lundi 30 mai 2011

LA VIANDE SUR L'OS

Mon grand-oncle disait « Il faut toujours laisser de la viande sur l’os » quand il donnait à ses chiens les reliefs de ses repas. C’est vrai que l’os, c’est bon pour les dents, ça donne du calcium, les chiens adorent ça, mais ça ne nourrit pas vraiment si on ne laisse pas de la viande. Et un chien pas ou mal nourri, ça ne travaille pas bien.

Les mecs qui nous dirigent, leurs chiens ne travaillent pas. Ils sont pourtant bien nourris avec des sacs de croquettes enrichies et vitaminées achetés au supermarché du coin. Et donc, laisser de la viande sur l’os, ils comprennent pas ce que ça veut dire. C’est pas dans leurs habitudes culturelles. L’os qu’ils jettent à leurs chiens, le plus souvent, c’est un os en caoutchouc fabriqué en Chine et acheté avec les sacs de croquettes. L’os ne nourrit plus, c’est devenu un jeu.

Du coup, ils laissent pas de viande sur l’os. A leurs salariés non plus. A leurs salariés, ils filent le strict minimum pour qu’ils ne crèvent pas. Ils pèsent, rognent, diminuent. Marx a déjà décrit cette situation (Marx, c’est qui ça ?). Le strict minimum pour reproduire la force de travail dont le capital a besoin. Le salaire au ras de pâquerettes. Et quand ça va trop bien, on file des primes. La prime, ça n’engage à rien. Le salaire, t’es obligé de le payer. La prime, c’est à ta bonne convenance. Le mec, il s’y attend pas, alors il remercie not’ bon maître. Et puis souvent, la prime c’est au prorata du salaire. Quand le smicard de base reçoit 20 euro (merci, patron), le patron prend cent mille euro vu que son salaire de base est cinq mille fois celui du smicard. Si pas le patron, sa garde rapprochée.

Le chien pas nourri, il maigrit. A la chasse, il est moins efficace. Pour garder les troupeaux, aussi. C’est emmerdant. Pour garder les troupeaux, on peut le remplacer par du barbelé ou des clôtures électriques. Tu dépenses un bon coup, mais après tu t’y retrouves. En économie, on appelle ça la délocalisation. A la chasse, le chien il va commencer par chasser pour son compte. Au lieu de débusquer le lapin, il va lui sauter dessus et se le goinfrer, histoire de se refaire le bilan énergétique. Le salarié, il peut être tenté de taper dans la caisse, d’accepter les cadeaux des fournisseurs, de perruquer (tu sais pas ce que c’est perruquer ? c’est utiliser les outils du patron pour faire du boulot personnel, pratique aussi vieille que le salariat). Bref de se démerder pour remplacer la viande qui manque sur l’os. Bon, quand l’atelier est délocalisé, perruquer, c’est pas simple.

Un bon moyen, c’est de filer les reliefs des repas des autres. Le chien, il va fouiller dans les poubelles du village. S’il a très faim, il va se faire une poule dans le poulailler du voisin. Pour les salariés, le premier cas s’appelle « minima sociaux ». Le second cas, on dit que c’est de la criminalité. Pour un politique, les mots corrects sont « assistanat » et « insécurité ». Dans le meilleur des cas, le village vient te dire d’enfermer ton chien. Sinon, ton clébard, il risque le coup de fusil assassin, histoire de protéger les poules.

Les mecs qui nous dirigent, ils n’ont aucune idée de l’intérêt de laisser de la viande sur l’os. A la ferme, il faut que le chien soit vraiment très affamé pour sauter sur son maître ou ses gosses. Le salarié aussi. Il va plus facilement se laisser glisser dans le désespoir et squatter les trottoirs qu’égorger le DRH. Pour l’instant, tout au moins. Ça peut aller loin.

Une année que je travaillais pour le Routard dans la région bordelaise, j’avais rencontré un historien local, au Bouscat je crois bien. Il avait travaillé sur les factures que les boulangers envoyaient mensuellement aux bourgeois locaux et il avait découvert que le budget du pain acheté pour les chevaux était supérieur au budget affecté au pain des domestiques. D’accord, un cheval c’est plus gros qu’une femme de chambre. D’accord, on était au XIXème siècle. Alors, l’historien, il trouvait que les temps avaient changé, il avait l’indignation historienne. Mais est-ce que les temps ont changé ?

Le dirigeant actuel n’a plus de chevaux. Il a une voiture, une grosse pour que sa femme (ou ses femmes), son gosse (ou ses gosses), son client (ou ses clients) soient bien installés. Confortables. La Porsche, ça mange pas de pain, ça suce du pétrole. Il faudrait comparer le budget pétrole de la Porsche et les gages du salarié philippin payé au noir pour faire le ménage (j’invente pas, c’est un cas réel et documenté). Je suis bien sûr qu’on découvrirait les mêmes écarts que chez le boulanger du Bouscat à la Belle Epoque.

Ecart. Le gros mot est lâché. On peut l’habiller autrement, parler de fracture sociale par exemple. Mais l’habit importe peu. Le chien qui ronge son os sans viande, il hume les effluves du gigot sur la table. Si tu surveilles pas, il va sauter sur la table et emporter le gigot au fond du jardin.

