mercredi 29 septembre 2010

LA CHINE M'AMUSE

La Chine m’amuse. Elle m’amuse parce que je suis un amateur de corrida et que je prends mon pied chaque fois qu’un torero vient manipuler un bestiau devant moi.

Voilà près de trente ans que le torero chinois est entré dans l’arène mondiale. Devant le toro du capitalisme occidental, il a déployé une cape. Pas rose. Verte. Verte comme le billet du même nom.

Au début, le toro s’est montré méfiant. Presque timide. Et puis, le jeu a pris de l’ampleur. Les passes devenaient de plus en plus assurées. Le toro passait de mieux en mieux. Il faut dire que le torero avait cette qualité fondamentale : le temple. C’est ainsi que les Espagnols appellent cette manière de toréer, à la fois douce et lente, qui amène le toro sur le terrain désiré, qui l’hypnotise et permet de le dominer à coup sûr.

Bien entendu, le toro ne sait pas qu’il est dominé. Il suit la cape comme un con, il ne voit qu’elle, il a tout juste conscience de l’homme. Il passe, se retourne, revient, encore et encore.

C’est ainsi qu’on l’amène à la pique. Au début, ça le surprend. Et puis, il en redemande. Il fonce à nouveau, subit la douleur. C’est assez surprenant. N’importe quel herbivore subissant une douleur s’empresse de fuir. Pas le toro de combat. Il est le seul à en redemander.

Le toro du capitalisme est un toro de combat. Il prend des piques et retourne au combat. Le torero chinois, il a commencé doucement. Avec les droits de l’homme, pour voir. Il a vu. Il a vu se lever les médias et les financiers se coucher. Un de ses maîtres l’avait prévenu : « Les capitalistes nous vendront la corde pour les pendre ». Il a constaté que la phrase était juste.

Alors, peu à peu, il a resserré les passes. En douceur et sans menaces. Le toro aurait bien aimé qu’il réévalue sa monnaie. En douceur et sans menaces, il n’en a rien fait. Il a offert et encore offert. De la main d’œuvre bon marché, des matières premières à vil prix. Même de la nourriture. Le torero chinois est le second marchand de tomates dans le monde.

Le torero gagne toujours, au grand dam des amis des animaux. Il gagne parce qu’il connaît le toro et que le toro ne le connaît pas. Le torero chinois connaît le toro du capitalisme. Le torero chinois est marxiste, il a lu Le Capital, il sait comment ça marche. Le toro capitaliste n’a pas lu Marx (qui c’est, celui-là ?), il ne sait rien de son propre fonctionnement. Il ne s’y intéresse pas, seuls comptent les résultats. Le torero chinois est terriblement matérialiste et il a le sens de l’Histoire. Le toro capitaliste passe son temps dans un monde virtualisé et se fout du Temps, surtout du Temps historique.

Le toro imagine toujours que son adversaire est comme lui. Quand le toro se bat, il fonce, donne des coups de tête parce qu’il sait la puissance de ses cornes, il les a essayées contre d’autres toros. En l’envoyant à la pique, le torero le trompe, lui fait croire qu’il est dans le combat qu’il connaît : foncer, utiliser ses cornes, la puissance de son cou. Le toro ne peut pas imaginer l’esquive et la souplesse.
Quand il s’en aperçoit, c’est trop tard. Au bout de la faena, il a compris. Le danger, c’est ce truc qui se dérobe, ce truc qui a une drôle d’odeur, une odeur inconnue. Il va falloir apprendre. Mais quand il a compris, il est blessé, affaibli. Le torero le sait. Il voit bien que les charges se font plus courtes, que la tête devient dangereuse. Il sait qu’il est temps d’en finir et que le fauve affaibli n’offrira plus de résistance.

Le capitalisme est un vrai toro. Il imagine que son adversaire est comme lui. Il ne le voit même pas comme un adversaire. C’est le même combat, les mêmes Bourses, les mêmes holdings, les mêmes Foires commerciales. Pas tout à fait les mêmes cependant. Les holdings sont contrôlées par le pouvoir politique, la capitalisation boursière remonte au gouvernement. C’est presque pareil sauf que le toro du capitalisme refuse la main-mise du politique et que le torero chinois baigne dans le politique.

Moi, je suis sur les gradins. Je me régale parce que le spectacle est magnifique. J’apprécie en connaisseur les passes. Tu libères mon capitaine ou je cesse de te filer les matières premières, dit-il au gouvernement japonais. Et le Japon s’incline. Comme s’inclinent tous les gouvernements. Avec quelques coups de cornes dans le vide malgré tout.

Combien de temps encore pour ce spectacle impressionnant ? Quand viendra le temps de la mise à mort ? Et y-aura t’il mise à mort ? Ce n’est même pas acquis. Le torero ne peut manifester sa puissance que si la bête est vivante. La mise à mort n’a que peu d’intérêt. Il faut et il suffit que le toro soit châtié, disponible, prêt à mourir. Il faut que ses dernières velléités de révolte soient étouffées. Qu’il soit immobile, essoufflé, haletant, impuissant.

On en reparlera.

LINGUISTIQUE, GASTRONOMIE, PETROLE

Moi, je trouve que la bouffe, c’est un bon moyen de connaître le monde. Dis moi ce que tu manges, je te dirais où et comment tu vis… En général, les géopoliticiens s’intéressent surtout à ceux qui mangent pas. Ils ont tort. D’abord, ça déprime, et ensuite il ne faut pas oublier que ce sont ceux qui mangent qui ont le pouvoir.

Chez nous, en Europe occidentale, on mange de tout. Et de plus en plus d’exotique. Ou à tout le moins de l’ethnique. L’exotisme, ça commence à côté. Au Pays basque, par exemple. Voilà deux ou trois fois qu’à Paris, on me propose de la piperade. La même piperade de merde qu’on sert dans les restos frelatés entre Bayonne et St-Jean-de-Luz.

Les cuistots, ils ont beau faire des livres, il leur reste à apprendre en matière de langue. Piperade, ça vient du basque « bipera » qui signifie piment ou poivron. Le mot signifiant la chose, on comprend aisément que la piperade c’est fait à base de poivrons. Pas de tomates. Sans ça, ça s’appellerait la « tomatoade ». CQFD.

Donc règle n° 1 : le cuistot qui vous dit que la piperade, c’est à base de tomates, vous vous levez et vous allez ailleurs. Les deux ingrédients de base, ce sont le poivron rouge doux et le piment vert doux, appelé « piment d’Anglet ». On les fait revenir longuement avec de l’oignon jusqu’à ce qu’ils soient presque confits, on peut alors ajouter une tomate pour allonger la sauce, mais pas plus : la tomate, c’est acide.

A Paris, il est presque impossible de faire une bonne piperade, pour cause de mondialisation. On ne trouve ni poivrons de qualité, ni piments verts et doux. Le poivron de qualité, c’est le piquillo de Lodosa, à la peau fine et à la chair onctueuse. En trouver frais, c’est impossible. En conserve, pas plus. Dans les boîtes des meilleures épiceries, on ne trouve que du poivron péruvien, à la peau épaisse et acidifié par les conservateurs. Pour trouver du vrai piquillo, faut commander à Lodosa. J’ai mes adresses. Quant au piment d’Anglet, sa production et sa fragilité le réservent à la consommation locale. On peut le remplacer par les piments du Padron qui viennent de Galice. Mais ça aussi, pour en trouver faut se lever matin.

Pour moi, la piperade, c’est pas exotique. Quand j’étais petit, c’était deux fois par semaine minimum. A Paris, c’est pas pareil, alors on prend des libertés avec la recette, on adapte. Adapter, c’est un joli mot pour dire qu’on va tirer vers le bas. On vire les piquillos, on met de la tomate. Comme dans la sauce bolognaise. Normalement, la bolognaise, c’est une sauce aux trois viandes et aux oignons. Avec juste un poil de tomate pour allonger. Mais vu que la tomate coûte moins cher que la farce de poitrine de porc, on adapte. Et puis la tomate, ça fait rital. Je vais vous dire, dans toute l’Italie du nord, la tomate, elle pousse pas lerche. Faut se donner du mal. Et Bologne, le saviez-vous ? c’est en Italie du nord. Pas vraiment la patrie de la tomate. Et voilà comment le stéréotype remplace la connaissance.

Tout ça pour dire que « locavore », c’est pas gagné. D’autant moins gagné que les diététiciens nous surveillent. En hiver, en France, les légumes locaux de base, c’est les féculents et le chou. Des trucs longs à cuisiner et qui font péter dans les bureaux. Si t’as ton bureau à toi, ça va. Si t’es en open space, ça va moins bien. Et puis, les diététiciens te le disent : ça fait grossir. Alors, bon, t’adaptes. Un peu de laitue importée, ça peut pas faire de mal. Alors que le chou farci….. Surtout si t’utilises le bouillon pour faire une petite sauce à la crème qui viendra napper la bête. Les ayatollahs de la calorie, les inquisiteurs du cholestérol vont grimper aux rideaux.
En hiver, c’est l’époque du gras. Les canards, les cochons, les chapons, engraissés avec amour en été, c’est maintenant qu’on va les sacrifier. Normal. C’est l’hiver. Faut des calories pour lutter contre les frimas. Mais là aussi, pour lutter contre le froid, tu penses pas aux canards gras vu que t’as un bon contrat avec Poweo.

