mardi 27 décembre 2011

GEOMETRIE VARIABLE

On le sait depuis longtemps, mais désormais on en est sûrs. L’Europe est à géométrie variable. On est 27, mais on fait des traités à 17, à 23, à ce qu’on peut comme on peut. Quand je dis des traités, c’est pas tout à fait vrai. C’est des projets de traités, c’est à dire des effets d’annonce. Vu qu’un traité, faut qu’il soit présenté au Parlement (le referendum, on oublie, trop risqué) et qu’il soit voté. Dans trois mois, si tout va bien.

Dans l’intervalle, on va se faire dégrader, la situation économique va s’aggraver, on refera des sommets. Entre nous, y’a tellement de sommets qu’on croirait une ligne de crête. Plus personne ne descend. Pour aboutir à quoi ? Les commentateurs le disent avec une gravité artificielle : le temps de l’économique n’est pas le temps du politique. Tu parles d’un scoop ! Le vrai scoop, c’est qu’il n’y a plus de temps du politique. Le politique qui devrait donner le tempo de la marche du monde reste à la remorque de l’économique.

Alors, ils disent tous la même chose, d’un ton grave, comme Manuel Valls, samedi soir chez Ruquier. Le PS est un parti responsable qui croit à l’économie de marché. Valls, il ne se rend pas compte que laisser faire le marché n’est pas responsable, mais totalement irresponsable. Parce que les marchés se foutent totalement de la vie des gens ordinaires tandis que la vie des gens ordinaires devrait être la priorité de tout parti politique responsable. Chacun a des priorités différentes et irréconciliables. Pas la peine d’avoir fait l’ENA pour s’en rendre compte.

Faut pas raconter (encore) des conneries. A 17, à 23, à 27, les préoccupations seront les mêmes. Comment assurer sa réélection ? N’imaginez pas un seul instant qu’un homme politique ait une autre priorité. Et n’imaginez pas un seul instant que vous soyez sa priorité.

Pour se faire réélire, faut juste un truc : du fric. On vient de l’entendre : Villepin, il a tout pour lui, sauf du fric. Si pas de fric, pas d’équipe (ben oui, les équipes elles sont grassement payées), pas de locaux, pas de panneaux 4 x 3, pas de photographes, pas d’avion pour aller de Sète à Lorient dans la matinée, pas de conférences de presse. Si pas de fric, pas de campagne.

Et qui donne le fric ? Les riches. Liliane Bettencourt à droite (et un peu à gauche aussi, on sait jamais), Pierre Bergé à gauche (et un peu à droite aussi), les mecs qui manipulent les rétrocommissions, les présidents africains. Tout ça, on le sait. Pas dans les détails, mais on le sait. Une campagne présidentielle, c’est payé par les riches, pas par les minuscules dons des minuscules électeurs.

Alors, quand t’es élu avec le fric des riches, tu fais une politique pour les riches. Que ce soit à Paris ou à Bratislava. Que tu sois de droite ou de gauche. Tiens, t’a qu’à regarder Séguéla. Il a pris du pognon avec Mitterrand, il en prend avec Sarkozy, il s’en fout, il sait que de toutes façons le gouvernement élu va faire plaisir aux grosses sociétés, c’est à dire à ses clients. Si mes clients vont bien, moi aussi je vais bien.

Faut pas croire, l’électeur de base, il le sent bien. Il le sent bien que Fabius, il a fait enlever les objets d’art de l’assiette de l’ISF parce que son papa était antiquaire. Fabius, il se gratouille pas l’Œdipe, il a pas envie de ruiner papa. Le citoyen de base sent bien que le patronat « de gauche », il est patronat avant d’être de gauche. Il sent bien que l’Europe est d’abord un fromage à eurodéputés et à pouvoir augmenté. Alors, l’électeur de base, il regarde vers les « petits candidats », ceux qui lui semblent pas baigner dans un fric insensé.

Les sondages, aujourd’hui, sont cruels. Les deux candidats dont on admet, en général qu’ils seront au second tour, totalisent 51% des intentions de vote. La moitié des électeurs. C’est pas beaucoup compte tenu de la débauche de moyens. Chaque apparition d’un « petit » vient gratter quelques électeurs. C’est pour ça que les deux gros, ils sont assis sur leur pactole de signatures. Pour que le jour de la lutte finale, il y ait moins de concurrence. Pour éviter les candidatures « fantaisistes ». Comme si les trotskystes étaient des fantaisistes ! Pour un trotskyste, y’a beaucoup de qualificatifs possibles, mais « fantaisiste » ne me paraît pas le plus juste.

Sûr que ça va se décanter, mais il y aura de toutes façons un premier tour avec plus de deux candidats. Les trublions, on va essayer de les dézinguer, mais ils vont engranger de toutes façons. 3 points ici, 5 points là, 20 points un peu plus loin. Au bout du compte, on va s’apercevoir que plus de la moitié des Français qui votent rejettent le pouvoir en place. Je vous rassure, les politiques s’en foutent. Le pouvoir en place, c’est eux, et tant que l’arithmétique électorale fonctionne……

Tiens, prends Bayrou. Il te parle d’union nationale. Il se rend pas compte que l’électeur de base, il en veut pas. Il a pas envie d’un gouvernement où on reverra encore les tronches de Juppé, de Copé, de Ségolène et de Jack Lang, sur la même photo. On prend les mêmes et on recommence. S’il était malin, Bayrou (mais un Béarnais malin, on en attend un depuis Henri IV), s’il était malin, il proposerait un gouvernement d’union de l’opposition. Il dirait, voilà, les deux gros, ils ont foiré depuis trente ans, on va faire une union de ceux qui pensent pas pareil en collant dans le même sac le Modem, Marine, Mélanchon et les électeurs de Poutou à qui je fais un gros poutou. Les trotskards avec les fachos ? Pourquoi pas ? Les trotskards avec les cocos ? Là, j’admets, y’a un pic à glace entre les deux. Mais un jour ou l’autre, il faut bien la rompre, la glace….

Faudrait qu’ils abandonnent quelques dogmes, les uns et les autres. Que Marine, elle trouve la CGT sexy, que François se dise que l‘Europe, c’est pas une bonne idée, que Poutou trouve que l’armée, c’est utile… Des choses comme ça. Mais ils sont pas obligés de parler des choses qui fâchent. Un but dans le temps, ça suffit. Cinq ans pour annuler la dette, refaire quelques usines, des trucs comme ça. Et une relance de l’Etat avec un poil de coercition. La plupart, le gros bâton, ça les effraie pas. A part François qui préfère murmurer à l’oreille des chevaux que manier la chambrière. La chambrière, c’est un fouet pour les chevaux, pas une employée d’hôtel, je parle de Bayrou, pas de DSK.

Bien sûr, je rêve. Bien sûr, ça finirait mal. Jean-Luc, il aurait envie de virer les mencheviks, Marine, elle penserait Nuit de Cristal, la mère Boutin, elle voudrait inscrire le catholicisme dans la Constitution. Y’aurait des baffes, mais au moins, on s’amuserait un peu. Le Top 14, c’est plus rigolo que les séances de nuit à l’Assemblée.

Bien sûr, je rêve. Je pense à un digne sénateur-maire, proche de Bayrou, à qui je reprochais un jour de ménager un de ses adversaires politiques. Il m’a répondu cette phrase magnifique : « Mon petit, avant d’être un adversaire politique, c’est un collègue sénateur ». Tout le sel de la phrase est dans l’adverbe de temps. Avant. Avant tout, on est des notables et on est d’accord sur l’essentiel. Que ça dure…

Peut-être que je ne rêve pas. On a déjà eu ça en 46 quand Maurice Thorez siégeait avec De Gaulle, tous unis pour reconstruire le pays que Vichy avait bouzillé. Tout le monde a fait des concessions et on a construit un système qui nous a donné trente ans de bien-être. Allez, chiche, Jean-Luc Premier Ministre de Marine ? Avec Dominique de... au Quai d'Orsay ? Et Poutou à la Défense ?

On en reparlera…..

jeudi 22 décembre 2011

LES ENFOIRES

Les enfoirés, c’est pas qu’un groupe de saltimbanques qui se sont autoproclamés ainsi par goût de l’antiphrase.

Non. C’est juste les mecs qui, au quotidien, font l’économie et le discours sur l’économie. Ceux qui manipulent les faits et font des présentations tronquées et utilisent des bouts de clichés mis bout à bout.

Les agents de sécurité prennent les voyageurs en otages. Faux. Quand tu fais grève, c’est pas l’usager que tu prends en otage, c’est ton patron. L’usager, c’est un dommage collatéral et, de toutes façons, c’est aussi un enfoiré, le plus souvent.

L’agent de sécurité, il est sous-payé pour se faire engueuler. La revendication, c’est 200 euro d’augmentation par mois, 8 euro par jour ! Un euro de l’heure, si tu préfères. Tu parles d’une menace ! En plus, si son patron lui en file 100, il va être content et reprendre le boulot. Pour ces 200 euro, il fait grève avant Noël et il a raison. S’il fait grève le 8 octobre, tout le monde va s’en foutre.

Soyons clairs : l’avion est un mode de transport de luxe. Si tu veux aller faire la bise à Tante Germaine à Bordeaux, t’as aussi le train. Pour aller te bronzer la couenne aux Seychelles, j’admets, c’est pas possible. Mais tu vas aux Seychelles parce que tu sous-payes l’avion. Tu veux pas le voir parce que ça t’arrange. Le mode de transport de luxe, à force de compagnies low-cost et de yield management, c’est devenu un mode de transport populaire. Et pour baisser les prix, vu que les infrastructures coûtent de plus en plus cher, que le pétrole ne baisse pas et qu’il y a de plus en plus d’intervenants, on utilise la seule variable d’ajustement possible : le salaire des minables. On touche pas trop aux pilotes, au nom de la sécurité des vols. Mais le soutier, le petit, le sans-grade, le bagagiste, le balayeur, lui, on le comprime. De toutes façons, il est pas qualifié. Pas qualifié, pas payé. Et toi, t’es tellement content d’emmener ta blondasse aux tropiques que tu trouves ça normal. S’il bossait gratos et que ça te permette de gagner encore trois euro sur ton billet, tu trouverais ça normal aussi.

Le coût de la sécurité, c’est vrai que tu le payes. C’est dans les taxes d’aéroport. Les compagnies s’en foutent, leurs promos, elles n’incluent pas les taxes d’aéroport. La taxe d’aéroport, c’est pas une taxe mais une redevance. C’est le montant que les compagnies payent à l’aéroport pour avoir le droit de décoller. Et l’aéroport, le plus souvent, il est privé. Aéroports de Paris (Roissy, Orly), c’est une société privée (privatisée par Sarkozy en 2005) cotée en Bourse. Certes, l’Etat est majoritaire (60% environ) mais le fonctionnement est de type privé.

Alors, là, ça devient très simple. Si c’est privé, l’Etat facture la sécurité. Au prix du gendarme de base, pas mal payé, avec plein d’avantages, et de la formation. Trop cher, dit le privé qui fait appel à des entreprises de sécurité. Il a le droit, c’est plus l’Etat. L’employé de sécurité de base, il a pas le port d’armes, ni les chiens renifleurs d’explosifs, en fait il a rien, que de la bonne volonté et l’envie de bosser. Et voilà un poste de dépenses en baisse, ce qui signifie du pognon pour l’actionnaire. Mais l’actionnaire, c’est l’Etat. Ben, plus officiellement. Si l’aéroport était public, l’Etat faudrait qu’il assure la sécurité qui est une de ses missions régaliennes. C’était comme ça avant. Avec la privatisation, l’Etat il peut remplacer le gendarme par un employé de sécurité. T’as compris ? C’est du bonneteau. Juste pour baisser les coûts. Au lieu d’embaucher des gendarmes, l’Etat fait embaucher des chômeurs à peine qualifiés par une société privée qu’il contrôle en sous-main.

La sécurité est la même ? Pas sûr. Mais c’est pas grave. S’il y a un bug, la responsabilité, c’est plus l’Etat, c’est l’entrepreneur privé. Tout bénef, je vous dis. Et puis, des attentats, y’en a pas tant que ça.

Alors, aujourd’hui l’Etat s’énerve et le Président pique une crise. Le Président qui a transféré les prérogatives de l’Etat au privé hurle parce que l’Etat est impuissant. Hé ! Nicolas, si t’avais pas remplacé les gendarmes par des salariés lambda, t’aurais pas de grève vu que les gendarmes, ils ont pas le droit de faire grève. Tu peux pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Celui qui a pris les Français en otages, c’est toi. Tu veux du privé partout ? Tu vas avoir les emmerdes du privé partout.

Le problème, c’est que nous aussi. Pourquoi la SNCF doit refaire ses horaires ? Pour laisser des créneaux aux compagnies privées. Pourquoi le gaz augmente deux fois par an ? Pour que Suez puisse engranger des bénéfices. On est pas au bout, je vous le dis. Tiens, la privatisation du contrôle aérien, les aiguilleurs du ciel. On n’en parle plus trop. Vous savez pourquoi ? Parce que les fonctionnaires chargés du dossier ont jugé que c’était trop dangereux. Alors, on laisse reposer le ragoût. Jusqu’à ce qu’on trouve de nouveaux fonctionnaires, plus dociles.