Le salarié de base est-il un chien ? C’est pas très beau comme image. Sauf que, peu à peu, il prend conscience qu’il est traité comme tel. Y’a plein de ruses communicantes pour le brosser dans le sens du poil. Ça commence à ne plus suffire. Au XIXème siècle, ceux qui avaient une conscience politique créaient des journaux pour informer, alphabétisaient pour permettre à tout un chacun d’accéder à l’information. Maintenant, on baigne dans l’information, elle circule dans tous les sens. Majoritairement, elle est vachement convenable. Encore que… Sous la pression des réseaux sociaux, les médias convenables se mettent à publier de l’info qui était cachée il y a peu. Le salarié de base, il comprend pas tout. Il peut pas réaliser qu’un mec va gagner en un mois plus que lui dans toute sa vie. Il va falloir répéter, donner d’autres exemples. Peu à peu, ça vient. On revoit le peuple descendre dans la rue. C’est ténu comme mouvement. Et ça ne donne pas trop de résultats.

La poudrière sautera quand un de ces mouvements réussira à inverser la tendance. A l’inverser vraiment ce qui n’a pas encore été le cas. Y’a des prémices mais ça va pas trop loin.

On en reparlera….

jeudi 26 mai 2011

TROUSSER AUTAIN

Alors, celle-là, même un scénariste hollywoodien de la Belle Epoque, bourré au Four Roses, n’aurait pas osé l’inventer. Elle est totalement improbable.

J’ai un gros contentieux personnel avec Clémentine Autain. Elle était adjointe de Bertrand Delanoë et se répandait sur les ondes avec son discours vaselino-féministe ou oléo-gauchiste. Choisis ton néologisme. Ha, les femmes ! Surtout les femmes du peuple, travailleuses, épuisées de grossesses, de travail redondant… Bon, tout le monde connaît. Glissons.

Il se trouve qu’à l’époque, mon épouse était vacataire à la Mairie de Paris. A la Mairie de Paris, « vacataire », ça veut dire « précaire ». T’as droit à un CDD tous les ans. Pour ma femme, ça faisait quatre ans. Quatre CDD. Mais je croyais que la loi interdisait les CDD à répétition ? Moi aussi, je croyais. Mais tu vois, c’est pas vrai. Sa copine Suzie, elle en était à 17 CDD. Elles avaient été engagées par Tibéri. Normal, qu’un maire de droite se tape des règles sociales. J’ai donc appris que le changement, c’était pour la presse. Tibéri ou Delanoë, ça fonctionne pareil.

L’employeur de Chantal, c’était le CCAS, en d’autres termes les services sociaux. Tu veux dire que les services sociaux d’une ville socialiste respectent pas les lois sociales ? Ben, ça y ressemble, tu trouves pas ?

Et puis Chantal s’est trouvée enceinte. Elle a donc du arrêter de travailler. Et elle a appris que, pour le congé de maternité, elle avait pas les heures qu’il fallait. Précaire, sous-employée, pas lourdement payée et pas couverte.

Alors, moi, vous me connaissez ? J’ai écrit à Clémentine. On était au cœur de son sujet. Travailleuse précaire, dépendante du pouvoir, enceinte et non indemnisée, c’était quasi le sujet idéal. En plus, Chantal était l’employée de Clémentine. Et donc, un peu naïf et sûrement très con, j’imaginais que Clémentine réglerait en deux coups de cuillère à pot une situation qui dépendait d’elle. Qu’elle puisse pas aider les travailleuses précaires de Géorgie occidentale, je comprends. Mais là, c’était un service qu’elle gérait.

Mon fils vient de fêter ses cinq ans et j’attends encore la réponse. Pas une ligne. Même pas une ligne pour dire qu’elle pouvait rien faire. Je comprends. C’est cruel d’avouer son impuissance. En fait, Clémentine, elle s’en foutait. Elle était pas là pour régler les problèmes, elle était là pour les dénoncer. Surtout les problèmes qui ne la concernaient pas, c’est plus facile.

Et puis, elle a un peu disparu des écrans. Et plaf ! DSK a pas plutôt sorti son pénis que revoilà Clémentine. Au nom de la défense de la victime. Vu que, dans ce cas de figure, la victime c’est une femme. Non solum une femme sed etiam une fille-mère. Une vierge, ç’aurait été mieux mais personne n’est parfait. Mais Clémentine, elle est à fond pour la présomption d’innocence. Parce que « innocent », dans sa première acception, c’est quelqu’un qui ne fait pas de mal, quelqu’un qui n’a pas l’expérience des choses sexuelles. Le portail lexical du CRISCO donne comme synonyme « chaste ». Et voilà comment Clémentine présume que la « victime » est chaste.

Là, elle peut y aller la hautaine Autain. Les victimes, elle les choisit. Celle-là, elle est parfaite. Prolétaire, minorité visible, émigrée (ou immigrée, ça dépend d’où on regarde) en face du riche puissant mâle blanc. Mejor impossible. En plus, l’avocat nous l’a dit : elle pleure toute la journée tant l’expérience fut douloureuse. Tu l’écoutes, t’as le sentiment qu’il défend Thérèse de Lisieux. Non, pas Thérèse, celle-là, elle rit quand on la baise. Bernadette Soubirous, peut être. Voilà. L’avocat américain, il défend Bernadette Soubirous. Et Autain rejoint la meute. C’est un bon plan : elle est sûre qu’elle peut rien faire, rien que se répandre comme un éjaculat devant toutes les télés qui se tendent vers elle. Rien que se répandre et cracher sur un mec qui est le copain du Delanoë qui a fini par la mettre au placard. Coup double. La vengeance personnelle et la bonne conscience féministe. C’est tout Clémentine, ça. Tu causes, tu causes….