J’ai acheté quelques livres de cuisine « tendance », des livres de « chefs » télévisualisables comme Cyril Lignac. Les ingrédients tendance, c’est pas vraiment locavore. De la mangue à la patate douce, bouffer à la mode, c’est d’abord passer à la pompe à kérosène. Les jeunes chefs tendance, ils te décortiquent tout : si c’est dur, si c’est long à faire, si c’est cher… Y’a qu’un truc qu’ils te disent pas : si c’est la saison. Normal, ma bonne dame, y’a plus de saisons.

En plus, si c’est cher, c’est vraiment très con comme info. Cyril Lignac, il trouve que les piquillos, c’est pas très cher. Ceux du Pérou, c’est vrai. Malgré le transport, ils coûtent la moitié des vrais piquillos de Lodosa. Et encore, j’achète directement au producteur. Si tu passes par une épicerie, c’est trois fois moins cher. Ça te met l’exotique moins cher que le local. Faut pas s’en priver. Tu frimes et, en plus, tu te préserves le budget. Tu bouffes de la merde, mais tu le sais pas vu que t’as jamais mangé de vrais piquillos.

Pareil pour la piperade. T’as découvert ça pendant tes vacances, dans un resto pas trop cher, au Pays basque. Si tu sais pas quoi faire un jour de pluie, tu vas chez Métro, à Anglet. Tu verras les bidons de piperade industrielle à base de tomates de serre et les pseudo-restaurateurs qui les chargent dans leur bagnole. Un demi-poulet industriel, deux louches de pipérade de chez Métro et voilà un poulet basquaise plat du jour à 9 euro qui satisfait le client et le comptable qui regarde monter les marges. T’as le droit de trouver ça bon. Mais t’as pas le droit de penser que tu bouffes local : tout ce que tu bouffes est venu en camion. Et, de toutes façons, t’aurais jamais accepté de payer le prix que ça coûte quand c’est fait localement.

Bon. Ça ira comme ça jusqu’au jour où le pétrole va monter. Au début, on fera pas trop la différence. La hausse du transport, les distributeurs la feront payer au paysan péruvien. Comme toujours. Nous, on le saura pas. On voudra d’ailleurs pas le savoir. Les piquillos à l’apéro entre copains, c’est de la fête. Faut pas la gâcher avec des paysans exploités.

Après. On verra bien. Après moi, le déluge….

On en reparlera.

lundi 27 septembre 2010

ET MON CHOCO BN ?

C’est la nouvelle du jour. Un groupe chinois, Guan Sheng Yuan, absorbe d’un seul coup, la Biscuiterie Nantaise (BN), créateur du Choco BN, et Delacre, le roi de la cigarette russe. Le Figaro nous explique doctement la stratégie de Guan Sheng Yuan, plus connu sous le nom de Bright Food.

Guan Sheng Yuan est une SOE, dans le jargon des économistes. SOE, ça veut dire State Owned Enterprise. En bon français « entreprise nationalisée ». Ce mot, « nationalisé », Le Figaro ne le prononce pas. C’est un gros mot pour Le Figaro, pour le propriétaire du Figaro, et surtout pour les lecteurs du Figaro. Faut pas désespérer Neuilly. Où va-t’on si les fleurons de notre industrie libérale se font bouffer par des entreprises nationalisées ?

Parce qu’en fait, c’est ça que ça veut dire. Nos entreprises « libres » passent entre les mains d’entreprises nationalisées. Collectivisées. Signe que la nationalisation, jointe à une belle planification, peut être plus efficace que le libéralisme.

Dites ça à des libéraux convaincus. Vous allez voir ce que vous allez entendre. Ho ! c’est pas pareil, c’est les Chinois. Les Chinois, ils sont capitalistes. La preuve, Guan Sheng Yuan est coté en Bourse. Ouais. Les plus grosses capitalisations de Shanghai, c’est des entreprises nationalisées. Ouvertement ou moins ouvertement, c’est selon. Ils ont compris, les Chinois. Tu mets des entreprises nationalisées en Bourse, les capitalistes occidentaux, ils se précipitent pour leur apporter du pognon. Peut-être qu’ils imaginent qu’ils seront majoritaires un jour. Même pas. Ils engrangent des dividendes. Des dividendes versés par le gouvernement chinois. Les capitalistes occidentaux détestent les entreprises nationalisées chez eux. En Chine, c’est pas pareil. Tout le monde sait qu’une entreprise nationalisée, ça coûte. Si ça rapporte, c’est pas vraiment nationalisé. Or, en Chine, une entreprise nationalisée, ça rapporte. Donc, c’est pas vraiment nationalisé. Et qu’est ce que tu réponds à ça ?

Les capitalistes occidentaux, ils ont une idéologie à deux vitesses. Ils détestent le marxisme, la collectivisation des biens de production et les gouvernements interventionnistes. Mais ils adorent le gouvernement chinois qui est un gouvernement communiste, planificateur, interventionniste. Les capitalistes occidentaux invitent dans leurs conseils d’administration des députés communistes à qui ils offrent le champagne. Le plus beau, c’est quand même le fils Giscard d’Estaing qui ouvre aux communistes chinois les portes du Club Med. Qu’en pense papa ?

Comment ça va finir ? Je veux dire dans un temps historique normal. Comment peut-on imaginer que le gouvernement communiste chinois va enrichir le capitalisme occidental pour les siècles des siècles ? Ce serait bien. Les Chinois bossent et produisent de la plus-value que les financiers occidentaux empochent. Sans bosser.

C’est ce qu’ils font aujourd’hui. Forcément, ils se trouvent malins.

On en reparlera….

jeudi 23 septembre 2010

L'IMAGE ET LA PHOTO

J’étais hier visiter l’exposition consacrée au Tibet à l’Espace Durand-Dessert, 28 rue de Lappe. Si vous n’aimez pas le Tibet, courez-y, vous devriez changer d’avis.

Je ne parle pas de l’expo de sculptures chamaniques initiée par le fin connaisseur qu’est François Pannier. Encore que ça fasse du bien de se balader dans un Tibet sans bonzes safranés et de retrouver le vieux substrat animiste toujours présent sous le vernis bouddhique.

Non. Mon bonheur a été de retrouver les images de mon vieux complice, Jean Mansion. Les images, pas les photos. Des photos, tout le monde en fait. Tout le monde en chie, des millions chaque année, et nous mourrons étouffés par cette envahissante merde. Nous mourrons aveuglés car nous sommes déjà aveugles.

Aveugles au point de ne pas voir que ce que nous admirons, ce n’est pas la photo, c’est le sujet de la photo. Un beau visage fait une belle photo. Quel que soit le photographe. Un beau paysage aussi, surtout vu du ciel. En voyons-nous des portraits de Touaregs enveloppés dans leur litham (litham, pas chèche, parlons français). Tous pareils, tous beaux à leur manière et qui ne doivent rien à l’art du photographe.

Aveugles au point de voir que ce que nous admirons, ce n’est pas la photo, c’est la couleur de la photo. Expérience maintes fois renouvelée. Prenez une photo en couleurs que vous jugez belle, scannez-la en noir et regardez-la. Juste en noir et blanc. Tout disparaît dans un magma poisseux, les volumes s’estompent, les contrastes disparaissent, il n’y a plus ni détail, ni finesse. Vous pouvez vous échiner avec votre Photoshop (commande luminosité-contraste), il n’y a rien à faire. Le désastre est patent.

Photographier, c’est, étymologiquement, écrire (graphein) avec de la lumière (photon). Ce qui compte dans une photo, ce n’est ni le sujet, ni la couleur, c’est la maîtrise de la lumière qui va sculpter les volumes, atténuer ou renforcer les contrastes, faire ressortir certains détails, en gommer d’autres sans qu’ils disparaissent pour autant. Raison pour laquelle, seule vaut la photo en noir qui est la seule à avoir la lumière comme pierre de touche du talent du photographe.

Il n’est de photo qu’en noir. De Paul Strand à Raymond Depardon, tous les grands photographes rejettent la couleur qui trahit, qui masque et dissimule. Et, à cet égard, Jean Mansion est au nombre des plus grands. Ses nuages sont de blancs à-plats aux impressionnants volumes. Ce n’est pas une formule. C’est l’apanage des grands photographes que de donner du volume aux à-plats. Lorsqu’on regarde de près, de très près, on trouve dans l’à-plat d’infimes touches de gris. C’est du travail de peintre, comme les glacis des maîtres hollandais ou italiens. Une sorte de sfumato que le tirage va mettre en évidence.

Comme beaucoup de photographes, Jean était peintre. Ses images, même instantanées, sont construites, composées. Pas recadrées. Composées. En les regardant je pensais au « punctum » que Barthes voyait comme l’un des composants de l’image. Le punctum, c’est à dire « ce qui me point ». Mais où est-il ce « punctum » ? Dans les deux personnages courbées sur le chemin d’Amarnath ? Oui. Dans les deux montagnes dont on sent qu’elles vont bientôt barrer la vallée ? Oui, aussi. Dans le nuage qui va (ou ne va pas) envahir le ciel ? Oui, également. L’image n’est pas la photo car tout y fait sens. L’image est polysémique quand la photo, cette gourde, n’a qu’un sens.

