vendredi 26 octobre 2012

LA SUBTILITE

Je sais, je suis pas un mec subtil. Je viens de découvrir qu’il y avait à Paris des dégustations de saké. Et même des mecs qui t’expliquent que si le grain de riz est bien poli, le saké est meilleur. Polisseur de grains de riz, ça c’est un boulot. Je me demande si Pole-Emploi l’accepterait.

Le saké, j’ai découvert ça, il y a quarante ans aux Langues O’. Enfin, pas aux Langues O’. Ils nous filaient des cours d’histoire, de grammaire, mais pas de saké. Et mon cher prof de philo Mori Arimasa, il avait la passion du foie gras. Ça nous rapprochait. Pas le saké.

Dans la rue de Nesle, y’avait un bar à saké. On y allait toutes les semaines voir l’arrivage. Pas l’arrivage de saké. L’arrivage de Nipponnes friponnes. Les gisquettes aux yeux fendus, dès qu’elles arrivaient à Paris, elles passaient là, histoire de se faciliter la compréhension, de trouver les bonnes adresses et de causer avec les compatriotes. Normal. Tout le monde fait ça. Le bar à saké, c’était un nid de filles à lever. C’était d’une facilité déconcertante. On était jeunes et beaux. Si pas beaux, pas grave, elles ont pas le même sens de l’esthétique que nous. Surtout, on était Français et on baragouinait le nippon. Moi, pas terrible, mais ça suffisait. On avait l’image du French lover comme un halo autour de la tête, on avait du temps libre pour les emmener à Montmartre. On était des passerelles.

Alors, tu parles que du saké, j’en ai ingurgité. Moi qui avais le palais culotté à l’Armagnac, je trouvais ça dégueu. T’as pas les arômes du vieux chêne. Le mec, il te servait le tiédasse breuvage avec des mines de curé de campagne remplissant les burettes. On était pas là pour remplir les burettes. Plutôt pour les vider. On faisait le marché, on détaillait, on soupesait. Je sais, c’est pas très romantique. Question utilisation de la langue, c’était pas terrible non plus. Kuchizuke, c'était pas d'eblée.

En avançant dans la gastronomie japonaise, j’ai pas été déçu. Surtout au Japon. Je vous parle d’un temps où les restaus japonais, y’en avait qu’un à Paris. Miki, aux Champs Elysées. Les temps ont changé. Le goût des sushis aussi. Et, par voie de conséquence, pour se taper du sushi bon marché, fallait prendre l’avion. Mon premier déjeuner à Osaka avec l’ami Gérard, il m’a emmené dans un restaurant traditionnel, un petit pavillon planqué dans un jardin avec un musicos qui jouait du shakuhachi. Le shakuhachi, c’est une sorte de flûte grave avec un son proche du saxo. Mais le mec qui jouait, c’était pas Johnny Hodges. La musique non plus. Musique traditionnelle aussi excitante que le gamelan. On nous a apporté un pot en fonte, très joli, avec une eau claire où flottaient quelques algues et des cubes de tofu. J’arrivais de Bayonne. Passer des chipirons au tofu, c’est pas possible. Surtout avec le shakuhachi. En japonais, shakuhachi suru, c’est faire une pipe. Là, je tolère. Mais musicalement, non.

Bon copain, Gérard m’a fait la totale en m’initiant au thé vert que, depuis ce jour, je tiens pour une boisson pour moine hépatique. On m’avait élevé au Madiran et à l’Armagnac. C’est ça le choc culturel.

Après, t’as toujours le droit de faire semblant, de t’extasier, d’avoir l’œil qui chavire, de trouver des subtilités introuvables. Ou alors, tu dis comme Kipling : East is East, West is West, and never they’ll meet.

Le Japon m’a prodigieusement emmerdé. J’ai toléré parce que je bossais au restau du pavillon français de l’Exposition Universelle. Cuisinier interprète, j’étais. Je devais transmettre à une armada de marmitons nippons, les instructions du chef Chanel (c’était son nom, un Bourguignon qui m’a initié au Chablis). Fais moi confiance, aux Langues O’, t’apprenais pas comment on dit roux ou fond de sauce. J’ai pas progressé en japonais, mais en technique culinaire, ça allait. Surtout, je bouffais avec le personnel. Quand tu t’es collé un vol-au-vent à midi, t’acceptes le sushi vespéral. Une fois par semaine, le mardi, l’avion de Paris apportait les fromages. Et les Crozes-Hermitage permettait de supporter le thé vert et la soupe au miso.

