jeudi 26 décembre 2013

COMBATS DE COQS

Je n’aime pas les combats de coqs. Pourtant, je me battrais pour les défendre. Becs et ongles, je me battrais. Si j’ose dire…
Je le ferais parce que je suis libraire. Je le ferais parce que j’ai passé ma vie à essayer de transmettre du savoir, de l’histoire, de la connaissance et que les combats de coqs font partie de ce savoir. Ils ont à m’apprendre leur histoire, pourquoi ils passionnent certaines sociétés et laissent les autres indifférentes, comment ils se sont propagés et par qui. Ils ont à m’apprendre sur l’homme, mon semblable, mon frère. Même si je n’ai ni ses idées, ni sa culture, ni ses goûts, c’est avec lui que je partage le monde. Même Hitler ? Ben oui. Avec Hitler, j’aurais pu échanger : des mots, du sang, des organes, de la musique, des baffes. Avec un poulet, rien. Même si c’est un coq.

Ce poulet, il me fait penser aux poulets qui arrivaient de la ferme le samedi matin. La vieille Pascaline les attrapait, plouf ! sous le coude, et leur coupait la langue d’un geste précis. Le sang s’écoulait dans un bol, le volatile battait des ailes en éructant. C’est sûr qu’il devait dérouiller. Quand le bol était plein de sang, l’oiseau était mort. Bon à plumer pour le déjeuner du dimanche. Et pas que le déjeuner. Le dimanche matin, c’était le rituel de la sanquête. Le sang qui cuisait dans une poêle avec de l’ail et faisait une sorte de galette rougeâtre. C’était le petit déjeuner des hommes, avec moi, le plus petit, prioritaire. Beaucoup de sang, beaucoup d’ail pour me permettre de devenir un homme. Aujourd’hui, ceux qui veulent goûter la sanquête vont à Bordeaux, au restaurant La Tupiña. 20 euro, service non compris. La modernité, c’est le poulet électrocuté chez Père Dodu. C’est sûr qu’il bat plus des ailes en poussant des gloussements de douleur.

La sanquête, ça renvoie à pas mal de choses : l’idée que la manducation du sang, c’est bon pour les enfants, sang du poulet ou sang de l’ennemi, par exemple. Une vieille chose qui transite dans pas mal de communautés humaines, de l’Amazonie à la Gascogne. Ce poulet qui se vide de son sang me rapprochait, mais je ne le savais pas alors, de peuples autres, totalement différents mais avec lesquels, en tant qu’être humain, j’avais des choses à partager.

Il ne faut pas se tromper de combat et le seul qui vaille, c’est l’homme. OK, il est barbare, violent, égoïste, raciste, méchant. Moi aussi. Ça se voit pas parce que je fais des efforts, je me tempère, je me raisonne, je me lisse, je me police. Pas au point toutefois de m’émouvoir sur un poulet. Et surtout pas sur un coq trop maigre pour faire un coq au vin correct, ce qui est le cas de tous les coqs de combat. S’il y a un scandale, il est là : on tue des coqs trop maigres pour être bien cuisinés.

Je suis libraire. Au début de ma généalogie, il y a Gutenberg, Dolet, Elsevier, tous ceux qui depuis la fin du XVème siècle ont consacré leur vie, leur intelligence, leur énergie à transmettre du savoir, de la connaissance, de la rigueur. Pas de l’affect ou l’amour compassionnel et universel du poulet. Ceux qui ont privilégié et privilégieront toujours les boyaux de la tête contre la tripe du cœur.

Je suis libraire : les éditeurs m’inondent de carnets de voyages dégoulinants de bons sentiments, bondés d’enfants aux grands yeux qui font battre le cœur. Pas toujours comme dans la vie : la seule fois de ma vie où j’ai été braqué avec un couteau sur le bide, c’était à Bilbao, par deux petits Gitans aux grands yeux. Mon cœur battait. De trouille.

Je suis libraire : je suis inscrit dans une histoire, je sais que les livres du jour plongent leurs racines dans les livres d’hier et que mon travail consiste à démêler ces parentés, à retrouver ces cousinages, à séparer le bon grain de l’éternel et l’ivraie de l’obsolète. A trier, à sélectionner, à choisir, à censurer.