Ça m’a donné une envie. Celle d’imaginer une expo où je mettrais côte-à-côte quelques images de Mansion, de Depardon, de Plossu, d’Atget, de Paul Strand et d’Ernest Bellocq. Liste non limitative.

Vous ne connaissez pas Ernest Bellocq ? Tant pis pour vous.

lundi 20 septembre 2010

LES HERETIQUES

C’est drôle, y’a un truc que peu de commentateurs ont relevé. Bernard Lewis nous explique que, dans la langue arabe, le mot « hérétique » n’existe pas. Par voie de conséquence, la notion de schisme est inconnue.

L’Islam serait-il monolithique ? Non, bien entendu. Mais toutes les interprétations se valent. L’imam de Gennevilliers vaut autant que le mufti de Bagdad. C’est qu’il n’y a pas d’autorité suprême. Personne ne peut s’arroger le droit d’affirmer que son interprétation est la bonne. Tu peux interpréter les sourates comme tu veux.

Les catholiques, c’est pas possible. Ça fait vingt siècles que l’évêque de Rome, il tranche. Si tu dis pas comme lui, il t’excommunie. En clair, il te vire de la communauté des croyants. Tu deviens hérétique, schismatique. Si tu veux exister dans l’Eglise, t’as pas le choix : faut créer ton Eglise à toi. Certains s’en sont pas privés : Henri VIII ou Luther. Mais l’Eglise catholique fonctionne comme une armée, bien pyramidale, je ne veux voir qu’une seule tête.

C’est la seule. Il n’y a pas de pape protestant, juif, musulman ou bouddhiste. Personne pour excommunier et exclure. Personne pour décider que le bon Evangile, c’est celui-là et que l’autre, le vilain, il est « apocryphe ». Au bûcher, l’apocryphe.

Les protestants, ils fonctionnent comme les musulmans. Le petit pasteur du sud américain profond, il vaut tout autant que tous les autres pasteurs. S’il veut brûler des Corans, y’aura personne pour lui téléphoner et lui dire qu’il est viré. Il ne rend de compte qu’à Dieu, ce qui est vachement pratique parce qu’on n’a jamais vu Dieu contredire personne.

Autant dire que les religions, c’est le bordel. Sauf la religion catholique, bien entendu. Mais les autres, tu y trouves tout ce que tu veux. Y’a que des mecs en prise directe avec Dieu. Bon, tu comprends bien que, plus ils sont en prise directe, plus ils ont raison. Les autres les traitent d’extrémistes ou d’intégristes, mais il faut bien qu’ils fassent avec. Alors, ils font avec. Ils déplorent, ils s’excusent, ils argutient, mais ça reste « leurs frères ».

Nous, on du mal à comprendre : le recteur de la Mosquée de Paris est pas d’accord avec l’imam de Petaouchnok. Pour nous, élevés au biberon catholique, ça veut dire que l’imam de Petaouchnok a tort. Ben non. Ça veut juste dire que deux religieux discutent d’une interprétation. Deux religieux qui se valent. Ouah, l’autre ! Le recteur de la Mosquée de Paris, quand il cause, y’a plus de monde devant lui que devant l’imam de Petaouchnok. Certes, jeune niais, mais ce monde, c’est que des hommes. Ça compte pas. Ce qui compte, c’est Dieu. Or, Dieu, y’en a qu’un et les deux religieux lui causent pareil. Egalité. On appelle ça la théologie.

Quand ça touche à la politique, ça va plus du tout. Alors, le gouvernement il aide à créer des Conseils représentatifs, histoire de n’avoir qu’un interlocuteur. La presse se félicite. Ce que ne dit pas la presse, c’est que ça ne compte pas. Les Conseils représentatifs, ils n’ont aucun pouvoir. Ils peuvent juste faire du bruit avec la bouche. Aucun religieux ne dépend d’eux. C’est des autorités « morales », comme on dit.

C’est bien pratique. T’as toujours un pasteur, un imam ou un rabbin qui va être d’accord avec toi. Celui-là, tu le sors, tu le mets en lumière, tu le cites, tu l’interviouves. T’es vachement content. Mais, au bout du bout, t’as changé quoi ? Rien. Le pasteur, l’imam ou le rabbin qui pense le contraire, il continue à penser le contraire et il est tout aussi légitime que ton copain. Et ses fidèles, ceux qui t’emmerdent, ils le savent et ils savent que cette légitimité les rend légitimes. On n’a pas fini de discuter.

Prends la burqa. Y’a des religieux, ils pensent qu’un petit foulard, c’est bien suffisant. Ils ont raison. Mais, y’en a d’autres, ils pensent qu’il faut le truc intégral avec la moustiquaire devant les yeux. Et ils ont raison aussi. Devant Dieu. Toi, le petit catholique, comment tu tranches ?

Chez les catholiques, c’est vachement mieux. T’as un Pape qui dit : « Finalement, le nazisme, c’est pas si mal ». Aussitôt, tout le monde mets le petit doigt sur la couture du pantalon. Presque tout le monde. Des fois, y’a des voix discordantes. Tu connais Monseigneur Vansteenberghe ? C’était un évêque. Un peu Flamand, mais évêque quand même. Quand les Allemands sont arrivés en France, il a fait un truc curieux pour un évêque. Tous les dimanches, il montait en chaire et il condamnait les Barbares. Il passait son temps à chercher les textes autorisés et à les retourner contre les Nazis. Il avait planqué dans son évêché tous les livres sacrés de la synagogue locale. Vu que c’était pas dans le droit fil de la pensée vaticane, la Kommandatur locale a demandé son rappel à Rome. Qu’on le nomme évêque d’ailleurs, d’un bled paumé en Numidie. Et le Vatican a obtempéré. Vansteenberghe, il a eu le bon goût de faire une crise cardiaque ce qui a réglé le problème. Il est allé causer direct à Dieu. On lui en demandait pas plus.

Des discordants, y’en a eu. Mais ils se faisaient tout petits, tout discrets. Même en 45 quand il a fallu planquer et exfiltrer les dignitaires du Reich. Ça fait un demi-siècle que les catholiques, ils exhument les discordants pour se refaire une virginité. Ils ont du mal. A cause de la discrétion.

Si on continue à appliquer notre schéma catholique aux autres religions, on a pas fini de rien comprendre. Surtout les politiques vu qu’à l’ENA, y’a pas de cours de théologie. On n’apprend pas à causer à Dieu. C’est déjà assez dur avec la presse.

On en reparlera….

vendredi 17 septembre 2010

CULTURE ET CREATION

J’ai reçu une invitation à un vernissage d’un « collectif". Les collectifs, c’est comme le pâté. Beaucoup de bas morceaux pour la matière, un trait d’armagnac et une miette de foie gras pour le goût.
Un collectif féminin intitulé sans modestie « Femmes créatrices de culture ». Boum ! Télescopage ! La création participe-t’elle de la culture. Sans nul doute. Pour autant, toute création est-elle culturelle ? Non. A l’évidence.

Tout le monde crée. Très tôt. Allez dans une maternelle, les lardons, ils s’en donnent à cœur joie. Ils peignent à s’en mettre jusqu’aux oreilles, ils inventent des histoires, des mots, des comptines. Font-ils pour autant œuvre culturelle ?

C’est l’une des grandes impostures de notre époque : faire croire que la culture n’est que de la création. Prenons la définition de l’Académie (ils sont là pour ça, les Immortels) : «Ensemble des acquis littéraires, artistiques, artisanaux, techniques, scientifiques, des mœurs, des lois, des institutions, des coutumes, des traditions, des modes de pensée et de vie, des comportements et usages de toute nature, des rites, des mythes et des croyances qui constituent le patrimoine collectif et la personnalité d'un pays, d'un peuple ou d'un groupe de peuples, d'une nation ». C’est à peu près clair.

Dans cette définition, y‘a plein de mots qui me font signe : « acquis », par exemple. Mais aussi « coutumes » ou « traditions » ou « rites » ou « patrimoine ». Tous ces mots donnent à la définition une profondeur historique. La culture, c’est un état enraciné. Sans cette profondeur historique, point de culture. Pour simplifier, culture = création PLUS histoire.

La création est immédiate, ponctuelle. Elle est d’aujourd’hui. C’est l’histoire qui va la transformer en culture. Je vois la culture comme un gigantesque sable mouvant où l’on jette, jour après jour, des créations. Certaines s’enfoncent dans le sable, englouties dans l’oubli, d’autres surnagent. Notre culture, ce sont les couches supérieures de ce sable mouvant. C’est le Temps historique qui construit une culture. Les traditions, ce sont les traditions qui ont survécu, celles que nous connaissons ou partageons. Il y en a eu d’autres qui n’ont laissé nulle trace. Libraire, je suis bien placé pour le savoir. Année après année, les livres disparaissent. Ceux qui restent au-delà des siècles, c’est notre culture littéraire. Montaigne et pas Paul Bourget. Tout écrivain est créateur. Ça ne signifie pas pour autant qu’il fera partie de notre patrimoine culturel. Pensons avec regret à Thyde Monnier, une sorte de Guillaume Musso des années 1920 et que plus personne ne lit.

