mercredi 31 juillet 2019

GPS ET PERMANENCE

Les députés doivent tous avoir un GPS dans leur voiture. De ce fait, ils sont inaccessibles à ce changement qui rend idiot : le changement d’échelle.

Dans le meilleur des cas, le GPS affiche une carte pour automobilistes, c’est à dire une échelle moyenne, grosso modo l’équivalent du 1/200 000. Quand tu approches du but, l’échelle devient plus grande ; 1/20 000, voire plus grand. Et donc, par définition, tu ne prends pas conscience que tu peux être dans une zone plus vaste. Tu as une vision rétrécie.

Le député qui vote le CETA n’a aucun autre moyen de faire le lien que son cerveau. Je pourrais plaisanter sur ce sujet s’il ne m’inquiétait pas. Oui, ils ont un  cerveau. Mal construit, mais ils en ont un. Et leur cerveau les empêche de voir que la production agricole sur leur circonscription est liée à la production alimentaire mondiale. Ils n’ont plus conscience que le CETA qu’ils votent  va à l’encontre des intérêts de leurs électeurs. Ils n’ont plus conscience des conséquences de leur vote.

Ils n’ont plus conscience, non plus, que l’agriculteur du village voisin en a conscience parce que, lui, les cours mondiaux et la mondialisation, c’est sa survie. Lui, il sait que la décision prise sur une carte à toute petite échelle va l’appauvrir, voire le ruiner. Et donc, il regimbe.

Le député qui regarde sa permanence taguée se saisit des éléments de langage fournis par les chefs : violence, dictature, refus de la démocratie. C’est plus simple que ça. En autorisant aux autres ce que tu m’interdis, tu me livres à eux, pieds et poings liés. Tu me détruis. Et je ne vais pas te laisser faire. Parce que détruire ses électeurs, ce n’est pas vraiment la définition de la démocratie.

Oui, dit le député, mais en signant ce traité, je vais améliorer la vie des autres, ceux qui ne produisent pas. Je vais améliorer leur pouvoir d’achat.

C’est possible. Ce faisant, tu divises ton peuple en deux : ceux qu’on aide et ceux qu’on détruit. Et tu choisis ce que tu détruis. Est ce cela la démocratie ? Est ce cela la bienveillance ? Et n’étant pas bienveillant, ne viens pas nous parler de réciprocité parce qu’on baigne dedans : le bonhomme qui détruit ta permanence fait exactement la même chose que toi : il s’attaque à ton outil de travail.

La géopolitique, c’est ça : comparer des échelles. Et comparer correctement les signes. Montesquieu, à propos de l’Espagne distinguait soigneusement la richesse « naturelle » qui correspond aux biens produits et la richesse « signe », l’or et l’argent qui sont simplement un signe de richesse qui ne correspond à rien de réel. A les mélanger, on risque le retour de bâton, comme dans l’Espagne du Grand Siècle. Plus que jamais, nous vivons dans l’empire des signes.

Et donc, petits députés aux yeux collés de sécrétions nocturnes, personne ne va vous plaindre. Vous avez une responsabilité et ceux qui taguent ou détruisent vos permanences viennent vous la rappeler : améliorer la vie de ceux qui votent pour vous. Si vous n’en êtes pas capables, ne vous plaignez pas.

Ne serait ce que parce que, dans le même temps, vous préparez la vente de nos barrages, ce qui revient à ôter la possibilité d’irrigation à ceux qui vont en avoir besoin.


C’est de l’acharnement. Dites le clairement que vous rejetez l’agriculture. On vous laissera au moins le bénéfice de la franchise.

lundi 29 juillet 2019

LES KANGOUROUS DE STRABON

 L’historien amateur qu’est le généalogiste devrait être en permanence à la table des Tontons Flingueurs et, face à ses tableaux et ses données plus ou moins organisées, ne pas hésiter à se dire « Y’en a aussi ».Des Bretons ? y’en a aussi. Des Savoyards ? y’en a aussi…et des Catalans, des Alsaciens, des Italiens, des Juifs, des Wisigoths. Si on n’en a pas dans le tableau, c’est qu’on ne les a pas encore trouvés. On ne les trouvera peut-être jamais : remonter au delà du XVIIeme siècle est une tâche ardue. Mais ils sont là : les Berbères d’Al-Mansour remontant vers Poitiers, les mercenaires suisses, les Normands pénétrant toute la côte atlantique, les soudards des Grandes Compagnies, les pèlerins de St Jacques, les maçons et tailleurs de pierre en quête de labeur, les temps anciens étaient des temps de migrations et il ferait beau voir que les mélanges n’aient jamais existé.Il n’est pas de lignée pure, de langue pure, de peuple pur, de race pure. Faut-il encore le rappeler ?

Le généalogiste fait parfois penser à ces griots africains que les puissants engagent pour chanter l’histoire de leur famille : quel que soit le commanditaire, il se retrouve rapidement héritier d’une lignée glorieuse. Et le plus souvent pure. Exeunt les viols, les esclaves, les marchands peu scrupuleux, les enfants naturels…
Le généalogiste rêve de se retrouver une ascendance de haut lignage, met en évidence la moindre particule et oublie que le « de » qui précède le nom de son ancêtre journalier agricole ne signifie que son appartenance, parfois quasi-servile, à une maison. Les curés qui tiennent les registres ne s’y trompent pas : quand la particule est bonne, ils le précisent : « en présence de noble Pierre de… » On n’a jamais mélangé dans la société française, même quand la mixité est patente. Quand l’enfant est né de père inconnu, cherchez le parrain et vous trouverez souvent le bourgeois chez lequel la mère célibataire est servante. On se rattrape comme on peut.

Je me garderai bien de tirer des leçons générales de ce travail encore bien incomplet. Et pourtant, il y a à dire. Trois siècles de familles enracinées dans ce qu’on appelle le Bas-Adour maritime. Zone de contact avec le monde par le port de Bayonne, couloir de passage vers la proche Espagne, ville de garnison où la moindre alerte fait affluer les troupes et croître le nombre d’enfants nés de pères inconnus (Courier le disait avec élégance : « Nos soldats détroussent les hommes et troussent leurs femmes » et il s’agissait de l’armée napoléonienne dont la réputation n’est pas si mauvaise). Bien sûr, il y a quelques réussites : l’échevin d’une bourgade, l’homme de confiance de François Cabarrus (le veinard, il a du connaître Madame Tallien jeune), un ou deux chirurgiens de marine (au cœur du Béarn, pourquoi pas ?). Il y a surtout des laboureurs, des marchands, des artisans, tout un petit peuple besogneux et vraisemblablement peu sympathique. Des laboureurs obsédés par l’agrandissement de leur lopin, des marchands qui truquaient leur balance. Parfois, je distingue un individu qui me sourit à travers le temps comme cette Marguerite Monguillot, cabaretière à Came et dont les deux sœurs pondent à elles deux une bonne dizaine d’enfants naturels. On devait se marrer chez Marguerite et je suis fier d’avoir de ses gènes. Plus que de l’échevin parpaillot qui se prenait pour l’héritier naturel de Calvin.

Zone de contact aussi entre deux cultures, basque et latine. Aujourd’hui, on dit gascon mais le sens est le même, il s’agit toujours d’opposer les héritiers de Rome et l’inculte des montagnes. Roger Collins dans son livre sur les Basques remarque que, dans les archives de Navarre, lorsque le scribe transcrit, dans un texte roman, un nom ou une expression basque, il le fait suivre de la phrase « rustico dicut », comme disent les paysans. Je dirais : comme disent les vaincus, car, à travers la langue, c’est le vainqueur qui parle.

Le sujet est toujours d’actualité et il ouvre quelques intéressantes perspectives. Une large partie de l’histoire du Bas-Adour s’écrit encore aujourd’hui sous la dictée de René Cuzacq, professeur agrégé (en province, ça pose toujours) et héritier de l’école historique française la plus conservatrice. Je suis bien placé pour connaître les ravages que fit Cuzacq : mon père fut son élève et l’homme qui crut m’initier à l’histoire est son héritier spirituel. Mon vieux professeur est toujours vivant et c’est sans doute l’un des pires historiens qui aient sévi à Bayonne. Toutefois, Cuzacq n’avait rien inventé et il se contentait de moudre le même grain que ses prédécesseurs directs. En gros, il s’agit de prouver la supériorité évidente de la romanité (et de la ville, car la romanité, c’est toujours l’urbs) sur les autres peuples. Dans son Histoire de Bayonne au XIIIeme siècle, Eugène Goyheneche note, avec quelque perversité, que les Basques qui réussissent à atteindre des postes élevés, « gasconisent » leur nom. Avec perversité, car l’idée sous-jacente est que l’accès au sommet va de pair avec la honte des origines. Se gasconiser, c’est atteindre la romanité en accédant à l’élite. Plus près de nous, Esteban de Zilueta connut la notoriété sous le vocable francisé de Silhouette, seul nom propre basque a être devenu un nom commun français.