Censurer !! le mot est dit… Ben oui…Quand je refuse de vendre un livre pour un motif qui n’appartient qu’à moi, je censure. Même que des auteurs me l’ont dit, que je les censurais. J’assume. J’ai trop le respect de mes clients pour leur vendre des sous-merdes médiatisées. Je l’ai dit à ces mêmes auteurs, on a discuté de leurs livres, en général ils sont partis pas convaincus, ou convaincus que j’étais méprisant ou que je surestimais ma clientèle. Ce qui est exact. Un bon commerçant, c’est quelqu’un qui apprend de ses clients

Ben oui, quand je lis le travail d’un mec qui a passé vingt ans de sa vie à piocher un sujet, le journaleux qui croit avoir fait le tour de la question en trois semaines me fait rire. Au mieux. Le plus souvent me fait de la peine. Je suis libraire. Mon boulot, c’est de repérer les lacunes, les manques, les oublis. C’est comme ça qu’on peut vendre d’autres livres. Mon boulot, c’est de traquer l’insignifiance, les à-peu-près, la médiocrité que l’on devrait bannir du monde de l’imprimé, surtout aujourd’hui… Avec des gens qui avouent plus de cent titres au compteur quand Flaubert n'atteint pas la dizaine.

Mon boulot, c’est de savoir que si on baisse les yeux sur un livre, c’est pour mieux voir ce qui est au-dessus de sa tête.

On en reparlera…

PS : on ne dit pas « Gitans », on dit « gens du voyage ». Comme disait Coluche : « on ne dit pas Con, on dit Malcomprenant ».

PS2 : et le plaisir ? Le plaisir est dans la sélection…des livres, des amis, des femmes et des vins..

dimanche 22 décembre 2013

IL EST L’OR

Vous vous souvenez ? Montand réveillant De Funès dans La Folie des Grandeurs. Il est l’or…..

Nous y voilà… Il est l’or. Le poste essentiel du monde virtuel est lourdement menacé et ce poste, c’est le fric. On va pas refaire l’histoire économique depuis Bretton Woods mais quand même…Près de soixante ans qu’on vit sur une monnaie bidon imposée par les armes. Le dollar. Au départ, il devait être ce qu’est une monnaie : une contrepartie. Pour garantir sa valeur, les USA devaient garder des réserves d’or équivalant au montant des dollars en circulation. Mais vous savez ce que c’est ? On a besoin d’argent pour garantir la liberté du monde, alors la contrepartie…Et tout le monde approuve, parce que ça arrange tout le monde. Tout le monde a peur du communisme, alors tout le monde envoie son fric aux States, histoire d’aider le grand frère à nous protéger. Et tout le monde accepte que le grand frère s’endette. C’est pour le bien du monde libre, n’est-ce pas ?

Le résultat, c’est que les Ricains annoncent un stock d’or de 10 000 tonnes, soit un peu plus de 400 milliards de dollars au cours du jour. En face près de 20 000 milliards de dettes. Y’a comme un décalage.

Et donc, depuis la mort officielle de Bretton Woods, on vit dans un bain de fric qui ne correspond plus à rien. La monnaie n’est plus une contrepartie mais un bien en soi.

Heureusement, il y a la Chine. Depuis des années, l’Occident demande à la Chine de re-évaluer sa monnaie. Pourquoi faire ? disent les Chinois. Et surtout : évaluer par rapport à quoi ? Les autres monnaies s’apprécient par rapport au dollar qui, lui, s’apprécie par rapport à rien… Ça leur plait pas trop aux Chinois, c’est pas leur truc, y’a pas si longtemps qu’ils ont abandonné les lingots d’argent et les ligatures de sapèques du juge Ti. Et puis, le papier, c’est eux qui l’ont inventé, alors ils en savent la valeur..

Et donc, depuis des années, les Chinois stockent de l’or. Au début, on pensait que c’était pour les utilisations industrielles. Et puis quand même, ça faisait beaucoup. Aujourd’hui, ils en sont à racheter des mines chaque fois qu’ils peuvent. Tout le monde est d’accord : la Chine accumule l’or. Et ne dis rien sur ses réserves. Depuis des années, les Chinois annoncent la même quantité. Tous les analystes sont d’accord, le chiffre est faux. Mais de combien ? Là, c’est la bouteille à l’encre. Tiens, tu prends une société de droit français mais à capitalisation chinoise qui possède des mines d’or en Afrique. Les lingots qu’elle stocke, ils sont africains, français ou chinois ?