Je déteste Jack Lang, ministre fossoyeur de cette culture dont il était en charge. Je compare en me marrant l’œuvre de Jack Lang et celle d’André Malraux. Malraux le romancier, le créateur, l’homme qui laissera une œuvre et qui avait fait de la préservation du patrimoine une priorité absolue. Il le savait bien, lui, que la création était insuffisante à définir la culture. En face, Jack Lang, à l’œuvre anorexique (à part un traité sur le droit de la mer, sa vraie spécialité) qui s’est évertué à aider les créateurs dont il était incapable de faire partie. Qui a négligé la dimension historique qu’il était incapable de percevoir. Je n’exagère pas. Sous Jack Lang, des musées comme le Musée des Monuments Français ou le Musée basque ont failli disparaître, faute de crédits.
Jack Lang s’est autoproclamé Ministre de la Création alors qu’il était Ministre de la Culture et ce n’est pas la même chose. Ses successeurs se sont crus obligés d’en faire autant. Et l’idée est passée que la création était de la culture.

Mais, mééééé, bêle le peuple. Il faut bien soutenir la création. Non. Ce qui doit soutenir la création, c’est le marché. Comme toujours. Hugo vivait (fort bien) de ses livres et Picasso de sa peinture. Tous les créateurs qui survivent aujourd’hui dans notre culture ont vécu de leur art. Il y a quelques exceptions : Van Gogh, par exemple. Encore que le Docteur Gachet lui ait donné un coup de main. Modigliani. Ces exceptions ont créé le syndrome de Chatterton (ce n’est pas un ruban adhésif) ou syndrome de l’artiste maudit. De là à en déduire que tout artiste ne vivant pas de son art est un génie, il y a un grand, un très grand, pas. Que des artistes médiocres en vivent grassement ne signifie rien, non plus. Il y en a toujours eu. Thyde Monnier, par exemple. Ou William Bouguereau (encore que…. Je l’aime bien Bouguereau). Après leur mort, le marché s’en détourne. Le marché se rétrécît, il se détricote. La masse passe à autre chose, les amateurs cultivés la remplacent. Le filtre de l’Histoire joue à plein.

L’Histoire. Cette base idéologique qui caractérise la pensée de gauche, le matérialisme historique. Je déteste le marché, mais je dois bien convenir que le marché, aussi, a une histoire. Et qu’en matière de culture, la « main invisible » d’Adam Smith fonctionne plutôt bien. J’ai passé des heures à dénicher des livres d’auteurs oubliés pour m’apercevoir que, s’ils étaient méconnus, c’est qu’ils le valaient bien. En fait, la main invisible fonctionne dès qu’elle sort du présent immédiat.

On en reparlera.

jeudi 16 septembre 2010

LE CITADIN EST UN PARASITE


En février 2008, j’ai été invité à une réunion de géographes sur la perception de la ville grâce au Vélib’. Le texte préparatoire m’a foutu hors de moi tellement il était bobo-gnangnan et politiquement correct.J’ai donc décliné et envoyé cette contribution qui n’a pas été lue, bien entendu. Elle a pourtant été partiellement reprise par mon ami Cassandre dans son blog des Cafés-géo 

(http://www.cafe-geo.net/rubrique.php3?id_rubrique=43 )

 LE CITADIN EST UN PARASITE

 Il est temps de le dire clairement face à la dérive de la raison. Le citadin est un parasite. Il ne produit rien, rien que de l’argent, ce qui n’est pas si mal mais qui reste insuffisant pour construire une société juste. Par ses modes de vie, ses modes de pensée, son arrogance, le citadin, et le Parisien plus que tout autre, est un destructeur. Coupé du monde, le vrai monde, le monde où il fait froid l’hiver et chaud l’été, le monde où les arbres fleurissent au printemps et où Pâques voit naître les agneaux, le citadin n’a même plus conscience qu’il détruit. Enfant gâté, il veut tout, tout de suite et affirme bien haut qu’il est prêt à payer le prix. Rien n’est plus faux, bien entendu.

Le citadin ne paye pas le prix de ce qu’il consomme. Il le fait supporter aux autres, les bouseux, les cul-terreux, les provinciaux aux accents insupportables, au vocabulaire exotique. Pour qu’il consomme ses laitues en janvier, il n’est pas gêné que des milliers de camions passent quotidiennement dans les vallées basques et catalanes. Le coût de cette pollution n’est pas pour lui. Pas plus que le coût de la climatisation et du chauffage qui lui servent à annihiler cette horreur : la succession des saisons.
Le citadin ne paye pas car il est malin : il a des copains qu’on appelle les distributeurs qui savent acheter du poisson au Chili ou des haricots verts au Kenya pour qu’il ait tout, toute l’année, au meilleur prix. Les maraîchers locaux qui ne peuvent survivre, les pêcheurs bretons acculés à la faillite, ce n’est pas le problème du citadin. Après tout, ces gens là n’ont qu’à vivre en ville. Comme tout le monde.

Ils n’ont qu’à avoir les problèmes de tout le monde. Par exemple, comment voir la ville du haut de son Vélib. C’est bien le Vélib, c’est écologique, ça évite de polluer Paris avec sa voiture et de savourer pleinement les laitues de février. C’est pas polluant, sauf peut-être, éventuellement, lors de sa construction en Chine dans une usine qui ne respecte pas tout à fait les normes du Protocole de Kyoto. C’est pas polluant, sauf peut être, éventuellement, les gros camions qui sillonnent la ville toute la journée pour aller remettre des Vélib aux parcs à Vélib qui en manquent.

Le citadin a la fibre verte. Il aime le grand air au point qu’il préfère vivre dans un pavillon avec jardin à deux heures du centre ville. Ou alors, il cajole un buron en Aubrac ou une vieille maison dans le Beaujolais pour profiter du bon air, de ce bon air qu’il ensemence de fumées pour rejoindre son pavillon, son buron ou sa ferme retapée. Il est vrai que c’est lui qui jouit du bon air mais l’ensemble du monde qui va profiter de son CO2.

Le citadin est soucieux de sa santé. Il porte une attention réelle et soutenue à ce qu’il mange. Il lui faut des légumes verts qui semblent gorgés de vitamines, des pommes rubicondes, des brocolis au vert tendre. Il se fout que les pommes viennent de Nouvelle-Zélande et les brocolis du Kenya. Ne rions pas : le 9 février 2010, à l’angle de la rue des Martyrs, sur les étals du plus grand cours des halles du quartier, moins de 10% des produits venaient de France et on ne peut pas jurer qu’ils ne soient pas cultivés sous serre. Bons pour la santé du citoyen, peut-être (encore qu’on puisse en douter dans l’ignorance où nous sommes des pratiques culturales), bons pour la santé de la Terre, sûrement pas. Mais ce n’est pas grave : on compensera en utilisant le Vélib et en votant pour les Verts. C’est ça la conscience politique du citadin : une douce musique pompée dans les médias.

Dans les sociétés traditionnelles, la production sur place est la règle, le transport l’exception, à l’inverse des sociétés modernes. La première fonction du transport n’est pas de transporter des marchandises mais de transporter des hommes. Des centaines de millions d’êtres humains commencent par se transporter de leur lieu d’origine vers les mégalopoles, puis, quotidiennement, ils se transportent de leur lieu de vie à leur lieu de travail (car le travail ce n’est pas la vie, n’est-ce pas ?) dans une noria incessante et quotidiennement renouvelée, ils se transportent de leur lieu de vie à leurs lieux de loisirs, de leurs lieux de vie aux lieux de vie des autres. Ils n’en ont  même plus conscience tant la mobilité est devenue la règle et même un mode de vie que les publicitaires nous ressassent : soyons mobiles….

Le citadin s’en fout. Moderne, il est persuadé que le Progrès apportera des solutions. Il ne sait pas que le Progrès n’est qu’un faisceau de technologies qui ne peut apporter que des réponses immédiates à des problèmes immédiats. Il n’y aura pas de réponse immédiate aux nuisances générées par un siècle et demi de transport échevelé. Il y a trop de retard, trop d’habitudes, trop de CO2. Il y a trop de camions, trop de bateaux, trop d’usines. Nous sommes incapables d’appliquer le Protocole de Kyoto qui ne prévoit pourtant qu’une diminution de la production de gaz à effet de serre, une diminution, pas une inversion. Mais le citadin a besoin de croire et le Vélib aide à croire. Il est le symbole de sa bonne volonté, alors il l’aime.Le Velib est le crucifix d’une nouvelle Foi, la Foi en un avenir radieux.

Quand le citadin va voir le cul-terreux, il arbore volontiers quelques signes de modernité comme la grosse auto ou le portable dernier cri. Le cul-terreux, il aime pas beaucoup, il sent un danger. Il a pas de vraies connaissances en économie mais il voit bien que les choses ne vont pas dans le sens de sa vie. Forcément : il y a 50 ans, le citadin dépensait plus de 50% de ses revenus pour se nourrir. Normal : quand on ne produit pas, faut payer ce qu’on ne produit pas. La part de la nourriture n’a cessé de décroître, au même rythme que baissaient les revenus du cul-terreux. On lui a bien filé des pansements, une politique européenne, des subventions, mais dans l’ensemble, ça n’a pas vraiment suffi. Le citadin, lui, économisait sur sa bouffe et réorganisait son budget. L’argent investi dans le portable n’est rien d’autre que l’économie faite sur le dos du cul-terreux. C’est la définition même du parasite : il construit sa vie sur la perte des autres.

