jeudi 4 février 2016

APATRIDE

On dirait une maladie honteuse. Pourtant, celui qui m’en a parlé le mieux, c’est Adrian, mon vieil Adrian à qui je rapportais du lomo chaque fois que mes pas m’amenaient sur les routes du Sud. Pas que du lomo d’ailleurs, mais ça nous entrainerait trop loin, du côté de Sanlucar de Barrameda et de l’usine Barbadillo.

Adrian avait été apatride. Il en était fier. Tout comme sa femme. Ils avaient fui l’Espagne franquiste. Le Caudillo, c’était pas trop leur verre de fino. Arrivés en France, ils demandent l’asile. Pas de problèmes. Sauf que l’Espagne les rejette. Sont pas à nous. Quelque chose comme ça. Des fois, il suffit de pas répondre.

Nous, on accueillait les Espagnols mais eux, ils étaient plus Espagnols. Et donc vu qu’on pouvait pas les accueillir, ils ont eu leurs belles cartes d’apatrides. Parce que apatride, c’est un statut. Ils ont pu bosser, ouvrir leur cours de danse, avoir la Sécu, cotiser pour la retraite et même acheter leur appartement. Vu qu’on est un grand pays, on leur a même accordé le privilège de payer des impôts.

Le hic, c’était pour voyager. Parce qu’une carte d’apatride, c’est pas un passeport. Pour ce qu’on appelait alors le Marché Commun, pas de problèmes. C’était bien, vu qu’ils avaient des engagements dans les pays où il y avait des théâtres : Allemagne, Italie, Belgique…Le Zimbabwe leur manquait pas.

L’apatridie a duré un peu plus de dix ans. Ils ont fini par accéder à la nationalité française. Adrian s’en foutait. Il se sentait international. Si la danse avait été un pays, ç’aurait été le sien. Après la mort de Francisco, il aurait pu revenir. Mais voilà, comme il me disait : la mort ne change rien. Sous Franco, y’avait Fraga Iribarne et Aznar. Après aussi. Maintenant ma vie est ici.

En ces temps de discussions excessives, je pense beaucoup à Adrian. Forcément. A son séjour chez les privés de nation. Comment aurait il réagi ? Je suis bien obligé de constater que ceux qui hurlent après l’apatridie se retrouvent souvent dans les rangs des conchieurs de nations. Ho ! les mecs ! si la nation est insupportable, l’apatridie est un soulagement, non ?

Ou alors, c’est qu’on ne peut pas priver quelqu’un de nationalité parce que la nationalité est consubstantielle aux groupes humains.

Bref, j’ai le sentiment qu’on est, encore et toujours, dans le plus grand bordel intellectuel qui soit.

C’est pas vrai. Intellectuel suppose qu’on réfléchisse.

On en reparlera…

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