J’ai vécu avec le peuple. Mes copains japonais, c’étaient pas des maîtres de zen. Y’a pas plus de maîtres de zen au Japon que d’abbés bénédictins en France, faut pas croire. Je le savais, Mori Arimasa m’avait prévenu. Il avait un regard aigu sur la civilisation japonaise. Tellement aigu qu’il s’était barré. Aujourd’hui, je vois avec surprise et hilarité, les japoniaiseries envahir la France. On voit partout des trucs à pendre. Tu sais pas ce que c’est ? Mono en japonais, c’est la chose, le truc, le bidule. Et kakeru, c’est pendre. Kakemono, ça veut dire chose qui pend. Truc qui pendouille. C’est moins joli, non ? Hé, Ducon, si tu trouves kakemono joli, c’est que tu sais pas ce que ça veut dire. Moi, je traduis, automatiquement, et je rigole. C’est vrai que si le publiciste il te disait qu’il a ajouté des trucs qui pendouillent à ta com’, tu lui paierais pas sa facture.

Pareil pour les sushis. J’ai adoré les sushis. Dans certains restaus, les mecs, ils te sortaient le poisson de l’aquarium et, en deux temps, trois mouvements, les filets se retrouvaient ensushités. T’avais dans l’assiette le poisson qui nageait dix minutes avant. Tu pouvais pas dire que c’était pas frais. Remarque, congelé, c’est plus que frais. Mon problème, c’est que les sushis, ça coûtait un bras. T’étais obligé de limiter. Pour passer deux heures à table, fallait avoir la carte bleue super-platinium. Au Japon, j’ai passé mon temps à avoir faim.

Alors, c’est vrai, je suis pas subtil. J’ai pas l’admiration hyperbolique. J’ai fait semblant un temps. J’écoutais du gagaku et du gamelan pour faire classieux alors que ma passion, c’est les chœurs d’hommes basques et John Lee Hooker. J’ai participé à des cérémonies du thé en me demandant si on se foutait pas de ma gueule parce que mes copains japonais, ils me disaient que c’était des trucs à touristes. Je me suis même fusillé les pieds avec des getas pour faire couleur locale, j’ai visité des mégachiées de temples et des jardins de sable ratissé en faisant semblant d’y découvrir l’univers, comme on me l’avait appris à l’école.

Et puis un jour, je me suis dit que les discours convenus, ça commençait à bien faire. Que je me paluchais les neurones avec la signification du torii mais que je ne savais rien des tympans romans. Qu’avant le gagaku, je ferais mieux d’écouter le grégorien que j‘ignorais. Et que pour méditer j’avais ce bon vieux Ignace et ses Exercices spirituels qui me disait autant que les maîtres du zen.

Et que l’Armagnac, c’est tout aussi subtil que le saké….

On en reparlera..

mercredi 17 octobre 2012

JE SUIS UN BON FRANÇAIS

Des fois, les copains viennent prendre l’apéro à la maison. On fait gaffe à être modérés : ce qu’on modère le plus d’ailleurs, c’est la modération. Mais vous savez ce que c’est. Y’en a toujours un qui a découvert un petit rouge de la vallée du Lot. Un autre qui veut nous faire un comparatif des anis méditerranéens, bref, l’un dans l’autre, on se met un peu minables. On se prend une belle torchée, une murge, une mufflée. Même que les plus faibles, ils doivent parfois s’isoler pour faire caca par la bouche. On poursuit une tradition historique longue, avec des banquets républicains, des conseils de révision homériques et des précédents culturels qui remontent au moins jusqu’à Noé. Bref, on est des bons Français.

On s’abime le budget mais on s’allège la feuille d’impôts. Nos fournisseurs, qu’ils soient au CAC 40 comme notre fournisseur de jaune ou petits vignerons, ils payent des taxes, des impôts, de l’URSAFF, des acquits-congés, ils salarient des hommes et des femmes qui, à leur tour, vont payer des impôts et des taxes. Nos picolages sont une modeste contribution à l’effort national pour relancer la croissance. On a le sens civique ou on l’a pas.