Derrière Clémentine, elles sont toutes là. Ha ! elles ont des choses à dénoncer. Les mecs qui tiennent un discours machiste. Ben oui, les mecs, ils vont pas tenir un discours féministe. Les chats n’aboient pas. Oui, ça flirte un peu avec la gaudriole, avec les vannes de chambrées mais les mecs faut les comprendre. Ils arrêtent pas de se faire allumer. Même au boulot. Tu vas dans une réunion avec des nanas, tu verras les sourires enjôleurs et la danse de la séduction. On y a tous eu droit. Quasiment toutes les nanas, elles en jouent. Peut-être pas Angela Merkel, admettons. La féminisation du travail, c’est ça. L’arrivée de la séduction dans le professionnel. Le mélange des genres. Le patron du XIXème siècle, il bossait dans un environnement de mecs, un peu militaire, un peu janséniste. Pour la séduction, y’avait des maisons spécialisées et des danseuses. Là, c’est fini. Le monde du travail s’est adouci. OK, c’est qu’un vernis mais le vernis, c’est le premier truc que tu vois.

Il y a vingt ans, dans l’édition, on recevait que des représentants mâles. On causait quantités, remises, conditions de transport. Aujourd’hui, on reçoit que des représentantes. On cause plus pareil, on rondejambise, on évite la grosse colère qui amène la gisquette au bord des larmes. Ben oui, elles pleurent dans le boulot, c’est une arme pour elles. Tous les garçons le savent, les filles ça pleure. Peut-être pas Christine Lagarde, admettons.

Les filles, elles te balancent leur histoire personnelle dans les dents. Il paraît que ça humanise. Mon cul ! c’est juste une technique. Même Clémentine. Il paraît qu’elle a subi des violences sexuelles. On s’en fout. Ça lui donne pas de légitimité. C’est juste son histoire, ça n’a pas de valeur générale. La pudeur et la dignité (c’est pas des gros mots) voudraient qu’elle n’en fasse pas un argument. Parce que c’est simplement son argument à elle. La personnalisation des problèmes généraux, ça relève du psy, pas de la discussion rationnelle.

Les féministes, elles veulent qu’on pense à la « victime ». Les guillemets, c’est exprès. Toujours selon le CRISCO, la victime c’est quelqu’un qui subit l’injustice. Pour l’heure, je ne vois pas que Madame Diallo ait subi une quelconque injustice. Sauf à présumer de la décision des juges. Pour l’heure, elle est planquée, à l’abri des caméras, protégée. On devrait dire « victime présumée ». Mais pour les féministes, c’est trop long. Et quand je dis « protégée », c’est pas une clause de style. La loi new-yorkaise interdit à la défense de DSK de faire mention de la vie sexuelle de la victime présumée. Cool ! On va être obligés de la considérer comme chaste et pure. Je vous l’avais dit, Bernadette Soubirous.

Faut que je rassure les féministes. Y’a plein de gens qui vont penser à la victime. A commencer par les enquêteurs de DSK. Je pense qu’ils vont pas mollir les mecs. Bon, les résultats, ça sera dans quelques semaines ou quelques mois. La pression sera retombée et quoi qu’on apprenne, il n’y aura plus de commentateurs énervés. Même si DSK est acquitté, sa carrière aura été brisée. Résultat atteint.

« Nous détroussons les hommes et nous troussons leurs femmes ». C’est ainsi que Paul-Louis Courier définit la guerre des armées napoléoniennes en Italie. Si j’en crois le tollé féministe, Paul-Louis Courier serait aujourd’hui cloué au pilori avec ce mot « trousser » que l’on reproche à Jean-François Kahn. C’est bien simple : on ne peut plus écrire. On ne peut plus écrire une langue simple, précise, élégante. Il faut utiliser la novlangue orwellienne. Car enfin est-ce donc autre chose qu’un « troussage de domestique » que l’on reproche à Kahn ? Une femme de chambre n’est-elle pas une domestique ? C’est à dire une « personne employée pour le service d’une maison » ? C’est connoté ? Par qui ? Par ceux qui ignorent l’étymologie avec ce « domus » qui effleure à la surface du « domestique » ? Il est tellement plus facile de jouer sur les mots que sur les salaires et d’inscrire « technicienne de surface » sur une fiche de paye qui ne subira de changements qu’à la baisse. Hypocrites ! Ce qu’on reproche à Kahn, c’est un vocabulaire classique. Bien sûr que « trousser », c’est « posséder sexuellement » et que ça a une connotation de viol. « Trousser », c’est relever la robe que la femme ne relève pas spontanément et volontairement. En écrivant « trousser », Kahn évoque avec précision et élégance le viol. Comme Courier. Si vous ne le comprenez pas, ce n’est pas grave. C’est juste que vous ne méritez pas la plume de Jean-François Kahn qui sait si bien trousser les mots.

Je vais énerver Clémentine avec des mots : une femme violée est à la fois niquée et paniquée...