Naturellement, Goyheneche injecte de l’idéologie dans un problème simple, presque trivial, un problème auquel, justement, les généalogistes du Bas-Adour sont régulièrement confrontés. L’idéologie, républicaine et mallet-isaaquienne en diable, c’est que la France, la vraie, la pure, celle qui s’oppose aux Prussiens, est et ne peut être que romaine, ou plus exactement gallo-romaine. L’Europe y acquiert une lisibilité exceptionnelle : Bismarck est le Germain et Gambetta le Gallo-romain. Le Basque est un furoncle, d’autant que les zélateurs de la basquitude, comme Augustin Chaho, sont nettement progressistes. Ceci permet toutes les manipulations : Cuzacq parle de l’attaque de Bayonne « par les Basques » alors qu’il s’agit des troupes du roi de Navarre, par ailleurs comte de Champagne. Dynastie française qui s’est empressée de massacrer les nobles basques à Pampelune, précipitant les survivants de la noblesse basque dans les bras du roi de Castille. On trouve plus pur comme Basques…

La réalité, c’est que la langue basque se prête mal à l’écriture. Des diphtongaisons impensables pour un latin, des paires de consonnes jamais vues comme ces tz en finale, des redoublements de consonnes, le secrétaire de base ou le curé de paroisse formé à la calligraphie des langues romanes ne peut pas s’en sortir. Alors, il bricole et Jean d’Armendaritz devient d’abord Darmendarry, puis Darmendrail. Le Y est assez chic et il permet de rendre de nombreuses diphtongues, parfois de façon abusive, y compris dans le nom de la ville de Bayonne qui devrait se prononcer comme « rayonne ». Il est vrai que dans ce cas, nous sommes dans une triphtongue A-I-O qui a peu d’équivalents dans les langues romanes. D’où le bricolage. Déduire quoi que ce soit de ce bricolage est pour le moins abusif. Il ne faut pas être grand linguiste pour débusquer le patronyme basque sous le vernis roman et cette famille Sarrabere de Salies-de-Béarn est tout simplement un lignage Salabehere venu du pays de Mixe voisin où sala désigne la maison et behere veut dire en dessous. Nous sommes ici chez de petites gens, bien loin du cas de figure évoqué par Goyheneche. Partout, les Laxalt deviennent Latchague, les Muscarditz Mouscardès et ainsi de suite. Et que dire du comte de Tréville, cher à Alexandre Dumas ? Qui, à la cour de Louis XIII, pouvait prononcer correctement son nom : Hiriberri ? Francisons, c’est plus simple mais quand le capitaine des Mousquetaires du Roi se fait peindre par Claude Lorrain, ce n’est pas une épée qu’il arbore, mais un makila. Honte des origines ?

Le bricolage de l’écrit est une réalité ordinaire dans une société qui le maîtrise mal. Encore tous ces à peu-près datent-ils de siècles tardifs, le XVIIème ou le XVIIIème, où l’écriture se généralise avec l’usage du papier. On peut imaginer que les siècles antérieurs bricolaient aussi mais pas avec les noms des laboureurs. Sauf pour consigner éventuellement leurs dettes.
Mais ceci pose un problème de méthode historique. L’écrit est le matériau de base de l’étude historique, la pierre de touche de la méthode. Même bricolé ? Même bricolé et on doit s’y arrêter. Il ne faut pas penser que les historiens sont des naïfs mais enfin tout homme qui écrit triche et il trichera d’autant plus volontiers que peu sauront le lire. Il trichera d’autant plus volontiers qu’il sera payé pour le faire. Sauf que ça, les intellectuels le cachent : admettre que l’intellectuel d’antan pouvait être stipendié revient à admettre que celui d’aujourd’hui peut l’être aussi. Rassurons nous : il l’est.

On admet généralement que la voie de l’écrit est la voie royale de l’Histoire, archéologie y incluse puisqu’elle privilégie les inscriptions et belles-lettres. On peut critiquer l’écrit, lui opposer d’autres écrits, il reste la pierre angulaire. Retournons aux textes… ou, comme j’ai pu le lire « aux monuments de l’Antiquité ». C’est un vrai problème : enlevez le texte et vous enlevez l’Histoire (en tant que discipline) Bon, me souffle mon vieil ami Cassandre, il reste l’archéologie. Oui. Quand il en reste.

Revenons au bas-Adour pour y faire un peu d’histoire. Temps préhistoriques : pas mieux documenté qu’ailleurs et on rapprochera dans un raccourci fulgurant la Vénus de Brassempouy et les grottes d’Isturits. En fait, je raccourcis parce que ça m’ennuie mais je me suis promené d’Isturits à Altamira en passant par Santimanine et tout ceci se ressemble fort. Des gens accrochés à leurs abris sous roche et commençant à inventer quelque chose qui ressemble à la fois à une société et à une culture.

Première absence archéologique ébouriffante : quasiment pas de sites de l’Age du Fer. Une mine d’or gauloise à Itxassou, une pirogue monoxyle à Bayonne, bref, trois fois rien. Naturellement, c’est impossible : l’Europe était majoritairement celte, ça migrait dans tous les sens…sauf au Pays basque et dans le bas-Adour puisqu’on n’y a rien trouvé. Ajoutons qu’on n’a pas beaucoup cherché. Pour simplifier, les histoires officielles (il y en a deux, forcément, celle des vainqueurs et celle des vaincus) nous offrent deux versions, deux histoires. Les héritiers de Rome font commencer notre histoire à la conquête de Crassus, en 56 av. J.-C., tout en admettant l’existence d’un peuple vascon antérieur cité par Strabon. Les tenants de la basquitude s’offrent une origine néolithique, y ancrent leur singularité (prouvée par Strabon) et font de Crassus le premier colonisateur du Pays basque. Je caricature à peine.

Le premier explorateur anglais qui vit en Australie de gros animaux sauter sur leurs pattes postérieures interrogea un aborigène pour connaître leur nom : « kangarou » répondit le petit homme ce qui, dans son dialecte, signifiait « je ne sais pas ». Assuré de la pertinence de sa question, le valeureux Occidental fit de la réponse incertaine une dénomination certaine. L’anecdote, rapportée par Stephen Gould, prouve du moins une chose : il ne faut jamais croire les voyageurs. Ils n’ont aucune légitimité mais ils ne l’admettent pas.

Bien installé à Rome, Strabon a bâti sur les récits des voyageurs une Géographie qui fait encore autorité quand on traite du monde antique. Mais Strabon a accumulé les kangourous et sa compilation n’est en rien fiable. Juste un exemple, un seul mais ô combien révélateur. Strabon écrit que les Pyrénées sont orientées nord-sud (Cette montagne, en effet, s'étend du S. au N. en forme de chaîne continue et sépare la Celtique de l'Ibérie). Or, au début de notre ère, les quatre points cardinaux étaient connus. Quiconque remonte la vallée de l’Ebre voit bien qu’il chemine parallèlement aux Pyrénées et que, le soir venant, il marche droit sur le couchant. Si on peut hésiter quant à l’orientation de nombreuses chaînes de montagne, pour les Pyrénées, longées par la voie romaine qui conduit de Tarragone à Oiasso par Saragosse et Calahorra, voie romaine orientée est-ouest, c’est tout simplement impossible. A cette grossière erreur, il n’y a que deux explications : soit les voyageurs ont raconté n’importe quoi, soit Strabon avait dans sa tête une idée préfabriquée du monde antique et il a orienté les Pyrénées comme ça l’arrangeait. Qu’on lui ait raconté n’importe quoi est patent dans cette phrase délicieuse : La région septentrionale, qui a déjà le double inconvénient d'un sol très âpre et d'un climat extrêmement froid, doit encore à sa situation le long de l'Océan d'être absolument privée de relations et de communications avec les autres contrées, aussi n'imagine-t-on pas de séjour plus misérable. Même en admettant que cette partie septentrionale soit le Portugal au « sol très âpre », la notation sur le climat est quand même excessive. Quant aux communications, j’y reviendrai.

