est que tu t’es libéré du travail, du climat et des aléas pour te coller entre les mains de ton fournisseur. Or, je sais pas si tu as remarqué mais le climat, c’est changeant. Pas le distributeur. Le climat, y’a de bonnes années et de mauvaises années. Le distributeur, macache ! Ça baisse jamais. Avec le temps, tu t’aperçois qu’il y a de mauvaises années et de très mauvaises années. Trop tard ! T’as vendu les terres, ou tu les a converties, t’as plus le tracteur et l’épandeuse à engrais. T’es ficelé. Tu t’es mis dans un modèle où tu es dépendant. Restent tes yeux. Pour pleurer.

L’agriculture étant ficelée, le consommateur est bloqué. Plus personne n’a le choix. Le camembert normand est fabriqué avec du lait roumain à 10 centimes le litre. Le ministre a la réponse : le camembert, c’est une AOC pas une IGP. AOC, c’est Origine, IGP, c’est Géographique. Bon. L’origine n’est pas géographique. Le journaliste pourrait demander au ministre s’il se fout pas un peu de notre gueule. Parce que Origine, ça désigne un lieu, c’est à dire un point géographique. Pas en novlangue.

Suivez moi bien. Origine, c’est le lieu de fabrication. Les produits de base, on s’en fout. Raison pour laquelle une partie du roquefort est fabriqué avec le lait des brebis pyrénéennes. Leçon n° 1 : on ne sait pas quel lait, il y a dans nos fromages. Ce qui n’empêche pas les publicitaires de te présenter de mignonnes brebis cévenoles ou de grasses vaches mayennaises pour vanter le frometon. Kikékoku ? aurait dit Queneau.

Géographique, c’est autre chose. Là, t’es sûr que le produit vient intégralement du lieu indiqué. Tu crois ? L’IGP Jambon de Bayonne prévoit que les cochons peuvent être élevés dans le Poitou. Poitiers, banlieue de Bayonne ? En géographie agro-alimentaire, oui. Quand t’en es là de la manipulation, tout est possible. Bayonne ayant été possession anglaise jusqu’à Jeanne d’Arc, on aurait pu ajouter les cochons du Yorkshire.

Tiens, une autre bien bonne sur le jambon de Bayonne. Si tu vas à Arzacq-Arraziguet, au Musée du Jambon de Bayonne (si,si, ça existe), tu verras un beau panneau où qu’on t’explique que le jambon sèche bien à cause du vent du sud, que c’est le vent du sud qui fait les bons jambons. Le musée est adossé à un séchoir industriel où tout est informatiquement contrôlé, bien clôt et où jamais ne pénètre le vent du sud. C’est beau les produits naturels !

Que peut-on faire ? En l’état, rien. Décrypter des étiquettes mensongères ou incomplètes, avaler des publicités mensongères (pas au sens de la loi, au sens de la morale) et se débrouiller comme on peut.

Mais comme m’a dit un de mes copains : on n’en meurt pas.

Qu’est ce qu’il en sait ?

On en reparlera…..

mardi 31 juillet 2012

L’EXIGENCE…..

Nous n’avons plus aucune exigence. Le médiocre nous satisfait. Si le médiocre est un peu moins médiocre, ça va bien.

L’avantage des réseaux sociaux, c’est qu’ils sont une magnifique caisse de résonance des stéréotypes et des médiocrités. Tout le monde s’auto-congratule, s’auto-encense, met en avant des vacuités ahurissantes. C’est déjà comme ça dans la vraie vie, mais sur Internet les limites explosent.

Une artiste espagnole crée une sculpture où quelques milliers de livres collés les uns aux autres débordent d’une fenêtre. Commentaires affligés : mais où va le livre ? où va la culture ? Personne ne pose la vraie question : sont-ce des livres ? Dans la plupart des cas, ce sont simplement des produits éditoriaux, des choses qu’on fabrique pour assurer le chiffre d’affaires des éditeurs et des libraires, des trucs qui ne passeront pas l’épreuve du temps qui reste, encore et toujours, la pierre de touche de la culture. Bien sûr, ça ressemble à des livres. Papier, typographie, c’est bien un livre. Ben non. Pour savoir, il suffit de se poser les vraies questions. Est-ce que l’auteur finira dans le Lagarde et Michard ? Si la réponse est non, alors il y a de fortes chances que ce ne soit pas un livre. Le vieux libraire que je suis aime à regarder en arrière. André Soubiran, vous vous souvenez ? Des millions d’exemplaires vendus dans les années 1960. Des histoires de médecins et d’infirmières sans aucun intérêt. Disparu dans le gouffre du temps. Soubiran n’était pas un écrivain, juste un raconteur d’histoires. Son succès ne disait rien, ne prouvait rien. Les livres de Soubiran n’étaient pas des livres mais des produits. A la même époque, Robbe-Grillet écrivait Les Gommes. Qui a passé l’épreuve du temps ? Bien entendu, Robbe-Grillet était plus difficile à lire, plus « prise de tête » comme disent les imbéciles qui n’ont toujours pas compris qu’un livre, c’est précisément fait pour prendre la tête, la remuer, l’agiter et la laisser différente de ce qu’elle était avant la lecture de ce livre. Un livre, c’est fait pour penser. Sinon, c’est simple, c’est pas un livre.