On en reparlera…

samedi 21 mai 2011

MA CONSCIENCE POLITIQUE DORT

Ne réveillez pas ma conscience politique. Elle dort. Elle dort si profondément que je l’ai crue disparue. Mais non. Il lui arrive (rarement) de bouger dans son sommeil.

Elle a mis deux ans à s’endormir. Deux ans pendant lesquels je lui ai proposé une expérience exceptionnelle. Vivre dans une HLM (oui, UNE, le H c’est pour Habitation, substantif féminin). Au départ, elle était vachement contente. Ma conscience politique adore la diversité, le prolétariat, les expériences difficiles et les combats politiques. C’est une vraie conscience de gauche, nourrie aux écrits du grand Karl, soigneusement élevée par de grands universitaires qui l’ont façonnée, éduquée, préparée aux lendemains qui chantent. Ma conscience politique a passé ma vie à espérer le Grand Soir.

Quand on est arrivés, elle et moi, elle était vachement sensible. Au point que mon patron de l’époque m’avait surnommé le crypto-communiste. C’est juste un mot qu’il avait lu dans un journal et qu’il répétait pour faire classe. Ma conscience, elle se marrait. Crypto, ça veut dire caché en grec et elle se cachait pas du tout. En plus, elle était pas communiste. Elle avait tourné le dos au PC lors de l’abandon de la lutte des classes. Comme c’est une conscience, elle avait conscience que la lutte des classes était sans fin. Même dans un état communiste. Qu’on l’appelle nomenklatura ou comme on veut, la classe dominante se reforme toujours et doit toujours être combattue au nom de l’égalité. Elle savait bien que le ventre est toujours fécond….

Pour la diversité, elle a été servie. Dans la cage d’escalier, il y avait des Sénégalais, des Serbes, des Ukrainiens, des Arméniens, des Tunisiens, des Marocains, des Camerounais. Avec des habitudes, des fêtes, des réactions différentes. Sur l’année, elle a eu droit à tout, au Noël orthodoxe et à l’Aïd. Et au foot. Elle aime pas trop le foot mais elle se fait une raison. La Coupe du Monde, c’est que tous les quatre ans et la France joue pas tous les soirs, ça limite le bordel, les télés à fond la caisse et les hurlements hystériques à chaque but. Sauf que la diversité change la donne. La télé numérique aussi. Là, t’es sûr que tous les soirs, y’a un voisin qui supporte une équipe. Même sans Coupe du Monde. T’as droit à la Coupe de l’Afrique et aux championnats nationaux. Forcément, les Ukrainiens, ils supportent Donetsk. Elle a eu du mal à s’y faire. Comme opium du peuple, le foot a remplacé la religion. Ou s’y est ajouté. T’as droit à l’Aïd et à Algérie-Maroc en direct. Ma conscience politique, elle sait bien que le peuple uni ne sera jamais vaincu. Elle sait aussi qu’avec le foot, il est pas près d’être uni, le peuple. Les Algériens vont détester les Marocains et les Angolais tirent à balles réelles sur les Togolais. Prolétaires de tous les pays, engueulez vous…

Dans ma tête, ma conscience politique, elle est pas toute seule. Elle cohabite avec ma conscience esthétique, ma conscience affective, ma sensualité (ça veut pas dire sexe, les sens c’est aussi l’odorat, l’ouïe et le goût). Entre autres. Des bouts de conscience qui lui donnent des arguments ou lui tapent dessus. C’est pas facile d’être conscience politique. Des fois, c’est carrément le bordel. Ma conscience historique, celle qui plonge ses racines dans mon terroir et mon éducation, c’est une vraie salope. Quand j’apprends le problème de DSK, elle réagit comme elle doit : « Bon, il a sorti sa queue, et alors ? ». Ma conscience historique, elle est assez machiste, je dois dire. Alors ma conscience politique, elle regimbe, elle lui sort tous les poncifs du féminisme, le respect dû aux femmes, les thèses selon lesquelles les femmes, c’est le prolétariat du prolétariat. Ça s’engueule ferme. En général, c’est ma conscience politique qui gagne. Les autres s’écrasent.

Là, elle dort. Elle vient de vivre deux années assez difficiles. Déjà, ma conscience esthétique lui a tapé dessus avec méchanceté et sans relâche. Forcément. Elle aime Rachmaninoff et le blues de Chicago. Alors, le rap à fond les manettes, ça la rend folle. Qu’est ce qu’elle lui a pas sorti sur la culture basique du voisin divers ! Déjà, pas si divers que ça le voisin. Sénégalais ou Ukrainien, il écoute la même musique. Pas grave. Ce qui est chiant, c’est que moi, je dois l’écouter aussi. Ma conscience esthétique, elle se sent très seule dans la cage d’escalier. Alors, elle se paye la fiole de ma conscience politique. Sur le manque de variété des choix culturels de populations variées. Sur les mecs qui chient en rappant sur le capitalisme avec des maisons de disque figurant au CAC 40. Sur les mecs qui vont à la mosquée prier pour la défaite des Américains avec des baskets Nike et des capuches NYPD. Ma conscience politique, elle encaisse. Elle cherche des arguments, mais elle en trouve pas trop. Du temps du Viêt-Nam, c’était plus simple.