Le gouvernement chinois encourage le stockage d’or par les particuliers, c’est du stock chinois mais pas du stock d’Etat.

Ceci dit, on va savoir. Yi Gang, vice-gouverneur de la Banque Centrale de Chine, vient de le dire. « Nous ne sommes plus en faveur de l’accumulation de réserves de change ».

En clair : nous pouvons utiliser notre propre monnaie pour payer nos factures. Les économistes sont soulagés : le yuan va rentrer dans le système mondial, il va se réévaluer, la compétitivité chinoise va en prendre un coup.

Ha oui ? Hara-kiri, c’est japonais, pas chinois.. Le yuan va revenir dans un système mondial, mais pas dans celui-là, outrageusement injuste pour tout ce qui n’est pas dollar. Et donc, on va enfin savoir. Connaître le stock chinois, mais aussi le stock américain. La Chine n’a pas accumulé de l’or pour le plaisir. La partie va bientôt s’achever, les joueurs vont devoir faire tapis. Il va falloir revenir au matériel, qu’il y ait de l’or en face du papier. Un contrôle international. Montre des lingots, Barack. On compte et on dit combien vaut vraiment un dollar.

On n’est pas au cinéma et ça ne va pas se jouer comme ça. Les Chinois sont gavés de dollars. Ils peuvent accepter de perdre de la valeur, mais pas trop quand même. Le système économique leur convient, grosso modo. On va pas le détruire en deux coups les gros. Et donc, on va commencer par négocier sur le système. Ce faisant, la Chine montrera sa volonté de collaborer.

En face, les States peuvent tout simplement pas accepter que le système change. Ils se trouveraient ruinés en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. C’est valable pour toutes les puissances financières, notamment les banques assises sur des milliards de dollars planqués dans les paradis fiscaux. T’imagines ? T’as passé des années à accumuler des dollars bidons aux Iles Cayman et on te dit que ça vaut plus rien ?

Mais z’alors, les emplois détruits, les usines démembrées, les peuples à la ramasse, c’était pour du beurre ? Faut croire….

Parle de ça à des « responsables », tu vas voir comment tu vas te faire jeter. Meuh non !!! C’est pas possible !!!! C’est du délire !!!!

Fais comme moi. Pose ton cul et attends. Tu vas voir l’évolution, tranquillement. L’évolution ou la révolution. Parce que les States, ils ont compris que la partie allait s’achever. Ils y ont mis le temps, mais je crois que c’est fait. Ils ont aussi compris que, pendant qu’ils jouaient les matamores au Moyen-Orient, la Chine se renforçait. J’ai tendance à penser que les Diaoyu vont jouer leur rôle. C’est rien les Diaoyu, rien qu’un symbole. Les States vont-ils intervenir pour aider leur allié japonais ?

Dans tous les cas de figure, les USA vont finir à poil…. Il est l’or….

On en reparlera…

vendredi 20 décembre 2013

LE TERRITOIRE DU RUGBY ET CHABAL

Bon, faut pas exagérer. J’ai vu la video. Le mec d’Agen, il joue pas le ballon. Il essaye d’empêcher Chabal d’aller sur le regroupement, en l’attrapant par le maillot. L’autre l’oblige à lâcher… Sans délicatesse excessive, c’est vrai, mais il est dans son bon droit, on joue le ballon, pas le maillot. Mieux encore, il est dans l’esprit du rugby où les petites tricheries se payent comptant sur le terrain.

L’esprit du rugby…. Il en demeure des bribes qui font qu’on s’accroche, qu’on imagine, qu’on se souvient et qu’on rêve. L’esprit du rugby, c’est cette sorte d’étincelle prométhéenne qui va permettre à une équipe d’inverser un résultat dans les trois dernières minutes. L’esprit du rugby, c’est Cyrano…

Didier Deschamps, né dans une terre où les ballons ne sont pas ronds, a déclaré une fois qu’il avait abandonné le rugby quand il s’était aperçu que ses adversaires étaient plus grands que lui. Il était trop limité pour savoir que, de Caillou à Boniface, en passant par Mias et quelques autres, les petits gabarits avaient leur place dans leurs équipes.

Pourquoi ? Parce que ce sont des équipes. Avec toi, il y a autant de grands qu’en face. C’est pas toi qui compte, c’est l’ensemble. Un ensemble où il y a des gros qui percutent et des petits qui se faufilent. Un ensemble où un petit avec un grand pied marque plus qu’un gros avec de larges oreilles. Une bonne équipe, c’est ça : la diversité au travail.