J’ai eu pas mal de voitures dans ma vie. Des merdes. Des voitures médiocres, les voitures du quidam de base. A trente ans, je leur trouvais des qualités. « Elle est bien ta voiture ? ». Oui, bien sûr. Tu crois que j’aurais dépensé tant d’argent pour acheter une mauvaise voiture ? Je suis pas idiot quand même. La vérité, c’est que les vraies voitures, j’ai jamais eu l’argent pour me les offrir. Encore n’est-ce pas seulement une question d’argent. Pour trouver une AC Cobra Shelby, il faut être riche, patient et passionné. Nous conduisons tous, non les voitures que nous avons choisies, mais les voitures que nos moyens nous permettent. Il y a moins de Ferrari que de Porsche dans les parkings, même à Puerto Banus. On fait avec ce qu’on a….

Internet regorge de sites dédiés au vin. Tout le monde nous y propose des « découvertes », des vignerons incroyables, des petits vins à 15 € la bouteille. Tout ceci suscite une superbe littérature où on trouve au vin des arômes de tout, de mûre, de noisette, de vanille…. mais jamais de raisin ! Là encore, je n’ai bu que très peu de grandes bouteilles : un Yquem 47 mais le souvenir en est lointain, un Romanée-Conti, quelques Petrus, un Cheval-Blanc, deux ou trois Haut-Brion, un Maury exceptionnel (75 ans de foudre). Quand tu mets ton nez dans le verre, la différence explose. Mais voilà : rares sont ceux qui ont les moyens de boire du Haut-Brion à tous les repas. Alors, on fait avec des ersatz, on s’accommode, on se débrouille, on cherche le rapport qualité-prix sans admettre que le rapport peut être bon avec une qualité médiocre. Ben oui ! C’est un rapport. Si la qualité est médiocre et le prix médiocre, le rapport peut être bon. Oui, me disent mes copains mais c’est pas tout à fait ça, tu comprends bien ce qu’on veut dire.

Ben non, je comprends pas. Un rapport est un rapport. Si tu violes les mots, tu violes la pensée. Ce que veulent dire mes copains, c’est que tu mets 15€ mais tu en as pour plus que 15€, question plaisir. Ouais. Dans ce cas précis, ton plaisir, il vient pas du vin, il vient du discours que tu tiens autour. T’as vu si je suis bon pour dénicher des vins de qualité ? Et le vigneron il est extra, enraciné dans son terroir, fou de son histoire et de son domaine. Et bla, et bla et bla… Mets ton nez dans un grand Saint-Emilion, tu verras si t’as envie de parler…

Tout ceci me ramène définitivement à Bouvard et Pécuchet. Les deux copistes de Flaubert ne savent rien, rien d’autre que parler. Ils servent de caisse de résonance aux stéréotypes du temps. Et toutes leurs tentatives de savoir échouent piteusement parce que le savoir se défie des stéréotypes. Parce que comprendre, c’est aller au delà du stéréotype, le contourner et le détruire. L’Histoire du Savoir est pleine de ces destructions. Voilà belle lurette qu’on n’explique plus les maladies par la théorie des humeurs.

Penser, c’est se mettre en danger. S’isoler. Se retrouver seul contre tous. Et en plus, ça ne suffit pas. On peut être seul contre tous et avoir tort quand même. Personne n’a envie de courir ce danger.

Alors, on fait semblant. On accepte la doxa. Avec ce paradoxe : on admire ceux qui sont allés contre la doxa et qui ont gagné. Pasteur est un bon exemple. Personne ne se demande : comment aurais-je réagi, moi, bon petit penseur conformiste face à la théorie pastorienne ? Il est vraisemblable que je l’aurais rejetée. Comme j’aurais ri de Van Gogh et comme j’aurais voté pour Pétain.

Dites ça, vous verrez la levée de boucliers. Tu acceptes la doxa de ton temps. Aujourd’hui, c’est de dire que Pasteur avait raison, que Van Gogh est un grand peintre et que Pétain était un traître. Il y a gros à parier que si tu acceptes la doxa de ton temps, tu aurais aussi accepté la doxa d’un autre temps. Ça te défrise ? Alors, essaye de prouver que tu ne suis pas le troupeau.