Le cul-terreux  a quelques idées simples : il sait, parce qu’il les voit pousser, que les arbres ne grimpent pas jusqu’au ciel. Il sait que la terre est basse et que les champs sont limités. C’est sa vie la limite, la borne qui délimite son champ, la route qui mène au village voisin. Le citadin a perdu le sens de la limite. Il bâtit sa vie sur la croissance infinie, sur le déplacement infini, il a le monde pour domaine. Il a seulement oublié que le monde mesure 40 075 kilomètres de circonférence, pas un de plus, et il n‘y en aura jamais un de plus. Il oublie que la Terre vit car le Progrès le protège du chaud, du froid, du noir. Mais pas de l’inconnu.

Le citadin a le monde pour domaine et il le traite comme tel. Il va dans les forêts des cul-terreux chercher des champignons ou des brins de muguet, le dimanche, pour ses loisirs. Il se balade dans les champs de trèfle qui sont pour lui comme un jardin. Il randonne en montagne avec son chien qui affole les brebis et hurle quand il se trouve pris dans un écobuage. Il va alors jusqu’à dénier au cul-terreux le droit de s’occuper des pâturages qui le font vivre. C’est pas beau la montagne après un écobuage. Le citadin n’imagine pas que les champignons ou le muguet sont un revenu d’appoint, qu’un champ est beaucoup plus difficile à faucher quand il a été piétiné, qu’un troupeau de moutons qui fuit ce sont des brebis qui n’agnelleront pas. Et si le cul-terreux, excédé, sort son fusil, le citadin s’offusque. Il s’offusquerait bien plus si le cul-terreux venait piétiner son jardin à lui.

Car le citadin veut le beurre et l’argent du beurre, l’éclairage public qui brûle toute la nuit, les espaces verts et les légumes verts, la climatisation toute l’année, le bon air, le fric, les loisirs. Tout. Il a perdu tous les savoirs, les vrais, le savoir du temps qui passe, le savoir des rythmes de la terre et n’en a acquis aucun car il confond désormais savoir et information. Il croit dur comme fer que Poivre d’Arvor lui apprend des choses.

Alors le citadin qui est un petit être borné, qui bouffe de l’information frelatée et de la nourriture frelatée (TF1 et MacDonald), un petit être qui refuse de réfléchir à ce qu’il est et ce qu’il fait, enfourche son Vélib. Dieu merci, il ne peut pas sortir de Paris, aller par exemple sur la branche de l’autoroute du Sud qui conduit à Rungis, vers trois ou quatre heures du matin. Là, il pourrait toucher du doigt les conséquences de son mode de vie. Mais il est tellement con qu’il ne pourra s’empêcher d’admirer toute cette puissance qui lui permettra demain d’aller acheter des tomates et des céréales pour son lardon qu’il engraisse afin de mieux enrichir les nutritionnistes.

Le cul-terreux sait, lui : les céréales, c’est pour le bétail…..

Voilà, ce que j’aurais voulu entendre sur le Vélib dans une perspective géographique : le monde, les transports, c’est de la géographie. Pas un discours gnan gnan sur la perception du monde du haut de son Vélib… Laissons ça aux psychologues et aux pages bien-être des magazines féminins. Revenons aux fondamentaux. Pas comment on vit, mais comment on devrait vivre, pas comment on pense mais comment on devrait penser. Pas comment on perçoit. Depuis Platon, on sait que ce qu’on perçoit est con.

On en reparlera…..


mercredi 15 septembre 2010

LES ROMS FONT CHIER


 Les Roms font chier. Pas moi. Les Roms, au fond, je m’en tape. Mais tout le monde en parle, du bistro du coin à l’ONU. Tu peux pas ouvrir la télé sans qu’on te bassine avec les Roms. Des fois, les Roms deviennent « gens du voyage ». Ça veut dire que c’est des Roms qui viennent pas de Roumanie. Des Gitans, par exemple. Des Gitans qui voyagent, je veux dire, parce que des Gitans qui voyagent pas, j’en connais une tapée. Tu vas à Séville, quartier de Triana, ça fait quelques siècles que toutes les maisons, elles sont occupées par des Gitans qui voyagent pas. C’est pareil partout, à Bayonne (Hola, Rafael !), à Perpignan ou à Toulouse.

Je vais vous dire, c’est pas les Roms qui posent problème, c’est les caravanes. Les Roms, tu les mets dans une cité, ils se confondent avec les murs. Les caravanes, c’est autre chose. Les caravanes, c’est la mobilité. Tu t’endors le soir face au paysage bucolique, le lendemain matin t’as cinquante caravanes devant tes fenêtres. Et peut-être que demain, y’en aura plus. C’est quoi ces gens ?

C’est des nomades. Et les nomades, c’est une relique des temps anciens. Les nomades font chier. Ils sont incontrôlables. Pas de domicile, pas d’impôts, pas de compte en banque. Les gosses pas (ou pas trop) scolarisés. Le boulot, on sait pas trop. Ils sont pas commerçants vu qu’ils ont pas de boutique. Pas artisans non plus, faut un atelier. Jadis, ils faisaient de la vannerie, du rempaillage de chaises, ou des trucs comme ça, quand deux mains font une boîte à outils. Aujourd’hui, la vannerie, elle vient de Chine et on rempaille pas les chaises de chez Ikea.

Tout le monde déteste les nomades. Sauf quand on vend des voyages. Là, le nomade c’est un gros atout marketing. Le Touareg, seigneur des sables. Le Mongol enyourté. C’est de la valeur sûre, de la facture avec plein de zéros. On y va « en terre inconnue » pour filmer une personnalité people qui va mourir d’amour pour le nomade libre. Faut faire attention, pas que Brahim il sorte son téléphone cellulaire devant les caméras. Ça te casse vite le mythe.
Mais Brahim, il a envie d’appeler sa femme qui s’occupe des gosses à Tam, dans la solide maison qu’il a pu faire construire en accompagnant des voyageurs. Parce que Brahim, il est comme tous les nomades. Il est mieux sédentaire.

Le nomade est un mythe. Il est l’homme le moins libre du monde. Il est prisonnier de la nature. Tu crois qu’il fait trois jours de marche avec ses troupeaux pour le plaisir de marcher ? Mon cul, dirait Zazie. Il cherche de l’eau et les pâturages qui vont avec. Il est prisonnier des puits, des pluies, de cette eau qui va faire verdir un coin de désert pour que ses bêtes vivent, et sa famille avec. Alors pour ça, il marche, il installe sa tente, il la démonte, il va ailleurs, il fait des efforts incroyables. Mais le jour où il peut remplacer la tente par une maison en dur et acheter une Land-Rover pour  aller voir ses troupeaux en deux heures plutôt qu’en deux jours, il le fait. Et s’il peut remplacer ses troupeaux par des troupes de voyageurs, plus rentables et que t’as pas besoin de soigner pendant toute l’année, il le fait aussi. Il est comme toi, le nomade. Il a besoin de confort.

Mais, mééé… bêle le voyageur. Dormir sous les étoiles, c’est génial. Oui. Quinze jours. Toute l’année, c’est autre chose. Toute l’année, t’es sûr d’avoir des nuits de vent de sable, quand le désert gronde, que les tentes claquent, que les bêtes s’affolent. Là, c’est plus le paradis sous les étoiles.

Le nomade touristique, il est agriculteur. Dans les brochures et les livres d’ethno, on dit « pasteur », c’est quasi-biblique. Il fait nomadiser des troupeaux. En Europe tempérée, ça marche pas. T’en as pas besoin. Tu nomadises pas tous les jours, tu transhumes une fois l’an. Les touristes adorent ça, la transhumance. Ils savent pas qu’on fait partir deux cents bêtes du village avec fête régionale et danses folkloriques et que le reste, ça part en camion pour moins s’emmerder. Autrefois, le berger restait en montagne. Aujourd’hui, il a un 4x4 et il rentre dormir avec sa femme. Le 4x4 a fait baisser le nombre de cocus dans les vallées. C’est un progrès.

Les Roms, ils sont baisés. Ils peuvent pas faire nomadiser des troupeaux. Nomades, mais pas pasteurs. Pas pasteurs, mais pas commerçants, ni artisans. On l’a vu. Il reste plus que les activités de survie, la manche par exemple. C’est même plus des voleurs de poules, les poules, elles sont en batterie dans des usines à pondre. Et forcément, les activités de survie, elles sont souvent aux marges de la légalité.

Les angéliques défenseurs des Roms, ils nient farouchement. Faut pas stigmatiser. Certes. Mais faudra m’expliquer de quoi on vit, en Europe, quand on est nomade. De quoi on vit et comment on vit.

Faut pas déplacer le problème, en fait. Les Roms ne sont pas le problème. Le problème, c’est le nomadisme et son statut dans les pays développés. Il reste quelques nomades en Europe. Pasteurs. En Cantabrie, dans la vallée du haut-Pas. Des bergers qui passent l’année à aller d’un pâturage à l’autre. Leur nombre diminue d’année en année. Les autorités considèrent chaque bergerie comme une résidence secondaire et leur collent les impôts  qui vont avec. Ça rentabilise pas le fromage. Alors ils quittent la montagne et vont travailler dans les hôtels de la côte. Y’en a un qui m’a dit « on change de moutons ». Le nouveau mouton, c’était moi.

On en reparlera…

lundi 13 septembre 2010

TU CONNAIS LA SYNECDOQUE ?