C’est pour ça que je suis farouchement contre la dépénalisation du cannabis. Surtout quand on m’explique que c’est le consommateur qu’il faut dépénaliser. Ho ! ça va pas la tête ? Le consommateur de cannabis, il entretient une économie souterraine et illégale (ou parce qu’illégale, ça change rien) et il serait, en plus, exonéré de taxes ? Au moment où on a le budget qui part en roue libre ? Ben non. Faut pas être con : le consommateur, on l’a sous la main, il est pas organisé, il pense pas à mal, il faut le taxer, c’est une proie facile. Pourquoi on taxe mes addictions et pas les siennes ? Et le principe de l’égalité républicaine, alors ?

C’est vrai, ça. C’est un des principes de base de notre société, l’égalité devant l’impôt. Le fumeur de joints, il nous coûte une fortune et il nous rapporte rien. Parasite ! Mauvais Français !

Il paraît que c’est à cause de ça qu’il faut dépénaliser. Parce que ça coûte trop cher ; OK, mais faut pas faire les choses à moitié. On pourrait monter une entreprise d’Etat (Bruxelles va encore râler, mais on s’en fout), un truc sur le modèle de l’antique SEITA, un truc qu’on appellerait la Société des Hallucinatoires Importés et Taxés (en abrégé SHIT) qui importerait, emballerait et taxerait la production botanique marocaine. Je dis marocain, mais c’est juste un exemple, je suis pas raciste. Là, du coup, le chanvre devient rentable et mes impôts baissent.

Remarque, on avait ça pour le tabac, la SEITA précisément. On l’a privatisée. Du coup, on s’est privés de plein de pognon qui est allé se nicher dans les poches d’Altadis. En plus, la SEITA, ça servait à enrichir les paysans du Sud-ouest. Il y a cinquante ans, des producteurs de tabac, y’en avait plein la vallée de l’Adour. Ils se sont reconvertis dans le kiwi, mais c’est moins bon à fumer, forcément. Et ça rapporte moins à l’Etat. On leur suggérerait de faire du chanvre et ça réglerait une partie du problème de nos campagnes. Les mecs, ils auraient tout comme les autres, une Chambre syndicale et un stand au Salon de l’Agriculture, avec dégustation gratuite. Succès assuré.

D’où je suis, je vois mon addictologue préféré faire la gueule. JLP, il tolère le jaune (tradition culturelle et rugbystique oblige) mais la fumée, il supporte pas. Alors la fumette, même pas en rêve. Je connais tous ses arguments mais il est médecin, pas économiste. Faudra que je lui explique que ça pourrait faire baisser ses impôts, ça lui relativisera la sainte colère.

Il va me dire que le chanvre détruit les neurones. Certes. Quand il y en a et quand on voit les émissions qui marchent à la télé, on peut se poser la question. Tous ces arguments, on les connaît. Ils sont tous bâtis avec le même sable que les arguments contre l’alcool et le tabac. Cessez de jouir pour vivre vieux ! Alors qu’économiquement, c’est le contraire qu’il faut faire : soyez malade, ça fait du PIB…Mourez jeune, ça allège les caisses de retraite. L’idéal, c’est le citoyen qui cotise pendant quarante ans et meurt après trois ans de retraite. Tout bénef…

Docteur, si j’arrête de fumer, de picoler et de baiser, je vais vivre plus vieux ?

Certainement, mais ça va te paraître encore plus long….

On en reparlera…

lundi 15 octobre 2012

UNE SIMPLE FRAUDE FISCALE

Il est gonflé l’avocat de Madame Lamblin. Pour dédouaner sa cliente, il ose parler « d’une simple fraude fiscale ». Bon. Madame Lamblin est élue d’un parti de gouvernement. Un gouvernement qui se bagarre pour aller chercher le moindre euro avec les dents. Et, elle, qu’est ce qu’elle fait ? Elle fraude. C’est pas grave, c’est une « simple » fraude fiscale.

On peut se douter qu’elle collabore pas avec les réseaux de la drogue. Les Verts, ils sont pour la dépénalisation. Alors, vivre du blanchiment, c’est très con. Tout simplement parce qu’on se bat d’un autre côté pour que le blanchiment devienne inutile. Ce serait scier la branche, non ?