Je n’aurais rien contre Strabon s’il n’était universellement tenu pour une autorité, y compris en matière historique. C’est qu’il a nommé, pour la première fois, les peuples de la côte atlantique. Je comprends sous cette dénomination les différents peuples qui bordent le côté oriental de l'Ibérie jusqu'au pays des Vascons et au Mont Pyréné, à savoir les Callaïques, les Astures et les Cantabres, qui ont tous en effet une manière de vivre uniforme : je pourrais sans doute faire la liste de ces peuples plus longue, mais je n'en ai pas le courage et je recule, je l'avoue, devant l'ennui d'une transcription pareille, n'imaginant pas d'ailleurs que personne puisse trouver du plaisir à entendre des noms comme ceux des Pleutaures, des Bardyètes, des Allobriges et d'autres moins harmonieux et moins connus encore.

Que de peuples !!! Mais il est vrai que Strabon va au plus court. Pline l’Ancien les accumule : les Bursaonenses, les Calaguritans, surnommés Fibularenses, les Camplutenses, les Carenses, les Cincenses, les Cortonenses, les Damanitans, les Larnenses, les Lursenses, les Ispalenses, les Lumbéritans, les Lacétans, les Lubienses, les Pompelonenses, les Segienses…les Vardules mènent quatorze peuples, parmi lesquels il suffit de nommer les Albanenses. Diable !! en voilà bien des peuples. Et on ne tiendra pas compte de Ptolémée qui en rajoute une petite dizaine d’autres. Je suspecte fort la présence d’un troupeau de kangourous.

Nos géographes compilaient, gentiment installés dans leurs villas romaines. Quelle était leur matière ? Les confrères d’abord, les voyageurs, les militaires… Laissons-les sur les bords du Tibre et allons nous promener sur le terrain. De l’Adour au Minho, sur tout le versant atlantique, nous verrons la même chose : des collines assez bien différenciées par des vallées marquées. Souvent (à Agurain, à Vitoria) une forme ellipsoïdale. Les habitats occupent ces hauteurs. Si les traces fortifiées sont généralement au sommet de l’éminence ou de l’épaulement, le sanctuaire est très souvent dans la vallée au bord de la rivière. C’est en Galice, avec les castros, que ce type d’occupation est le plus net et le mieux conservé. Mais sur toute l’Espagne atlantique on retrouve la présence de cet habitat nucléaire. J’imagine le voyageur romain débarquant dans un de ces bourgs et demandant le nom du peuple. En admettant que « vardula » ne signifie pas  « je ne comprends pas » (syndrome du kangourou), notre informateur obtenait le nom d’un regroupement de quelques villages ligués pour exploiter de concert les landes et pâturages à l’entour. Rien d’étonnant à cela : le monde antique, romain surtout, est un monde de la cité-nation ou de la cité-peuple. L’assimilation du peuple et de la ville y est la règle. On le voit avec les Pompelonenses ou les Calaguritans de Pline. Les habitants de Pampelune et de Calahorra ont bien le statut de peuple. Une cité, un peuple….. On a beau jeu ensuite de tracer des frontières et de chercher des nations.

Tout ceci serait drôle si, depuis près de deux siècles, les historiens ne se jetaient à la figure Vardules et Bardyètes au motif de déterminer la place et l’origine des Vascons selon qu’ils veulent en faire les racines des Basques ou les ancêtres des Gascons. On se dispute gravement pour savoir si le Oiasso de Ptolémée est Oyarzun ou Irun : les linguistes excipent du O initial mais les archéologues ont des ruines à Irun. Le poids des textes est tel que tous s’y accrochent, les dissèquent, les utilisent en refusant de voir qu’il s’agit d’un troupeau de kangourous.

Mais si nous rejetons les textes, que nous reste t-il ?

Le terrain. Et se dessine ici une autre opposition car les termes vont deux à deux : les textes sont ceux des vainqueurs, on l’a dit. Le terrain appartient encore aux vaincus. Les zélateurs de la romanité privilégient les textes et la ville où ils voient la civilisation. La ville offre un autre avantage : l’urbanisation romaine a gommé les traces plus anciennes et on peut avoir le sentiment que l’Histoire commence avec Rome. Certes, parfois, surgit une trace antérieure et les fouilles de la cathédrale de Vitoria mettent au jour un trésor celte. Il est rare que ces signes soient pris en compte. Notre vision de l’Histoire s’enracine encore dans le XIXème s. pour qui un peuple  était une nation, pas une ville. Toutes les cartes de l’Europe ancienne que j’ai pu voir étaient gorgées de frontières délimitant des territoires : vision moderne, trop moderne. On peut douter que les Vardules avaient des douaniers.

Nos historiens n’aiment pas critiquer leurs textes car ils n’ont rien d’autre. Refuser le texte, c’est anéantir leur substrat. Regardons l’Itinéraire d’Antonin. Il fait passer la voie romaine de Bordeaux à Astorga par Immus Pyraeneus, petite garnison proche de Saint-Jean Pied de Port et relativement bien conservée. Et, de là, vers Roncevaux. Aubaine pour l’historien qui relie d’un coup Antonin et Charlemagne. A moins de 50 kilomètres, il y a Lapurdum, siège de la cohorte de Novempopulanie selon la Notitia. Lapurdum et son castrum, ses remparts qui enserrent quatre hectares, son port encore visible. Lapurdum dont on peut estimer la population à 2000 ou 3000 habitants puisqu’une cohorte est constituée de 500 soldats. On admet donc sans barguigner qu’un itinéraire important passera plus volontiers par une garnison mineure que par une grande ville, par un col difficile que le long d’une côte sans accidents de terrain majeur. C’est vraiment prendre les Romains pour des demeurés ou des masochistes. Oui, mais il y a aussi la Table de Peutinger qui montre une voie reliant Dax à Pampelune en droite ligne et de là à Oiasso. Lapurdum n’y figure pas, la côte est désespérément vide. La Table confirme l’Itinéraire. Et alors ? Rien ne prouve que l’Itinéraire (IIIeme s.) ne soit pas l’une des sources de la Table (XIIeme s.) auquel cas les concordances sont normales et ne prouvent rien.

Le long de la côte, il n’est pas de voie romaine importante, ni dans les textes, ni sur le terrain, à l’exception d’un tronçon dans la montagne, près d’Ainhoa, ou un autre non loin de Zerain, vers le tunnel de San Adrian. Mais qui peut croire que rien ne reliait Lapurdum et Oiasso, deux ports suffisamment importants pour être cités par Ptolémée ? Le cabotage (qui pourrait être une réponse) est-il suffisamment sûr, souple et efficace ? Surtout que l’embouchure de l’Adour se trouvait beaucoup plus au nord. Le temps que les vaisseaux atteignent la mer, un piéton était dèjà à Irun. La vraisemblance veut qu’il n’y ait PLUS de voie romaine car le terrain parle et le terrain nous dit le grand axe de communications.

Ces incohérences entre les textes et le terrain sont plutôt gênantes. Elles jettent un doute sur les bases mêmes de l’historiographie qui s’est appuyée pendant au moins deux siècles sur les textes seuls. Ces incohérences ont servi de substrat à des idéologies concurrentes, à des visions déformées. Le Pays basque et le Bas-Adour du début de notre ère semblent toujours le théâtre d’une lutte, d’une opposition structurale entre deux sociétés qui s’exprime aujourd’hui encore dans la plus sotte question qui soit : Bayonne est-elle une ville basque ?

Cette question a été suscitée par les historiens antiquisants du XIXème s. qui, il faut le souligner, sévissaient dans les deux camps. Les uns ont cherché à faire dire le plus possible à leur faible corpus, les autres ont puisé leurs arguments dans la faiblesse même de ce corpus.

Pour les uns, la conquête romaine est venue apporter la civilisation dans un monde de brutes, pour les autres, un peuple fier s’est replié dans ses montagnes pour n’avoir pas à subir le joug de l’envahisseur. Pour les uns, Bayonne est basque par droit de la terre, pour les autres, elle est romaine par droit de conquête. Naturellement, tout le monde se trompe mais les lectures ainsi proposées ont le mérite de la clarté et qui en adopte une voit s’éclairer l’Histoire.