On en reparlera…

mercredi 25 juillet 2012

LE MODELE ALLEMAND

Je commence à en avoir plein le dos de l’admiration hyperbolique du modèle allemand. Plein de trucs remontent en moi, des discours prononcés il n’y a pas si longtemps et qui décrivaient l’Allemagne (le Grand Reich) comme un modèle de vertu, d’organisation, de discipline. Ein Volk, ein Reich, ein Führer.

Ne faites pas la moue. C’est pareil. Ils sont riches parce qu’ils sont disciplinés, organisés, travailleurs. Pas comme nous, les Latins, branleurs, truqueurs, fainéants et qui veulent jouir par le plaisir. En Prusse, c’est le travail qui fait jouir, il paraît. Et donc, on n’a que ce qu’on mérite. J’admets, les Grecs, ils sont pas vraiment Latins, mais c’est tout comme. Le Latin, il paye pas ses impôts, c’est même à ça qu’on le reconnaît.

Les Boches (faut appeler les choses par leur nom et se souvenir que Bécassine pensait que les Boches habitaient la Bochie, délicieux souvenir du délicieux Pichon), les Boches, ils ont pas le même fonctionnement que nous parce qu’ils n’ont pas les mêmes problèmes que nous.

D’abord, ils n’ont pas d’armée. D’accord, on leur a interdit, mais quand même, le différentiel entre leurs dépenses militaires et les nôtres, c’est grosso modo 20 milliards de dollars par an. Moyennant quoi, on s’est engagés à les défendre. On casque pour les protéger, normal qu’ils casquent pour nous aider. Tiens ! « casquer » va bien sur ce coup militaire.

Ensuite, ils ont la natalité en berne. Grosso modo 14% de moins de 15 ans dans la population alors qu’on flirte avec les 20%. Ça coûte cher les gosses. Faut offrir un suivi médical à la maman, faut des maternités, des écoles, des enseignants, des universités. Forcément, ça fait des sous qu’on dépense et pas eux. Comme en plus, les dépenses sociales, ils sont pas fanatiques vu qu’ils sont un peu luthériens, forcément y’a un gros différentiel. Comme préparation de l’avenir, il y a mieux, je trouve.

Armée, santé, éducation, ça explique le différentiel des dépenses publiques. C’est pas qu’ils gèrent mieux, c’est qu’ils n’ont pas les mêmes choses à gérer. Pas d’écoles, pas de casernes, ça facilite la vie du Ministre chargé de payer.

On a Dany-le-Vert qui vient nous expliquer qu’en plus, ils ont la fibre écologique et pas nous. Tu parles ! Plus de 40% de l’électricité produite par des centrales à charbon, je trouve pas ça très écolo. Dany, il fanfaronne comme quoi, les Boches aiment pas le nucléaire. Et pour cause ! On leur a interdit en 45. J’appelle pas ça un vrai choix de société. Alors, ils émettent des gaz à effet de serre, le double de nous en gros. Je veux bien qu’ils soient écolos, mais les chiffres plaident pas en leur faveur.

Le Boche, c’est pas un bosseur fanatique. Il est comme nous. Va sur les plages landaises en juillet, tu verras. Ou à Ibiza. Les Boches, ils font une fête pas possible, ils picolent comme nous, ils draguent comme nous, ils déconnent comme nous. Et chez eux, c’est pareil. Ils produisent pas plus, ni mieux. C’est juste que leur gouvernement, il ne dépense pas comme le nôtre, il n’a pas les mêmes contraintes, ni les mêmes obligations.

Alors, arrêtons. Arrêtons les comparaisons stupides. Ni eux, ni nous, n’avons le choix. Nous sommes bien obligés de payer pour nos gosses. Pour l’armée, ça se discute mais si, demain, on cassait le budget de la Défense, je suis bien sûr que la Teutonne turriforme viendrait chouiner qu’on met l’Allemagne en danger.

On en reparlera…

mardi 17 juillet 2012

ET LA MORALE ?

On vient d’en parler, on en reparle déjà. C’est que le sujet s’impose. Le sujet, c’est PSA. Il y a une sorte de consensus sur le sujet. PSA s’est planté de stratégie. Pas assez asiatique, trop axé sur le marché national, trop obsédé par le diesel. Les commentateurs commentent, le gouvernement contrôle ce qu’il peut et les salariés balisent.

Faut le dire : les raisons, on s’en fout. Le diesel, le marché national, on s’en fout. Il faut regarder ce qui s’est passé.

Ce qui s’est passé est très simple. Le management s’est planté et les raisons du plantage ne nous regardent pas. Il s’est planté avec l’accord du Conseil d’Administration. Les actionnaires, en tête desquels la famille Peugeot, ont avalisé toutes les bonnes et mauvaises raisons, toutes les bonnes et mauvaises décisions.