Mais Madame Lamblin, elle pense pas qu’elle est élue et que, de ce fait, elle doit être exemplaire. Ho ! va me dire l’avocat, t’as jamais pensé à frauder, toi ? Mais moi, je suis pas élu. Moi, je n’ai pas ce devoir d’exemplarité. Et moi, je me dis qu’être élue de gauche avec un compte en Suisse, c’est pas logique. C’est pas sa faute, dit l’avocat. Elle en a juste hérité. Qu’est ce qu’elle pouvait faire ?

Ce qu’elle pouvait faire ? L’annuler, le vider, rapatrier son argent légalement en payant les taxes ad hoc. Etre claire par rapport à ses idées et à son engagement politique. Sauf que l’engagement politique, dans son cas, c’était rien. Que dalle. Rien que des mots pour que le couillon de base vote pour elle. Une manière de faire carrière, de continuer à toucher des subventions pour son association qui cause de design.

Sur Facebook, je communique avec des élus EELV, dont pas mal d’avocats et, depuis trois jours, je trouve leur silence exemplaire. Ils doivent être génés. Ils cherchent les mots. Taper sur une copine, ils peuvent pas. La défendre, ils savent pas. Ils vont me faire le coup de la présomption d’innocence. Pour la drogue, j’admets. Pour la fraude fiscale, elle est pas innocente. Son avocat l’admet. C’est moins grave.

Elle m’a fait repenser à ma copine Martine. Syndicaliste, conseiller aux prudhommes, responsable des Verts dans sa région, Martine c’était un fer de lance de l’opposition au maire UMP de sa ville. Qu’est ce qu’elle lui a passé ! Et puis, aux dernières élections, il lui a proposé un poste sur sa liste. Et Martine a accepté. Comme elle m’a dit : « Je vais pouvoir faire ». Faire quoi ? Le contraire de ce que tu as dit pendant dix ans ? Martine, elle m’a regardé comme si j’étais fou. Faire bouger les choses, le convaincre. Alors, elle a fait. Du cosmétique. Le notable, il lui a filé des miettes. Et il l’a utilisée comme il voulait, comme un alibi.

Les Verts (appelez les comme vous voulez et essayez de distinguer les divers courants), ils ont ce fonctionnement. Ils veulent des postes. De Waechter à Duflot, ils fonctionnent toujours pareil, planqués derrière Cohn-Bendit qui est passé de fourrier de la Révolution à stipendié de l’Europe. Il se veulent raisonnables, responsables. Et moi, je pense à Fournier et à l’An O1. Etre Vert, ce n’est pas être raisonnable, c’est demander l’impossible, c’est se battre contre les gens raisonnables qui acceptent la bouffe industrielle au motif qu’il faut nourrir l’Humanité.

Une qu’on n’a pas entendu, c’est Eva Joly. Qu’est ce qu’elle pense la juge inflexible d’une copine de son parti qui fraude le fisc ? C’est le moment de faire un exemple, de montrer qu’on n’est pas un juge à géométrie variable.

Le vrai problème est autre et il est plus profond. Notre mental nous pousse à croire qu’une explication peut être une excuse. Mais ce n’est pas le cas. On peut comprendre et ne pas pardonner. C’est comme ça qu’on pourrit le fonctionnement de la justice. En mélangeant la compréhension (le rationnel) et le pardon (l’affect). On peut comprendre qu’un môme au chômage cherche à survivre en dealant du shit. Doit-on l’excuser pour autant ? C’est la réponse à cette question qui est la vraie ligne de fracture.

On réfléchit en mélangeant les catégories. De ce fait, on enlève à l’Homme ce qui est sa principale caractéristique, sa responsabilité d’Homme. La responsabilité n’est plus qu’un mot : responsable mais non coupable. Ridicule ! le responsable, étymologiquement, c’est celui qui répond de ses actes. S’il y a culpabilité, il y a, obligatoirement, responsabilité. Un acte délictueux doit entrainer une réponse. On ne peut pas accepter l’excuse qui est toujours du domaine de la cour d’école : c’est pas ma faute M’dame. Ben si, c’est ta faute et même si je peux la comprendre, ce n’est pas une raison pour la pardonner. Si je t’enlève ta responsabilité, si je nie ton libre-arbitre, je nie ton caractère humain, je te renvoie à ton animalité. Le chien mord quand on l’agresse, l’homme se contrôle. Le chien fuit quand il a peur, l’homme contrôle sa peur et sort de sa tranchée pour se faire tuer.

On en a déjà parlé.