L’esprit rugby, c’est aussi la Marseillaise braillée avant le match. Parce que le rugby, c’est un territoire. Quand t’es en équipe de France (dans le foot, ils disent EDF parce qu’ils aiment les acronymes et le langage monosyllabique), ton territoire c’est la France. Quand t’es en bleu et blanc, ton territoire, c’est Jean Dauger et tu brailles « Allez, allez, les Bleus et Blancs… ». Le rugby, c’est un territoire et donc, c’est chauvin.

Bon, ça c’est plus tout à fait vrai… Tu peux pas être chauvin avec des Fidjiens aux noms imprononçables. Quand j’étais petit, les noms étaient faciles à retenir et à crier : Unhassobiscay, Etchezaharreta ou Irazabal. Aujourd’hui, en équipe de France, y’a qu’Harinordoquy qu’on puisse mémoriser en deux secondes… Et Chabal dont on parlait plus haut, vu qu’on a la même étymologie lui et moi. Pas la carrure, hélas !

Mon copain Laurent m’écrit que son fils a commencé le rugby. Je l’envie, Laurent, nos fils ont quasi le même âge et le mien ne fera jamais de rugby, pour cause de territoire inadéquat. Bien sûr qu’il pourrait aller dans une quelconque banlieue jouer avec des mômes inconnus et sans bistro connu pour me servir de salle d’attente. Ce qui me console, c’est que Laurent est dacquois, et donc son fils sera jamais un grand joueur. Oui, j’ai écrit « donc », ça gêne ?

Mon fils, je l’ai emmené à Jean Dauger, il y a un an. Bien entendu, il a adoré. Il avait son drapeau albiceleste, il rencontrait mes copains qui me faisaient la bise, qu’il ne connaissait pas et qui le traitaient d’emblée comme un membre de la famille. Et un grand de surcroît. En plus, on a perdu mais c’était pas grave. Et on est allé boire un coup chez Gorka.

Ça fait nostalgie, tout ça, comme quand j’allais avec Aitatxi boire un coup chez Charlot Martine en descendant du Parc des Sports (on l’avait pas encore baptisé). Ça fait aussi repères, une sorte de GPS mental, un peu déréglé à cause des Fidjiens mais qui indique quelques directions, vaille que vaille.

C’est pas moderne : je sais pas si t’as remarqué mais y’a plein de jeux de foot pour consoles, mais pas de jeu de rugby. C’est pas universel : tu fais une Coupe du Monde, t’as du mal à regrouper plus de dix équipes de bon niveau. C’est pas poli : on se marche un peu sur la gueule et plus si affinités. C’est compliqué avec ces arbitres qui désignent l’équipe à qui profite la faute au lieu du joueur coupable. Ça marque pas toujours le même nombre de points : un coup, c’est deux, un coup, c’est trois, un coup, c’est cinq.

Et puis, regarder toujours en arrière avec un ballon qui va où il veut quand tu le lâches. Et puis, applaudir un beau mouvement de l’adversaire, pas siffler comme un con pour déstabiliser l’autre, celui qui va t’en passer trois comme une fleur. Ce qui n’est pas incompatible avec le chauvinisme qui est une manière de défendre les siens, pas d’attaquer les autres.

Avec tout ça, comment veux tu qu’on se sente pas membre d’une caste ? Pire encore, comment veux tu qu’on se sente pas indigène d’un territoire ?

Ça nous emmène loin de Chabal. Pas tant que ça…Ce qu’on lui reproche à Chabal, c’est de donner une image rustique du rugby. Une image pas civilisée. Alors que c’est tout le contraire. Une des plus belles images de civilisation que j’ai vues, c’est un banquet organisé par Doxpi à Espelette pour les premières lignes de l’Equipe de France. Il y avait de l’Histoire, de la Gastronomie, de la Musique, de l’Amitié, du Respect, de la Force…tout ce qui fait qu’un peuple est civilisé.

On en reparlera…

PS : pour être clair, en France, le territoire du rugby, c’est le bassin de la Garonne et la rive droite méridionale du Rhône, les terres de Cyrano… Lo demas, tierras conquistadas. Et je dédie ce texte à Jasmine, pour son grand-père, grand entraîneur du PUC et Dacquois, but nobody's perfect.

mardi 17 décembre 2013

LA PIRE PUB DU MOMENT : LA FNAC

Ils se disent « agitateurs culturels » mais ils ont oublié d’ouvrir un dictionnaire. Ils doivent plus en vendre, à cause de Wikipedia.