Et aujourd’hui que les mauvaises décisions reviennent comme un boomerang, ils trouvent la solution la plus inique, la plus amorale, la plus dégueulasse qui soit : ils en balancent la responsabilité sur leurs salariés. Mais les salariés n’y sont pour rien ! Ils ont fait ce qu’on leur a dit de faire, au moment où on leur a dit de le faire. Pas grave : la direction se plante, le prolétaire paie. Et plutôt deux fois qu’une vu qu’on parle d’une aide de l’Etat.

C’est caricatural. Le discours du Medef, c’est responsabilité d’abord. Surtout quand on gagne des sous. Quand on en perd, la responsabilité se dilue comme le pastis dans l’eau fraiche. Quand je gagne, je suis bon, quand je perds, c’est la faute à pas de chance, au marché mondial et à l’euro qui est jamais comme il devrait être. Et du coup, on va demander à l’Etat de payer les erreurs qu’on a faites. De qui se moque t’on ? Elle est où la morale de cette famille huguenote ? Il est où Weber avec sa morale protestante liée à l’esprit du capitalisme ?

Montebourg va recevoir Varin. Il va lui dire quoi ? C’est pas bien ce que vous faites ? Mais l’autre, il s’en tape de se faire gronder. C’est juste un mauvais moment à passer. Après quoi, il tendra la sébille. Quand on n’a pas de morale, on n’a pas, non plus, de dignité. Certes, ils ont tous deux des communicants grassement payés qui vont nous dorer la pilule.

Rêvons. Rêvons d’un ministre réellement à gauche qui dirait : « Tu fermes pas l’usine. Si t’en veux plus, on la confisque ». Ou bien : « T’as plus les moyens ? Pas grave. Donne nous les clés de la maison. Nous, on a les moyens de réinvestir. On va faire la Régie Nationale des Usines Peugeot. On a déjà fait, on sait faire ». Une vraie morale : t’as perdu, t’es à poil. Comme n’importe quel artisan qui passe au Tribunal de Commerce.

Mééééh ! va bêler Parisot. C’est pas pareil, c’est plus gros. Ben si, c’est pareil au niveau des principes. La taille n’a rien à voir à l’affaire. Je parle simplement de principes, ces principes dont on nous rebat les oreilles. Les coquecigrues qu’on nous fait avaler. Le capitalisme créateur de richesses, par exemple. Certes, quand tout va bien. Sauf que quand tout va bien, n’importe quel système crée de la richesse. Et depuis le temps qu’on le pratique, le capitalisme, on sait comment il fonctionne. Privatisation des profits, mutualisation des pertes. C’est simple et ça marche toujours.

Le plus étonnant, c’est qu’à part l’extrême gauche personne ne le dit. Il y a un consensus mou, politique et social. Une sorte d’égoïsme généralisé : dès lors qu’on me laisse des miettes, le système est bon. Puis vient le moment, où il n’y a plus de miettes. Je crois bien qu’on y est. Voilà trente ans que les managers rognent sur les miettes. Bien entendu, comme c’est des miettes, on ne s’en aperçoit pas.

Comment ça marche les miettes ? Simple. Le manager baisse les coûts. Tu gagnes du pouvoir d’achat. Et donc, la petite augmentation d’impôts pour payer les nouveaux chômeurs, tu l’avales sans soucis. Belle rasade de miettes. Et puis, la concurrence étant ce qu’elle est et la main du marché dans la culotte de ma sœur ce qu’elle doit être, le manager, il doit encore plus baisser les coûts. Ça s’appelle la baisse tendancielle du taux de profit. Du pouvoir d’achat, t’en gagnes de moins en moins. Par contre, du chômeur, t’en payes de plus en plus. T’as plus de miettes. D’autant que le manager, il optimise. Il balance ses bureaux ailleurs, son siège social et les impôts qui vont avec, aussi. Te voilà pris dans une spirale infernale. Mécaniquement, tes impôts augmentent. Le pouvoir d’achat que tu gagnes n’est plus compensé.

Normalement, ça glisse tout seul. Une petite usine ici, un sous-traitant là, rien qui mérite que François Lenglet s’indigne. Vient le moment où ça ne suffit plus. Et vlan ! on ferme Aulnay. Faut voir les explications de Peugeot. C’est le moins pire. Les autos, on va les construire en Slovaquie. Après, on les importera. Pas bon pour la balance commerciale, mais ça, c’est pas le problème de Peugeot, c’est le problème de Montebourg. Pour faire bref, ton problème.

J’ai un souvenir très précis de la campagne pour Maastricht. Le patron de Peugeot, Jacques Calvet à l’époque, proclamait que Maastricht, c’était bon pour la France. C’est ce qui m’a déterminé à voter contre. Je suis pas trop pigeon : si c’est bon pour Peugeot, c’est pas bon pour moi. D’ailleurs, le traité à peine sec, Peugeot s’installait en Slovaquie. La mort d’Aulnay était programmée. La hausse de mes impôts aussi.