L’Etat se désengage. Pour tous les gogos, c’est une bonne nouvelle. La plupart des Français, ils bossent dans le privé et ils font des vannes sur les fonctionnaires. Le désengagement de l’Etat, ça leur laisse croire que ça va être du boulot pour eux. Et qu’ils feront mieux que les fonctionnaires. Mais c’est pas vraiment le boulot qu’ils imaginent. Quand il y en a. L’Etat se désengage de Renault ? Renault s’installe en Roumanie et on importe des bagnoles au lieu d’en exporter. L’Etat se désengage du courrier ? La Poste supprime quelques milliers d’emplois et tu vas payer des chômeurs plutôt que des facteurs.

L’Etat assumant ses fonctions, contrairement à ce que tu penses, c’est pas du communisme larvé. C’est juste son boulot. Notre énergie, notre transport, notre sécurité, c’est le boulot de l’Etat. Curieusement, plus il se désengage, plus il coûte cher. Il s’occupe moins de l’industrie, moins de l’énergie, moins du commerce mais on a plus de ministres au gouvernement que sous le vieux Général. Soit ils sont moins bons, soit ils sont plus fainéants. Ou les deux à la fois. Tu me crois pas ? Le gouvernement Debré, de 1958 à 1962, y’a 26 ministres et secrétaires d’Etat. Le gouvernement Fillon, en 2012, ils sont 33. Et Debré, fallait qu’il gère les colonies et la guerre d’Algérie.

Bon, à l’époque, tu payais l’avion cinq à six fois plus cher que le train. C’était la seule différence vu que les deux étaient à l’heure. Aujourd’hui, tu payes le même prix et les deux sont en retard. On vit une époque formidable, disait Reiser.

On en reparlera…..

samedi 17 décembre 2011

LE DROIT AU BLASPHEME

Jean-Michel Ribes est un zozo, un vieux clown un peu minable. Il s’arroge le droit au blasphème et il a raison. Le blasphème n’est pas un délit dans une République laïque.

Alors, il se moque du Christ. Et il a bien raison. Ce mec qui marche sur l’eau et qui multiplie les petits pains, c’est pas très catholique. Une poignée de catholiques intégristes se réunit devant son théâtre et Ribes la joue indigné, quasi-martyr, devant les caméras de télé. Même qu’on a trouvé un cutter sur un mec un peu douteux. Un cutter ! Vous vous rendez compte ? Ils viennent armés.

OK. Mais c’est pas si courageux que ça. Ribes, y’a des pseudo-dieux et des pseudo-prophètes qu’il se garde bien de toucher. Mahomet, par exemple. Pourquoi il nous monte pas une pièce bien salace sur Mahomet, une pièce qu’il pourrait écrire lui-même, il a le talent pour ?

Ben non. Là, ça coince. Charlie-Hebdo, on leur a foutu le feu pour moins que ça. Ribes, il sait bien que s’il touche au Prophète, son théâtre, il saute. Et lui, il peut se retrouver avec une bastos dans le crâne. Courageux, mais pas téméraire. C’est pour ça que je le trouve minable. Quand tu fais de l’alpinisme, tu grimpes pas la face nord de Montmartre. C’est l’Everest ou rien. Tu te mets en jeu. Le vrai courage, c’est quand il y a un vrai danger.

C’est facile, je trouve, de taper sur les chrétiens. Y’en a plus beaucoup et ils sont plutôt pas trop agressifs. Leur clergé, c’est pas des militants, mais des mecs plutôt cool. T’es pas marié mais si tu veux faire baptiser ton gosse, ils t’emmerdent pas. Ils s’excitent sur des trucs pas trop graves, et de toutes façons tout le monde s’en fout. On râle après le Pape mais on met la capote. Il faut bien le dire. Pour un athée, l’Eglise catholique, c’est plus trop un problème. On a mis deux siècles, il a fallu faire quelques lois, expulser un peu, nationaliser un chouïa (l’école en face de chez moi, c’est un temple protestant confisqué en 1905), brûler quelques presbytères, mais, l’un dans l’autre, on y est arrivé. Je sais : nationaliser, brûler, expulser, confisquer, c’est pas des mots gentils. Faut savoir ce qu’on veut, coercition c’est pas un gros mot. Mais, dans l’ensemble « l’infâme » comme disait Voltaire, on s’en est débarrassé. T’as qu’à rentrer dans une église, tu verras. Ou alors, tu vas un dimanche à la basilique de St Vincent de Paul. Les soutanes et les cornettes, c’est que du catho d’importation, black, tamoul ou latino. Faut bien compenser la crise des vocations européennes.

Le combat est plus là. D’accord, faut pas mollir. Faut surtout pas confondre. Moi, je suis religieusement athée et culturellement chrétien. Je crois pas en Dieu (même si je lui mets une majuscule, c’est comme ça qu’on distingue le dieu des religions monothéistes, c’est pas de la Foi, c’est de la typographie) mais je baigne dans le christianisme. Bach, c’était un cul-bénit, comme Racine. Architecture, musique, peinture, littérature, le petit Jésus est partout. Ce sont des traces historiques, on va pas les enlever. Et même, il faut les protéger. Pas comme traces religieuses, comme traces historiques. Même dans la langue, y’en a. Quand tu dis que tu vas sonder les reins et les cœurs, c’est tiré de la Bible. T’avais oublié ? Faut pas. L’Histoire, c’est précieux.

Le problème, c’est qu’on a le sentiment que le rejet du christianisme, il va de pair avec l’adoption des autres religions. Le mec, il va plus à l’église le dimanche pour pas faire comme son papa, mais il vénère le Dalaï-Lama. On discute plus ad nauseam sur les Evangiles, mais on dissèque les sourates du Coran. Tout ça, parce qu’on « veut comprendre ».

Ho ! les mecs ! Réveillez-vous ! Y’a rien de plus à comprendre. Toutes les religions fonctionnent pareil. Toutes, elles te promettent que tu vas pas vraiment mourir parce qu’à l’idée de clamser tu te chies dans les frocs. Après, y’a juste les détails qui changent. Le Paradis, ou la réincarnation, ou la survie de l’âme. Tout ça, c’est pareil. Un truc pour t’enlever la trouille. Parce que t’as la trouille. Tu l’avoues pas, mais t’en crèves. Et puis, c’est dur pour l’ego de se dire que le monde va fonctionner pareil quand tu seras plus là.

Le second étage de la fusée, c’est que pour pas vraiment mourir, faut que tu te comportes bien sur Terre. Là, les boîtes à outils divergent. Faut pas mettre de capote, faut pas manger de cochon, faut raser les cheveux de ta gonzesse, faut faire des aumônes (surtout au clergé que t’as choisi, ça aide). Les prescriptions sont innombrables, chacun les siennes. Plus ta religion est rustique, plus elle va dans les détails. Le juif ou le musulman, il t’interdit le cochon, le tupinamba il veut pas que tu bouffes de l’anaconda. Là, c’est facile, l’anaconda, y’en a pas au marché de Mont-de-Marsan. La religion tupinamba a de l’avenir dans les Landes. Ou le Gers.

Le dernier étage, c’est les rapports avec le politique. Pour pas vraiment mourir, faut que tu votes pour les gouvernements que ton curé t’indique. Je dis curé, ça peut être rabbin, imam ou bonze. Faut pas se gourer. L’Iran d’Ahmadinejab, c’est juste la France de Napoléon III. Ou le Tibet du Dalaï-Lama. Faut voter pour le chef qui protège ta religion. Forcément, ça exclut ceux qui sont pas de la religion du chef. Le côté du manche.

Cherche bien, réfléchis bien, toutes les religions fonctionnent comme ça. Avec des nuances, plus ou moins simples, plus ou moins complexes. Nuances que les gros bourrins religieux oublient. Dans les mecs qui prient devant le théâtre de Ribes, je voudrais savoir combien ont lu Augustin, Jérôme ou Pacôme. Pour savoir, va regarder les chiffres des ventes du rayon « Patristique » dans une librairie religieuse. Librairie religieuse parce que dans une librairie ordinaire, on te vend Matthieu Ricard mais pas St Augustin. Je voudrais savoir combien de fondus du yoga connaissent la pneumé de St Jean Chrysostome qui en est le pendant chrétien.

Parce que ça, c’est le dernier point. Capital. Les religions aiment les ignorants. Moins t’en sais, plus t’es malléable. Moins t’as lu, moins t’as réfléchi, plus t’es convertissable. Tu fais semblant de réfléchir, mais tu t’empresses de ne pas lire ceux qui ont réfléchi avant toi. Comme m’a dit un copain bou-bou (bourgeois-bouddhiste), c’est trop prise de tête. Faut dire que le mec, il fait chier tout le monde avec le Dalaï-Lama, mais il a jamais lu un soutra. Il écoute béatement son gourou. He bé ! te prends pas la tête. Tu as la foi du charbonnier. Expression chrétienne qui fonctionne aussi avec les autres religions et qui veut dire, admirativement, que moins t’en sais meilleur t’es, question religion. Laisse donc le curé (ou l’imam, ou le rabbin, ou le bonze) penser pour toi.

Je vois pas pourquoi je m’énerve. Relisez Voltaire.

On en reparlera….

vendredi 9 décembre 2011

CORRELATION ET CAUSALITE

Je vais être chiant. Vous avez le droit de quitter cette page.

Un article du Monde m’apprend que Claude Bernard a désormais un concurrent : Google. Google a provoqué une révolution épistémologique qui est en train de rendre caduque la méthode hypothético-déductive théorisée par Claude Bernard à partir de sa découverte de la fonction glycogénique du foie.

L’auteur de cette thèse est un mec sérieux et que j’aime bien : Chris Anderson. La thèse est simple : « Avec suffisamment de données, les chiffres parlent d’eux-mêmes ».

Ce n’est pas nouveau et on en a déjà parlé (http://rchabaud.blogspot.com/2011/02/un-et-les-autres.html). C’est juste l’aboutissement de la pensée dominante américaine selon laquelle la technologie est nécessaire et suffisante pour faire avancer la connaissance.

Alors, faisons ce qu’Anderson refuse de faire. Regardons quel est le lieu de parole de l’auteur. Informaticien, Chris Anderson est un spécialiste du e-commerce. Un épicier moderne, un mec qui a passé sa vie à analyser avec pertinence nos comportements commerciaux. De ce savoir purement mercantile, il affirme pouvoir tirer une philosophie et une épistémologie qui vont s’appliquer à tous les domaines du savoir.

C’est dit crûment : « La philosophie fondatrice de Google est que nous ne savons pas pourquoi cette page est mieux que celle-ci : mais si les statistiques des liens entrants disent qu’elle l’est, c’est bien suffisant. Aucune analyse sémantique ou de causalité n’est nécessaire ». Exeunt le sens (la sémantique) et la causalité : la quantité suffit. Dans le commerce, c’est parfaitement exact. Mais ce n’est exact que dans le commerce. Chris Anderson met sur un pied d’égalité Claude Bernard et Aristide Boucicaut. C’est gonflé ! Ceci dit, c’est normal : les épiciers aiment la pensée des épiciers. On appelle ça le poujadisme.

Anderson se met ensuite à dériver : grâce à ses corpus de données, Google peut traduire du klingon en farsi aussi facilement qu’il peut traduire du français en allemand. Rappelons que le klingon est une langue imaginaire utilisée dans Star Trek et que son corpus littéraire est limité. Google peut aider à traduire une notice de tondeuse à gazon, et encore pas très bien. Tous ceux qui ont utilisé les outils de traduction de Google connaissent leur pauvreté et leur médiocrité. Faites le test : essayez de traduire un vers de Shakespeare, vous verrez. Chris Anderson s’en fout : Shakespeare n’est pas un marché et surtout pas un marché publicitaire.

Après, on touche au délire. Anderson utilise l’exemple de Craig Venter lors du séquençage du génome. Américain jusqu’au bout des ongles, Anderson oublie que les techniques de Venter ont été mises au point par Daniel Cohen au Généthon. Américain et moderne : les sources importent peu et les sciences n’ont pas d’histoire. Utilisant les techniques de Cohen, Venter s’est mis en tête de publier toutes les séquences génomiques possibles. C’est en fait assez simple : on utilise des algorithmes pour produire des gènes théoriques dont on ne sait rien et surtout pas s’ils existent. James Watson, le découvreur de l’ADN, affirme qu’un singe pourrait faire ce travail et c’est assez juste. Venter va jusqu’au bout en prétendant que chaque séquence génomique ainsi trouvée par ses machines doit représenter une espèce nouvelle.

Bien entendu, c’est complètement faux. Pour qu’une espèce puisse exister, il ne suffit pas qu’elle ait un génome particulier. Il faut aussi que ce génome lui permette de vivre (condition 1) avec les conditions écologiques dans lesquelles il est apparu (condition 2). Il est certain que des dizaines de milliers de génomes séquencés par Venter sont déjà apparus sur Terre depuis des millions d’années que les gènes mutent, puis ont disparu soit tout bonnement parce que leur combinaison était léthale (condition 1), soit parce qu’ils n’apportaient aucun avantage évolutif dans les conditions écologiques de leur apparition (condition 2). Et donc, on s’en fout. Ils n’ont aucun intérêt en tant que génome c’est à dire en tant que moteur de l’évolution. La base du génome, c’est sa survie puisque sans elle, il ne peut plus muter. Et que, par voie de conséquence, les milliers de génome issus de sa mutation n’apparaîtront pas. Sauf dans la bibliothèque de Venter ce qui suffit à prouver l’inanité de son travail.