La dernière pub de la FNAC est en limite de mensonge. Décryptons.

Le slogan, c’est « Livraison en magasin 0 € »

Livraison, c’est une action bien définie. Ça consiste à apporter à un client la marchandise qu’il a achetée, qu’elle ait été payée ou pas. Et donc, clairement, il y a quelqu’un qui vient sonner chez toi et te dis, « Bonjour, Monsieur Dugenou, voilà votre paquet ».

Si tu dois aller au magasin de ton fournisseur, ça s’appelle un « enlèvement ». Le Code Civil fait bien la différence (article 1608) : « Les frais de la délivrance sont à la charge du vendeur et ceux de l’enlèvement à la charge de l’acheteur ».

Normal. Tu prends ton temps, ta voiture ou le métro pour aller au magasin de la FNAC, c’est à toi que ça coûte. Alors, la FNAC qui te dis que tu lui dois 0 €, elle se fout complètement de ta gueule. Heureusement, que tu payes pas deux fois !!!

Je chipote pas. On est dans les glissements sémantiques qu’adorent les publicistes et les marketeurs. Le mec qui va te dire : « Ouais, bon, enlever, livrer, c’est du kif ». Ben non, c’est pas du kif. Surtout quand tu veux la jouer culture, libraire, bonheur de la langue. C’est tellement pas du kif que la loi fait la différence.

Là, la FNAC, elle te fait croire, elle te suggère, qu’elle te fait un cadeau. Elle te prend pour un con. Si tu la crois, elle a raison de te prendre pour un con.

Remarque, vu le profil de son patron, c’est pas très étonnant. Le mec, il est fils d’un président de club de foot (c’est vrai qu’on n’est pas responsable de ses parents, mais le foot, c’est pas le bon écosystème pour la culture, quand même). Mais surtout, il est vachement fier d’avoir redressé Europe 1 en engageant Nagui. Il a pas compris que la culture, c’est d’abord regarder vers le haut, et peut être même, forcer l’autre à regarder vers le haut. Pas lui donner le choix, pas lui faciliter la réflexion. A moins que tu veuilles vider les neurones, façon Le Lay.

Bon, je suis bien tranquille, ma vision utopiste de la FNAC ne verra jamais le jour (http://rchabaud.blogspot.fr/2012/10/la-fnac-rome-le-luxe.htm). Et puis, quand t’apprécies Nagui, c’est un peu normal que tu confondes livraison et enlèvement. Faut bien s’adapter au niveau de tes collaborateurs.

Il court aucun risque le patron de la FNAC. Il est énarque. Et donc, il a des copains dans tous les organismes de vérification de la pub. Et donc, personne ne lui dira rien. Ça va passer comme une lettre à la Poste.

Et une lettre à la Poste, c’est une délivrance, pas un enlèvement.

On en reparlera…

dimanche 15 décembre 2013

LA CONSTANCE

« La constance, c’est pour l’industrie....et les maris ».

La phrase est de Françoise Etchebarne, tout là-haut à la Madeleine. Françoise produit certainement le meilleur ardi-gasna du Pays basque. Pas Ossau-Iraty, elle ne veut pas du label. Elle aime pas le cahier des charges. On est train de choisir un fromage. Ça prend du temps. Elle me fait goûter. Tous ses fromages sont différents. La date, la sèche, l’été qui avance trop vite. La grande grange surtout où sèchent les fromages. Chez Françoise, acheter un fromage, c’est un acte sérieux.

Je pensais à elle hier, en relisant Aragon. Dans Les Beaux Quartiers, les clients d’un restaurant spécialisé dans le bœuf miroton, félicitent le patron un soir où la recette est particulièrement bien réussie. Ce qui signifie, a contrario, qu’il y a des soirs où c’est moins bon. Avant, c’était comme ça. Tu pouvais bouffer dix fois le même plat dans un restau et bouffer dix plats différents. Subtilement différents. Parfois pas trop subtil. Tiens, le mec qui te sert deux fois la même omelette aux cèpes, méfie toi. L’omelette aux cèpes, ça dépend des cèpes et d’un jour à l’autre, ils sont jamais pareils.