Quand on dit qu’il y a une morale sociale, on passe pour un vieux con. Le pire, c’est quand on le dit aux héritiers autoproclamés de Jaurès. Héritiers qui se vautrent dans l’oligarchie et jouissent de parler d’égal à égal avec des dirigeants qu’ils envient. Robespierre, reviens !

On en reparlera…

dimanche 15 juillet 2012

LES SAINTS ET LES ANGES

Horreur ! Corne au cul ! (c’est pas un gros mot, juste une citation d’un grand auteur que j’adore). Voilà t-y pas que les musulmans détruisent les tombeaux de saints musulmans. L’Occident s’effarouche comme une vierge . Ça doit pas être de l’islamiste pur jus, ces gens là.

Ben si justement. Et même plus pur que pur. Dans l’Islam, il n’y a pas de saints. Pas du tout. Y’a même pas d’intercesseur. Dieu (Allah pour les intimes), tu lui causes en direct. Et il te répond de même. Pas de brouillage sur la ligne.

Mais, pas du tout, bêle l’ancien touriste. J’y ai été, moi, en Algérie, et au Maroc, et en Tunisie. Y’en a partout des tombeaux de saints. Non. Y’a des tombeaux de mecs qu’on a choisi pour intercéder. Nous, on appelle ça des saints, vu qu’on a le mot et que le fonctionnement semble le même. Mais c’est pas des saints. Religieusement, c’est que dalle.

L’islam, le judaïsme et le protestantisme partagent ça : personne entre moi et Dieu. Nous, les cathos, on a gardé ce côté un peu primitif. Paysan et méfiant. On contemple Dieu et on se dit qu’il a vachement de boulot. Tous ces mecs qui prient, l’un pour avoir plus de thune, l’autre pour que sa vache vêle bien, celui-ci pour trouver la femme de sa vie ou le coup de sa soirée, comment il fait Dieu pour s’y retrouver ? Il doit se faire aider, c’est pas possible autrement. Et donc, on a inventé le Saint. Le Saint, il est au Paradis, près du pouvoir. Il est Saint, alors Dieu, il doit bien l’écouter un peu plus que les autres. En tous cas, plus que moi, chiure de mouche dans l’océan du Temps. Le Saint, il est spécialisé. Antoine de Padoue, c’est les objets perdus. Vincent de Saragosse, c’est la vigne. Roch, c’est la lèpre et les chiens. Chacun son truc. Et donc, t’augmentes l’efficacité quand tu t’adresses au Saint. Il connaît ton problème et il est près du Grand Dabe. Ça marche mieux, en principe. En plus, au début du christianisme, c’était pratique. Ça permettait de recycler les dieux d’avant. Mars est devenu Martin, patron des soldats. Le païen de base, il gardait ses repères. C’était plus un Dieu, mais tout comme.

Au Maghreb, les musulmans, ils ont été en contact avec le culte des saints. Et, ils se sont dit que c’était pas con. Le mec qui a été un grand religieux, au Paradis, il doit avoir accès plus facilement à Allah. Donc, en s’adressant à lui, j’augmente mes chances de succès. Pas grand chose à perdre. Le phénomène a été étudié magnifiquement par Emile Dermenghem dans un livre qui a cinquante ans et pas une ride.

Seulement, voilà. Pour un musulman pur jus (oui, j’ai envie d’écrire pur porc, mais faut savoir se limiter), c’est insupportable. D’autant qu’ils le sentent bien, les mecs, qu’il y a une grosse influence catholique, là-dessous. Alors, ils purifient. Ils se mettent en phase avec leur doctrine. Pas la peine de hurler, on a fait pareil : suffit de voir les différents mouvements iconoclastes que le christianisme a suscité au fil des siècles. Y compris les parpaillots au temps du bon roi Henri. C’est juste au cas où vous auriez oublié qu’iconoclaste désigne avant tout un mouvement religieux. Les ceusses qui détruisaient les images de Dieu. Encore un truc que les parpaillots partagent avec les musulmans.

J’admets, c’est dur de voir détruits des monuments anciens qui ont, malgré tout, un sens culturel. Mais moi, je me sens pas d’expliquer aux salafistes qu’ils ont pas une bonne vision de la religion. La seule chose qui me vient à l’esprit, c’est de leur dire qu’ils feraient mieux de pas avoir de vision religieuse du tout. Mais je ne pense pas que je serais écouté.

La religion, c’est toujours pareil : tu acceptes le doigt, plaf ! tu te prends le bras, voire plus si affinités. Les religieux, ils ont toujours un présentable. Le Dalaï machin, le père Di Falco, ce bon Malek Chebel. Des religieux que t’as envie de prendre l’apéro avec eux tant ils semblent gentils, ouverts, dialogueurs. Sauf que derrière, y’a les autres, ceux qui tiennent la kalashnikof ou le gourdin. Ceux là, ils rigolent moins. Les gentils te disent qu’il faut pas en tenir compte, que c’est des épiphénomènes. Des épiphénomènes majoritaires, c’est pas trop la définition de l’épiphénomène. Mais où va t’on si on respecte le dictionnaire ? On peut plus parler. Si. Et on dira moins de conneries.