Le généalogiste est, plus que tout autre, menacé par de telles visions. D’abord parce qu’il perd vite conscience qu’il est seulement un historien amateur. S’il avait la chance de remonter un peu plus haut que la fin de la Renaissance, les textes le ramèneraient bien vite à la réalité car on ne s’improvise pas paléographe. Mais surtout parce que ses arbres, aussi touffus, aussi ramifiés soient-ils, sont de simples phylogénies où l’important est le patronyme. Patatras ! en remontant dans le temps, le patronyme perd de son importance, surtout en Bas-Adour où, plus que dans le reste de l’Aquitaine, le nom porté est plus souvent celui de la maison que celui du père. Encore au XVIIIème s., dans le Duché de Gramont, c’est la maison qui fait l’homme et on est « de Flament » ou « de Nabarroy ». Mais tout ceci, Anne Zink l’a montré dans son ouvrage L’Héritier de la Maison. Assumons que tous ceux que l’Histoire intéresse l’ont lu.

Ces généalogies que l’on bâtit pour l’époque moderne (les Temps modernes, rappelons-le, commencent à la fin du XVIème s. et durent jusqu’à la Première Guerre Mondiale) sont édifiées sur un substrat social et géographique. Sans succomber au finalisme, il faut bien admettre que le fonctionnement des échanges dépend largement du terrain et que, dans ces échanges, il y a aussi les échanges matrimoniaux. Lorsqu’on parle de terrain, il ne s’agit pas seulement de géomorphologie mais aussi de gestion du sol, c’est à dire de possession, de cultures, de religions.

A l’époque moderne, le Bas-Adour est le domaine des Gramont. Ils sont princes souverains de Bidache, comtes de Guiche, ducs de Gramont. Ils sont, pratiquement sans discontinuer, gouverneurs de Bayonne pendant deux siècles. Ils sont liés à toute la noblesse régionale, y compris la noblesse basque (qui existe, n’en déplaise à un mythe largement véhiculé). Mais ils sont aussi de Navarre, installés depuis au moins le XIIIeme siècle par la volonté du roi sur ces terres septentrionales qui font face à la fois au Royaume de Béarn et aux terres anglaises, puis françaises. Au bout de la Merindad d’Ultrapuertos que nous nommons aujourd’hui Basse-Navarre, les Gramont veillent pour leur roi. Peut-on, un instant, imaginer que sur leurs terres toute trace de Navarre ait été effacée ? Quand on parle des Gramont, on pense volontiers au Guiche du Cyrano de Rostand en oubliant qu’il est l’héritier des ricombres de Navarre. Il n’y a pas de Pyrénées bien avant Louis XIV. Au XIIIème siècle la voie romaine continue à unir Pampelune à St-Jean-Pied-de-Port et Bidache et la loi salique n’existe pas en Navarre. Même si Gramont évoque de fort belles pages de l’Histoire de France, pour travailler sur les terres de Gramont, on a intérêt à revoir son historiographie : ces Navarrais ne fonctionnent pas comme des Français.

A l’époque moderne, nous avons des sources mais la farce est jouée car les sociétés se sont un peu structurées. Dans le creuset, le mélange se refroidit. Bonheur de l’historien, même amateur, qui n’aime rien tant que les situations un peu figées. Et renaît la querelle entre branches basque et gasconne comme si on pouvait identifier les brindilles d’un même buisson.

Ceux qui ne savent pas lire les cartes, confondant les hommes et les palombes, affirmeront que le bas-Adour est une voie de passage nord-sud. Grossière erreur : c’est un carrefour où se rejoignent au moins quatre voies de migrations importantes.

Nord-Sud, c’est évident. C’est l’endroit où les Pyrénées sont tellement faciles à franchir que pour aller de France en Espagne, on passe un pont ce qui en dit long sur l’altitude de la montagne à cet endroit.

Est-Ouest, et plutôt deux fois qu’une. Une fois au sud, par la vallée de l’Ebre qui amène tout naturellement à la plaine de Pampelune (on dit « la conque », ça a plus d’allure). Une fois au nord, par le Piémont pyrénéen, route un peu plus complexe, mais tout aussi naturelle.

Et enfin, le long de la côte car les côtes, de tous temps, ont été des voies de passage pour les caboteurs et les pirates. Les Phéniciens partant chercher de l’étain en Cornouailles devaient faire halte au Pays basque.

Ils sont tous passés par là : Celtes, Phéniciens, Grecs, Romains, Alains, Suèves, Vandales, Wisigoths, Francs, Arabes, Vikings, tous ceux qui ont laissé une trace dans l’Histoire. Mais aussi les autres : au Moyen-Age, un maire de Bayonne s’appelle Van Oosterom, un nom qui fleure plus le hareng que le chipiron. Et pour être maire, il fallait bien être un bourgeois de la cité, pas un marchand de passage. Quant aux historiens qui s’émerveillent de trouver à Bayonne une cathédrale de style champenois, ils oublient tout simplement qu’à la fin du XIIème siècle l’héritière de Navarre épouse le comte de Champagne et que pour aller de Reims à Pampelune, le chemin passe par Bayonne. En nos siècles de migrations touristiques, limitées et codifiées, on oublie un peu vite que l’homme ancien était un voyageur et que d’immenses fortunes se sont édifiées sur les voies de passage. Et n’imaginons pas que tout allait lentement : en 1523, les habitants de Bayonne se plaignent que les habitants d’Ustaritz jettent dans la Nive d’importantes quantités de tiges de « blé d’Inde » (c’est à dire de maïs) qui s’accumulent contre les piles des ponts et menacent de les faire s’écrouler. 1523 ! Cortès a pénétré dans Mexico en 1520 et, avant cette date, le maïs était inconnu. Trois ans après, c’est déjà une nuisance dans la vallée de la Nive.


Bref, pendant des siècles, tout a bougé : les hommes, les marchandises, les idées. La langue aussi. On y a cherché toutes les origines et on les y a trouvées. C’est normal : elles y sont. Quand il faut échanger, converser, commercer, le vocabulaire s’enrichit vite. Nos familles se sont constituées sur ce bordel magnifique. Bien sûr, on peut toujours avoir la tentation du Café du Commerce et chercher des réponses univoques à des problèmes complexes. Quel bonheur pour l’imbécile de pouvoir se structurer par l’affirmation : nous sommes, nous venons de…., Nous venons de nos lacunes et de nos incertitudes : car la seule chose dont on soit sûr, c’est qu’avant l’ancêtre trouvé et dont on est si fier de faire sa racine, il y en avait un autre, et un autre encore avant, et des mélanges incertains, des guerres et des viols, tout ce qu’on ne sait pas, qu’on ne pourra jamais savoir. Ceci a un avantage : celui qui, dans le Bas-Adour, sur quelques notions récentes et peu assurées, affirme « je suis Basque » ou « je suis Gascon », celui là vous offre une certitude : c’est un con.

vendredi 26 juillet 2019

CARNAVAL D’ÉTÉ



Je vais encore me faire un gros tas d’ennemis. On est en plein dans les Fêtes de Bayonne et, grâce à Fesse de Bouc, je baigne dans les conneries et les idées fausses.

Les Fêtes de Bayonne ne sont pas du tout traditionnelles. Elles sont la forme nouvelle d’une vieille tradition carnavalesque. J’explique.

Au départ les fêtes traditionnelles sont le 2 mars, jour de la Fête de Saint Léon. Elles sont organisées par l’évêque avec messes, processions et pétales de roses. Pour être franc, on se fait copieusement chier. D’autant que l’évêque, les bistros ouverts toute la nuit, c’est pas trop sa tasse de thé. Ceci est juste une expression littéraire, vu que les bistros bayonnais du temps, ils pillaient pas les entrepôts de Lipton.

Et donc, une bande de joyeux drilles, dans les années 1930, créent des fêtes laïques. Et ils adoptent un modèle vieux comme Rabelais, le modèle du Carnaval où on inverse les valeurs.