Anderson se trompe et un point suffit à le prouver. Voilà des dizaines d’années que les météorologues compilent des milliers de données et les moulinent dans les plus gros ordinateurs disponibles. En trente ans, nous sommes passés de la prévision à trois jours à la prévision à cinq jours, et pas toujours fiable. L’accumulation des données n’a pas permis de mettre en place les modèles pertinents. Pire même : de cette accumulation n’est sorti aucun modèle. Rien ne s’est dégagé. Attendons cependant : si Anderson a raison, ça arrivera peut-être un jour. On reste en droit de douter.

Anderson a raison sur un point : les deux voies de recherche sont inconciliables. On en a parlé six mois avant Le Monde mais on aurait pu en parler plus tôt encore. L’article d’Anderson me donne raison, ce que je craignais. Il n’y aura pas de retour en arrière. La voie décrite par Anderson est la voie de la facilité. On délègue aux machines le soin de tracer les chemins de la réflexion. En écrivant ça, j’ai bien conscience de la dimension morale que j’affecte à la question. La voie de la facilité. C’est du langage de curé. Mais, je n’en ai pas d’autre à ma disposition.

Le conflit est générationnel. James Watson, c’est ma génération. Les gens de ma génération apprécient les outils informatiques mais continuent à réfléchir comme au XIXème siècle. Les jeunes générations s’appuient sur l’outil pour réfléchir. Je peux araser une butte qui gêne ma vue avec une brouette. Je le ferais mieux et plus vite avec un bulldozer. Sauf que la mise en œuvre du bulldozer, son transport sur les lieux, les coûts que cela suppose peuvent rendre économiquement stupide son utilisation. Auquel cas, je peux renoncer à araser la butte. Ce faisant, je soumets une question esthétique (ma vue est gênée) à une contrainte économique. La quantification à outrance n’est rien d’autre que l’affirmation de la primauté de l’économique.

On en a déjà passé les prémices. Il existe une classification des maladies en fonction de leur occurrence. En deçà d’un certain seuil, la maladie est dite « orpheline ». En clair, il n’y a pas assez de malades pour justifier d’un effort économique. Pour les zélateurs d’Anderson, cela signifie qu’il n’y a pas assez de données pour que l’outil soit performant. Ils n’imaginent pas que la maladie orpheline puisse servir de clef à la compréhension de maladies non orphelines.

C’est un conflit générationnel, c’est à dire un conflit de civilisation. La génération Venter veut balayer la génération Watson. Ajoutons que Venter plait à Anderson car il brevète à tour de bras les séquences génomiques découvertes par ses machines. Ce faisant, il est cohérent, fonctionnel et utilitariste. C’est un épicier du vivant comme Anderson est un épicier de l’algorithme.

Anderson nous donne donc deux clés du monde en construction : la première, on la connaissait déjà, c’est l’absolue primauté de l’économique qui est en train d’envahir le dernier territoire préservé, la recherche scientifique. La seconde, c’est le désir de la génération montante d’éradiquer les modes de réflexion de la génération au pouvoir. Conflit parfaitement dialectique et donc marxiste. Rodrigue ne fonctionnait pas autrement et Doubrovsky l’a parfaitement montré.

Mais on a de la chance. En face de ce modèle purement américain, nous avons un modèle contraire, chinois. Même si l’on veut admettre que la Chine n’est pas marxiste, on se doit de souligner deux points. Le premier est que le politique y prime sur l’économique. Le second est que le conflit générationnel n’y existe quasiment pas car la Chine vénère l’âge et l‘expérience. On peut relire Javary pour s’en convaincre. Un troisième point pourrait être l’ancrage dans le réel d’une civilisation dégagée de la religion mais pas de la spiritualité, alors que l’autre, profondément religieuse et fort peu spiritualisée, s’obsède sur le virtuel

Face à face, front contre front, deux modèles de civilisation s’affrontent. Tout les oppose. Laquelle vaincra ? Car ne nous leurrons pas, il s’agit d’une bataille pour la domination du monde.

Les événements les plus récents nous donnent quelques indications. Les armées capitalistes sont bloquées devant le Stalingrad de la crise financière. Les états-majors accumulent les données mais aucune solution ne sort des batteries d’ordinateurs mal programmés. Les enfants d’Anderson s’envoient des statistiques à la figure. Les yield managers lissent des chiffres en espérant que Google fera apparaître la solution et l’enverra sur nos smartphones. Pour y aider, ils vont mettre des bougies devant la photo de Steve Jobs. Bougies livrées avec les Smartphones par les fabricants du Guangdong.

On va bien voir comment ça finira…

samedi 3 décembre 2011

FORMATAGE

J’interviewe une jeune responsable politique. Je la piège malicieusement et elle s’énerve. En gros, ce qu’elle me dit, c’est que j’ai pas posé les questions qui intéressent le téléspectateur. En fait, elle me reproche de ne pas avoir posé les questions qui lui permettraient de se mettre en valeur. Elle pense que ce qu’elle a à dire est intéressant et elle voudrait que je lui serve la soupe. Avant l’interview, elle a décidé que son programme intéressait le téléspectateur et il ne lui vient pas à l’idée qu’il pourrait totalement s’en foutre. Elle croit faire de la communication quand elle ne fait que du babillage. Dès qu’on sort du formatage qu’elle a du répéter avec son coach, elle est larguée.

Il faut dire qu’elle a de drôles de notions. Elle est persuadée qu’il y a une opposition irréductible entre Boudon et Bourdieu (ce qui reste à prouver) et elle parle du « classico Boudon-Bourdieu » comme s’il s’agissait d’un match de foot. Il ne lui vient pas à l’idée que ceux pour qui « classico » est un terme pertinent ignorent tout des deux sociologues alors qu’il ne viendra jamais à l’idée de ceux qui s’intéressent aux différences (et non à l’opposition) entre Boudon et Bourdieu de parler spontanément de « classico ». Elle doit s’imaginer faire populaire. Hors plateau, elle s’étonnera d’ailleurs que j’ai lu Boudon qu’elle juge incompatible avec Mao Zedong. Selon elle, on ne doit lire que ce qui va dans le sens qu’on désire. Ne pas s’intéresser à l’adversaire, ne pas lire ce qui est différent. Elle n’a certainement pas lu Sun Zi, non plus, qui impose de connaître au mieux ce qui sous-tend la pensée de l’autre.

C’est la base du formatage. Ne lire que ce qui va dans mon sens, accumuler les arguments et les statistiques qui étoffent ou étayent ma pensée. Ce qui conduit immanquablement à lire des livres répétitifs, à entrer dans le babillage, à imaginer que la répétition est la base de la communication. Une contre-vérité inlassablement répétée devient vérité. Il suffit de coller des éléments de langage dont on est persuadé qu’ils apportent la nouveauté nécessaire. C’est ainsi qu’elle me parle de son idée forte : l’allocation d’autonomie pour les étudiants. Une allocation mensuelle qui viendrait remplacer l’ensemble des aides. En fait, c’est une bourse. Elle refuse le terme : il est ancien, il donne à sa réflexion une connotation rétrograde. Et quand on lui demande la différence entre une bourse et son allocation, elle est incapable de donner une réponse cohérente. Normal : elle a juste changé le mot. Elle peut simplement me dire que la bourse était versée aux parents alors que son allocation sera versée à l’étudiant. Ben, c’est pareil : la bourse était versée aux parents jusqu’à la majorité. La différence est que l’âge de la majorité a changé.

Je suis injuste. Elle n’est pas seule à avoir ce fonctionnement. Tous les jeunes responsables politiques de tous bords fonctionnent ainsi. Ils ont des mots-phares. Démocratie, par exemple et son adjectif démocratique. Quand ils disent « démocratie », ils pensent suffrage universel. Le suffrage universel est devenu l’alpha et l’oméga de la démocratie. Il est nécessaire (c’est exact) et suffisant. Sauf qu’il n’est pas suffisant. Quand un pays pratique la discrimination religieuse, il n’est pas démocratique. Tout simplement parce qu’il ne peut pas l’être dans la mesure où il met à part la fraction laïque de sa population. Même après sa révolution, la Tunisie qui conserve l’Islam comme religion d’Etat n’est pas démocratique. Il n’y a pas de place pour un chrétien dans sa loi fondamentale.

Quand on dit ça, on se fait rabrouer. Tu chipotes ! Une monarchie constitutionnelle est une démocratie. Ben non. Une monarchie constitutionnelle est une monarchie. Et une monarchie n’est pas une démocratie. Ou alors, les mots ne veulent plus rien dire. Dans une monarchie, y’a un môme qui nait et les autres mômes, nés le même jour, sont ses « sujets ». C’est comme ça qu’on dit. Si ça, c’est démocratique faut m’expliquer le sens du mot « démocratique ». Ouais, bon, les rois n’ont plus le pouvoir absolu. Pas absolu, d’accord. Mais quand même, la Queen elle touche tous les ans sa liste civile. On prend un bout des impôts pour l’entretenir. Si en plus, tu me dis qu’on l’entretient à rien faire, on peut se poser des questions.La démocratie,c'est quand tout le monde bosse pour gagner sa vie. Pas quand certains bossent pour entretenir les autres. Au nom de quoi ? Inutile de me faire le coup populiste du "on entretient bien les députés". Les députés sont virables, pas la Queen.

On vit dans une grosse merdouille sémantique. Pour le dire mieux, nous pensons avec une polysémie confortable. Quand tu dis « démocratie », tu penses « suffrage universel ». Si t’as le suffrage universel, c’est suffisant. Ben non. Dans la démocratie, il y a l’idée de république, l’idée de laïcité, l’idée d’égalité. La minette républicaine, elle m’affirme que je fais de l’ethnocentrisme. En clair, j’ai une vision européenne de la démocratie qu’on ne peut pas imposer au monde entier. Après quoi, elle affirme que les Chinois, c’est caca vu qu’ils ne sont pas démocratiques. Bon, c’est une république, populaire et laïque, mais pour elle c’est pas démocratique. Alors qu’une monarchie religieuse, c’est démocratique. Dans la foulée, elle me balance les droits de l’homme en croyant que les droits de l’homme c’est pas « ethnocentrique ». On est dans la bouillie épistémologique.

On le retrouve dans le discours PS du moment. Les immigrés peuvent voter dans la mesure où ils paient des impôts. En bon français, ça s’appelle le suffrage censitaire. On a déjà connu ça, sous la Restauration. Tu ne pouvais voter et être élu que si tu payais des impôts. Clairement, c’est le pouvoir aux riches. Payer des impôts, ce n’est pas, ça ne doit pas être un critère politique. Si on va au bout du raisonnement, on donnera le droit de vote aux immigrés fiscalement à jour. Beh non ! c’est pas ce qu’on a voulu dire. Pourtant, c’est ce que tu as dit. Tu dis ce que tu as pas voulu dire mais tu ne dis pas ce que tu n’as pas voulu que je comprenne. Par hasard, tu me prendrais pas pour un con ?

En fait, tout est déconnecté. C’est vrai que l’ethnocentrisme est un danger. Il est difficile d’imposer à la Terre entière les valeurs nées en Europe à l’ère des Lumières. Par contre, il est normal et judicieux d’imposer à la Terre entière un système économique né au même endroit à la même époque. La mondialisation économique, c’est tout bon. La mondialisation politique, c’est caca. Peu à peu, les valeurs économiques remplacent les valeurs politiques. Si ça fait du pognon, on peut s’arranger. C’est juste une question de mots.

Cette semaine, il y a eu des grèves en Chine, nous dit la télé. Non. Il y a eu des grèves à Shanghaï. Dans la partie capitaliste de la Chine. Ceux qui ont suivi ce blog depuis ses débuts savent bien que ce n’est pas pareil. La Chine, c’est un pays deux systèmes. Depuis sa création par la Petite Bouteille, la partie capitaliste est condamnée (http://rchabaud.blogspot.com/2010/10/la-petite-bouteille.html ). Les grèves et les révoltes ouvrières sont programmées. Quand il sera temps, le gouvernement chinois remplacera « un pays, deux systèmes » par « un pays, un système » et je tiens le pari que ce système ne sera pas capitaliste.

On peut toujours jouer avec les mots, on peut toujours oublier que les mots n’existent que pour décrire le réel. On peut toujours penser que changer le sens des mots, c’est changer la réalité. Sauf que ce n’est pas comme ça que ça marche. Le monde matériel est cruel.

On en reparlera….

mardi 29 novembre 2011

C’EST GRATUIT !!

Marc Lemonnier poste un message outré car le texte de certains de ses livres est accessible gratuitement sur des sites qui l’ont piraté.

Ben oui, Marc. Tu découvres l’essence du Net : la gratuité. Avec ses séides : les bon plans, les remises hallucinantes et l’achat groupé.

Quand Internet cassait le marché des éditeurs d’encyclopédies, ça te gênait pas. Moi, non plus. Un clic sur Wikipédia, ça va plus vite que de se palucher les vingt volumes de l’Universalis et ça coûte rien. Les éditeurs de dictionnaires ont pleuré les premiers.

Les éditeurs ont adoré Internet qui leur permettait de faire des e-mailings. C’est bien l’e-mailing. Avant, il fallait payer les timbres à la Poste. Fini. C’est gratuit. Y compris pour faire la promotion de tes livres.

Les éditeurs ont adoré les catalogues en ligne. Plus de lettres à lire, plus d’enveloppes, de frais de port, de petites mains qui envoyaient les catalogues. Là, ce sont les routeurs et les imprimeurs qui ont pleuré. Et les petites mains quand on a contracté les services généraux.

Tout le monde a adoré le référencement. Plus besoin de chercher comment toucher les clients et les lecteurs. Ils venaient à toi. Gratuitement.