Avec ma conscience sensuelle, même topo. Ma conscience sensuelle, elle aime pas trop le bruit. Elle aime qu’on parle doucement, sans élever la voix. Elle a été servie… Et puis, elle est sensible aux odeurs. Là aussi, elle a sacrément râlé. Ma conscience politique s’indignait : « Tu parles comme Chirac ! ».. « Je m’en fous, ça pue », répliquait ma conscience sensuelle. « Mais quand tu vas en Afrique, t’aimes ça ! » « En Afrique, oui…c’est au grand air, ça a un autre sens. On n’est pas en Afrique… » Indémerdable comme situation. Ma conscience politique, elle sentait bien que tout lui échappait.

Elle a fini par comprendre qu’elle bichonnait un internationalisme basé sur le nationalisme. Le Viêt-Nam, la Chine, Cuba, Che Guevara en Bolivie, tous ces combats qu’elle avait adoré, c’était juste des mecs qui se battaient pour être bien chez eux. Et puis doucement, elle avait glissé dans la défense de mecs qui se battaient pas mais qui voulaient être bien chez moi. Ils se battaient pas parce qu’ils avaient une armée de supplétifs qui se battaient pour eux : on les appelle les services sociaux. Mes voisins, ils allaient les voir et leurs problèmes se réglaient. Ils n’avaient rien à faire, même pas à comprendre le sens des imprimés à remplir. Mes voisins n’avaient aucune conscience politique et ça, ma conscience politique avait du mal à l’avaler. Elle regrettait Giap.

Faut dire que ma conscience historique l’aidait pas beaucoup. Chez nous, l’émigration, on connaît. L’Amérique a été peuplée d’émigrants basques. On a tous des cousins ou des copains en Californie, en Argentine ou au Mexique. Des qui ont réussi et des qui sont morts pauvres. Mais, morts ou vivants, ils se sont battus, ils se sont intégrés, certains ont pris des responsabilités politiques. Rares sont ceux qui sont revenus et le plus souvent, ils sont revenus seuls. Leurs enfants sont restés là-bas, ils n’avaient pas la nostalgie du pays natal, forcément. Le fils d’Antoine, tous les trois ou quatre ans, il vient voir son père. Une semaine maxi. Il se fait trop chier dans le village ancestral.

Ces émigrés qui reviennent on les appelle les Amerikanoak ou les Indianoak. Ma conscience politique, elle les a jamais beaucoup aimé. S’ils reviennent, c’est qu’ils ont fait fortune. Alors, ils respectent le pays qui leur a permis cette fortune. Et cette fortune (une bonne grosse aisance au niveau américain) en a fait de bons bourgeois bien réactionnaires. Le plus souvent, ils aiment les Républicains et ils ont du fric à Wall Street. Comme dit ma conscience historique à ma conscience politique « T’aimes pas leur conscience politique, mais au moins, ils en ont une ».

On ne peut pas vivre avec deux cultures au même endroit. Sauf à verser dans la schizophrénie. Le fils d’Antoine, une ou deux fois par mois, il va au Centre culturel basque. Et même là, il est profondément Américain. Il fait joujou avec ses racines, il exhibe quelques signes qui lui paraissent amusants mais ça ne va pas plus loin. C’est ma conscience géographique qui a raison : « on ne vit pas dans une mégapole américaine comme dans un village de la vallée de la Nive ». Sous-entendu que perçoit ma conscience politique : « on ne vit pas à Paris comme dans un village de Grande Kabylie ».

Alors, fatiguée, ma conscience politique a décidé de dormir. Ne la réveillez pas. Moi aussi, ça me repose.

On en reparlera….

mercredi 18 mai 2011

DOMINIQUE, PHILIPPE ET STEPHANE

C’est une question qui me taraude : est-ce que Philippe Val va téléphoner à Stéphane Guillon, lui faire des excuses et le réintégrer à France-Inter ? Parce que, souvenez-vous, Guillon a été viré pour avoir affirmé avec humour que Dominique sautait sur tout ce qui bougeait. Et que Val a dit que c’était pas bien. Pas bien mais vrai. Si on ne peut plus dire la vérité sur une radio publique, où ira t-on la chercher ?

Depuis que Dominique est en prison, on est accablés de témoignages sur le thème « Tout le monde savait ». Non pas tout le monde. C’est comme la maladie de Pompidou et Mazarine Pingeot. Certains savaient. Moi, je savais pas. Je pouvais savoir que si ceux qui savaient parlaient. Au cas où vous l’auriez oublié, ceux qui savaient ont comme boulot de parler, de diffuser des informations qu’ils ont recueillies et de les transmettre au plus grand nombre. Le plus grand nombre, c’est ceux qui savent pas. Toi et moi. Et donc, ceux qui sont payés pour me dire ne m’ont rien dit. A quoi ça sert de les payer ?

Le seul qui m’ait dit, à sa manière d’humoriste, c’est Stéphane. Il bosse dans une radio, il baigne au milieu de ceux qui savent et qui chuchotent. Les infos cachées, il les avait. En toute logique, il savait, il bosse dans une radio, il a parlé. Viré !

La vraie question de l’affaire DSK, elle est là. Elle est inscrite en lettres de feu sur la chape de plomb du silence qui a enveloppé la personnalité du député de Sarcelles. Pourquoi se taire ? Parce qu’il est riche, puissant, influent ? Parce qu’il risquait de devenir Président et que tout le monde pétait de trouille à cause d’éventuelles vengeances ? Que peut-on penser de ces chiens couchés pendant tant d’années et qui se mettent à mordre quand le fauve est à terre ? Quelle indignité dans ces nanas qui, tout à coup, révèlent qu’il leur a mis la main au cul il y a longtemps et qui envisagent de porter plainte maintenant ! Les merdeux se joignent au lynchage quand les risques sont nuls. Il faut le dire : le seul qui puisse garder la tête haute, c’est l’humoriste Guillon. Le clown a sauvé la dignité des médias.