Un exemple ? L’évêque, il faisait chanter l’antique cantique de Saint Léon : « O Léon, patron de Bayonne… ». On crée un cantique laïque autour de Léon, vendeur à la maison Velten et qui a la réputation d’un benêt. Il devient le « roi de Bayonne et des couillons ». Comprendre : le roi de tous ceux qui croient en Dieu et ses saints. Faire la fête est un acte politique que le Carnaval adoube en inversant les valeurs. D’emblée, le déguisement devient une obligation, surtout s’il vient renforcer l’inversion des valeurs ; les garçons s’habillent en filles et vice  versa. L’ouvrier se déguise en bourgeois. La musique envahit les rues. La fête d’hiver avait lieu en période de Carême, la fête d’été est une orgie de nourriture et de boissons. Rabelais a pris le pouvoir (relisez Bakhtine, il est très précis sur la chose).

En toute logique, les festivités épiscopales s’étiolent. Mais il faut un peu organiser la bacchanale estivale ce à quoi vont s’occuper pratiquement tous les maires. Souvenez vous des Pottoroak : « De notre maire, on est content, il veille sur nous comme une maman ».

Mais organiser le carnaval, c’est aller contre son ADN. Au début, l’aide est peu visible : les ateliers municipaux abritent la construction des chars du Corso, on installe des estrades pour les musiciens histoire de fixer un peu la foule. Les Fêtes ont du succès, l’emprise du Maire se justifie pour des raisons d’hygiène et de sécurité. D’autant que les Grenet, père et fils, préfèrent que leur peuple se déchaine dans les rues plutôt que dans les urnes.

Après… après, une communication subtile imposera une tenue unique, interdisant de facto les déguisements. Le Roi Léon deviendra une marionnette qui se réveille le matin à la Mairie, sur invitation sélective qui marque l’appropriation du Carnaval par la bourgeoisie politique triomphante. La musique enregistrée est omniprésente et Beyoncé que connaissent les septentrionaux se fait plus entendre que la musique locale, vu que les nouveaux carnavaliers ne parlent pas nos langues.

Après…après, les Fêtes sont devenus payantes, sauf pour les Bayonnais, oubliant les peuplades voisines qui les ont irriguées pendant cinquante ans de leur culture et qui méritent de ce fait la gratuité. On aurait pu doubler le prix pour les septentrionaux qui ont de toutes façons un budget transport-hébergement. On ne peut plus « nourrir les muges » de la Nive et il faut des campagnes anti-viol alors que fut un temps où tous étaient connus et personne n’ouvrait librement sa braguette.

Pour le dire simplement, la tradition culturelle carnavalesque s’estompe. A vouloir en faire un événement universel, les Fêtes ont perdu leur dimension territoriale. Certaines tentatives sont pathétiques comme la réalisation des cabezudos où se côtoient Michou Padrones, icône bayonnaise inoubliable et Didier Deschamps dont on se demande ce qu’il fait dans un Carnaval. Dans la logique carnavalesque, il fallait caricaturer le Maire pour bien marquer le temps où le respect est dans l‘influence. Ou, à tout le moins, l’Adjoint à la Culture, heureux d’une reconnaissance méritée quoique tardive.


C’est ça le Carnaval.

dimanche 21 juillet 2019

EUGENE KASPERSKY ET LA MODERNITÉ

Dans géopolitique, il y a GEO… La géopolitique a pour fondement la géographie. Pas la politique qui en est seulement un appendice. Mais voilà : tout le monde déteste la géographie et adore la politique. D’ailleurs, nous vivons dans le cyberespace, cette chose indéfinissable qui annihile la terre. Dans le cyberespace, pas de frontières, pas de montagnes, pas de détroit, en un mot aucune des contraintes liées au sol où nos pieds sont rivés.

Ha ouais ? Le héros du cyberespace, en ce moment, c’est Eugen Kaspersky. Vous connaissez son nom. Kaspersky, c’est le N° 1 mondial des antivirus. Il protège quelques millions d’ordinateurs et de réseaux dans le monde. Il a remplacé, plus ou moins, Symantec.

Et voilà que ça coince. Parce que Kaspersky, il accède au cyberespace            depuis ses bureaux de Moscou. Et Moscou, le saviez vous ? c’est en Russie. Du coup, Kaspersky revient dans ses frontières et est accusé de tous les maux de la terre. Le cyberespace n’est plus cet angélique espace détaché de toute contrainte où le commerce est libre. Ian Fleming revient et Jeff Bezos s’estompe ; la géographie reprend le pouvoir sur la politique.

Dans les faits, le cyberespace n’était édénique que parce qu’américain. Le paradis abritait les anges des GAFA. Kaspersky n’est qu’un symbole, le symbole de la prise de pouvoir des non-étatsuniens. Faut se mettre à leur place aux cow-boys. Déjà que les Chinois menaçaient les fabricants de matériel (Huawei versus Apple), si les Russes prennent le contrôle des logiciels, il leur reste plus rien. A peine les briques pour construire un mur le long du Rio Grande.

Dans leur idée, le cyberespace était une sorte de vaste plaine permettant aux Tuniques bleues d’envahir le monde. Et voilà qu’ils découvrent que le monde peut les envahir. Trump légifère à tout va, menace et tempete, les complotistes s’en donnent à cœur joie, le monde menace l’Amérique qui va avoir du mal à être great again.

Les journalistes s’indignent. Kaspersky est proche du pouvoir russe. Ben oui. Ça s’appelle l’oligarchie et ça marche aussi en Europe et en Amérique. Les journalistes, quand ils écrivent « oligarques », ça désigne toujours ceux qui vivent à l’est du Niémen. Comme s’il n’y avait pas d’oligarques en Europe !!!

La nouvelle, c’est que le cyberespace a des frontières. A vrai dire, on s’en doutait un peu. Même non tracées ou mal tracées, il y a toujours des frontières parce qu’il y a toujours de la matière. Le signal radio-électrique qui  apporte Internet à ton ordinateur ne peut pas t’atteindre sans émetteurs, sans serveurs et sans relais. On peut jouer avec les mots, parler de « cloud » pour faire croire qu’on vit dans les merveilleux nuages de Baudelaire. Dans les faits, le « cloud » c’est une accumulation de machines dont on sait que la consommation électrique est gigantesque et la contribution au changement climatique pas si innocente. Ces machines, elles sont physiquement quelque part. Planquées derrière des frontières. Le virtuel, c’est juste de la com’. Ces machines sont bien réelles, elles n’attendent que la visite des policiers qui contrôlent leur territoire. Policiers qui arrivent avec le propriétaire des machines, encadré, voire menotté pour lui apprendre qui est le patron.
Sur ses photos, Eugène Kaspersky a une bonne tête. Pas une tête à aimer qu’on lui passe les bracelets. Dans ses bureaux, à Moscou ou ailleurs, ses collaborateurs passent les frontières, invisibles mais réelles, pour comprendre comment fonctionne le web. Quand ils découvrent un détail qui signifie un fonctionnement hors-normes, ils rendent compte. C’est leur boulot. Et Eugène rend compte à son gouvernement. Comme le font les patrons de Google ou de  Facebook. Le cyberespace est le lieu où se confrontent les Nations.

J’ai lu plein de choses sur Eugène. Des banalités, des anecdotes. Une ville reste inconnue des enquêteurs : Tachkent. A Tachkent, capitale de l’Ouzbekistan, se trouve le centre de lutte contre le terrorisme de l’Organisation de Coopération de Shanghaï. On en a déjà parlé. C’est le lieu où tous les gouvernements impliqués surveillent les organisations terroristes de par le monde. Il y a notamment des Chinois et des Indiens, deux nationalités qui ont peu à prouver en matière d’informatique. Je suis prêt à parier ma chemise qu’Eugène a une équipe à Tachkent, une équipe russe qui bosse avec les autres nations. Une équipe qui surveille l’Iran comme le lait sur le feu. L’Iran et ses voisins. L’Iran et ses alliés. L’Iran et ses ennemis. Je suis prêt à parier que, lorsque Trump a accès à une information sensible, Poutine et Xi Jiping sont déjà au courant.

C’est ça qui rend les Ricains frénétiques : ils ont perdu le monopole de l’information. Le monopole de la manipulation. Comme, dans le même temps, ils ont perdu le monopole de la puissance militaire et le monopole du financement des nations en développement, il se rendent compte qu’ils sont à poil.

Trump n’a pas de bol. Il hérite d’une situation construite par Bush et Obama : voilà trente ans que Russes et Chinois coopèrent. Voilà trente ans que les informaticiens américains ont vendu leur pouvoir à d’autres nations. Ça a commencé avec IBM vendant sa division d’ordinateurs personnels à Lenovo. Pour Wall Street, c’était une bonne nouvelle. La Maison Blanche n’a rien vu venir.