Tout le monde a adoré les réseaux sociaux. C’est immédiat et gratuit. On colle deux lignes et on communique. Plus besoin d’écrire une lettre, d’aller à la Poste, de mettre un timbre, plus besoin de téléphoner et de s’exploser le forfait. Comme dit Facebook (là où Marc Lemonnier a mis son post) : « c’est gratuit et ça le restera ».

Y’a qu’un hic : c’est qu’invariablement, un jour, c’est mon boulot qui devient gratuit. Et là, changement de musique. On a tous envie d’avoir le beurre et l’argent du beurre. Tu peux te consoler en te disant que les droits d’auteur que tu as perdus, tu les aurais investis dans une encyclopédie. Et donc, ça ne change rien à ta trésorerie. Tu as perdu par Internet ce que tu as économisé par Internet.

Je te rassure, tu ne perds rien. Ceux qui accèdent à tes textes par Internet n’auraient pas fait l’effort d’aller les acheter dans une librairie. Parce qu’Internet ça ne rend pas seulement radin. Ça rend radin ET fainéant. C’est ça le succès d’Amazon. T’achètes sans bouger, le cul vissé sur ta chaise. Bien confortable ta chaise. D’ailleurs, tu l’as achetée sur Internet. Les éditeurs adorent Amazon qui permet d’économiser les kilo-euros de frais de port qu’il fallait facturer et percevoir quand il y avait des centaines de petites librairies, des centaines de petits comptes à gérer et des comptoirs de vente en centre ville. Tout cet argent immobilisé !

Tu es piraté ? Le pire reste à venir. Les copiés-collés, les citations non affectées, les textes tronqués et utilisés à des fins que tu réprouveras. Le piratage commercial n’est que le début. Va venir désormais le piratage intellectuel. Tout le Code de la propriété intellectuelle qui va être détricoté à coup de sites installés dans des pays qui ne respectent pas la Convention de Berne, à coup de sociétés non solvables et de mecs qui ne voient aucune raison de payer ce qu’ils n’ont jamais payé : des mégabits. Car pour eux, un texte, c’est juste des mégabits.

En plus pourquoi payer ce qu’ils offrent gratuitement ? Tu sers juste d’appât pour vendre de la pub. Remarque, chez Leclerc, tu sers d’appât pour vendre de l’eau minérale. C'est pareil.

Tu n’iras pas voir un avocat spécialisé. Parce que les 500 euro de la première consultation, t’es même pas sûr de les récupérer. Alors, tu vas râler et tu as raison.

Mais c’est trop tard. Un excellent sociologue, Raymond Boudon a décrit ce fonctionnement : c’est l’effet pervers. Je suis certain que tu trouveras le texte sur Internet.

Gratuitement.

jeudi 24 novembre 2011

LES CATASTROPHES ARTIFICIELLES

Les Varois sont dans l’eau. Le Ministre annonce un « arrêté de catastrophe naturelle ». Le Ministre n’a rien compris. Ne sachant rien sauf communiquer, d’une inculture majuscule, les ministres ne comprennent rien. Il s’agit d’une catastrophe artificielle, pas naturelle.

La vallée de l’Argens est sous l’eau. Qu’est ce qu’une vallée ? C’est le point le plus bas d’un bassin versant. Les mots sont clairs. Un bassin versant : des pentes qui font ruisseler l’eau vers le point le plus bas. Une vaste entonnoir qui récupère les pluies et les dirige vers le point le plus bas : la vallée. Vallée qui possède elle-même une partie haute et une partie basse. La partie la plus basse, c’est le confluent avec une autre vallée ou la mer s’il s’agit d’une vallée côtière. Et l’eau collectée, elle va de haut en bas, comme quand ta baignoire déborde et inonde ton voisin du dessous.

Hé, couillon ! Tout le monde sait ça. Ben non, pas tout le monde. En tous cas, pas tous les gens, aménageurs et politiques qui, depuis des années, installent des braves citoyens dans les parties où l’eau se collecte. A Fréjus, l’inondation frappe régulièrement la zone industrielle de La Palud. Pour ceux qui ignorent le vieux vocabulaire français ou qui ont la culture littéraire d’un moineau, un palud est tout simplement un marécage. C’est aussi le titre d’un livre de Gide.

Et donc, une bande d’incompétents ou d’imbéciles (voire les deux) ont décidé d’installer une importante activité économique à l’emplacement d’un marécage. Marécage qui depuis les siècles des siècles sert d’éponge au bassin versant en récupérant les eaux venues d’en-haut. Marécage qui depuis des siècles et des siècles est inondé quand il pleut. Il pleut, le marécage est inondé et les télés passent en boucle les couillons qui s’étonnent d’avoir les pieds dans l’eau dans une zone inondable. Après quoi, on va entendre chouiner les assureurs qui ont garanti un dégât des eaux dans une zone qui collecte l’eau. Quand on se comporte comme un con, on se retrouve tout con un jour ou l’autre.

Dans ses Lettres de Cassandre, l’ami Gentelle s’était déjà emporté contre cette obsession de faire porter au terrain les conséquences de la stupidité des aménageurs. C’est vrai que laisser s’installer des millions de couillons sur une faille tectonique dont on sait qu’elle va péter un jour, c’est quand même d’une connerie rare. Pierre ne verra pas le Big One raser San Francisco et Los Angeles. Ça arrivera fatalement, on le sait, c’est prévu. On sait aussi que les signes avant-coureurs seront perçus trop tard pour envisager une évacuation en bon ordre. En gros, les sismologues auront le choix entre faire leur boulot et annoncer le séisme un jour ou deux à l’avance, déclenchant une panique monstre et une catastrophe humanitaire, ou se taire et laisser le séisme raser la ville. Pour ma part, optimiste comme je suis, je pense qu’ils feront les deux, en retardant l’annonce au maximum, et que le tremblement de terre capturera une population affolée évacuant sauvagement la ville, doublant ainsi à coup sûr le nombre de victimes. Quand San Francisco s’écroulera, ce ne sera pas une catastrophe naturelle. Ce sera une catastrophe artificielle provoquée par un événement naturel.

Il arrive que les hommes n’aient pas vraiment le choix. T’es Japonais, t’as juste le choix de savoir sur laquelle des quatre failles tu vas installer ta maison. Ou ta centrale nucléaire. Mais si t’es Français, t’es pas obligé d’aller t’installer à Nice. Dans l’état actuel des connaissances, si t’achètes un appartement à Nice, tu sais que tu risques de te retrouver héros d’un jour, pleurant devant les caméras de TF 1 que t’as tout perdu. Personne n’est obligé de jouer à la roulette russe.

Faut se mettre à la place des maires. Ils ont besoin d’activité économique, d’emplois, de taxes. Tenir compte du terrain, c’est se priver de tout ça. Alors, ils aménagent, ils remblayent les zones inondables, ils suppriment les marécages qui sont tant dégueulasses et attirent les moustiques. Si ça inonde, les assureurs sont là. Les assureurs et l’Etat. On appelle ça la solidarité républicaine. En clair, le maire de Fréjus, il aménage, il prend les impôts locaux, il se fait de la croissance et quand le pépin est là, il demande au Strasbourgeois un peu de fric. Strasbourgeois qu’on suppose avoir bénéficié indirectement de la croissance de Fréjus.

La géographie souffre d’une tare consubstantielle à son objet d’études. Elle est inégalitaire. Y’a des lieux plus propices que d’autres à l’habitat ou à l’agriculture. T’es Polonais, t’as pas le sol pour produire des quintaux de blé à l’hectare. En revanche, t’es protégé des tremblements de terre et des tsunamis. Bon, t’as pas non plus le climat de la Sicile et la Baltique, c’est pas vraiment une mer ouverte sur le monde. Y’a du pour et du contre. Si t’es Japonais, le sol est riche mais y’en a pas trop. T’as intérêt à te réguler la croissance démographique. Le Touareg, il a du terrain mais il est pas trop fertile. Et ainsi de suite….

Là aussi, la mondialisation est à l’œuvre qui veut qu’on vive tous de la même manière. Lacoste (c’est un géographe, pas un fabricant de tee-shirts) et ses héritiers spirituels ayant décrété qu’il n’y avait pas de finalisme, que le sol ne comptait pas et que la vie des hommes n’était pas conditionnée par le terrain, on ne tient plus du tout compte du terrain. Quand y’a un souci, les écolo-spiritualistes affirment que la Nature se venge. Nouvelle manière de déresponsabiliser l’Homme. Quelle salope, cette Nature, de vouloir se venger ! S’il y a une phrase stupide, c’est bien celle-là. La Nature, c’est juste des fonctionnements. T’en tiens compte ou pas. Et curieusement, les fonctionnaires tiennent peu compte des fonctionnements.

On met en place des pseudo-égalités. Tout le monde a droit à un logement. Bon, au lieu d’avoir une belle maison sur une butte, à l’abri des inondations, bien protégée des vents dominants, tu vas avoir un pavillon Bouygues dans une zone inondable ousque le mètre carré est pas au même prix. A chaque inondation, tu vas perdre un peu du peu que tu possèdes. Pas grave pour le politique qui a aménagé la zone. De toutes façons, t’étais déjà pauvre et lui, conscient de son devoir, t’as permis de te loger. Tous propriétaires, mais pas au même endroit. Faut pas exagérer.

Pour être sûr que personne, jamais, ne réintroduira le terrain dans le raisonnement, on a quasiment supprimé l’enseignement de la géographie. Comme ça, on est tranquilles. Tu te demanderas jamais pourquoi, en Europe occidentale, les beaux quartiers sont à l’ouest des villes et les campings deux étoiles dans les pires zones balnéaires. On a supprimé la géographie inégalitaire au profit d’une idéologie égalitaire. Mais le réel résiste. Les vrais pauvres le savent bien. Ils quittent leur terre pourrie pour envahir les terres favorables. Les presque pauvres s’en indignent qui se voient tirer vers le bas, obligés de partager les miettes.

Les presque pauvres sont les pauvres des pays riches. Ils sont plus pauvres que les riches des pays riches mais plus riches que les pauvres des pays pauvres. Leur situation est inconfortable parce qu’ils ne savent pas où ils sont. Une maison dans une zone inondable, c’est mieux que pas de maison du tout. Ils sont satisfaits lorsque la télé leur passe en boucle les malheurs des pauvres pauvres, ceux qui sont plus pauvres qu’eux.

Les médias guident nos regards vers le bas. Avec Jean-Luc Delarue, on contemple les catastrophes humaines auxquelles on a échappées, la voisine nymphomane ou le beau-frère égrillard. Avec Julien Courbet, on se réjouit de ne pas avoir un voisin aussi méchant. Avec la Star Ac, on se dit qu’on peut prendre la place de Johnny, même si on chante faux. On va plaindre les pauvres inondés de Fréjus en attendant notre tour. Et quand on regarde en haut, c’est trop haut, les stars qui se payent des maisons représentant plus d’argent qu’on n’en gagnera pendant toute une vie. Ça semble naturel.

La communication naturalise tout et surtout ce qui est artificiel. Elle crée une immanence du malheur auquel on ne peut pas échapper. C’est l’un des résultats de la géographie selon Lacoste qui voulait que l’homme puisse prendre son destin en mains.

Lacoste avait raison. L’homme prend son destin en mains en faisant connerie sur connerie et en refilant la responsabilité à la Nature que Lacoste lui a conseillé d’ignorer.

On en reparlera…

mardi 22 novembre 2011

ALLAH ET ALAOUITES

Bon. Je me suis fait engueuler pour mon précédent texte. Il paraît que je soutiens un dictateur. Ça, on me l’a déjà dit. A propos de la Chine notamment.

« Dictateur », c’est d’abord une étiquette. Cherchez, il y a plein de définitions. Toutes assez floues, souvent contradictoires, et toutes discutables. En général, la discussion finit par « Allez, fais pas le con, tu sais bien ce qu’on veut dire ».

Ben non, ça va pas de soi. Sois précis, je comprendrais.

A priori, Bachar Al Assad est un dictateur. Il concentre les pouvoirs, s’appuie sur l’armée et entretient une répression assez sauvage. Ce que je voulais dire, c’est que tout ça n’est pas bien, mais que je considère que c’est un moindre mal. Ou pour être encore plus clair, que le remède risque d’être pire que le mal.

Bachar Al Assad est alaouite. En clair, il appartient à une minorité religieuse. Comme tel, il sait ce que veut dire une religion dominante. Pour lui et les siens, c’est la potence. Bien que les hérésies n’existent pas vraiment dans l’Islam, les Alaouites sont considérés par les tendances majoritaires comme apostats et certains théologiens un peu excessifs ont appelé à les détruire. Ces bagarres théologiques, je m’en fous. Je vais pas vous dire que les Alaouites ne voilent pas leurs femmes ou qu’ils sont proches de l’ismaélisme (l’Aga Khan, c’est pas un sauvage). Ce sont de piètres arguments.

Ce que personne ne veut voir, c’est que la rébellion syrienne est une tentative fort bien menée des musulmans les plus orthodoxes, chiites et sunnites mélangés, pour prendre le pouvoir en Syrie. Les Turcs ne s’y sont pas trompés qui soutiennent le Conseil National Syrien. Il faut que la Syrie revienne au sein de l’Islam militant. Et si on peut détruire les Alaouites, ce sera tout bénef. On en profitera au passage pour éradiquer le christianisme, virer les Arméniens et faire le ménage.