On en reparlera…

jeudi 11 octobre 2012

LA FNAC, ROME, LE LUXE

La vente de la FNAC n’est pas une surprise. Voilà près de six ans que le groupe Pinault veut se recentrer sur le « luxe ». Ceci nous donne une indication précieuse. Le livre ne fait pas partie du luxe.

Si François Pinault se promène dans Paris, je lui conseille d’aller vers le haut du Faubourg Saint-Honoré, voir quelques librairies dont la librairie de Claude Blaizot qui fut longtemps Président du Syndicat des Anitquaires. Il verra si le livre est du domaine du luxe ou pas. J’étais voici peu dans une librairie du Quartier Latin. Deux jeunes gens, totalement incapables de me conseiller, regardaient des sites de bibliophilie et se gaussaient devant des ouvrages qui frôlaient les 3000 euro. La somme leur paraissait folle. Il est vrai qu’il ne s’agissait « que » d’un grand papier de Paul Morand avec une superbe reliure et un envoi.

En créant une librairie dont le seul critère était le prix, André Essel et Simone Mussard ont détruit la notion de luxe dans le livre. Ils ont détruit bien d’autres choses, dont la compétence d’une profession qui savait faire la différence entre ses clients et discriminer les différentes éditions d’un même ouvrage. Une vendeuse de fringues sait encore faire la différence entre un pull de chez Tati et une robe de Jean-Paul Gaultier. Un vendeur de librairie ne sait plus ce qu’est un grand papier ou un tirage de tête.

Chez Pole Emploi, que je fréquente, le métier de libraire est classé sous la rubrique ROME D1211. ROME, ça veut dire Répertoire Opérationnel des Métiers et des Emplois. Il paraît que ça sert à diriger les demandeurs d’emploi. On utilise la lettre D pour définir un Domaine professionnel. D 1211, c’est le domaine des loisirs. Pour la poignée d’imbéciles qui a défini ce domaine, la librairie est un « loisir ». Moyennant quoi, Pole Emploi m’adresse régulièrement des offres pour aller travailler chez Décathlon ou chez Toys’R Us. C’est pathétique.

C’est pathétique à une époque où tout le monde se pique de culture. Libraire n’est plus un métier de culture, c’est un métier de « loisirs ». Il est vrai que la culture sert à vendre des loisirs, des week-ends à la ferme par exemple ou des séjours dans des clubs de vacances. La culture est devenue le vernis, l’emballage pour vendre tout et n’importe quoi. La confusion est totale. On a juste besoin d’un peu d’histoire pour emballer la politique touristique d’un site, d’un peu d’ethnologie pour aller en terre inconnue, et pas du tout de littérature pour vendre le dernier Goncourt. Un jeune libraire à qui je faisais passer un entretien d’embauche et auquel je demandais ce que lui évoquait « Voiture » me répliqua qu’il dirigerait le client vers le rayon « Automobile ». Que Vincent Voiture soit un poète majeur du Grand Siècle ne l’avait pas effleuré un instant. Moyennant quoi, il se piquait de pouvoir être un acteur culturel. Le pire, c’est que l’anecdote ne choque pas et que je passe régulièrement pour un vieux con obsédé par Lagarde et Michard. Quand on vend des livres, Lagarde et Michard ne me paraît pourtant pas la pire référence.

La caractéristique du luxe, c’est d’être élitiste. Pas seulement économiquement. Il y a dans le luxe, des segments entiers fondés sur la culture. Les ventes aux enchères, par exemple, et on se demande encore si les objets d’art doivent être inclus dans l’assiette de l’ISF. Car, comme le luxe, la culture est élitiste. C’est chiant parce que tout le monde voudrait être cultivé. Et donc, on simplifie, on assèche, on écorche pour que chacun puisse se croire possesseur d’une partie de la culture universelle. Que se cultiver soit un travail quotidien, récurrent, difficile, n’effleure personne. Dans la culture aussi, il y a le prêt-à-porter (le prêt-à-penser) et la haute couture (la haute culture).

François Pinault ne me demandera pas conseil. Mais s’il le faisait, je sais bien ce que lui dirais : qu’il lui suffit de reprendre la FNAC en mains et de la transformer en vraie librairie, en librairie de luxe. Il en a les moyens. Il perdrait des clients mais il augmenterait sacrément son panier moyen. Et ses marges. Il devrait aussi revoir toute sa politique de stock et son personnel. C’est un gros travail. Un travail complexe parce que ça suppose l’abandon de procédures et surtout d’automatismes. La culture ne peut pas être dirigée par des ordinateurs avec une vision quantitative. Il y faut une connaissance fine. Et une large partie d’improvisation.