Comme elle n’a rien vu venir quand ces nains de Français ont créé Airbus. Aujourd’hui, Boeing pleure et Trump hérite du bébé.

On a toujours tort de mépriser un adversaire.

J’aime bien Eugène Kaspersky.


Un dernier détail. Désireux de mettre à jour mes infos sur l’organisation de Shanghaï, je tape l’acronyme OCS sur Google. Me remontent alors des pages de résultats sur un service Orange répondant au dit acronyme. Résultats susceptibles de produire des clics rémunérés conformes aux objectifs de Google. Je connais la musique et donc je ruse. C’est ainsi que l’Amérique fonctionne. Changez votre forfait pour accéder à Netflix plutôt qu’apprendre.

mercredi 17 juillet 2019

LE CAMP DES SAINTS

1972…. Je viens d’ouvrir ma librairie, entièrement dédiée à la connaissance du monde, des autres peuples, des autres civilisations. J’ouvre des portes.

1972… Jean Raspail publie Le Camp des Saints, le premier livre à prévoir la destruction de notre civilisation par son engloutissement. Je regimbe, je m’oppose. Je ne suis pas dans le camp de Raspail. D’ailleurs, mes copains me le disent. Raspail est un « faf ». Pas moi.

Cinquante ans après. Je me suis planté.

Je me suis planté parce que je croyais à la valeur du savoir. Pour un libraire, c’est normal. Je ne voyais pas, tapi dans les cerveaux, le poids de la compassion et autres merdes divergentes., ces insupportables neuronophages qui détruisent le savoir au nom de pseudo-valeurs humanistes.

Je me suis planté parce que je ne me croyais pas enviable. J’avais des copains partout dans le monde, y compris dans le monde musulman. On était copains, on échangeait, on cherchait à se rapprocher, à partager une vision du monde. Angélisme ! Les fils de mes copains ne veulent pas partager une vision, ils veulent partager le monde.

Je me suis planté parce que je vivais ailleurs. Paris ne te donne pas le sens des valeurs. C’est un no man’s land, un lieu qui n’est à personne… Et donc à tout le monde. Tu n’as pas envie de protéger Paris.

Je me suis planté. Aujourd’hui, les fils de mes copains se drapent dans le drapeau algérien pour hurler « Nique la France » devant la caméra. Je me découvre, fils haï d’un territoire haï.

Les temps ont changé. Désormais, je suis une cible. J’ai encore quelques copains pour me dire qu’il ne faut pas généraliser, que quatre voyous sur Internet ne font pas un tsunami. La différence, c’est que je n’ai plus envie de les croire. La différence, c’est que, maintenant, j’ai peur.

Mon vieux JP croit me ramener à la raison en me disant que nous avons une responsabilité : nous sommes allés en Algérie. Ben non. Quand les troupes françaises débarquent, l’Algérie est une colonie de la Sublime Porte. Nous ne sommes pas allés en Algérie, mais en Turquie. Nous avons amenés l’Algérie à un point où elle a pu devenir indépendante et je ne me sens pas coupable de quoi que ce soit. Au contraire. Il me suffit d’imaginer l’Algérie, aujourd’hui, dirigée par Erdogan.

J’ai detesté Raspail, j’ai refusé de vendre son livre. J’ai eu tort.

Qui me saura gré de cet aveu ?




mardi 16 juillet 2019

BERTHE DE RUGY ET BOURBON-BÉRU

Je suis absolument stupéfait que personne n’ait mis en cause Madame de Rugy.

Elle est, à l’évidence, la seule responsable de ce désastre. J’imagine qu’elle avait son mot à dire sur les menus de l’Hôtel de Lassay. Elle occupe de hautes fonctions chez Gala. Je la soupçonne donc d’avoir voulu imposer la nouvelle doxa gastronomique, la nourriture de merde, exogène et pseudo-hygiéniste qui traine dans les pages « gastronomie » de ce genre de torchon.

Si les De Rugy avaient mangé normalement, des abats, du pot au feu, de la cuisine française traditionnelle basée sur le chou, le fayot et la sauce, personne n’aurait rien trouvé à redire. On ne traite pas le coq au vin comme le homard et personne ne peut trouver à redire sur un cassoulet, ni même sur un ris de veau financière.

De Rugy est puni de n’avoir pas été Bérurier. L’amour de Chirac pour la tête de veau était un avantage d’image. Pas un Français ne peut s’indigner ou s’opposer à la tête de veau.

Quant aux grands crus, leur choix était pitoyable. On ne sert pas de Rothschild. Quelques bouteilles de Conseillante auraient coûté plus cher, mais personne ne connaît La Conseillante. Le snobisme, ce n’est pas de servir des noms que tous connaissent. Le vrai snobisme, c’est savoir sortir des rails empruntés par la masse, y compris et surtout la masse des snobs. Les snobs discutent des mérites de Saint Emilion mais ignorent Pomerol. Préférer Gombaude ou Certans à Cheval Blanc.

De Rugy est puni de n’avoir pas laissé Berthe Bérurier décider des menus. Si Madame de Rugy avait intercalé des gras doubles ou des tripes à la mode de Caen avec des poulardes demi-deuil ou des hachis parmentier au chamangot, il n’ y aurait eu aucun scandale. Ce n’est pas moderne ? Les Français ne sont pas modernes et c’est une de leurs forces. Ce n’est pas hygiéniste ? Les Français crèvent d’excès ou d’intempérance et c’est une de leurs marques. Une marque qu’ils aiment.

Michel Delsol m’a raconté qu’il avait été invité à un petit déjeuner par le Comte de Paris et qu’à son arrivée, le maître d’hôtel l’avait prévenu « Monseigneur trempe ». Le prétendant au trône trempait ses tartines dans son café au lait comme n’importe quel Français. Un Bourbon peut être plus proche du peuple qu’un Rugy.

Je connais plein de gens qui ne trempent pas. Par pseudo-bonne éducation ou je ne sais trop quoi. Il est vrai qu’ils ne fréquentent pas les Bourbons. Ces derniers conservent les derniers débris de l’éducation française.

Mair pour ce faire, ils ne cherchent pas de conseils dans Gala. Ils sont authentiques.



LETTRE OUVERTE A MON NEVEU

Mon cher neveu,

Oui, je me suis énervé hier. La soirée était douce, le soleil déclinait et la salade de tomates de ta mère confinait à l’anthologie. C’était bien jusqu’à ce que tu exprimes ton plaisir à manger « des ribs ». Là, j’ai pété les plombs.

En une phrase, tu venais de faire exploser cette quiétude familiale. Nous n’avions plus rien à partager et tu exprimais crûment cette vérité : ton refus de nous parler. Tu n’avais rien à voir avec nous qui mangions des travers de porc, ces travers que notre lieu nomme « coustons ».

La langue, mon cher neveu, est ce qui nous lie. Ce code que nous pouvons partager. Tes ribs signifiaient ton rejet de ce partage, ton désir d’’extranéité. Si nous n’avons plus la langue en commun, que nous restera t’il ?

Tu voulais exprimer quoi ? J’ai mangé des ribs chez les trumpocompatibles alors que tu n’étais pas né. J’ai utilisé l’anglais lorsque j’ai organisé des colloques que j’ouvrais par un discours, non pas en anglais, mais en globish, sorte de pidgin que peuvent comprendre les boutiquiers ghanéens et les commerciaux népalais et que tu crois être de l'anglais alors que tu ne peux pas lire Shakespeare dans le texte

Mais là, sous les pins que le vent atlantique ployait avec grâce, ce ribs sonnait avec une vulgarité dont tu n’avais pas la moindre idée. Il ne te valorisait pas, il t’enfermait dans l’immonde cohorte de ceux qui croient que le vocabulaire des employés de Disney ou des fayots de Zuckerberg est une singularisation.

Nous aurions pu décider de parler anglais lors de ce dîner. Nous aurions pu décider d’abandonner notre langue française qui nous offre tant de possibilités, tant de subtilités et de références. Nous ne l’avons pas fait parce que nous sommes unis par la langue. Ton ribs, petit con, venait détruire cette union. Ton ribs nous disait ton désir de singularité que rien, ni ton cursus scolaire, ni ton travail, ne justifie. Tu ne veux pas être avec nous ? Exprime le plus clairement. Dis le. Même si tu ne possèdes pas les subtilités et les références.