La Syrie est le dernier rempart de la démocratie au Proche-Orient. Ecrire ça va m’attirer encore des engueulades. Bachar Al-Assad n’est pas un modèle de démocratie. Mais du moins protège t’il des minorités ce qui n’est pas le cas de l’Iran voisin. En Irak, l’Occident a contribué à détruire le parti Baas qui s’accrochait encore à ses principes de laïcité. Si la Syrie tombe, le prochain domino sera le Liban. Le cercle se referme autour d’Israël que les Frères Musulmans égyptiens ne tarderont pas à menacer au sud. Je n’ai pas une sympathie particulière pour le sionisme mais compte tenu du rapport de forces dans la région et du mental particulier du gouvernement israélien, tout sera prêt pour la grande explosion.

On ne fait pas de politique avec de bons sentiments. Il faut un peu de rigueur dans l’analyse et ne pas chouiner dès qu’il y a un peu de sang versé. En se demandant si un peu de sang, c’est pas mieux que beaucoup.

Et ne pas dire que un peu, c’est encore trop. L’angélisme peut être criminel. En 1917, les angélistes croyaient à l’avenir des mencheviks. Ça a duré six mois.

On en reparlera....

dimanche 20 novembre 2011

VALERY ET NICOLAS, REZA ET MOUAMMAR

L’Histoire bégaie. A peine Khadafi exécuté, voilà t-y pas que le CNT annonce que la loi fondamentale de la Libye est désormais la charia et que toute loi contraire à la loi islamique sera déclarée anticonstitutionnelle. Merci Nicolas ! Merci BHL ! Fallait le dire que c’est ce que vous vouliez… La semaine dernière, BHL déclarait qu’il était heureux, que le CNT était composé d’intellectuels, de juristes. Il avait juste oublié les curés. Là-bas, on dit les imams, mais c’est du pareil au même.

Souvenez-vous. En 1978, l’ayatollah Khomeini vient s’installer en France avec un visa de touriste. Il est accueilli à bras ouverts, s’installe à Neauphle-le-Château et intensifie sa propagande contre le Shah d’Iran. Pour les intellectuels et les humanistes français, le Shah d’Iran, c’est le Diable. Bien sûr, c’est un gros client. Bien sûr, il est francophile. Mais c’est un dictateur, il modernise son pays d’une main de fer. Il fait des trucs invraisemblables contre son peuple. Par exemple, il supprime le calendrier islamiste lunaire pour installer un calendrier solaire, comme en Occident. Non, je déconne. Il a une vraie police politique et vaut mieux pas s’opposer à lui.

Notre Président d’alors, c’est Valéry Giscard d’Estaing. Il sait pas trop qui va gagner, alors il conserve deux fers au feu. Il pourrait expulser Khomeini, mais on ne sait jamais. Imaginez qu’il remplace le Shah : si on est copains, on garde les contrats. Il paraît (mais on n’a qu’une source, le patron des Services Secrets, c’est dire la fiabilité de la source) qu’il aurait proposé au Shah de l’expulser et que le Shah aurait refusé. Il paraît aussi (et d’après la même source) qu’il aurait proposé de le supprimer et que le Shah aurait refusé. C’est pas très cohérent : un dictateur qui refuse l’élimination d’un opposant, c’est pas un dictateur. Bref, Giscard protège Khomeiny tout en faisant semblant de pas trop le protéger. Il se prend pour Machiavel, crâne d’œuf.

La suite, on la connaît. Le Shah se fait virer, Khomeiny retourne en Iran dans un avion prêté par la France et installe une République islamique. On va garder quelques contrats. A l’époque, on nous a affirmé que le peuple iranien nageait dans le bonheur et que Giscard était le bras armé du bonheur iranien. Armé de cailloux pour la lapidation, mais ça, il le savait pas encore.

C’est assez dans le mental de Giscard. Giscard, il se prenait pour un humaniste parce qu’il aimait les curés. Je sais pas si vous avez remarqué mais les humanistes sont rarement laïques (à part Onfray, mais c’est une autre histoire, faudra creuser). Ils ont tous une tendance à mettre de la « spiritualité » partout. Spiritualité, c’est un mot valise, bien pratique pour réintroduire l’irrationnel dans le raisonnement. Le curé (ou l’imam, ou le bonze, ou le rabbin), c’est un porteur de spiritualité. On te sort toujours les mêmes, l’abbé Pierre, le Dalaï-Lama, le curé d’Ars, Maïmonide, Averroès. Jamais Torquemada, Ignace de Loyola ou Khomeiny. On refuse de voir que les porteurs de spiritualité sont juste le drapeau des allumeurs de bûchers et des lapideurs de gonzesses, le bouclier derrière lequel les voyous s’abritent. Même les bouddhistes : régulièrement, dans la Chine ancienne, les moines bouddhistes sortent en armes de leurs monastères et vont faire le ménage chez les incroyants.

Le problème du religieux, c’est qu’il est prosélyte. Il a envie que tout le monde croie au même Dieu que lui. Si c’est pas le cas, il crée l’Inquisition, histoire de favoriser la croyance. Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens. Pour un religieux, la mort c’est pas grave vu que Dieu te garantit la vie éternelle. Le mec normal, comme toi et moi, il trouve la garantie un peu faible. T’as juste un mec avec une robe (soutane noire, robe safran, le religieux aime bien se déguiser en nana) qui te donne sa parole en te promettant le Paradis. S’il se goure, tu t’emmerdes sur Terre pour rien. Les philosophes vont t’expliquer qu’il faut tenter le « pari pascalien ». Ça veut dire que t’as rien à perdre à croire en Dieu. Ben, pas vraiment. T’as à perdre le plaisir, la grasse matinée plutôt que la messe, un bon coup de rouge si Dieu t’interdit le pinard ou un coït furtif avec ta voisine vu que toutes les religions ont des interdits sexuels. Ça, c’est du sûr. Après la mort, on sait pas.

Forcément, le croyant, il t’envie. Tu te tapes un bon Saint-Emilion quand il lape de l’eau, ça l’énerve. T’enfiles ta copine pendant qu’il s’abime les genoux sur un prie-Dieu, ça l’excite. Plutôt que de faire comme toi, il veut t’imposer de faire comme lui. Et si tu refuses, il te zigouille. T’as droit au bûcher s’il y a des forêts ou à la lapidation s’il y a des cailloux.

Le curé (ou l’imam, le bonze, le rabbin, le sorcier), il a envie de gérer ta vie. Pour ça, il a la Morale qui te garantit la vie éternelle. Morale religieuse forcément mais que les sociétés ont assimilé à la Morale générale. Alors, le politique il aime les curés, même si ce sont des imams, parce que la Morale, c’est une garantie de stabilité. Et les imams, même si ce sont des curés, ils aiment le politique qui les aide à asseoir leur pouvoir. Jadis, on parlait de l’alliance entre le sabre et le goupillon. Ça marche toujours. Aujourd’hui, c’est un peu plus le Coran et la kalachnikov, mais c’est juste une question de sémantique.

On est cernés. La Libye proclame la charia, Ennadha est le parti dominant en Tunisie, les Frères Musulmans sont à l’affût en Egypte, Israël se radicalise, partout la religion reprend le pouvoir. Non, je ne citerai pas Malraux. Je n’ai pas envie de banaliser la situation.

Mais alors ? Il fallait laisser faire la police secrète du Shah ? Il fallait laisser Khadafi massacrer à tout va ? Non, bien entendu. Je voudrais seulement qu’on regarde calmement la question. On sait ce qu’on perd. Ce qu’on va avoir c’est un pari. Ouais, comme Pascal qu’était un philosophe. On parie que ça va être mieux. Qui nous l’assure ? Ben, Dieu, évidemment.

Depuis des années, on s’est tapé un beau glissement sémantique. On a considéré que l’Islam, c’était pas vraiment une religion. Plutôt un ensemble de coutumes respectables. Moyennant quoi, une députée UMP a déposé un projet de loi pour que la Sécu prenne en charge la circoncision. Pourquoi pas le baptême ? Avec des coups comme ça, on banalise la religion, on la fait entrer dans le monde social. C’est à dire à l’endroit exact où elle ne devrait pas être.

Seulement, voilà… Tous nos politiques sont, plus ou moins, empreints de religion. Sarkozy va voir le Pape, Boutin et Bayrou vont à la messe, Marine Le Pen attaque l’Islam pour défendre la chrétienté et le PS vise l’électorat musulman. On n’hésite pas à parler de « vote juif » qui s’articulerait autour du soutien à Israël. J’ai oublié le nom de ce Président mexicain, fervent catholique, qui refusât de recevoir le Pape au motif que, comme Président, il devait garder sa neutralité. Pourtant, au Mexique, le catholicisme est largement majoritaire.

Si on tient compte du fait religieux, on ouvre grandes les portes de l’intolérance, du prosélytisme et de la destruction du lien social. Une société, c’est des gens qui croient différemment, qui pratiquent (ou ne pratiquent pas) différemment, qui bouffent différemment, qui s’habillent différemment. On n’a pas à privilégier les uns contre les autres.

On n’a surtout pas à corriger les inégalités entre religions. Tu n’as pas de lieu de culte ? Démerde-toi, c’est ton problème de croyant. Vous êtes beaucoup ? Ben, ce sera plus facile, la quête sera plus productive. En tous cas, c’est pas mon problème d’athée et ma pensée vaut la tienne.

Faut pas faire semblant de découvrir les choses. Le mec qui arrive de Libye en France, il sait bien qu’il arrive dans un pays historiquement chrétien et politiquement laïque. Comme l’expat en Arabie Saoudite, il sait qu’il arrive au pays de la soif et du repos le vendredi. C’est pas vraiment une surprise. Tu fais avec ou tu viens pas. T’es un homme libre de tes choix.

Toute religion est privation de liberté. Au lieu de citer Malraux, crions avec Voltaire « Ecrasons l’infâme ». Bon, admettons, on a évolué. Ignorons, n’écrasons pas. Laissons les croyants se démerder avec leurs croyances, ce ne sont pas d’innocentes coutumes. Et rappelons à tous les zélateurs de la religion que la Révolution française s’est faite contre la religion. Qu’on habillait des ânes avec des chasubles pour blasphémer volontairement car le blasphème n’était plus un délit (et ne l’est toujours pas). Rappelons que les fêtes patronales ont été supprimées et qu’on fêtait l’endive ou le topinambour plutôt que St Charles ou St Hubert. Rappelons que si on se veut l’héritier de cette gauche et de cette liberté, on a le droit de brûler ses crucifix et de jeter les prétendus livres saints dans la fosse à purin. Si tu veux garder ta Bible, tu peux. Dans ta table de nuit. Pas dans la rue. Et cesse de faire l’aumône. Depuis 1789, il y a un gouvernement pour régler les inégalités. Et ne soyons pas fiers d’être humanistes. C’est aussi une croyance.

Dieu est tapi dans nos cerveaux. Commençons par l’éradiquer de là. Et soutenons ceux qui l’ont déjà fait. J’ai interviewé la semaine dernière une jeune fille, syrienne et chrétienne. Elle soutient Bachar el-Assad. Elle admet que ce n’est pas un parangon de démocratie. Mais elle vit tranquillement en Syrie. Elle, sa famille, ses amis. Elle tremble de le voir disparaître car elle craint les conséquences. Elle sait que son départ conduira à un gouvernement islamiste et que les persécutions suivront. Elle voit se profiler une évolution à l’iranienne. Est-ce ce que nous voulons ?

Le premier pas vers la démocratie reste, encore et toujours, l’éradication du religieux.

On en reparlera…..

lundi 31 octobre 2011

LE SYNDROME CARRERE D'ENCAUSSE

Je l’écrivais lundi dernier : la clef de la crise est à Pékin. Aucun des commentateurs que j’ai écoutés ne parlait alors de la Chine et ça me rendait hilare. Dès jeudi, la Chine était au premier rang des préoccupations. Avec cette question récurrente : et si nous perdions notre indépendance ?

Vous posez pas la question : c’est fait. Depuis 2001, date d’entrée de la Chine à l’OMC. Je me souviens des commentaires : admettre la Chine à l’OMC, c’était un pas en avant dans l’harmonisation des relations internationales. Une sorte de normalisation. Comme si le commerce était la seule norme.

Personne n’a vu, personne n’a dit, que la Chine n’est pas un Etat comme les autres. On a écrit des milliers de pages sur cette différence. Avec un leitmotiv : ce n’est pas un Etat comme les autres mais il va devenir comme les autres. Le rêve est consubstantiel à l’homme.

En France (ailleurs, je sais pas), le responsable de cette attitude intellectuelle s’appelle Jean-Marie Domenach. Il est sinologue, professeur à Sciences Po. De ce fait, il a formé à l’analyse de la Chine à peu près tous nos décideurs. Tous nos énarques, ou presque, sont passés entre ses mains. Il les a modelés, instruits et ils sont aujourd’hui au premier rang des négociateurs avec les données intellectuelles fournies par Domenach.

Le fonds de commerce de Domenach, livre après livre, ce sont les faiblesses de la Chine. Il est atteint du syndrome Carrère d’Encausse. Vous vous souvenez de Madame Carrère d’Encausse ? Dans les années 80, quand l’Europe crevait de trouille devant l’URSS, elle nous expliquait que l’URSS était un empire éclaté et qu’il suffisait d’attendre pour qu’elle disparaisse. L’éclatement s’est produit, Madame Carrère d’Encausse a été propulsée à l’Académie parce qu’on était vachement fiers d’avoir eu une intellectuelle aussi clairvoyante. Aujourd’hui, l’URSS est toujours éclatée mais la Russie est dirigée par Poutine et je ne suis pas bien sûr que ce soit un progrès.