La vague d’hypocrisie s’apparente à un tsunami. On me passe en boucle l’avocat ripoliné de la présumée victime qui vient, la larme à l’œil, m’affirmer qu’elle pleure toute la journée et qu’elle est fortement traumatisée. C’est pas la vierge Blandine, tout de même ! Il y a longtemps qu’elle a vu le loup. Faut pas me raconter qu’une Africaine de trente balais, bien gaulée, vivait comme Ste Thérèse de Lisieux ! Que ce soit pas bien de lui sauter dessus, je peux admettre. Mais de là à dire que sa vie est foutue, y’a comme une marge. On se calme.

Celui qui se calmera pas parce que le calme est dans sa nature, c’est Philippe Val. Le calme, c’est à dire l’indignation contrôlée. Val s’est fait une situation en adoptant la stratégie du coucou. Il a squatté le nid occupé par Gébé et le Professeur Choron. Pendant des années, on a cru que sa position de directeur de Charlie-Hebdo valait brevet d’insoumission. Personne à ma connaissance, n’a jamais osé comparer le Charlie-Hebdo qui a nourri la pensée d’une génération, le Charlie-Hebdo de Gébé, Fournier, Choron, Siné, Reiser, le Charlie-Hebdo de Gros dégueulasse qui soutenait Coluche et la pâle copie qu’en a fait Val qui osait utiliser cette tribune magique pour inciter ses lecteurs à voter pour l’Europe ou à respecter la religion. Imagine t-on un pouvoir quelconque nommer Georges Bernier à la tête de France-Inter ? Ou ailleurs ? Et je ne parle pas de Siné.
Tout ceci est minable. Indigne. L’affaire DSK révèle un monde couché, vautré, un monde de pleutres, un monde à l’américaine qui cache les turpitudes et se rue au lynchage avec d’autant plus d’agressivité qu’il veut cacher ses peurs et ses silences coupables. On a même eu droit aux témoignages anonymes comme cette nana, Française, qui a croisé DSK à la réception de l’hôtel. Tu parles d’une info ! Anonyme. Comme les lettres qui arrivaient par sacs dans les Kommandaturs.

Non, je n’exagère pas. On en reparlera…

mardi 10 mai 2011

PAS UN SOU POUR LE MEDIATOR

Indemniser les victimes du Mediator ? Et puis quoi encore ? C’est majoritairement des gens qui voulaient pas bouffer, des tue-le-plaisir, des quasi pas humains. Parce qu’entre nous, se priver du plaisir de bouffer, faut pas être humain.

Ils étaient trop gros ? Non. Ils se trouvaient trop gros. Ils étaient obsédés par la communication débile des journaux féminins qui répètent à l’envie que le gras tue l’amour. Ils vont chouiner chez leur médecin : faites moi maigrir, filez moi un régime, médicalisez moi au max pour que je rentre dans du 32. On nous l’a pas dit : c’est quoi, majoritairement, le sexe des victimes du Mediator ? Des femmes ? En tous cas, à la télé, on voit que des femmes.

Le médecin, il prescrit. Il sait rien de sa patiente. Rien d’intime, je veux dire. Rien de ce qu’elle bouffe, de sa vie, de ses fréquentations. Il ne sait que ce qu’elle raconte. Que sa vie est un enfer. Que son mec s’est barré. Qu’elle ose pas aller à la plage. Le coupe-faim et les bouillies qui remplacent la blanquette, c’est la solution la plus facile. Alors, il prescrit. Il se dit qu’elle ira mieux dans sa tête. Il ose pas lui dire de se mettre au tabac. Le tabac, c’est un coupe-faim. En plus, souvent, la grosse qui chouine, elle a pris ses kilos parce qu’elle a arrêté de fumer. Ben, fallait pas écouter la pub, ma cocotte.

On le dit pas assez : les patients qui pleurent, c’est eux qui le plus souvent ont demandé le remède miracle. Pas pour des raisons médicales, pour des raisons d’idéologie conventionnelle, pour obéir à une image médiatique. Moi, je les plains pas. Et je pense que, si on doit indemniser les victimes, il faut que la presse féminine et les sites internet qui ont parlé en bien du Médiator doivent mettre la main à la poche. Le fait générateur, comme on dit en droit des assurances, c’est eux.

Ce qui m’emmerde au plus haut point, c’est que ce truc a coûté plus d’un milliard à la Sécu. A moi par définition. J’ai payé parce que des connasses se trouvaient trop grosses à la plage. Comprenez que ça m’énerve un peu. Pas la peine de me dire que l’obésité est un problème de santé publique. Neuf fois sur dix, dans la prescription de coupe-faims, on n’est pas dans l’obésité pathologique. On est dans le culte de l’image, le culte du corps, le fascisme ordinaire. Ben oui. Allez voir les sculptures d’Arno Breker, artiste favori de Hitler, et lisez ses écrits. Vous verrez si le culte du corps n’est pas fasciste.