Oui, le vieil oncle est un ringard qui appelle coustons, comme beaucoup de vieux régionalistes, ce que les influenceurs merdiques appellent des ribs. Le vieil oncle t’a vu ensuite améliorer la compréhension inutile de Minecraft chez un petit cousin qui a mieux à apprendre. Le vieil oncle a souri en comprenant que tu avais rejoint le bataillon de ceux qui détestent la langue, l’Histoire et veulent dissoudre la famille dans la bouillie épistémologique des cohortes vidéastes. Tu as enseigné sur Minecraft parce que tu es incapable de parler sur Rabelais.

Tu es mon neveu. Je t’aime mais tu ne sauras jamais à quel point je te méprise. Ce n’est pas incompatible


C’est ce que tu voulais…. Bouffe des ribs et masturbe toi avec un vocabulaire qui n’est pas le mien. En t’écoutant, finalement, j’étais fier d’être un vieux con. Ton vrai tonton, c’est pas moi, c’est Zuckerberg. C'est ton choix. J'ai le droit de le déplorer.

lundi 15 juillet 2019

LE MONDE DES FEIGNASSES

Nous sommes en 2007. Soumis à la pression ambiante, je mets au point, grâce à l’ami Fred, un site de vente en ligne pour les librairies de voyages. J’y mets toute mon expérience, tout mon savoir et toutes les heures nécessaires. Fred m’accompagne avec bienveillance, secoue  ses développeurs, jusqu’à ce que je sois satisfait du résultat. Le site est nommé meilleur site de cartographie en ligne par l’IMTA qui regroupe les producteurs de cartes du monde entier. Je suis content. Puis viré.

Un an après, MON site n’existe plus. Je m’énerve, je pars à la recherche d’une explication que je finis par avoir : mon successeur trouvait que la maintenance, c’était trop de travail. La maintenance consistait à vérifier, éventuellement à modifier, trente références par semaine. J’en avais créé douze  mille.

A cette occasion, j’ai compris. Nous avions basculé du monde du labeur au monde de la parole. Dans mon métier de libraire, j’avais perçu ce frémissement, voilà que je le touchais du doigt.

A mes débuts, quand un libraire avait à découvrir un sujet, il faisait comme n’importe quel thésard : la biblio. En ai-je passé des heures dans les boites à fiches de la BN, à rechercher des titres, à compiler des infos, à élaborer des listes, à vérifier des disponibilités. Encore avais je la chance d’être à Paris.

Après quoi, être spécialisé était facile. Nombre de mes chers confrères pouvaient sortir tous les livres marqués « Patagonie », si telle était la demande du client. Moi, je pouvais y ajouter Les Nomades de la Mer, de José Emperaire, seule étude sur les Indiens Alakaluf qui nomadisent en canoë entre les Chiloe et le Canal du Beagle. Neuf clients sur dix s’en foutaient. Le dixième m’embrassait.

Il fallait tout vérifier. Internet n’existait pas. Aujourd’hui, Internet existe et si tu tapes « Nomades de la mer » remontent plein d’informations sur les peuples d’Indonésie qui ont le même mode de vie. Peuples qui avaient une monographie publiée chez Blackwell dès les années 1960. C’était un travail normal de libraire : comprendre le sujet, identifier les livres, les mettre en stock, les proposer au client. Remettre les livres en perspective.

Autre exemple, moins rigolo. Arthus-Bertrand sort La Terre vue du ciel. Ce qui remonte en ma mémoire, c’est le même titre, publié chez Weber vers 1971, et signé Georg Gerster. Première info : Yann l’écolo est un plagiaire qui pond ses œufs dans le nid d’un autre. Seconde info : son éditeur n’a pas vraiment fait les recherches juridiques qui s’imposent. Il y a embrouille. Travail normal de libraire.

Une de mes vendeuses m’interroge : comment vous savez ? Facile. Le soir, je ne sors pas, je lis et mémorise des catalogues (Internet n’existait pas). Le dimanche, je visite les bouquinistes, je cours les ventes aux enchères. C’est le temps où La Découverte remplace Maspéro. Avec un bémol. De nombreuses réimpressions ne comportent pas l’atlas que possède l’originale. Ou un atlas tronqué. Je peux le dire au client : « Attention, il n’y a pas l’atlas ». Info de libraire. Libraire qui baigne quotidiennement dans le livre. Libraire qui bosse comme un libraire.

Et donc, oui, mon métier est devenu un métier de feignasses, comme la plupart. Déjà, t’as plus besoin de travailler ta mémoire. Google te remplace. Sauf que c’est pas vrai. Google est une mémoire de masse, pas une mémoire de l’exceptionnel. Google n’est pas fin.

Google enregistre des millions de données puis utilise des algorithmes pour les classer. Mais Google n’écrit pas l’algorithme. L’algorithme est écrit par un homme et reflète ce qu’est cet homme dont tu ignores tout et qui ignore tout de toi. Le boulot de ce mec est de plaire au plus grand nombre alors que tu es unique. Ça te convient ?

Ça te convient parce que tu es devenu fainéant. Ton expression favorite est : ça va le faire. Tu aimes l’à-peu-près, l’approximatif, le grosso-modo.

Et tous ceux qui veulent t’enfler (publicistes, politiques) le savent. Ils te parlent grosso modo parce que ça va le faire. Ils modifient les mots oubliant que « mal nommer, c’est ajouter à la misère du monde ». En fait, ils l’oublient pas, ils te le font oublier.

Et toi, tu fonces, plutôt que de vérifier. Tu crois que l’huile de palme menace les orangs-outans. Calmos. Des orangs-outans, il y en a dans tous les zoos du monde, sous-espèces comprises. L’espèce n’est menacée que dans la nature puisque son biotope disparaît. D’ailleurs, la Cites confirme l’inexistence de quotas. La bataille sur l’huile de palme est avant tout une bataille entre groupes industriels. Les grands singes n’ont rien à y faire. Ils sont là pour te manipuler mieux.

Vérifie !!!!


On en reparlera…

dimanche 14 juillet 2019

BERURIER

Mon premier compliment… La dame, elle a un joli prénom qui fleure le Couvent des Oiseaux…Un joli nom également qui évoque la tendre Normandie… On se frite gentiment parce qu’on n’a pas la même conception de la bouffe…. Elle me reprend : elle ne bouffe pas, elle dine… OK… Et après, elle doit déféquer et non pas chier. Elle mis sa distinction dans son vocabulaire… Elle finit par rendre les armes et me complimenter : je suis un Bérurier.

Quelle joie !!! Béru, c’est la France, ma France, ce pays qui boit du Pommard dans des verres en Arcopal sur des toiles cirées. Parce que le pinard, c’est fait pour boire, pas pour en parler avec des mots sucrés. D’ailleurs, Béru, qui est fin linguiste, ne boit pas les grands crus. Il les lichetrogne. Et après, il sort son grand mouchoir dégueulasse pour s’essuyer la bouche. Et c’est bien ainsi. Béru est fils du grand Rabelais. La dame doit préférer des auteurs plus délicats mais moins stylistes.

Béru, quand c’est bon, il bouffe, il éructe. Parfois, il gerbe. Mais il y retourne. Il sauce ses assiettes, il met les doigts, il baigne dans le bonheur le plus simple, celui de l’excès quand il est partagé. Raison pour laquelle j’ai toujours aimé Béru, Berthe la Baleine et leur goût pour les tripes, la tête de veau et le gâteau de foies blonds. La table est le lieu de la Grande Bouffe (faut faire culturel parfois) qui n’est autre que la Haute Bouffe. Le papa de Béru était le meilleur ami de Paul Bocuse qui n’était pas seulement un cuisinier de génie mais un maître de l’Histoire. Le papa de Béru était un maître de la langue. Respect.

Béru me renvoie chez ma marraine, Tante Marie, où le respect de la nourriture confinait à la dévotion cléricale. La préparation d’un repas dominical prenait deux à trois jours. Les légumes venaient du jardin ou du jardin voisin. Aucun produit ne parcourait plus de dix kilomètres, à l’exception de la vanille et autres suppléments exogènes. C’était toujours pareil ; entrées froides, entrées chaudes, poisson, viande et/ou volaille, salade, fromage, desserts. Si je calais, l’interrogation anxieuse : « Ça va pas Mounou, tu es malade ? » En fait, je calais jamais. J’étais jeune, il est vrai…

Tante Marie, elle m’a appris Escoffier et Alexandre Dumas. Elle ignorait qui ils étaient mais elle savait les recettes. Son rôti de boeuf sauce madère aurait fait pleurer le papa de d’Artagnan. Quant aux ris de veau…. Tante Marie distinguait. Elle mitonnait des garbures à tomber par terre mais c’était « pour tous les jours ». Les repas de fêtes jouaient dans une autre catégorie. La différence était dans l’assiette, pas dans les mots.