Là, je parle du restau de base, celui du plat du jour. Avant, quand tu voulais une constance dans la qualité et le goût, t’allais chez un étoilé, par exemple Laporte au Relais de Parme, l’aéroport de Bayonne. C’était le temps où il y avait des restaurants étoilés dans les aéroports. Aujourd’hui, vas chercher à Roissy, tiens.

Remarque, c’était aussi le temps où tu mangeais au wagon-restaurant, avec des serviettes en tissu, des plats chauds servis par des serveurs en nœud papillon, des vrais plats, style rôti de bœuf sauce madère, avec pommes allumettes et salade de saison. La nourriture de la SNCF aujourd’hui te permet de donner une définition de la démocratisation.

La démocratisation, c’est passer du meilleur pour certains à la merde pour tous.

Pour vouloir que la nourriture ait le même goût d’un jour sur l’autre, il faut être mononeuronal. Ou être fils de la cantoche. C’est ce qui m’angoisse d’ailleurs, chez les jeunes critiques gastronomiques. La plupart sont des fils de la cantoche, alors, forcément, ils s’enthousiasment vite. Quand tu sors de Sodexho, même Métro paraît bon. Les copains de mon âge, ils ont pas l’enthousiasme hyperbolique. Ils bossent sur les différences, pas les ressemblances.

La constance, c’est inhumain. Il y a quelques années, je bossais pour le plus grand guide touristique français (pas Bibendum, l'autre). J’avais une bonne petite adresse, en Soule, le genre de restau où j’allais manger les truites avec mon grand-père, quand les truites étaient pêchées et non élevées. Et une année, patatras ! avalanche de lettres de lecteurs pour se plaindre du lieu. La situation était simple. Arnaud, le patron, était en train de crever d’un cancer. L’hôpital était à 100 bornes et, tous les jours, sa femme allait le voir pour l’aider dans son inutile bagarre. En attendant, elle avait refilé la cuisine à leur fils, élève-cuisinier à Biarritz, dix-huit ans à peine. Le môme, il était largué. On lui avait collé la toque de Papa, Papa qui allait mourir. Rien n’avait changé, ni la carte, ni les produits, ni les fournisseurs, mais il était en train de couler.

Enlever le restau du guide, c’était enlever 20 à 25% du CA et achever une entreprise quasi-centenaire. C’était ajouter la faillite au veuvage.

D’un autre côté, je ne pouvais pas ne pas être honnête vis-à-vis des lecteurs qui me faisaient vivre. Et donc, je suis allé sur place, j’ai vu la future veuve, j’ai vu le môme. On a parlé. Après quoi, j’ai écrit mon texte. Pour cette petite dizaine de lignes, j’ai sué sang et eau. Si je me souviens bien, ça commençait par « Après quelques mois de mauvaises surprises, la situation s’est redressée… » ou quelque chose comme ça. C’était un pari, j’avais la parole du môme qu’il allait le faire. Et il l’a fait.

Cuisiner, c’est mettre l’humain en avant. L’humain qui a des hauts et des bas, des emmerdes, un gosse malade, des joies, des moments d’enthousiasme, des jours où tout va bien, toutes ces choses qui font que le miroton sera bon ou loupé, que les jours ne se ressemblent pas et que les amours sont changeantes. C’est ça qui fait le bonheur, ces petits changements qu’on analyse ou qu’on constate, quand on disait à la patronne : « Fais gaffe, ton mec il doit être amoureux, il force sur le sel… » et que tout le monde se marrait.

Comme disait Kipling : Si tu veux que demain ressemble à aujourd’hui, va te faire foutre mon fils…

Ho ! toi tu veux qu’aujourd’hui ressemble à hier. Ben non, connard, les changements sont toujours différents. Par nature.

On en reparlera…

samedi 14 décembre 2013

LES PLAGIAIRES

Georg Gerster. Grand photographe. Dans les années 1970, il publie chez Weber, pour l’édition française, un superbe album : La Terre vue du Ciel. Tiens ! ça vous dit quelque chose.

On est au tout début de l’imagerie satellite. Imagerie car ce ne sont pas des photos, mais de la télédétection. Les journalistes, toujours simplificateurs, toujours prêts à expliquer au bon public des choses qu’ils n’ont pas comprises eux-mêmes, disent « photo », vu qu’ils ne font pas la différence entre image et photo. Les images sont assez belles, en tous cas très nouvelles. Et donc Gerster va essayer de faire quelque chose dans cette direction, sauf que ce n’est pas de la télédétection (du numérique) mais de l’argentique. Le public apprécie. Et Gerster arrête.