Et donc les salafistes, ils détruisent un bout du patrimoine de l’Humanité. Comme leurs copains qui ont brûlé la bibliothèque d’Alexandrie. Mais aussi comme ceux, chez nous, qui ont brisé les sculptures romanes ou bûché les signes religieux en bas-relief dans les églises. C’est une constante chez le croyant, il détruit. Si tu veux pas qu’il détruise, commence par détruire sa croyance.

Si on accepte la religion, juste un peu, c’est ça qu’on obtient. Pas la peine de dire que c’est juste des mecs qui interprètent mal, des voyous ou je ne sais quoi. Pas la peine de minimiser, d’ergoter, d’argutier. La religion, c’est un mouvement de masse, ça fonctionne comme un mouvement de masse. Lourdes, c’est Nuremberg. Des milliers de gens qui croient pareil, qui raisonnent pareil, qui ressentent pareil et qui se rassemblent pour se rassurer. Il suffit qu’il y en ait un avec une allumette et flambe le bûcher. Ou un burin, c’est pareil.

On en reparlera….

mercredi 4 juillet 2012

LA BAGNOLE COUTE CHER

Bon, le marché automobile s’effondre en France. Ben oui. Quand l’économie est en berne et que t’as trois millions de chômeurs, que se loger coûte un bras, tu changes pas ta caisse. Tu feras bien une année de plus avec la vieille. Je parle des gens normaux, des gens à Logan et Clio. Pas de ceux qui changent leur Ferrari tous les ans.

La baisse du marché automobile reflète la paupérisation du pays. Faut pas avoir fait l’ENA pour s’en rendre compte.

Et donc, en toute bonne logique capitaliste, les constructeurs réclament l’aide de l’Etat. Ils chient pas la honte, comme on dit chez moi. Ces mecs, Renault et PSA réunis, ils sont à la base de notre déclin économique. Renault, il ouvre une usine à Tanger, histoire de finir d’achever les sites historiques français. Peugeot, il veut fermer Aulnay-sous-bois. Dans tous les cas, chômeurs supplémentaires assurés. L’Etat va payer les indemnités. C’est pas une aide, ça ? Pas à leurs yeux. Ils créent des pauvres et, en plus, ils veulent que l’Etat les aide à vendre des autos aux nouveaux pauvres. Nouveaux pauvres à qui Pôle Emploi donnera un peu d’argent pour qu’ils achètent des bagnoles bradées avec l’aide de l’Etat.

La logique, elle est où ? D’autant que l’actualité est bonne fille qui nous indique, la même semaine, que Toyota va augmenter les capacités de production de son usine française pour exporter des autos aux USA.

Toyota est installé en France. Peugeot aussi. Ils ont les mêmes salaires, les mêmes conventions collectives, ils payent l’électricité au même prix. Le Nippon se félicite de la productivité de l’ouvrier tricolore, le Français chouine que plus rien n’est possible. Y’en a un qui s’appuie sur la France pour conquérir des marchés, l’autre qui fait la manche.

Moi, je vois qu’une explication. Quand, à conditions égales, l’un gagne et l’autre perd, c’est qu’il y a un mauvais et un bon. C’est con pour les ouvriers d’Aulnay-sous-Bois, ils sont dirigés par le mauvais. Vous pouvez tourner le problème dans tous les sens, c’est pas possible autrement. Toyota, c’est le premier constructeur automobile du monde. Quand les mecs de Toyota causent de productivité, ils savent de quoi ils parlent. Ils font pas du lobbying comme Madame Parisot qui veut nous faire croire que 20 € de plus par mois sur une fiche de paye, ça met l’économie en péril. L’augmentation du SMIC, elle va impacter Toyota comme Renault. Toyota hausse les épaules et développe son outil de production. Peugeot pleure, Renault se lamente.

Nos constructeurs automobiles sont pathétiques. Ils ne savent que communiquer, et mal en plus. Mais la réalité des marchés est autre. Quand Peugeot vend 3,5 millions de véhicules dans le monde entier, Toyota en vend 1,5 millions sur le seul marché américain. Et pas du bas de gamme qui excite tellement Ghosn. Non. De l’hybride, de la voiture chère. Nos constructeurs ont tout faux. Mauvais modèles, mauvaise image, mauvaises ventes. Ils ont loupé le tournant de l’hybride, ils se battent sur le premier segment du marché, celui qui ne rapporte rien. Leurs autos ne font plus rêver. Ghosn, il te dira que Nissan vend bien aux USA. Exact. Des autos fabriquées en Grande-Bretagne. Génial : Nissan, filiale de Renault, fabrique ses autos en Angleterre quand Toyota fabrique en France. Mais Ghosn, il s’en fout, il a pas vraiment la fibre nationale. Pour les Nissan, c’est Cameron et son tapis rouge, pour les Renault, il tend la sebille à Hollande. Faudrait voir à calculer les parts respectives de Nissan et Renault sur sa fiche de paye.