Toute l’industrie du régime, du coupe-faim, de l’anneau gastrique repose sur d’immenses mensonges et sur une immense culpabilisation. On en a déjà parlé. La bouffe qui fait grossir les hommes comme des cochons (http://rchabaud.blogspot.com/2011/02/les-gosses-et-les-cochons.html) .Tu bouffes rien et tu grossis quand même. Personne ne peut comprendre. Les pseudo-nutritionnistes qui ne savent rien des interactions entre aliments ingérés (http://rchabaud.blogspot.com/2011/04/la-mort-de-nos-gosses.html ). On veut te faire croire que tu grossis parce que tu manges trop ou que tu ne sais pas te nourrir. Faux. Tu grossis parce que tu manges mal vu que tu n’as plus le choix de ce que tu manges. Tu ne manges pas mal parce que t’es un con, tu manges mal parce que tu n’as pas le choix. Que les magasins regorgent de bouffe industrielle et nocive. Et surtout qu’il n’y en a pas d’autre. Et la communication vient porter le coup de grâce.

Si t’as pas encore compris que la communication se fout totalement de ta santé et n’existe que pour les profits de ceux qui communiquent, alors tant pis pour toi. Bouffe leur merde, grossis, prend des coupe-faims et acceptes-en les conséquences.

Un autre exemple. Merci à l’INRA qui a démontré que les fromages au lait cru, en vieillissant, développaient des germes dont la combinaison faisait barrage à la Listeria. En clair, la Listeria, c’est que pour les fromages au lait pasteurisé ou thermisé. Vu la dangerosité de la Listeria, on devrait supprimer les fromages au lait pasteurisé. Sauf que « pasteurisé », ça renvoie au grand Pasteur, l’icône de l’hygiène contemporaine. Qui peut imaginer qu’un fromage étiqueté Pasteur peut être plus dangereux qu’un fromage de plouc ? Et puis supprimer les fromages au lait pasteurisé, ça met en danger plein de grands groupes, des emplois, des usines et des bénéfices. C’est moins cher de rappeler quelques lots quand y’a un problème.

Bien manger, choisir les produits qu’il faut au moment où il faut, c’est un combat de tous les jours. Un combat qu’on ne peut mener que si on a les savoirs et le pouvoir de les mener. Du temps et de l’argent. Du savoir pour douter et chercher. Du savoir pour discriminer. Or, tout ceci nous est refusé. Ce n’est pas une fatalité. Juste un système économique appuyé sur le politique. C’est vrai que quand ça merde, ça coûte. Mais ces coûts sont insignifiants par rapport aux profits. Le Mediator va coûter quelques milliards d’euro. Mais qu’a rapporté Servier en trente ans ? En impôts, en salaires, en consommation, en PIB. ? Vous gourez pas, les mecs. C’est comme ça qu’ils comptent ceux que vous élisez, élection après élection. Et nous, on applaudit.

J’ai le souvenir d’un Ministre socialiste de l’Agriculture, Jean Glavany pour ne pas le nommer, déclarant dans un discours : « Grâce à cette IGP, nous allons pouvoir produire plus de deux millions de jambons artisanaux par an ». Et la foule d’applaudir. Personne n’a remarqué (j’y étais, je peux témoigner) que « deux millions » et « artisanaux », c’était totalement incompatible. Qu’on était dans l’absolu foutage de gueule. Plaudite, cives !

Et Servier, alors ? Servier a menti, Servier a truqué les rapports scientifiques, Servier a stipendié des experts. De la concussion à la mise en danger de la vie d’autrui, voire à l’homicide par imprudence, les chefs d’accusation sont innombrables. Je laisse aux juristes le soin d’en faire la liste. Le patron de Servier, le responsable suprême, est médecin. Il a fait passer ses profits avant son éthique. Ce seul fait justifie amplement que Servier soit rayé de la carte sanitaire. Qu’il soit vendu à un autre labo et que l’argent de la vente soit versé à la Sécu. Pas aux malades. Ne pas être mince n’est pas une maladie. Juste un fait social.

On en reparlera…..

jeudi 5 mai 2011

LA GUERRE ET LA COM'

Je suis assez simple comme mec. J’ai la réflexion basique. Aussi, quand je vois des centaines de Ricains se masser sur Times Square pour fêter la mort de Ben Laden, j’ai le doute hyperbolique qui monte.

Les mecs que tu vois sur l’image, ils sont descendus dans la rue parce qu’ils ont entendu la nouvelle à la télé. Normal, ils sont nourris de télé. Nourris, abreuvés, gavés jusqu’à plus soif, plus faim, jusqu’à la gerbe. Ils fonctionnent avec la télé-réalité qu’ils ont inventée, les Experts Miami et les talk-shows de Mrs Winter. Autant dire qu’ils sont sous-informés, sous-éduqués, sous-corticalisés. Alors, s’ils sont contents, y’a du souci à se faire. On est pas dans la réflexion, on est dans la pavlovisation.

Nous aussi, on est contents. Enfin, nos télés sont contentes. C’est de la nouvelle, ça, coco ! On va faire des émissions spéciales, interroger les experts, bons au mauvais, l’essentiel, c’est de tenir l’antenne. Les experts, je les ai trouvés plutôt pas mauvais. Pas excessivement rassurants, je veux dire.