Une voile parût. C’est une synecdoque. Ce qui apparaît, ce n’est pas une voile, c’est un bateau. Une voile toute seule, c’est pas possible. La partie signifie le tout.

C’est une figure rhétorique, un trope pour les linguistes. Les figures rhétoriques, c’est fait pour vous faire prendre conscience de choses que vous auriez pas imaginé par vous même. Raffaele Simone, il est linguiste et la rhétorique, il connaît. D’ailleurs, il utilise pour titre un oxymore. « Monstre doux », c’est un oxymore, une figure de rhétorique qui réunit deux mots contraires en apparence. Raffaele Simone a oublié la synecdoque.

L’humanisme est une synecdoque de la gauche. Tu peux pas être à gauche si t’es pas humaniste. Mais c’est pas parce que tu es humaniste que tu es à gauche. Ça ne suffit pas, c’est juste une partie de la pensée de gauche. Y’a des humanistes de droite. On les appelle des « dames patronnesses » (on me pardonnera, mais je n’ai pas trouvé de masculin à cette expression). Des gens qui sortent le mouchoir et l’aumône quand ils ont envie de pleurer. Des gens qui ont « leurs » pauvres, « leurs » bonnes œuvres. Des gens qui ne mettent jamais leur propre confort en péril. Des gens qui cherchent à se payer (le moins cher possible) une bonne conscience.

Etre à gauche, c’est vouloir la justice sociale. Joli mot pour dire qu’il faut mieux répartir les bénéfices entre le travail et le capital. Marx (qui c’est, celui-là ?) en parle bien, même si c’est un peu compliqué. Tu bosses, tu crées de la plus-value. Qui va l’empocher ? Question simple. La réponse que tu vas donner te situera à gauche ou à droite.

Une répartition équitable de la plus value, ça va pas sans mal. Chacun chouine, hurle, menace, supplie pour conserver la plus grosse part du gâteau. Le patronat, le plus souvent, c’est la menace. Je licencie, je pars dans un autre pays. Autant dire que la justice sociale, ça se met pas en place dans la joie et l’harmonie. Faut un bâton. Un gros bâton. Aujourd’hui. Autrefois, fallait plus dur vu que les temps étaient plus durs. Un peu de guillotine pour récupérer les terres accumulées par des siècles d’exploitation. On a appelé ça la Révolution française. Le patronat de l’époque, il s’est barré. A l’Est. On n’en est pas morts.

Remarque, c’est normal. Le mec à qui tu veux faire les poches, il est pas d’accord. Il peut te comprendre, mais ça lui fait pas plaisir. Il renâcle, il s’oppose. Faut bien lui forcer un peu la main.

Et c’est là que surgit la synecdoque. Ho ! t’es à gauche ? Oui. Tu respectes donc la vie humaine ? Oui. Tu veux pas faire de mal à ton prochain ? Non. Contraindre, ça fait mal ? Oui.

Baisé. Tu viens de te faire baiser. Tu as ouvert la porte à la littérature idéologique historique. Et derrière la porte, fais moi confiance, y’a du monde, et du beau. Robespierre, Staline, Mao, Marx (qui c’est, celui-là ?), Lénine, le goulag et les koulaks, les morts de la Révolution culturelle. T’es pas un humaniste.

Il faudrait avoir le courage de l’accepter. De dire que l’humanisme, c’est juste un bout de la pensée de gauche. Un bout important mais juste un bout. Que la vie humaine n’est pas une unité de compte. C’est vrai que le mec qui licencie, il tue pas. En tous cas, pas vraiment et pas tout de suite. Il met juste quelques familles à la casse. Pauvres mais vivants. Le léninisme, c’était riches mais morts. Même pas. Les riches, ils pouvaient se barrer. La France a accueilli plein de Russes blancs. Ruinés mais vivants. Tu vois bien que c’est pas obligé. Ceux qui estimaient que leur pognon valait plus que leur vie sont restés là-bas. Ils ont perdu la vie et le pognon. Logique.

La pensée de gauche, elle fonctionne par groupes. Par classes sociales. Elle privilégie le groupe sur l’individu. Si contraindre une poignée ça améliore la vie de l’ensemble, contraignons. C’est pas honteux.

C’est pour ça que la pensée de gauche est morte. Depuis quelques décennies (et Raffaele Simone le dit justement), toute la médiatisation sur-valorise l’individu. Il est devenu l’alpha et l’oméga de la réflexion. On s’excite sur Sakineh, mais on refuse de réfléchir sur l’Islam. Le futur assassin de Sakineh, on le connaît. C’est le mec qui a mis les mollahs au pouvoir à Téhéran. Le mec qui a décidé que Khomeyni était un chef d’Etat valable. Personne, jamais, ne lui a posé la question. Personne ne lui dit que, pour réparer son erreur, ce serait bien qu’il aille voir le Président iranien et qu’il revienne avec Sakineh. Plus quelques autres dont on parle moins.

La pensée de gauche n’a que faire des individualités. La pensée de gauche est une pensée historique, pas une pensée du petit futur immédiat. Le penseur de gauche sait qu’il y a des dégâts quand on prépare l’avenir. Il les déplore, forcément, mais il les sait inévitables.

Raffaele Simone a très peur qu’on ne le croit pas humaniste. Alors, il se freine un peu. Il n’est pas le seul. Toute la gauche européenne fonctionne comme ça. Vaut mieux croire en l’humanisme qu’en la justice sociale. Mais le « peuple de gauche », celui qui vit au quotidien la pression économique, il est pas con. Il le sait bien, lui, que si on serre pas un peu le kiki des dirigeants, il n’obtiendra rien.

Alors, il regarde vers ceux qui parlent de serrer le kiki. Ceux qui se moquent de l’humanisme. La droite sans masque.

On en reparlera…

samedi 11 septembre 2010

L'ECOLE PRIMAIRE ET LES CATASTROPHES NATURELLES

Je viens d’écouter le Président d’EDF. Interrogé sur les dégâts de la tempête de 2009, dix ans après celle de 1999, il a expliqué qu’enterrer les lignes en France coûterait 100 milliards d’euro et que ce n‘était pas possible.

Il a sûrement raison. Sauf que ce n’est pas ce qu’on lui demande. Les lignes s’effondrent quand il y a une tempête. Or, depuis quelques siècles et pour les siècles à venir, les tempêtes viennent essentiellement de l’ouest. De l’Atlantique. Les régions sinistrées en cas de tempête sont avant tout les régions de l’ouest. Tempête après tempête, les départements qui dérouillent sont toujours les mêmes : Finistère, Gironde, Vendée, Landes.

En fait, préserver la France, ce n’est pas équiper la France, c’est équiper certaines régions plutôt que d’autres. Monsieur le PDG d’EDF devrait nous dire ce qu’il en coûterait de protéger une petite dizaine de départements, car protéger ceux-là c’est protéger l’ensemble.

Monsieur le PDG d’EDF, il peut raconter ce qu’il veut. Le public auquel il parle ne sait plus rien de la logique géographique. Personne ne va lui dire : « On te demande pas d’équiper la France ! on te demande de renforcer le maillon faible et le maillon faible, c’est la Gironde, pas la Côte d’or ». Seulement voilà : à l’école primaire, on n’apprend plus où est la Côte d’or, ni que les tempêtes viennent de l’ouest. Alors, il peut plastronner, se justifier, avec un discours bien cohérent, compris de tous ceux dont la pensée n’est pas cohérente.
Et donc, en 2009, dix ans après la précédente tempête « historique » (elles sont toutes historiques sur le moment), on n’a pas bougé d’un iota.

J’ai envie de dire à Monsieur le Président d’EDF que, si en dix ans, il avait enterré les lignes d’un département par an en commençant par l’ouest, la tempête de 2009 aurait été bien moins destructrice. Et ça n’aurait pas coûté 100 milliards d’euro.
Il y a une logique géographique : les tempêtes, elles frappent à l’ouest et les pires dégâts se produisent dans les forêts. Quand y’a du vent, les arbres tombent sur les lignes électriques. Pas utile d’avoir fait Polytechnique pour faire cette analyse.

Les évidences géographiques, on devrait les apprendre dans les écoles primaires. Tenez celle-là, par exemple. Il fait plus chaud au sud qu’au nord. C’est pas une banalité. Du moins, c’est pas une banalité pour le mec du Pas-de-Calais qui fait le plein de sa cuve à mazout. Tout simplement parce que son plein, il va durer moins longtemps à Hénin-Beaumont qu’à La Ciotat. Il fait plus chaud au sud qu’au nord, ça veut dire que les priorités budgétaires, elles sont pas vraiment les mêmes au sud qu’au nord. Que les modes de vie, ils sont pas vraiment les mêmes. Conclusion : la géographie est une atteinte au principe républicain d’égalité.

Mais voilà : pour les gouvernants, une loi, ça doit être pareil pour tous. On fixe le prix du fioul pour qu’il soit pareil à Lille qu’à Marseille. On aide l’isolation de la même manière à Arras qu’à Cannes. Alors qu’isoler sa maison n’a pas le même effet à Calais qu’à Montpellier.

Un appareil législatif républicain, ça devrait être fait pour CORRIGER les inégalités, pas pour les laisser dans l’ombre. Pas non plus pour les accentuer.