Domenach fait pareil. Nouveau Jean-Paul II, il s’exclame, livre après livre : « N’ayez pas peur ». Quand il parle de la Chine, il met sans cesse en avant de prétendues faiblesses. Par exemple, la Chine est secouée de révoltes locales. C’est exact. Ça fait trente siècles que ça dure. Le phénomène a été étudié par de nombreux sinologues dont Jean Chesneaux que Domenach méprise. Il me l’a dit un jour : « Chesneaux s’est toujours trompé ». Faut avoir peur de rien….

Le pouvoir maoïste (car il est encore maoïste, n’en déplaise à Domenach) connaît parfaitement l’importance de ces révoltes et leur symptomatologie. Il s’en est servi, il sait les reconnaître, il sait les maîtriser. Il n’hésite pas à faire tomber quelques têtes pour les calmer. Il sait surtout les circonscrire : une émeute au Sichuan n’aura pas de conséquences dans le Hebei.

Evidemment, on peut rêver. Attendre qu’une révolte locale entraine d’autres révoltes et que la Chine se soulève. Encore faudrait-il que cette révolte soit connue hors de son berceau. Avec un gouvernement qui contrôle étroitement les moyens de communication et qui muselle Internet, y’a pas trop de chances. Demandez donc à Google et à Yahoo si Internet est libre dans l’Empire fleuri.

Domenach sous-estime complètement le pouvoir de l’armée. Il n’insiste jamais sur ce point essentiel : c’est le Parti Communiste Chinois et non le gouvernement qui contrôle l’armée. On peut rêver à des élections libres mais si le Parti Communiste perd les élections, il conserve le contrôle de l’Armée. Ça relativise le changement de pouvoir. Peut-on imaginer un gouvernement dont le principal opposant contrôle la force militaire ? Non, ça va de soi. Ce seul fait nous donne une clef : le PCC ne peut pas perdre le pouvoir. C’est pas une situation normale à nos yeux d’Occidentaux. Mais, c’est un fait et il faut faire avec.

Domenach surestime le poids du capitalisme en Chine. Il hausse les épaules quand on lui cite les travaux de Madame Bergère (une ancienne élève de Chesneaux, voir ci-dessus) qui met en avant la faiblesse numérique des « nouvelles classes sociales » (en langue de bois chinoise, ça veut dire capitalistes) et leur étroit contrôle par le pouvoir politique. Et pourtant les jeunes gens qu’il forme n’auront affaire qu’aux nouvelles classes sociales.

Domenach oublie le lien historique entre Li Hongzhang, Sun Yatsen, Mao Zedong et Deng Ziaoping et l’importance dans l’idéologie chinoise des sociétés d’économie mixte (les fameuses State Owned Enterprises). Il est vrai que Chesneaux y voyait une clef de la Chine moderne et Chesneaux s’est toujours trompé (voir ci-dessus).

L’éclatement de la Chine est impensable. On peut aligner des dizaines d’arguments tirés de l’histoire et surtout de l’histoire des idées. Les choses sont bien ficelées. Le gouvernement chinois contrôle parfaitement la situation. Il le démontre sans cesse. Sûr de son pouvoir interne, il peut faire ce qu’il veut à l’international. Année après année, il avance ses pions et il nous encercle, dans une immense partie de go. N’oublions jamais que le go encercle l’adversaire mais ne le détruit pas. C’est toujours ça de pris.

Ce que Domenach oublie, c’est que le peuple chinois, dans son immense majorité, est derrière son gouvernement. Pas seulement pour des raisons économiques. Il y a aussi des raisons nationalistes et sociales. Les Chinois sont devenus les chefs d’orchestre du monde. Ils nous habillent, nous nourrissent et nous fournissent en smartphones. Nous ne pouvons plus vivre sans eux. Domenach aimerait qu’il n’en soit rien, que la Chine explose (ou implose) et qu’il succède à Madame Carrère d’Encausse à l’Académie.

En attendant, il forme et déforme des générations de décideurs et de journalistes. Il intervient dans toutes les télés, dirigées par ses anciens élèves. Il construit, jour après jour, une vision de la Chine qui n’a rien à voir avec la réalité. D’excellents sinologues en rient, rappellent son passé maoïste, s’affligent de le voir ainsi boucher les yeux et les oreilles. Mais que pèsent-ils face à l’institution médiatique ? Et qui aime écouter Cassandre ?

En attendant, nous nous appauvrissons, nous prenons des baffes et nous allons faire la manche à Pékin. Mais tout ceci, fidèles lecteurs, vous le savez depuis longtemps.

On n’a pas fini d’en reparler……

lundi 24 octobre 2011

HA ! HA ! HA !

C’est beau la sémantique. Surtout en politique. Depuis deux jours, on a compris : l’élection présidentielle se jouera sur la dette. Forcément, les caisses sont vides. Le Premier Ministre nous l’avait dit voici trois ans. Elles ne se sont pas remplies. Au contraire, la dette a doublée. Voici que les finances politiques inventent un concept qui ravira les physiciens. On peut doubler le vide.

Mais le vide, c’est rien. Comment peut-on doubler le rien ? Raymond Devos a déjà répondu. Rien, c’est rien, mais trois fois rien, c’est quelque chose. En fait, c’est facile de doubler le rien : il suffit de lui attribuer un signe négatif. Zéro, c’est rien mais moins que zéro c’est quelque chose.

Et donc, la bataille se concentre sur la note triple A, soit AAA (ou HA ! HA ! HA !), attribuée à notre dette. C’est vachement important le HA ! HA ! HA ! parce que ça permet d’emprunter, c’est à dire de creuser la dette. Tu es jugé assez fiable pour t’appauvrir.

Bien entendu, ça va coincer. Il y aura obligatoirement un moment où la dette creusée grâce au HA ! HA ! HA ! sera tellement importante que tu deviendras emprunteur pas fiable Et donc tu perdras ta note. Et donc, tu ne pourras plus emprunter et donc plus rembourser puisque tu empruntes pour rembourser.

Ça, c’est de la logique d’imbécile et les économistes ne sont pas des imbéciles. Pour un économiste, un pays bien géré est un pays endetté qui paye l’intérêt de la dette avec les impôts des imbéciles. Parce que, bien entendu, ce sont les intérêts qui comptent vu que les intérêts sont les bénéfices des prêteurs et que tout le système est construit selon les intérêts des prêteurs. Imagine un instant que tu rembourses tes dettes. Plus d’intérêts, plus de bénéfices. Le prêteur, il se retrouve avec de l’argent dont il ne sait que faire. De quoi, il va vivre, le prêteur ? Faut penser à ces choses-là. Tu veux tout de même pas imposer au prêteur de réfléchir à une utilisation intelligente de son argent ?

Que faire quand ça coince ? Pas SI ça coince parce que le système est construit pour coincer. Emprunter coûte plus cher. Il faut donc augmenter la ponction des imbéciles. C’est de ça qu’on discute en ce moment. Qu’est-ce qu’on va piquer et à qui ?

Personne n’ose dire qu’on va piquer aux prêteurs, alors que c’est la seule solution logique. Les économistes hurlent : si on fait ça, plus personne ne nous prêtera. Exact. Mais on s’en foutra vu qu’on n’aura plus besoin d’emprunter. Rappelons juste qu’on emprunte pour payer les intérêts. Si tu supprimes les intérêts, t’as plus besoin d’emprunter. CQFD.

En plus, c’est même pas vrai. Le système capitaliste est construit de telle sorte que si un état souverain décide d’annuler sa dette, il va tellement améliorer ses finances qu’il y aura toujours un prêteur pour se dire que le risque a disparu. Et il acceptera de prêter si nécessaire. Et il se dira qu’il est plus malin que les autres. Essentiel ça, que le prêteur se croit plus malin.

En plus, on peut choisir. Dire qu’on annule les dettes des prêteurs étrangers mais qu’on paiera les dettes dues aux Français. Les étrangers, c’est 60% de la dette. C’est sûr qu’ils vont pas être contents. Mais, bon, ils nous déclareront pas la guerre pour autant.

On peut aussi déclarer un moratoire sur les intérêts. Tu me crois pas ? On cherche 10 milliards d’euro d’économies. Les intérêts, c’est 50 milliards. Si tu les paies pas, t’es plus à l’aise quand même.

Y’a des informations marrantes. Un gros paquet de dettes d’Etat sont dans les portefeuilles des sociétés d’assurances qui les collent en assurance-vie. L’assurance-vie, c’est un truc que tu toucheras pas puisque c’est versé quand t’es mort. Tu mets des sous de côté pour tes héritiers. Ils toucheront les sous hors droits de succession. Ça s’appelle de la défiscalisation. Tu prêtes à l’Etat, il rend le pognon à tes héritiers qui payent pas d’impôts. Double bénef vu que l’Etat, il t’a déjà versé des intérêts.

Première constatation : si l’Etat rembourse pas, tu t’en fous, tu perds rien. Tes héritiers feront la gueule, mais tu seras pas là pour essuyer leurs larmes. Ils pourront même rien te reprocher, t’as été un bon papa spolié par l’Etat.

Deuxième constatation : si on réintègre les assurances-vie dans les droits de succession, on récupère un gros paquet de taxes sans douleurs. Toi, t’es mort, ça te gène pas. Tes héritiers, il leur reste quand même un paquet de fric. Moins gros, mais c’est toujours ça de pris. Peut-être qu’ils pleureront un peu moins fort. Même pas : s’ils pleurent pas sur toi, ils pleureront sur le fric perdu.

Celui qui râle, c’est l’assureur. Parce que la source va se tarir. Si on peut rien gagner, pas la peine de leur donner notre fric. Ils auront moins de pognon pour investir en Bourse. Ils n’achèteront plus d’emprunts d’Etat. Pas grave, ça sera compensé par les taxes vu que l’Etat ne sera plus obligé de payer deux fois.

Y’a une autre possibilité. Réfléchis un peu. Tu donnes du fric à des assureurs pour qu’ils te construisent une assurance-vie basée sur des Bons du Trésor. Tu peux faire comme ton pépé : acheter directement les Bons du Trésor. Ouais, mais j’ai pas la prime fiscale. Tu vois que tu comprends quand tu veux. La prime fiscale, c’est pas à toi qu’on la donne, c’est à l’assureur. Le cadeau, tu l’as que si ça passe par l’assureur. Le système est pas construit pour ton bien mais pour le bien de l’assureur. Si on le détricote, c’est pas toi qui morfle, c’est l’assureur. T’as compris ? On te dit que c’est fait pour toi alors que c’est pas fait pour toi.

Tout est possible dès lors qu’on arrête de faire joujou avec les mots. On peut parfaitement dire aux banques qu’elles vont s’asseoir sur la dette. C’est ce qu’on fait avec la Grèce. Ce qu’on fait avec la Grèce, on peut le faire avec les autres pays. D’ailleurs, c’est ce qu’on va faire, vous faites pas d’illusions. L’effet domino est en marche. Pour l’instant, on frime et on prête aux Grecs le fric qu’on n’a pas. Mais on va pas pouvoir prêter à tout le monde.

La clef de la crise, elle est à Pékin. Tout le monde le sait, personne ne le dit. Dans tous les cas de figure. La Chine peut accepter un moratoire sur les milliards de dette européenne qu’elle a dans ses coffres. Elle a également les moyens de se payer nos banques fragilisées par la crise. Pas la peine de faire des effets de manche. Pas la peine de s’inquiéter non plus. Les Chinois ne sont pas des Américains. Ils vont nous concocter des solutions qui nous permettront de sauver la face. Nous n’irons pas à Canossa et d’ailleurs, Canossa c’est pas en Chine.

Les capitalistes occidentaux, depuis trente ans, se sont mis entre les mains des Chinois. La dernière étape se déroule sous nos yeux. Y’a juste un truc qui m’énerve. Les hommes responsables de cette situation n’en sortiront pas appauvris, à titre personnel. Ils vont simplement brader les entreprises et sacrifier encore un peu plus de notre indépendance.

Vous voulez que je vous dise ? On va élire le futur Président en mai. Et qu’est ce qui est prévu en juin ? Un voyage officiel de Hu Jintao. Ça va négocier un max, mais vous n’en saurez rien. Hu Jintao, il vient avec un beau cadeau : un couple de pandas. Toute la presse va se répandre sur les pandas qui sont tant jolis et mignons. Moi, j’ai dans l’idée que ces pandas, ils représentent un beau paquet de milliards d’euro. Il n’y a pas de pandas à Canossa.

On en reparlera…

mardi 18 octobre 2011

BEAU COMME L’ANTIQUE

J’écoute Guaino. Guaino, c’est un communicant. Un homme des mots, pas un homme des faits. Il parle de corruption et, naturellement, il nie. Il s’envole, il enfile les exemples. Il fait défiler devant nos yeux la liste des accusés à tort.

Et là, il a le nom de trop. Salengro. C’est vrai qu’il a été accusé à tort, Salengro. Sauf qu’il a eu la dignité de tirer les conséquences de son pilori : il s’est suicidé. Que les accusations soient vraies ou fausses, celui qui en est l’objet est sali. Irrémédiablement. Ceux pour qui la dignité n’est pas un vain mot ne peuvent pas le supporter.

Le suicide a ceci de très fort : il renvoie l’accusateur a ses responsabilités. Si l’accusation était juste, le jeu est égal. Si elle était fausse, l’accusateur devenu délateur se retrouve dans la peau d’un meurtrier. Je pense aux meurtriers de Bérégovoy. Accessoirement, Salengro et Bérégovoy étaient des hommes de gauche. La dignité est-elle réservée à la gauche ?