Pourquoi ? Il s’en est expliqué. Il ne faisait pas son travail de photographe car il ne maitrisait rien. Il faisait des cadrages quand la lumière lui donnait une bonne image. Cadreur, pas photographe. Il ne pouvait pas influencer la lumière, ni les formes, ni les volumes. Pas la peine de continuer. C’est, photographiquement, sans intérêt.

Trente ans plus tard, l’autre zozo d’Arthus-Bertrand fait la même chose. Il plagie Gerster, mais lui, cadreur, ça lui va, vu que le public ne fait pas la différence. Ne fait pas la différence et ne connait pas l’histoire de la photographie. Ça le fait, comme on dit. Il a raison YAB, ça l’a emmené à l’Académie qui n’aime rien tant que les gens qui font la même chose que ce qu’ils faisaient eux-mêmes. D’où l’adjectif « académique ».

Les plagiaires ont pris le pouvoir. Des fois, on en prend un la main dans le sac. Attali. Il s’en fout Attali. C’est une minorité qui l’identifie comme plagiaire. Le grand public, ses copains journalistes et les libraires sans neurones ne savent rien. Et donc, les ventes restent belles et bonnes.

Le plagiat, il vous saute à la gueule tous les jours, notamment sur Facebook où des zozos sans style plagient le style qu’on leur sert quotidiennement comme un brouet mal cuit.

Tiens, prends la mort de Mandela. Ils disent tous la même chose, piqué sur les commentaires de BFM, eux-mêmes plagiés sur les communiqués de condoléances. Grand homme, figure de proue du siècle, et gnagnagna… Pas un ne va chercher à s’en démarquer. Moi, je peux pas. Je peux pas écrire un mot de condoléances, même à un copain. C’est trop de travail de sortir des banalités, du partage des sentiments, toujours les mêmes… A l’occasion du deuil qui te frappe et blablabla…. Mon copain, il va en recevoir des dizaines de ce tonneau. Comment lui dire mon amitié sans bêler avec le troupeau ?

En déconnant, peut être… J’ai appris la mort de ton père, tu es donc arrivé à l’âge où être orphelin est la norme. Bientôt ton tour…. Viens boire un coup qu’on en profite. Arrête de chialer et pense à toutes les fois où il t’a emmerdé. Ouais, tous mes copains ne supportent pas. Et puis, je sais pas si vous avez remarqué, mais le plus souvent, quand quelqu’un meurt, on zappe les mauvais moments. On veut plus se souvenir que des bons, et c’est très con parce que ça creuse la peine. Vaut mieux penser aux torgnoles, ça, ça soulage.

Et c’est pareil pour tout. On baigne dans une mimesis des langages et des attitudes. On dit tous la même chose dans les mêmes moments. Mes félicitations aux heureux parents. Ça facilite le travail des éditeurs de cartes postales. Et ça rend le monde insipide et tristouillard. Toujours pareil, des cuisiniers qui revisitent les plats. Tiens, « revisiter », çui là tu l’utilises quand tu veux dire que le mec il a fait à peu près comme, mais différemment de. Différemment en quoi ? Jamais on te le dit. Ça supposerait que tu connaisses l’original, que tu analyses les deux. Ho ! tu deviens chiant. Tu vas pas revenir à Escoffier et Ali-Bab ? Et donc « revisiter », ce grand gandin de la langue, tu le trouves partout. Je le sais, je l’ai utilisé, il est bien pratique quand tu as besoin de torcher un texte et que t’as pas trop le temps. Mais, bon, j’avais pas le sentiment d’écrire, juste de faire de l’assemblage de langue comme l’autre il fait de l’assemblage de produits.

Et puis « revisiter », ça fait neuf, et on a besoin de neuf. On en a déjà parlé (http://rchabaud.blogspot.fr/2012/05/la-page-blanche.html)

Je vous jure, c’est chiant d’être vieux, d’avoir vu plein de choses, d’avoir appris plein de choses et de hausser les épaules devant tous ces plagiaires, ces copieurs, ces truqueurs, ces cerveaux vierges de savoir et de mots. Blasé ? Non. Dieu merci, il reste toujours à lire et à savoir.