Je pensais à ça en lisant le superbe coup de gueule de l’ami Gentelle dans son blog (http://www.cafe-geo.net/rubrique.php3?id_rubrique=43 ). Il nous dit quoi, Gentelle ? Que la plupart des catastrophes qui font chouiner le téléspectateur, elles sont prévisibles mais non prévues. Inondations, séismes, éruptions volcaniques, cyclones, sècheresses, on en sait assez pour tout prévoir et diminuer la gravité de ces évènements. On sait, par exemple, que Nice sera rayé de la carte un jour. Tout le monde le sait. Aller s’installer à Nice, c’est prendre le risque de se retrouver un jour devant les caméras de TF1 en train de se lamenter qu’on a tout perdu. Comme dit Gentelle : « C’est un aménagement du territoire déficient qui laisse l’ignorant s’installer en masse là où l’on sait qu’un jour ou l’autre il perdra tout ».

Là où on diverge, c’est sur le mot « ignorant ». Le mec qui s’installe dans une zone inondable, il le sait bien que c’est inondable. J’ai un souvenir très précis, à Lahonce, d’un lotissement en pied de colline dont la partie basse était barrée par un beau remblai de chemin de fer. Tu regardais le site, c’est la première chose que t’imaginais. L’eau qui dévale et qui va s’accumuler au pied de la voie ferrée. Surtout qu’avec le lotissement, ses toits et ses rues, la percolation dans le sol et l’absorption naturelle, ça peut plus marcher. Toute la flotte en bas. Pas la peine d’être géographe.

La zone était pas inondable. Elle avait jamais été inondée tant qu’elle était en friche. A cause de la percolation et de l’absorption naturelle. Dès qu’elle a été construite, ça a commencé. Le Maire, il était pas en tort. C’était pas inondable historiquement. C’était pas construit non plus, faut dire. La Terre, c’est ça : un système à paramètres multiples. T’en touches un, le système change. Les risques aussi. Dans un bassin versant, si tu aménages l’amont, c’est l’aval qui va dérouiller. Le maire en amont, il est dans la légalité. Le maire en aval, aussi. Il faudra attendre la coulée de boue (prévisible) pour bouger.

Pas la peine de chercher les responsabilités. Elles sont impossibles à trouver, à prouver. Quand on vit en société, si chacun tricote son truc dans son coin, ça marche pas. Il faut une autorité régalienne, souvent insupportable, qui va décider, contraindre le maire en amont de collecter sa flotte et obliger le maire en aval à la prudence. Une autorité qui va balancer les arguments, peser et soupeser. Et qui va introduire le facteur Temps.

Remarquez, on l’a eu. Ça s’appelait le Commissariat au Plan.

On en reparlera.


vendredi 10 septembre 2010

MAO EN AFGHANISTAN

C’est à ce genre d’article qu’on voit qu’un journal a viré sa cuti. Quel journal ? Ben, le dernier. Libération. Journal de gauche, me disaient mes copains. Moi, je doute façon Descartes. Avec un proprio qui s’appelle Rothschild ? Ouah, l’autre, ça veut rien dire. Ah bon.

Depuis le 14 août 2009, je la tiens ma preuve. Quatre pages avec titre à la une. « Afghanistan, un désastre annoncé ». Joffrin, prétendument de gauche, il croit tenir un scoop. Il a complètement oublié que, dans l’Histoire, on n’a pas encore vu une armée populaire se faire battre par une armée étrangère. Quand t’es à gauche, tu dois savoir ça, quand même. Z’avez oublié ? Pour nous, l’Algérie, le Viêt-Nam. Les Anglais, ils ont eu les Mau-Mau, les Américains, la Corée, le Viêt-Nam. Je pourrais rajouter les Allemands et la France, mais on me dirait que j’exagère. C’est toujours pareil, le peuple se soulève et il gagne.

Mais non, ils me disent, mes copains, c’est pas pareil. Ah bon ? Les Afghans, ils sont chez eux, peinards, à cultiver leur pavot et à transformer leurs femmes en pochettes-surprise (tant que t’as pas ouvert l’emballage, tu sais pas ce qu’il y a dessous). La plupart, ils sont calmes. Ils ont quelques fréquentations turbulentes, mais ils sont chez eux, ils reçoivent qui ils veulent. Explosion des copains. J’entends de tout, laïcité, droit des femmes, système clanique. Laisser passer l’orage. Mes copains, ils sont pas spécialistes de l’Afghanistan, ils lisent juste la presse et ils croient savoir. Ils oublient cet infime détail : les Afghans sont chez eux. Avec leur histoire, leur religion, leur culture. Chacun son truc : eux, ils ont des mollahs qui tuent avec des kalashnikovs, nous on a des curés qui tuent en interdisant le préservatif. Ben oui, c’est logique. Si t’admets Benoît XVI, faut bien admettre le mollah Omar. Tu peux pas dire que le Teuton sanctifié, il est bien, et que le barbu excité, il est mal. Parce que si tu creuses, t’arriveras forcément à la conclusion que le Blanc c’est le bien et le pas-Blanc, c’est le mal.

Ils sont chez eux. Ils vivent mal. Ou ils survivent mal. Peu importe. Quand t’es chez toi, tu vis comme tu veux, tu pisses dans le lavabo et t’écoutes Jean-Pierre Foucauld. Alors, si un mec s’amène, s’installe et t’interdit de pisser dans le lavabo, tu râles. Le mec, il est costaud, il te colle une beigne et il s’installe. Et, petit à petit, tu vas l’observer et attendre le moment où tu pourras le foutre par la fenêtre. Pas d’homme à homme, comme on dit. Il est trop costaud. Mais tu vas trouver une idée. Et attendre le moment opportun.

Je simplifie à outrance, mais c’est comme ça. Les Afghans, ils nous ont vu débarquer, ils sont entrés en résistance. Libération rappelle les tentatives anglaise, russe et y voit une constante historique. Libération se trompe. Quand une armée de l’ombre (Ami, entends-tu ?….) se constitue, c’est une armée populaire, un phénomène social pas historique. On a vu apparaître une logique de guerilla, des embuscades, des combattants qui sont « comme un poisson dans l’eau ». Comme les résistants français, le FLN ou le Viêt-cong. Ouais, me disent mes copains, ils terrorisent les habitants. Mes copains, ils croient que les habitants, ils sont plus terrorisés par leur voisin qui planque un fusil de combat sous sa djellaba que par les soldats occidentaux déguisés comme des tortues ninja et qui causent des trucs incompréhensibles. C’est toujours pareil : on a la trouille de ce qu’on connaît pas. Ça fait un moment que je le dis, les talibans vont gagner parce qu’on est dans la logique  analysée par Chalmers Johnson dans les années 1960 : un nationalisme paysan qui se transforme en guerre populaire. Comme Mao et Tito. (Parenthèse : Chalmers Johnson, qui c’est ? un intellectuel américain oublié qui avait analysé la manière dont les guerres populaires sont d’autant plus efficaces quand elles reposent sur un substrat nationaliste. Parenthèse bis : il a été traduit en français par Lionel Jospin)

Mes copains, ils sont bien de leur temps. Ils croient que des va-nu-pieds avec des fusils bricolés ne peuvent pas gagner contre des drones, des missiles et des véhicules légers de reconnaissance. Ils ont oublié que Giap avec des vélos a filé une grosse raclée aux hélicos de combat d’Apocalypse Now. Ils ont oublié la sublime phrase d’Ho Chi Minh devant la débauche de moyens mis en œuvre par les USA : « Même avec neuf femmes, on ne peut pas faire un enfant en un mois ». La ferraille ne peut rien contre une volonté politique. Obama, il est magnifique : « Nous sommes en Afghanistan pour protéger notre territoire ». Il se goure l’Harvardien métissé. S’il veut pas être emmerdé par Al-Qaida, il lui suffit de surveiller ses frontières, de bosser sur son territoire. Pas la peine d’aller en Afghanistan. Les mecs qui ont ratiboisé les Twin Towers, ils étaient en Amérique avec titres de séjour et autorisations en règle, faut pas l’oublier. On veut faire payer aux Afghans les insuffisances des services policiers américains, c’est gonflé quand même…. Autre parenthèse, c’est pas nouveau. J’ai assisté un jour à l’évacuation musclée de clandestins basques réfugiés dans la cathédrale de Bayonne. Sauf que les clandestins, ils arrivaient du Mexique et la République Dominicaine, ils étaient passés par Roissy, ils avaient été contrôlés ( ?) par la PAF qui n’avait rien vu. C’est pas à eux qu’il fallait foutre des baffes, c’est au patron de la PAF qui avait pas fait son boulot. Comme les services américains. Si tu réfléchis un peu, le coupable c’est pas Ben Laden, c’est le patron du FBI qui n’a rien vu. Le coup de l’Afghanistan, c’est comme si tu portais plainte contre le proprio qui a loué un appartement au mec qui est venu faire un casse chez toi. Engueule plutôt ton serrurier qui t’as vendu pour une fortune une porte blindée que le mec a dézingué en deux temps trois mouvements.