C’est certainement valable aussi pour le disque et les autres secteurs de la FNAC. A chasser sans cesse des clients qui cherchent la gratuité on finit par travailler pour rien. Ce qui vient d’arriver à Surcouf.

Ce qui pourrait aussi arriver, c’est que le concurrent permanent, Bernard Arnault, lui rachète la FNAC et réussisse cette transformation. Il est dans ce trip, Arnault. Il a investi chez les commissaires priseurs et les galeries. Il a les moyens de réussir ce pari. Ça, ça me ferait marrer. Mais j’y crois pas trop. L’idée selon laquelle le livre n’est pas, pire ne doit pas, être un luxe, est trop ancrée dans les mentalités.

On en reparlera…

mardi 9 octobre 2012

QUAND J’AVANCE, TU RECULES…

OK, la référence est un peu vulgaire… Mais j’ai beau chercher, c’est celle-là qui s’impose. Je me souviens du Bourget. Il était beau quand il disait : « Mon ennemi, c’est la finance… »

Quand t’as un ennemi, en général, tu lui fais la guerre. Enfin, moi, je vois ça comme ça… Pas lui, à priori. A moins qu’il ait une super-stratégie bien cachée, mais, je sais pas pourquoi, j’y crois pas trop.

Résumons. Les industriels lui font un bras d’honneur. Peugeot ferme, Mittal ferme et si t’es pas content, c’est pareil. Mais les industriels, c’est pas la finance. Quand ils sont cotés en Bourse, si.

On va signer le traité qui nous lie pieds et poings liés à Bruxelles. Mais Bruxelles, c’est pas la finance. Ben voyons ! Bruxelles est vautré sous la semelle du FMI et favorise une politique ultra-libérale pour « rassurer les marchés ».

Une poignée de « créateurs d’entreprise » (Meetic, tu parles d’une entreprise !) fait les gros yeux. Et il recule…

L’archétype du financier international destructeur de plus-value sociale va se planquer en Belgique et il se tait.

Peu à peu, ils avancent leurs pions, ils tapent sur la table, ils menacent et lui, il s’écrase. C’est ça la guerre à la finance ? Ils sont où les bataillons ? Elles sont où les décisions ? Elle est où la stratégie ?

La vérité, c’est qu’il pète de trouille devant son ennemi. Trouille de voir le chômage augmenter, trouille de voir la dette exploser, trouille surtout de pas être réélu. Là, je le rassure, il sera pas réélu. L’arme absolue en matière électorale, c’est l’espoir. Mais quand tu as tué l’espoir, tu te retrouves à poil. Hollande est à poil.

Bon, je suis pas trop déçu. Je le savais que c’était du pipeau, qu’il était trop confit dans la politique depuis des années, trop consensuel, trop proche de Delors. Mais on a quand même le droit de se dire qu’il pouvait corriger au moins sur les marges. Même pas. L’affaire Mittal est caricaturale. Sarko, il avait dit : on fermera pas Florange. On savait que c’étais pas vrai. Avec Hollande, on pouvait penser au moins à une action symbolique. Même pas. Par exemple, la reprise des hauts fourneaux par l’Etat. Voilà : on va recréer une sidérurgie française. A court terme, ça va coûter un peu. On va subventionner. L’Europe va pas être contente. On s’en fout. Si demain, on a besoin d’acier, on en aura. Pour faire la guerre par exemple. Meuh non ! Y’aura plus de guerres. Ça, c’est ce qu’on dit. Si on continue, y’aura plus de guerre parce qu’on n’aura pas les moyens de la faire. Sur le plan économique, c’est déjà le cas.

Le problème des politiques, c’est qu’ils sont déconnectés de leur peuple. Le peuple, il a envie, il a toujours eu envie, d’un Etat fort, c’est à dire protecteur. Le peuple, il aime la police, l’armée et les rodomontades. T’as qu’à parler avec lui, il est toujours prêt pour une bonne baston. Pas trop quand même. Mais un peu, oui. Et aujourd’hui, le peuple, il se sent pas protégé.

C’est ça, le problème.

On en reparlera…