Non. C’est un simple problème de génération. Une question d’éducation. Pour eux, le père fondateur de la gauche restait Robespierre, celui qui avait gagné le surnom d’Incorruptible. Il faut relire la biographie que Joël Schmidt a consacré à Robespierre. Joël Schmidt est un spécialiste de la civilisation gallo-romaine, pourquoi s’intéresser à l’Incorruptible ? Tout simplement parce qu’il voit dans l’action de Robespierre la main de l’Antiquité. Nourri des grands auteurs latins, baigné dans l’histoire antique, Robespierre avait transposé Rome dans la Révolution. Il cherchait la Vertu, la Vertu à tout prix, fût-ce le prix de la vie.

A cette aune, beaucoup de choses prennent du sens. Tout révolutionnaire qu’il était, Danton n’était pas vertueux. Luxurieux, paillard, homme de table et de vins, il n’avait pas la vertu qu’aimait Robespierre, celle de Regulus, de Coclès ou des Horaces. Robespierre rêvait d’une société ascétique, juste, probe, une société sans tâches. Une telle société ne pouvait pas être dirigée par des notables jouisseurs. Le goût de la jouissance entraine le besoin d’argent et son cortège de corruption, de prébendes et de compromissions.

Tout ça, on en a déjà parlé (http://rchabaud.blogspot.com/2011/02/nicolas-francois-et-ciceron.html). Mais il n’est pas mauvais d’y revenir, surtout quand nous y invite un conseiller du Président. Où sont les exemples de l’Antiquité face à ces hommes de pouvoir pris la main dans le sac du mensonge, de la délation, de la corruption ? Vautrés dans des délices volés au peuple ? Puisant dans les caisses à tout va ?

Tous ces politiques jouisseurs ont lu Onfray. Onfray s’autoproclame de gauche tout en prônant l’hédonisme. Onfray déteste Robespierre et Saint-Just qu’il renvoie dans son style inimitable dans « le monde de Thanatos ». Ben oui, la morale marche main dans la main avec la mort car la morale est répressive. Il n’est pas un être humain qui limitera spontanément son désir de jouissance. Sauf dans l’angélique monde d’Onfray où les hommes sont éduqués, raisonnables et responsables. Dans la vraie vie, ce n’est pas comme ça que ça marche. Qui a une Swatch désire une Rolex et qui a une Rolex désire une collection de Rolex. Dans tout homme, il y a un Berlusconi qui sommeille.

Robespierre est unanimement détesté car il cherche sans cesse à limiter le désir, à le casser, à la faire passer sous les fourches caudines de la morale. Il a des accents cléricaux, il remplace Dieu par la Raison et il offre à la Raison des sanctuaires et des cérémonies. Et il punit au nom de la Raison. La punition, personne n’aime. Surtout pas Onfray, bon élève et premier de la classe.

Deux phrases peuvent symboliser cet éternel combat. Celle de Saint-Just d’abord : « Pas de liberté pour les ennemis de la Liberté ». Et celle de ce parlementaire de droite dans les années 1880 : « Je vous refuse la parole au nom de mes principes comme vous me l’auriez accordée au nom des vôtres ». J’ai trouvé quantité d’attributions dont aucune ne me satisfait.

Ces deux phrases semblent terrifiantes. Elles ne le sont pas. Elles posent le combat dans ce qu’il a de plus évident. Laisser libres ceux qui combattent contre la Liberté, c’est tout simplement mettre la Liberté en danger. Mais, bêlent les humanistes, c’est détruire le concept pour lequel on se bat. Oui. Mais c’est préserver les conséquences du concept. On ne se bat pas pour une idée mais pour l’application de cette idée. Sauf quand on est un universitaire satisfait dissertant de la Liberté devant un auditoire d’esclaves. Les marteaux brisent mieux les chaînes que les paroles. Mais les intellectuels n'utilisent pas le marteau.

La seconde phrase est la conséquence naturelle de l’oubli de la première. Laissez moi libre de supprimer votre liberté. Entre la droite et la gauche, il s’agit d’un combat, d’une lutte, d’une lutte des classes. L’humanisme a une limite, celle de son impuissance. Car l’humaniste est impuissant : il pose des cautères sur des jambes de bois. Il donne du riz frelaté plutôt que de permettre à chacun de se nourrir dignement. Et il a le mot de la fin : « C’est mieux que rien ».

Les deux phrases ci-dessus démontrent que Robespierre avait raison : il ne suffit pas de prêcher la Vertu. Il faut l’imposer. Par la force si nécessaire. Les citoyens le sentent confusément. La Loi est faible qui permet les dérives. L’impunité du Président Chirac choque mais elle n’est pas la seule. Certes, tout se fait dans le respect des mots : justice, démocratie. Mais l’impunité triomphe. On peut parler, on peut argutier, disserter, laisser la logorrhée envahir l’espace. Les conséquences des mots vont à l’encontre des mots. On peut puiser dans la caisse, on en sort impuni.

Les Romains affirmaient que la Roche Tarpéienne est proche du Capitole. Alors, on a comblé le fossé qui rendait mortelle la Roche Tarpéienne, la supprimant de facto. Que risque le corrompu ? Rien. Deux ans d’inéligibilité et une amende sans commune mesure avec ce qu’il a volé. Et donc, il s’en fout. Et moi, je me prends à rêver au bon docteur Guillotin. Et à Robespierre. Je me dis que si le risque était réel, la Morale s’en porterait mieux.

Mais, bêle t-on à l’envie, on risque aussi de condamner à tort. Certes. On me permettra de penser que c’est moindre mal. Qui se souvient de l’affaire Destrade ? Destrade transportait des valises garnies de billets par les représentants de la grande distribution qui désiraient obtenir des permis de construire pour leurs grandes surfaces. Destruction du petit commerce, destruction des marges des fournisseurs acculés à la pauvreté, destruction des paysages autour des grandes villes. Les conséquences sont lourdes. J’aime bien Jean-Pierre Destrade et j’aurais été désolé qu’il passe sous le couperet. Je ne peux m’empêcher de penser que si la sanction avait été plus lourde, il se serait mieux défendu. Peut-être même aurait-il refusé de faire le commissionnaire. Là, il a servi de bouc émissaire avec une punition somme toute légère quoiqu’il en ait souffert. Je ne peux m’empêcher de penser que si des vies avaient été en jeu, le mécanisme aurait moins bien fonctionné. L’impunité est la première cause de l’illégalité.

Robespierre, l’Incorruptible, est unanimement détesté. Je me suis laissé dire que le Maire de Paris avait refusé de lui consacrer une rue, lui qui a offert une place à Jean-Paul II. Un homme de gauche préfère honorer un prêtre qui a semé la mort en refusant le préservatif qu’un fondateur de la République laïque. L’anecdote en dit long.

Qu’en pense Onfray, l’athée hédoniste ? Je suis bien sûr qu’il saura renvoyer le Pape et l’Incorruptible dos à dos, bonnet blanc et blanc bonnet. Onfray se dit anarchiste. Doit-on lui rappeler que Bonnot est mort les armes à la main ?

Nous avons peur de la Mort que les Romains révéraient. Nous la fuyons quand ils la cherchaient.

Nous méprisons la Vertu que les Romains révéraient. Nous la fuyons quand ils la cherchaient.

On en reparlera….

mardi 11 octobre 2011

JE N’IRAI PAS AU SECOND TOUR

Lundi matin…. C’est reparti pour les tractations, les négociations, le grand souk des reports….

Je n’irai pas au second tour.

Je n’ai pas voté pour Hollande à cause de la couverture de Match pour le référendum sur la Constitution. Vous vous souvenez ? François et Nicolas, souriants, côte à côte, même blazer, même cravate, bonnet blanc, blanc bonnet, d’accord tous deux pour une Europe que je rejetais. François, tu es d’accord avec Sarko ? Alors, pourquoi tu te présentes contre ? Pas la peine de m’expliquer que ci, que ça, qu’il y a des circonstances où… Sur l’essentiel, tu es d’accord et tu l’as montré avec fierté. Tu as changé ? Alors, viens t’en expliquer, viens t’excuser en t’humiliant comme l’Empereur à Canossa. Viens t’humilier pour retrouver ta dignité. Mais tu n’auras pas ma voix.

Je n’ai pas voté pour Aubry à cause de son père, la cheville ouvrière de cette Europe des marchés que je rejette depuis des années. Depuis le jour, avant Maastricht, où Jacques Calvet, patron de Peugeot, est venu m’expliquer à la télé que l’Europe, c’était bien pour lui. Si cette Europe est bonne pour un patron du CAC40, alors elle ne peut pas être bonne pour un con de base comme moi. Calvet et moi, nous n’avons pas la même vie, pas les mêmes intérêts, nous ne naviguons pas dans le même bateau. Mais c’est le bateau de Martine (http://rchabaud.blogspot.com/2011/07/madame-fermeture.html )

De toutes façons, François et Martine auront tous deux envie de sauver les entreprises dirigées par leurs copains énarques. Ils sont pour le changement, mais pour le changement de promotion : on remplacera un énarque de 1990 par un énarque de 1996.

Mais fondamentalement, je n’irai pas au second tour parce que le mec pour qui j’ai voté se demande à qui il va donner SES voix. Mais, coco, j’ai voté pour toi mais je ne t’ai pas donné ma voix. Elle n’est pas à toi, mais à moi. Tu fais bon marché de ma liberté, il me semble. C’est un vote, pas une cérémonie d’adoubement d’un homme-lige. Je ne me suis pas mis entre tes mains, je ne t’appartiens pas. C’est moi qui choisis, pas toi.

J’aurais aimé plus de classe. Que Martine accepte sa défaite et qu’il n’y ait pas de second tour. Les choses sont claires. Toute la semaine, on va discuter, négocier, merdifier en coulisses. Les calculettes sont sorties : la moitié des votants de l’un pour l’autre avec un pourcentage d’incertitude. On va choisir de nouveaux « éléments de langage » pour séduire et faire basculer. La gauche de Guy Mollet a remplacé la gauche de Robespierre. Hollande fait semblant de découvrir que le peuple souffre. Il va « en tenir compte ». Fallait y penser avant, ma puce.

Sans moi. C’est vrai que j’y croyais pas trop mais ça valait le coup d’essayer. En toute logique, Montebourg n’a pas le choix. Il représente un votant sur cinq qui a choisi une voie autre. Qu’il se retire sur l’Aventin, qu’il laisse barguigner cette gauche d’épiciers, médiocre et calculatrice dont nous ne voulons plus parce qu’elle nous tuera aussi sûrement que la droite. Calculatrice parce que ce que veut cette gauche, c’est séduire le centre. On le sait bien que les élections se gagnent au centre, cet informe marais de gens sans honneur et sans dignité, cette taupinière de petits bourgeois qui vote Pétain en 40 et acclame De Gaulle en 44. C’est avec ça que vous voulez gouverner ? Sans moi.

Je dois penser à 2002 ? Mais j’y pense. Je ne veux pas une gauche au pouvoir pour faire une politique de droite et appliquer un programme qui n’est pas socialiste, comme disait Jospin. Autant laisser la droite gérer à droite. Du moins est-ce clair. Si t’es à gauche juste pour être ministre et avoir une auto qui fait pin-pon, alors nous n’appartenons pas à la même gauche.

Vendredi, j’ai rencontré Philippe Poutou. C’est un homme digne.

On en reparlera…

samedi 8 octobre 2011

QUAND COMPRENDRONT-ILS ?

C’est la seule question qui vaille aujourd’hui : quand les Américains comprendront-ils que le temps de leur hégémonie est révolu ?

Il paraît qu’ils sont « furieux » du vote chinois sur la Syrie à l’ONU. Furieux. D’accord. Ils vont faire quoi ? Envahir la Chine comme ils ont envahi l’Irak ? Virer la Chine de l’OMC ? Rembourser aux Chinois tout ce qu’ils leur doivent ? Ils ne vont rien faire. Parler, bouger, s’agiter. Ils sont pieds et poings liés.

On nous avait dit que le 11 septembre était un séisme. Ils n’ont rien compris au 11 septembre. Certes, les média ont compati, les gouvernements ont compati, tous ceux qui, de près ou de loin, vivent sur le modèle américain ont compati. Mais les autres ? Les petits, les sans-grade, le peuple ? Dans l’ensemble, le peuple a rigolé. Le 11 septembre, j’étais dans un village de Galice, au bistro. Un petit village de montagne, loin de tout. Et au bistro, les gens rigolaient. Ils disaient « Bien fait ». Goliath prenait une grosse baffe. Le peuple n’aime pas Goliath. Pas plus qu’il n’aime Rambo ou Terminator. C’est pas parce qu’il va au cinéma qu’il aime les héros de cinéma.

Le peuple n’est jamais dupe. Il écoute les rodomontades mais il voit la panique à Saïgon, il voit le départ feutré d’Irak, il comprend la défaite en Afghanistan. Il écoute Obama promettre la Lune et il se marre. Le peuple aime David, pas Goliath. Surtout quand Goliath montre son impuissance. Il sait bien que le pouvoir d’Obama est limité par le fardeau d’une colossale dette. Il le voit, l’omni-puissant Président, négocier avec ses adversaires, à la limite de la supplication, même pas pour combler le trou. Juste pour avoir le droit de l’agrandir. Où est son pouvoir ?