En gros, ils affirmaient que Ben Laden, c’était d’abord un symbole qui n’avait plus un grand rôle dans la conduite des opérations.. Possible. Pas certain, mais possible. Ceci dit, ça aggrave les risques de s’attaquer à un symbole. Ça va susciter des vocations de vengeurs. Si t’es malin, le symbole tu te le payes à la fin de la guerre. Hitler dans son bunker. C’est la cerise sur le gâteau. Faut avoir réglé les problèmes du réel pour s’occuper du virtuel sinon l’effet boomerang est pas très loin.

J’ai aussi vaguement vu un bonhomme (Karzaï, je crois) qui affirmait que les Américains étant venus en Afghanistan pour flinguer Ben Laden, maintenant que c’est fait, ils peuvent s’en aller. C’est assez juste comme remarque. Ça changera rien parce que Ben Laden était surtout un prétexte mais ça rend la position moins tenable. Pour nous aussi, faut dire. Les communicants, ils voient pas plus loin que le bout de leur nez. Quand on fait la guerre, c’est des raisons plus larges qu’il faut donner, du style « rétablir la laïcité ». Avec ça, tu peux rester un siècle en Afghanistan. Remarque, on va rester un siècle, parti comme c’est.

La grande question, ça reste : et les représailles ? Y’a du pour et du contre. Les otages, ça représente du blé, on les flingue pas comme ça. D’un autre côté, c’est du symbole. Et donc, quand certains se marrent, d’autres pètent de trouille. Logique.

Personne ne pose la question de la méthode. Ou de la finalité, c’est selon. Qu’est-ce qui était le plus important ? Flinguer Ben Laden ou dire qu’on a flingué Ben Laden ? Parce que c’est pas la même chose. On peut flinguer Ben Laden et ne rien dire. C’était ça la solution intelligente, la seule solution intelligente.

Imagine. En gros, l’opération, c’est la même. On peut imaginer plus simple ou plus discret, mais c’est pas nécessaire. Obama envoie les hélicos, les mecs flinguent, ramassent le corps et le balancent à la flotte. Fin de l’histoire.

Que peuvent faire les copains de Ben Laden ? Hurler que les Ricains l’ont retrouvé et flingué ? Ben non. Ils peuvent pas. Ils sont obligés de la boucler. Ils vont pas hurler à la face du monde que les Ricains ont été meilleurs qu’eux. Ça la fout mal. En plus, ils sont pas crédibles. Arthur, où t’as mis le corps ? Si Ben Laden est un symbole, leur intérêt est qu’il le reste, de laisser croire au monde entier qu’il est planqué quelque part. Voire de pipeauter une vidéo de temps en temps. Tout ça permet d’éviter des représailles alors que l’essentiel est fait.

Parce que, dans le même temps, les copains de Ben Laden, ils savent qu’ils sont vulnérables. Si les Ricains ont eu le chef, ils peuvent avoir les sous-chefs. La crainte change de camp. Vu que personne ne sait, personne ne demandera aux troupes de l’OTAN de quitter l’Afghanistan. On pouvait flinguer Ben Laden sans dommages collatéraux.

Oui, mais voilà. Les élections, c’est l’an prochain. Avec son truc médiatisé, Obama, il est sûr de repasser les doigts dans le nez. Plus personne ne va l’accuser de s’appeler Hussein. Il est devenu le vengeur du 11 septembre. Là aussi, ses conseillers en communication sont très cons. Ils ont 18 mois devant eux. Le cadavre de Ben Laden, ils pouvaient le sortir le 11 septembre 2012 (histoire de taper dans le gras du symbole) en disant : « OK, on l’a eu, ça n’a rien changé, preuve que le type pesait pas grand chose ». Et là, c’était trop tard pour les représailles et tout ce qui s’ensuit. Et ça dévalorisait totalement Ben Laden comme symbole.

La guerre ne fait pas trop bon ménage avec la com’. Dans la guerre, la discrétion est un atout. De toutes façons, ceux qui doivent savoir savent. Le grand public, les militaires, à juste titre, s’en tapent. Le grand public ne comprend rien à rien. Le grand public ne sait que ce qu’on veut bien lui dire et c’est bien suffisant.

Ho ! et la démocratie ? La démocratie, c’est pas que tout le monde sache. C’est que tout le monde sache avec les moyens d’analyser et de comprendre. Tant qu’on aura pas donné à tout un chacun les armes intellectuelles dont tout un chacun a besoin, on sera dans la manipulation. Taire la mort de Ben Laden eut été la meilleure stratégie, la plus économe de vies, la plus subtile. C’était un bon choix à tous points de vue. Sauf du point de vue électoral. En réalité, Obama se fout pas mal des représailles et des morts qu’elles peuvent entrainer. Il n’a pas le regard fixé sur la ligne bleue du Pamir mais sur les résultats des instituts de sondage.

Depuis le First Cav sautant sur Danang et prenant une dégelée, rien n’a changé, au contraire. Les communicants exposent de plus en plus les militaires et leur demandent des résultats visibles par tous, appréciables par tous. Dans les cercles des pouvoirs se joue le jeu éternel du chat et de la souris, chacun avec ses objectifs, objectifs le plus souvent incompatibles avec ceux du copain. Mais le pouvoir tranche selon ses objectifs à court terme. La guerre n’est plus qu’un spectacle.

Le problème, c’est que les morts ne viennent pas saluer quand tombe le rideau.

On en reparlera…