J’attends avec impatience les journalistes qui vont poser la question à Ghosn et Varin. Pourquoi vous avez une productivité calamiteuse quand Toyota a une productivité exceptionnelle ? Ce serait-y pas que vous êtes pas très bons ? J’attends leurs explications, ça va être un bel exercice de langue de bois. Parce que faut pas croire qu’ils vont se couvrir la tête de cendres. Ils vont te parler marché mondial, marché national, stratégie à long terme. En attendant, ils reculent gentiment, même sur leur marché national. Pas en nombre de véhicules. En chiffre d’affaires. Bon je dis ça, mais pas un journaliste ne posera la question : le marché publicitaire est trop gros pour se fâcher avec les constructeurs français.

Et puis Ghosn, il a toujours l’auréole de sauveur de Nissan. On ne peut pas le nier. Certes, il a sauvé Nissan en licenciant comme un malade, mais il l’a sauvé. Ce qui a conduit à une confusion épistémologique. Personne ne veut dire que Ghosn est un gestionnaire, pas un créateur. Filez lui une entreprise malade, il vous sortira le diagnostic et le traitement. Mais après ? Après, il faut créer, inventer, imaginer. Il faut un peu de folie. Imaginer un marché qui n’existe pas encore comme l’a fait BMW avec la Mini. Ou le créer de toutes pièces comme Smart. Les mecs comme Ghosn, il faut leur filer des entreprises à sauver, pas à conduire. Parce qu’il applique les mêmes règles à l’entreprise assainie que celles qu’il a appliquées à l’entreprise malade.

Tiens, prends la Formule 1. Renault a disparu du paysage. C’est pas vrai, dira Ghosn, nos moteurs dominent les circuits. Exact. Voilà trente ans que Renault est le meilleur motoriste du monde. Et voilà trente ans que tout le monde est persuadé que les moteurs allemands sont meilleurs. Y’a comme qui dirait un déficit d’image. Sauf que c’est plus rentable de faire de bons moteurs et de les vendre à Red Bull et Lotus que de développer des Renault F1. Faut dire que ça servirait à rien d’avoir des F1 au top pour vendre des Dacia au prolétaire russe.

Tout ceci conduit à une gestion étroite et à des résultats étroits. Avec au bout du bout, une érosion sans cesse accentuée. Car tout le monde peut appliquer des recettes mais rares sont ceux qui les inventent. Comme beaucoup de dirigeants, Ghosn est un prolongateur de courbes. C’est comme ça qu’il prévoit l’avenir. Moyennant quoi, il sera le dernier constructeur à s’implanter en Chine. C’est pas vrai, dit Ghosn, Nissan y est déjà. Je sais pas comment il a décidé ça, mais implanter la marque japonaise et pas la française dans un pays qui a un lourd contentieux historique avec le Japon et qui adore la France, ça montre les limites de la réflexion. Sauf que ce genre de savoir n’apparaît pas dans les courbes statistiques.

En attendant, Nissan, Renault et PSA rament derrière Toyota. Toyota qui va nous améliorer la balance commerciale que Renault dégrade depuis vingt ans.

Merci Toyota. Arigato degozaimasu….

On en reparlera…

samedi 30 juin 2012

LA CRISE GRECQUE ET LE BISTRO PARISIEN

Ben, c’est pas une crise. La crise européenne, non plus. Pourquoi ?

La crise, au départ, c’est un mot grec. Κρυσειν. C’est vachement précis, comme mot. Ça désigne, chez Hippocrate et ses copains, le point culminant d’une maladie. Quand t’arrives à la crise, tu meurs ou tu guéris. Bon, tu préfères guérir. Mais tu choisis pas. C’est la crise qui choisit.

Et donc la crise, c’est un moment, pas une durée. Une crise qui dure, ça existe pas. Ce qui dure, c’est la maladie. On s’arrête. Lâchez vous. Pignoleur ! Sodomiseur de diptères ! Orchiclaste ! (Celui-là, c’est Collard qui vient de le sortir et je l’aime beaucoup. Etymologiquement, je veux dire). Moment, durée, ça change rien.

Ben si. Ça change tout. Quand y’a un glissement sémantique, y’a toujours derrière quelqu’un qui cherche à te baiser. La crise, le moment fort, on y est pas. Pas encore. Ça peut prendre l’allure d’une révolution, d’un gros soubresaut. C’est l’idée de Marx. Il a peut-être raison. Peut-être pas.