Un grand cuisinier, c’est ça. J’en connais peu, de ces gens capables de tisser des liens entre Brillat-Savarin et moi. Alain Darroze s’il voulait bien sortir de son régionalisme exacerbé. Christian Parra. Alain Pégouret qui cuisine des salicornes (tellement tendance !! avec des assiettes dressées façon Palais de Tokyo) mais capable de faire un oreiller de la Belle Aurore de 20 kilos. Pour moi, Bérurier, mais aussi pour Frédéric Dard, je sais bien ce qui compte. J’imagine les fumets qui s’échappent quand le couteau ouvre la pâte de la Belle Aurore. L’Histoire devient odeur. C’est rare.

Pour rester à aujourd’hui, je dirais que je condamne De Rugy pour ça. Instantanément je le compare au Président Herriot, le chantre de l’andouillette. Ce con a éliminé l’andouillette, les gras doubles et  les petits oiseaux flambés pour des homards même pas cuisinés ( Mediapart a oublié l’essentiel : la recette). Ce con utilise une histoire, la cuisine française, mais élimine la cuisine, celle du mitonné, du nappé, du complexe au profit d’une simplicité ridicule. Il est vrai que sa nana ne ressemble pas à Berthe Bérurier et, à mon avis, ça compte. Elle bouffe comme elle écrit. Pour Gala.

Elle n’est pas la seule.



LE BAC A ESCOS

C’est fini. Calmons nous. Posons les questions.

Plus de huit enfants sur dix peuvent ils accéder à l’Université ? Puis y faire un cursus complet ( Bac + 7) sans difficultés ? Poser la question, c’est y répondre.

Le bac a évolué sur une erreur de perspective, initiée par Jack Lang, qui voulait que 100% d’une classe d’âge ait le bac, faisant de ce dernier une arrivée ( la fin du secondaire) et non un départ puisque le bac est le premier diplôme universitaire. Rappelons que, lors de sa création, le jury était composé de professeurs d’Université qui jugeaient les élèves capables (ou non) d’étudier avec eux.

Voilà cinquante ans que cette dimension universitaire est tranquillement éradiquée, y compris par les enseignants du secondaire lesquels préfèrent juger des arrivées que donner des départs. Il est vrai qu’ils sont partie prenante dans un cas, pas dans l’autre.

L’erreur de perspective, comme souvent, est accident du regard. Ministres et corps enseignant étaient déjà focalisés sur les banlieues qui concentraient toute leur attention, en leur qualité de réceptacle de l’injustice sociale.

Dans mon lycée, il n’y avait pas de « quartier difficile » au sens Zepien du terme. C’était bien pire. Un bon tiers de mes condisciples étaient fils de paysans, élevés par des instituteurs remarquables dans des trous du cul du monde où on parlait plus volontiers le basque que le français, voire le patois gascon, tous boursiers ce qui n’était pas infamant, au contraire, et pratiquement tous internes car le transport scolaire était inexistant. La Nation payait pour former ses élites, au prix d’une sélection rigoureuse, j’ai failli écrire « sauvage ».

La plupart de mes copains ruraux ont été reçus dans un temps où un élève sur deux était collé.

Alors les arguments à la con sur la population des « quartiers » m’explosent de rire. Problèmes économiques ? Va voir le niveau de vie en Soule… Problèmes de culture ? Je l’ai dit, les parents de mes copains parlaient plus volontiers basque. Prenez la question par tous les bouts, les causes étaient les mêmes à Escos qu’à Sarcelles. Sauf que personne ne regardait Escos et sa population de bouseux condamnée par le Progrès. Ceci ayant conduit, in fine, au mouvement des Gilets jaunes. A refuser de regarder des pans entiers de la population, on s’expose à ne rien voir.

On ne regarde plus que par le mauvais bout de la lorgnette des statistiques. L’Etat se préoccupe de quantités, pas de qualité. Or, dans un pays, ce qui compte, ce n’est pas d’avoir TANT d’habitants, mais TELS habitants.

Mes copains de lycée, j’en ai retrouvé beaucoup. Dans la haute administration où ils pleurent de voir disparaître les valeurs qui ont conduit leur vie. Dans la recherche où leur expertise en matière de territoire pourrait être précieuse. Chez Total qui a vidé la région de ses cerveaux pour peupler ses plateformes pétrolières. Leurs enfants ne sont plus boursiers et étudient dans de grands lycées de grandes villes. Mais, en général, chacun sait d’où il vient. Il y a une mémoire du lieu. Pour la jouer linguiste, opposons la « campagne » au « bled ». C’est pas bien ce que je viens d’écrire.

Et je dois préciser. J’ai à nouveau pris Escos comme exemple. Parlons comme Blanquer : j’ai pris Escos en otage de ma réflexion.

Mais, Escos, avec ses cinq lettres vient facilement sous les doigts. Si j’avais choisi Alçay-Alçabéhéty-Sunharette, je me cassais le rythme de la phrase, la scansion. Escos est une facilité rythmique. J’en demande pardon à Monsieur Ducarme.


On en reparlera……

samedi 6 juillet 2019

INTEGRATION

Tout conduit à en parler. On dit « intégration » pour aller plus vite.. Le terme exact est « intégration des musulmans », mais ça, ça te conduit à l’islamophobie ce qui est pénal. Prudence….

Mais autour d’un plat d’araignées marinées, on peut causer. Dédé a son idée :

« Quand ils rentrent à l’école coranique, ils arrêtent le sport ». Dédé s’occupe d’un club sportif en quartier difficile.. Ce qu’il dit, c’est du vécu. On se récrie : « Mais ça n’a aucun rapport ».

Ben si. L’imam n’est pas idiot. Il sait que tout ce qui peut dévaloriser sa parole est négatif. Un gosse qui aura de bons résultats sportifs se construira autour du sport, pas autour du Coran. Alors l’imam ruse, modifie ses horaires, imbibe les parents.

C’est un bête fonctionnement sectaire. Ne pas laisser pénétrer une parole différente. Le discours doit être homogène, construit comme un blockhaus. Tout peut faire faille. L’imam vérifie. L’enseignement, c’est son boulot, même l’enseignement sportif. Le gamin qui a de bons résultats sur la pelouse du stade doit remercier Dieu, pas un coach qui ne se tourne jamais vers La Mecque. Et Dieu, c’est l’imam.

Guytou aussi a son idée. « De toutes façons, quand ils se blessent, on peut pas s’en occuper ». Ho ! t’exagères. Y’a pas de sourate contre les kinés. Tu crois ça, toi ? Guytou, il a une adjointe. Une kiné féminine. Interdit. Il est le seul à pouvoir manipuler les articulations mâles. C’est pas suffisant, forcément.

Ne faisons pas le catalogue, l’impossibilité de gérer la nourriture pendant le Ramadan, et même de participer à des compétitions pendant le saint mois avec des gosses déshydratés. Alors, les gamins, ils laissent tomber le sport. Je suis outré : « Mais ça les désocialise ! »

Je suis un piètre imbécile.. Non, ça induit un autre type de socialisation. Une socialisation sectaire. La secte prend tout en charge, ferme le groupe aux influences extérieures, toutes les influences.

Ainsi fonctionne (ou ne fonctionne pas) l’intégration. Je sais bien que l’islam est une religion, pas une secte. Je sais aussi que les dérives sectaires affectent toutes les religions, catholicisme inclus. Quand une religion s’enferme, elle devient une secte. Notre société est une société du mélange. On peut le déplorer, mais c’est comme ça. Nous offrons ce mélange aux citoyens de confession musulmane mais force est de constater qu’ils ne veulent pas du cadeau, en général. De nous, ils ne veulent rien et surtout pas notre modèle éducatif, fondé sur la mixité et la laïcité. L’imam considère l’entraineur de rugby comme un adversaire, pas comme un partenaire dans la construction d’un jeune garçon.


On na pas fini d’en reparler….