Tiens, je relis Needham. Et alors ? Ben, tu vois pas la Chine de la même façon, tout d’un coup…..

On en reparlera….


vendredi 6 décembre 2013

MADIBA TAUBIRA

Bon, c’est triste. OK, c’était un grand homme. Le seul truc qui me gêne, c’est l’unanimité. Quand je vois un hommage unanime, ma première question, c’est de savoir qui s’est invité au bal des faux culs. Parce que Mandela, il a du en gêner plus d’un, en emmerder plus d’un. Il a du provoquer quelques colères et pas mal de grincements de dents. Bon, on a l’habitude : fermer les cercueils, c’est aussi fermer les lèvres. Vont tous y aller avec la mine de circonstance. S’ils y vont pas, ils vont peser au trébuchet le poids de leurs représentants.

Pour l’instant, on n’en est qu’aux déclarations. On reprend les mêmes que pour Luther King. A quelques détails près. Taubira, par exemple. Elle envoie un tweet et quel est le mot utilisé : MADIBA.

Surnom de Mandela, surnom affectueux filé par les militants de l’ANC, puis par les Sud-africains.

Quel est le sens de ce surnom dans le tweet de Taubira ? De toutes les déclarations de politiques que j’ai lues (il doit en manquer, je vous rassure), elle est la seule à utiliser le surnom affectueux. Pourquoi ?

Veut-elle suggérer une proximité supérieure ? Admettons. A t’elle rencontré Mandela plus souvent et de manière plus intime que ses collègues ? Pas que je sache. Alors, pourquoi suggérer cette proximité ?

Je ne vois qu’une explication. C’est un tweet raciste. Taubira veut bien insister sur le fait que Mandela est un combattant de la cause noire. Comme elle. La proximité, elle est là. Taubira annexe Mandela sur le terrain de la couleur. C’est pathétique.

Le combat de Mandela n’était pas un combat raciste, c’était un combat anti-raciste, faire en sorte que la couleur ne soit plus un marqueur social, éducatif, politique ou même sportif. Gommer la couleur.

Le cercueil est pas fermé qu’il se fait annexer comme Noir. La couleur redevient un marqueur. Vous allez voir comme ça va déraper dans les jours qui viennent. Parce qu’effectivement, tout n’est pas rose au pays des Springboks. Ailleurs, non plus. Tout simplement parce qu’une bande de jean-foutres, au lieu de travailler sur les ressemblances bossent sur les différences, les mettent en exergue, créent des Conseils représentatifs… Représentatifs de quoi ? Des couleurs de peau, des religions, représentatifs de la discrimination.

Mais, elle existe la discrimination. Oui. Même qu’elle progresse. Vu qu’elle a doublé ses routes. Avant, mais ça, c’était avant, y’avait guère que les Blancs qui discriminaient et les Noirs qui souffraient. Maintenant, tout le monde discrimine, négativement (logique) et même positivement.

On est dans la quasi-scène de ménage. Rigolez pas, ça fonctionne pareil. Taubira, elle me reproche le mental colonialiste de mon arrière grand-père comme dans la scène de ménage, on reproche les conneries que la belle-mère fit dix ans plus tôt. Je dis pas ça parce que Taubira est une femme, les mecs font pareil. Claude Ribbe qui s’énerve sur le racisme de Napoléon. Oui, bon, Napoléon était raciste. En quoi suis-je concerné ? Qu'est ce que j'en ai à foutre ? C’est ça le syndrome de la scène de ménage, quand tu vas chercher les trucs anciens pour alimenter l’engueulade actuelle.

Et les scènes de ménage, on le sait, ça conduit au divorce, ça creuse les fossés. Les Français sont plus grandes gueules que racistes. Si tu discutes avec eux, tu t’aperçois que, comme toutes les grandes gueules, ils mélangent, ils confondent, ils brouillent les notions. Mais, au fond, ils n’ont pas besoin de lois pour rejeter l’esclavage. Ils voient bien que les cultures se mélangent, que les couples mixtes ne posent plus problème et que la globalisation induit une mondialisation des esprits et des pratiques sociales et culturelles. Ça va pas assez vite ? Peut être, mais c’est inéluctable.

Mais si tu me regardes en m’engueulant, c’est sur que je vais pas avoir envie de te faire la bise….

On en reparlera…