La société capitaliste est malade. Pas en crise. Quand t’as une maladie, tu cherches un médecin. Un bon. Un qui va te guérir sans crise, avant que la crise n’arrive. A l’heure actuelle, la médecine économique, c’est Diafoirus. Purgare, purgare, qu’ils hurlent tous. Pas en latin. Un économiste, ça sait pas le latin vu que le latin, ça rapporte rien. Ils disent « austérité », mais si t’es pas trop con, tu comprends vite qu’austérité, ça veut dire « purgare ». Ou « seignare ». Vous voyez, lire Molière ça peut conduire au jugement économique.

Les politiques et les économistes, ils fonctionnent comme au bistro. Un problème, une réponse. Un seule. Je sais pas si vous avez remarqué, mais la conversation de bistro, c’est ça. « Y’a qu’a… ». Y’a qu’à virer les immigrés. Y’a qu’à taxer les riches. Y’a qu’à construire des prisons. On en a déjà parlé. Pour la maladie, ils ont chacun qu’une réponse. Y’a deux camps : le camp de l’austérité et le camp de la croissance. Chacun arquebouté sur ses positions. Ceux qui disent « y’a qu’a réinjecter » et ceux qui disent « y’a qu’a serrer les boulons ». En fait, ils font un peu des deux, au coup par coup, comme ils peuvent. Mais dans les médias, ils tiennent qu’un discours. On doit être trop cons pour comprendre les choses complexes, alors ils sont gentils avec nous, ils simplifient.

Ils sont d’accord sur une donnée, cependant. « Il faut rassurer les marchés ». Ha bon ? Les marchés, c’est les mecs qui spéculent, qui parient que l’Espagne va se planter ou que la Grèce va sombrer. C’est les mecs qui ont créé la maladie. Tu vois un médecin, même Diafoirus, qui dirait « Il faut rassurer le virus » ? Ben, c’est ce qu’ils font. Et donc, les marchés, rassurés, vont cesser d’emmerder l’Espagne et l’Italie. C’est bien, non ?

Non. Les marchés, ils ont des milliards dans les pognes. Ils ont pas d’état d’âme. Si on peut plus jouer avec la dette grecque, on va jouer avec autre chose parce que notre pognon faut bien qu’on s’en serve. On sait pas encore le nom du prochain joujou : le pétrole ? le dollar ? le maïs ? C’est selon. En ce moment, ils sont en train de chercher, ils supputent, ils gambergent. Avec quoi on va prendre des bénéfices ?

Imaginons. Tiens, faisons un coup de fric avec le pétrole. Zou ! le prix du Brent flambe, les porte-monnaies se vident avec les réservoirs. Croissance en berne. Les tenants de l’austérité se marrent. Dans les pays où ils sont au pouvoir, les balances commerciales dégringolent. Tu peux virer des fonctionnaires mais si tu dois payer le sans plomb plus cher, t’as l’austérité qui branle. Là, c’est les zélateurs de la croissance qui rigolent. Dans tous les cas, retour à la case départ.

La maladie, c’est ces milliards qui se baladent en quête d’un hold-up. Et le seul moyen d’aller mieux, c’est de les détruire. Or, il n’y a qu’une arme possible. L’inflation. La belle et joufflue inflation qui détruit l’argent chaque jour, qui s’en gave, qui le digère. Si ton paquet de fric diminue, tu vas le mettre dans les trucs qui gardent leur valeur. Des usines, des maisons, des terres agricoles.

Mais là, polop ! Ils sont tous d’accord, l’inflation, c’est le bacille mortel. Pas touche à la thune ! Pas la peine de leur dire qu’on vivait mieux quand l’inflation se baladait autour de 10-12%. Nous, oui. Nous, les gagne-petit, les salariés à l’échelle mobile. Eux, non. Ils t’accablent de faits, de théories, de concepts. Un gros paquet de poudre aux yeux.

Lisez pas de traités d’économie. Lisez Bataille. La Part Maudite. Concept génial. Bataille, il nous affirme que la Terre recevant plus d’énergie du Soleil qu’elle n’en consomme, il est nécessaire de procéder régulièrement à des destructions : sacrifices humains, guerres, afin d’utiliser au mieux ce surplus qui nous arrive chaque jour. Bon, on a évolué, on s’est civilisés, on coupe plus les kikis au sommet des pyramides comme les Mayas. Mon grand-père le disait : « Il faudrait une bonne guerre ». C’est plus rustique que Bataille, mais le sens est le même.

Alors, détruisons le fric. Ça saigne pas et ça fait pas souffrir. Sauf Harpagon. Tu vois qu’on revient à Molière. Tiens, je vais relire les Précieuses Ridicules. C’est comme du Alain Minc, mais bien écrit.

On en reparlera…