Steve Jobs a changé le monde parce qu’il a inventé un téléphone. C’est ce qu’on nous répète en boucle. Mais le peuple n’a pas d’IPhone et si son monde a changé, c’est en pire. Steve Jobs n’a pas combattu la pauvreté, il a permis aux traders de spéculer plus vite. Steve Jobs a inventé l’IPhone alors que l’ONU fixait les objectifs du millénaire. L’Iphone est un succès et on sait déjà que les objectifs du Millénaire sont un échec. Douste-Blazy et ses copains en charge des objectifs du Millénaire ont un IPhone mais ils ont échoué. Si c’est ça, changer le monde….

Steve Jobs a augmenté le nombre de joujoux des riches des pays riches. Je ne vois pas ça comme un changement, ni même comme une amélioration. C’est juste une manière de détourner encore plus de fric de l’essentiel pour augmenter l’accessoire. Après quoi, on va comparer ce mec à Einstein. Si, si, y’en a qui ont osé. Remarquez, ils ont pas osé dire Gandhi ou Mère Térésa. Mais ça viendra. Attendez la mort de Bill Gates, vous verrez.

Si j’osais reprendre l’image des années 1970 à propos de la Chine, je dirais que les USA sont un colosse aux pieds d’argile. Ils n’ont plus d’argent, rien que des dettes. Ils n’ont pratiquement plus d’industrie et leur modèle est basé sur le pétrole qui disparaît. Ils n’ont plus les moyens de leurs ambitions. Leurs alliés sont exsangues : depuis dix ans, le Japon court après son âge d’or. Il leur reste Wall Street et son modèle artificiel et ils croient encore que Wall Street est le cœur du monde.

Les Américains sont pathétiques. Ils s’accrochent aux lambeaux de leur splendeur et ils croient dominer le monde parce qu’ils vendent au monde du Coca-Cola ou des hamburgers. Ou des téléphones qu’ils ne fabriquent même pas. Obama râle après la Chine qui ne cesse de l’humilier, Obama râle après Israël qui n’en fait qu’à sa tête, Obama râle après l’Europe que ses banques ont ruinée. Obama ou son successeur vont passer les années qui viennent à avaler des couleuvres.

Quand comprendront-ils ? Combien de nasardes, combien d’humiliations, combien de reculades devront-ils affronter avant de comprendre qu’une société injuste ne peut avoir un destin juste ? Qu’un Etat doit s’occuper de ses citoyens et non chercher l’hégémonie mondiale. Qu’on ne peut impunément piller les richesses des autres et mépriser leur culture. Que la culture du résultat ne porte pas seulement sur les chiffres et que valeur s’applique à la morale avant d’être un terme de Bourse. Et que, nous dit-on aujourd’hui, l’amélioration de l’économie n’est plus créatrice d’emplois. Forcément : pour le capitalisme l’emploi est un fardeau et Steve Jobs faisait construire ses machines en Chine afin de devenir la meilleure capitalisation boursière du pays. Mais Steve Jobs a changé le monde : il a enrichi ses actionnaires en appauvrissant ses concitoyens.

Avec l’ami Gentelle, nous regardions l’affrontement Chine-USA : l’un des joueurs appliquait les règles du go, l’autre jouait au poker. Pierre pensait que lorsque les dirigeants américains découvriraient que le jeu n’était pas le même, ils auraient la tentation de renverser la table. Comme dans un western : « Tu triches, Callaghan, tu vas payer ».

Nous savions tous deux que viendrait un jour où même renverser la table ne serait plus possible. Comme dans tout cercle de jeux, la Chine a un « baron » : la Corée du Nord. C’est elle qui, régulièrement, teste la patience américaine. Un missile ici, un bombardement là, histoire de voir si ça pète, si on dépasse les limites de la protestation diplomatique ordinaire. Test après test, les USA s’écrasent. Ils protestent mais rien ne bouge. On n’envoie pas de flotte, on ne mobilise pas la Corée du Sud. Rien. Ils savent qu’ils ont perdu l’atout Taïwan qui ne bronchera pas. Ils savent que le Japon est englué dans ses problèmes. Ils savent que la Corée du Sud a les yeux fixés sur les cours de Bourse. Les Chinois le savent aussi.

Les USA jouent à l’ONU, dernier terrain disponible. Ils ont eu les mains libres en Irak, puis en Afghanistan. En Syrie, c’est non. Game over. En face, Russie et Chine, les deux puissances communistes. J’ai bien écrit « communiste ». La Chine, c’est officiel. La Russie, ça revient.

Nos gouvernants sont tellement obsédés par les USA qu’ils ne voient pas l’évolution. Ils n’ont pas compris que le jeu était fini. La corrida s’achève, le toro est épuisé. Ruiné. Il n’a plus de ressources. Ça, ce n’est pas tout à fait vrai. Les USA ont encore des ressources mais les mobiliser revient à tout changer. A casser le jeu financier, à produire des biens plutôt que des dollars qui ne leur servent plus à rien. Ils n’y sont pas prêts. L’oligarchie américaine s’accroche à ses privilèges, tout comme l’oligarchie européenne. S’accrocher à une bouée percée quand le bateau coule.

On en reparlera… et vite.

dimanche 2 octobre 2011

LES RENTIERS

Holà ! Les Bourses massacrent les valeurs bancaires. Du coup, tous les mauvais journalistes te font le coup du risque couru par les clients des banques. Le client des banques, c’est toi. Alors, t’as la trouille.

Respire. Les banques ne risquent rien. La Société Générale, elle a avalé les 5 milliards de Kerviel, alors les 2 milliards de la Grèce, c’est pas un souci.

Sauf que… Si elle perd, elle fera pas de bénéfices. Ou elle en fera moins. Et si elle fait moins de bénéfices, elle versera moins de dividendes. Et donc, ceux qui ont des actions les vendent. Une action qui s’effondre en Bourse, généralement, c’est ça : les actionnaires qui cherchent à gagner plus de fric. Ça veut pas nécessairement dire que la société va mal ou qu’elle est en danger de faillite. Ça veut juste dire que les rentiers sont menacés.

Les actionnaires sont des rentiers. Les marchés d’actions sont des marchés de rentiers. Les rentiers dominent le monde. Les dirigeants ne pensent qu’à ça : le bonheur des rentiers. C’est pour ça qu’ils anticipent les difficultés et qu’ils contractent la masse salariale, pour augmenter les revenus des rentiers. Et les banques adorent faire plaisir aux rentiers. Sauf quand les rentiers les trouvent pas assez performantes. Ça s’appelle l’arroseur arrosé.

Or, nous le savons au moins depuis Balzac, le rentier est un parasite. En ce début de siècle, c’est caricatural. Au temps de Balzac, le rentier achetait de la rente (d’où son nom), c’est à dire des emprunts d’Etat, garantis, tranquilles, et vivait de ses revenus. La rente, ça crachait 3% en moyenne mais comme il n’y avait pas d’inflation, le monde du rentier était paisible.

3 % ! Ringards ! Le rentier contemporain, il veut au moins 15. Si l’action crache pas 15 %, le rentier, il va voir ailleurs et l’action se casse la gueule. Le dirigeant, il commence à avoir la trouille. Si l’action baisse, la société vaut moins cher, elle devient une proie pour ses concurrents. Mécanisme infernal. Cette recherche d’une rente de plus en plus forte a pourri l’économie. Pourquoi les loyers augmentent ? Tout simplement pour que le rentier qui a décidé de mettre son pognon dans l’immobilier gagne autant que le rentier qui a choisi la Bourse.

Or donc, le système coince. Il coince parce que le rentier a de moins en moins le choix. Le mécanisme reste simple. Jadis, du temps de Balzac, si ton investissement dans la distribution (les grands magasins, par exemple) battait de l’aile, tu pouvais investir dans la production. Facile à comprendre. Les grands magasins se tirent la bourre sur un article, tu mets ton pognon chez le fabricant de l’article. Là, t’es tranquille : quel que soit le vendeur, il achète chez toi. Et dans la production, t’avais le choix : si le fabricant que t’as choisi est en baisse, tu places ton pognon chez le concurrent.

Exemple simple : t’as des actions Boeing, Airbus gagne des parts de marché, tu vends tes actions Boeing et t’achètes des actions Airbus. Tu te préserves la rente. Mais que se passe t-il si le concurrent d’Airbus, c’est une société chinoise appartenant à l’Etat (une SOE, comme ils disent) ? Dans ce cas de figure, t’es bloqué.

Alors, revenons aux banques. En termes de capitalisation boursière, les deux premières banques mondiales sont chinoises et nationalisées. En termes de produit bancaire, il y en a trois dans les dix premiers. Pour l’instant. Pour l’instant, parce que pour l’instant, elles bossent plus sur leur marché intérieur qu’à l’international. Elles ont le temps. La Chine a le temps. Mais, à terme, elles vont sortir de Chine. Et là, ça va faire mal. Le rentier, il va pouvoir acheter un peu d’actions ICBC : c’est une société cotée. Ça ne changera rien à la politique d’ICBC, ni à son management : le gouvernement chinois est largement majoritaire et a les moyens de le rester. Sa dernière injection de capitaux dans la banque était de 15 milliards de dollars. S’il n’y a pas de dividendes, le gouvernement chinois s’en fout et comme c’est lui qui commande….. Si sa politique l’exige, le gouvernement chinois, il dira à ICBC de verser moins de dividendes et le rentier fera la gueule.

Comment ça, si la politique l’exige ? Ben oui. Le monde chinois est politique et les dirigeants économiques obéissent. C’est un monde où l’actionnaire la boucle. Il prend ce qu’on lui donne et il dit merci. C’est le monde qui attend les rentiers. Ho ! pas demain. Le rentier se rassure. En fait, il vit au jour le jour.

A toujours exiger plus, le rentier a tué l’économie. Pour assurer la rente, les producteurs ont délocalisé, les entreprises ont licencié. Maintenant que le système coince, le rentier râle. Les entreprises françaises n’exportent pas assez. C’est assez logique : pour exporter, faut produire et elles produisent de moins en moins en France. Et Renault importe des voitures construites en Roumanie. Pas terrible pour la balance commerciale, mais c’est bon pour l’actionnaire. Ceci dit, au bout du bout, les impôts de l’actionnaire, il va bien falloir qu’ils compensent la balance commerciale. Alors, l’actionnaire se délocalise lui même. En Belgique ou en Suisse.

Tout ceci grâce à un magnifique tour de passe-passe idéologique. Le communisme, il a passé son temps à se prétendre international alors qu’il n’y a pas plus nationaliste qu’un communiste. Je renvoie à la remarquable étude de Chalmers Johnson sur le sujet (traduite de l’anglais par Lionel Jospin, il peut pas dire qu’il savait pas). Staline, Mao, Castro, Tito, on baigne dans l’ultra-nationalisme. Le nationalisme n’est plus une valeur de droite, ce n’est plus le drapeau des rentiers conservateurs et égoïstes. Pourtant, ils le brandissent toujours comme l’UMP qui veut qu’on fasse allégeance à la Nation. Ils le brandissent come le matador brandit la muleta. C’est un leurre. La droite a un fonctionnement internationaliste caché sous un masque nationaliste.

Le citoyen de base, il a pas le choix. Il paye ses impôts dans un pays. Il ne peut pas choisir en fonction des conseils de ses avocats. Et donc, au fond de lui et au fond de son portefeuille, il est nationaliste. Tous les ans, il paye et tous les ans, il constate qu’il obtient un peu moins pour ce qu’il paye. J’exagère pas. Pour satisfaire les rentiers, une banque comme Dexia a plombé plus de 5000 communes. C’est Libé qui le dit. Libé qui appartient à Rothschild, ils savent de quoi ils parlent quand même… Pour ces 5000 communes, c’est clair : les habitants vont voir monter leurs impôts locaux, juste pour payer Dexia. Ils vont payer plus pour avoir beaucoup moins.

Les politiques (je veux dire les maires de ces communes) chouinent qu’ils se sont fait baiser et qu’on leur a menti. Je les crois sans peine. Le maire d’une commune, il a pas les épaules pour comprendre la finance internationale et lire les petites lignes en petits caractères. Maintenant, s’il s’est fait baiser, il a un recours : il arrête de payer et il va en justice. Je rêve : 5000 maires qui font bloc et qui reprennent le pouvoir pour lequel ils ont été élus. Et le monde politique qui les soutient. Dexia ferait faillite. Et alors ? Vaut-il mieux ruiner une poignée d’actionnaires ou quelques dizaines de milliers de citoyens escroqués ? Sans compter que les actionnaires (les rentiers) ne seraient pas ruinés. Juste un peu appauvris.

Y’a juste un hic. Les politiques ont démissionné. Ils n’ont plus aucune idée de leur pouvoir. Alors, ils font le dos rond. Ils jouent dans la seule cour qu’ils connaissent : ils négocient, ils cherchent des solutions amiables, ils échelonnent la dette. On pourrait imaginer qu’ils disent aux banquiers : « Vous nous avez escroqué, asseyez vous sur votre dette ». Ils n’en feront rien.

Les banquiers, la presse les épingle. Ils s’en foutent. Un peu de honte, c’est vite passé. L’essentiel, c’est que les comptes restent équilibrés. Et comme Dexia est un groupe belge, les impôts locaux des communes françaises, ça le laisse assez indifférent.

On en reparlera…

P.S. 24 heures plus tard : Dexia est à l'agonie... et donc le gouvernement français va aider Dexia via la Caisse des Dépôts... Pour ceux qui vivent dans des collectivités locales qui doivent de l'argent à Dexia, c'est une bonne nouvelle : leurs impôts locaux vont augmenter pour payer les emprunts pourris et leurs impôts nationaux aussi pour aider Dexia. On vit une époque formidable, disait Reiser...