Donc, on est en train de prendre une pâtée. Comme à Alger ou à Saïgon et pour les mêmes raisons. Avec le même fonctionnement. Dans Libération du 19 août 2009, il y a une interview d’un mollah afghan qui explique gentiment qu’il achète des SAM 7 avec le fric des Saoudiens. Si tu crois que les Saoudiens sont les allés des Occidentaux, ce que tu te goures, fillette, fillette. Les Saoudiens, ils prennent le pognon de Total ou BP et ils le filent aux talibans pour qu’ils flinguent en toute sérénité les marsouins français.  Moi, j’aurais tendance à dire que c’est Total (ou BP) qui devrait payer les funérailles nationales. Ho ! faut pas déconner. Ils ont déjà payé pour les missiles, tu veux pas les faire payer deux fois, non ? Tu vas leur ruiner la marge et le cours de Bourse. J'admets qu'ils savaient pas à quoi servait leur fric. S'ils avaient su, je suis sûr qu'ils arrêtaient d'acheter du pétrole aux Saoudiens.

Ils sont pas bien les Afghans. Ils font des vilains attentats et ils ont pas d’uniforme. Comme les copains de Guy Moquet qui ont abattu un officier allemand. Tu mets pas un uniforme pour commettre un attentat. Enfin, tu peux en mettre un mais ça limite tes chances quand même. Les Afghans, ils appliquent les règles (et surtout l’absence de règles) d’une guerre populaire de résistance. Ils peuvent parce qu’ils sont chez eux. Les Pashtouns, tu les mets chez les ch’tis, ils s’en sortent pas à cause du Maroilles et du lard fumé. Ils sont comme un poisson dans l’eau, ils appliquent les préceptes codifiés par Mao. Mes copains, ils se marrent. La pensée de Mao, c’est fini, je suis vraiment un dinosaure. Moi, je regarde : la stratégie de guerilla, l’attaque par petits groupes en embuscade, la disparition dans le milieu ambiant où t’es plus repérable, le travail idéologique en sous-main, si c’est pas les principes militaires du maoïsme, qu’est ce que c’est ?

Le seul truc dont je suis sûr, c’est que les équipes de communicants d’Obama et de Sarkozy, ils sont déjà en train de réfléchir. Sujet : comment présenter une bonne branlée comme une victoire de la démocratie ?

Bof, Carla en fera une chanson, musique de Bénabar, paroles de Bernard Kouchner. Je l’écouterai dans une émission de Jean-Pierre Foucauld en pissant dans le lavabo.

mercredi 8 septembre 2010

LE MEILLEUR DES DEUX MONDES

C’est juste une expression à la mode. Les Romains avaient un truc identique : Mens sana in corpore sano. Ça veut dire que pour être bien, il faut entretenir à la fois son esprit et son corps, garder une sorte d’équilibre. Le meilleur des deux mondes.

C’est joli, mais ça oublie un truc : la compétition. La compétition, ça ne laisse pas de place à autre chose que la chose qu’on a choisie. Tu choisis ton truc, tu t’y donnes à fond. Si c’est les neurones, c’est bachotage, concours, carrière, juste un peu de place pour taper dans une balle ou pédaler sur une route de campagne, mais là t’es mauvais. T’as le meilleur d’un monde, pas des deux. Au contraire, si c’est le muscle, c’est huit heures d’entraînement par jour, la muscu, le kiné, t’as pas trop le temps de lire autre chose que L’Equipe. Et encore, pas toutes les pages. Et t’as pas intérêt à t’économiser. Dix longueurs de bassin en moins et adieu le podium. On a des exemples récents.
Bref et pour faire court, si tu veux l’équilibre tu peux l’avoir, mais t’auras pas le meilleur des deux mondes, juste la moyenne des deux. C’est récent. Moi, je me souviens de sportifs de haut niveau qui étaient sacrément corticalisés. Lucien Mias, par exemple, capitaine de l’équipe de France de rugby et brillant chirurgien. Ou Alain Calmat qui reçut quasiment en même temps son diplôme de médecin et sa médaille d’or aux JO. Aujourd’hui, il faut choisir. Et pour Monsieur, ce sera quelle case ? Fromage ou dessert ? Bibliothèque ou piscine ? Bien sûr, tu peux être avocat et entrainer une équipe de foot. Mais te fais pas d’illusion. Si tu plaides beaucoup, tes footeux, ils dépasseront pas  le championnat départemental.

Dans le voyage, on fait pareil. Aventure ou culture ? Séjour ou balade ? Cheap ou chic ? On doit choisir en permanence. Le meilleur des deux mondes ? Faut le dire vite. C’est vrai que c’est pas simple. L’Autriche, par exemple. Je me ferais bien une haute route dans l’Otztal, un concert à Salzburg, une visite de Schönbrunn et quelques jours d’ornithologie sur le Neusiedler See en dormant chez l’habitant. Je dis ça parce que je l’ai fait, il y a vingt ans et avec deux petites filles.C’était pas très compliqué, en fait. Moins compliqué qu’aujourd’hui. On vivait dans un monde qui concevait pas la spécialisation comme nous. Sans Internet, sans fax, sans carte de crédit. Mon copain voyagiste, il avait juste pris son téléphone et appelé l’OT autrichien. J’aurais pu le faire moi même ?  Non. Y’avait pas de cartes de crédit, donc en passant par un voyagiste, je payais le plus gros à Paris, par chèque, et je limitais le risque de me balader avec trop d’espèces.

Ce qui a tué tout ça, c’est la base de données. Le voyagiste, il va chercher dans sa base de données. Et il va vous proposer ce qu’il y a dedans. Plus elle est grosse, plus le choix sera large, mais elle ne sera jamais exhaustive. Internet non plus n’est pas exhaustif, merci Seigneur. Il y a toujours des trous. Mais le voyagiste, il rigole pas avec ses bases de données, il travaille, il complète. Toujours dans le même sens. Le sens qu’il veut donner à son catalogue. Alors, s’il est spécialisé culture, accrochez vous : vous allez avoir droit à des sites archéologiques improbables où personne ne va jamais (et pour cause !) accompagné par l’un des cinq spécialistes mondiaux du sujet. S’il est tendance aventure, il vous concoctera des ascensions exceptionnelles, tellement hard que, le plus souvent, vous avez droit à des week-ends de préparation. On vous demande pas de prendre un abonnement dans une salle de muscu, mais c’est tout juste. Dans tous les cas, il s’agit d’aller plus loin dans une direction et une seule.

Si vous avez envie du meilleur des deux mondes, le site archéo et l’ascension, vous êtes coincés. Y’en a un qui n’a pas de guides de haute montagne dans sa base de données, l’autre qui n’a pas d’archéologues. Un qui a des refuges, un qui a des hôtels de charme. Un qui loue des voitures avec chauffeur, l’autre qui s’étrangle de rage si on ne veut pas aller à pied. Et c’est pire encore, si vous avez des envies moyennes. Là, on saura vous rappeler que moyen et médiocre, c’est la même étymologie. Vous cherchez un spécialiste, non ?

Ben oui. Moi, je pense bêtement que qui peut le plus peut le moins. Pas eux. Ils pensent que qui peut le plus peut encore plus. Pas le mieux, le plus. Pas le meilleur des deux mondes, le meilleur de leur monde. Et vous avez intérêt à en faire partie. Sinon, allez ailleurs. Mais où ?

C’est pas d’hier. J’ai été élève de l’ENLOV. Ecole Nationale des Langues Orientales Vivantes. On disait Langues O’. N’importe qui pouvait y aller. Les cours étaient adaptés. J’avais des copains qui faisaient Sciences Po, HEC ou les Mines. Et Langues O’. On venait y picorer ou s’y goinfrer, selon les goûts, de savoirs complémentaires. Et puis l’ENLOV est devenu l’INALCO, avec des cursus professionnalisés, des horaires qui empêchent de faire deux choses en même temps. On ne peut plus être banquier et orientaliste. Pas en même temps. Successivement peut être. Mais c’est pas gagné.

J’en ai parlé à un vieux copain. « C’était une école de dandys ». J’ai bien senti que « dandy » était quasiment injurieux. En fait, c’était pas ça. Pour savoir si on aime quelque chose, il faut le goûter. L’effleurer. Essayer. Après, on sait, on se goinfre ou on laisse tomber. On a aussi le droit d’aimer un peu. On a le droit de ne pas être monomaniaque. On a le droit d’être tout simplement cultivé. De s’intéresser sérieusement à tout.

Si tu veux le meilleur des deux mondes, t’es certain d’avoir le cul entre deux chaises. Surtout aujourd’hui qu’il y a des pros de tout. Les pros, ils regardent l’amateur de haut. Ou bien, ils organisent des stages pour vider le portefeuille de l’amateur. Quand on aime, on doit payer pour prouver qu’on aime vraiment. Alors, le dilettante, le flâneur, personne n’en veut plus.

Sauf à la télé. Parce qu’à la télé, le dilettante c’est bien pratique. Ça peut intervenir sur plein de sujets et c’est assez disponible. Tiens, la géopolitique. J’ai des copains, c’est des vrais spécialistes. Ils sont jamais là. Un congrès à droite, un colloque à gauche, une thèse à juger, un article à terminer. Organiser une bouffe avec eux, c’est le parcours du combattant. Tu penses bien qu’ils ont pas de temps pour aller répondre à Elise Lucet. Elle s’en fout. Dans son agenda, elle a le téléphone des dilettantes qui se sont autoproclamés « spécialistes ». Eux, ils répondent toujours « présent ». Toujours prêts à balancer sur les ondes une bouillie que la ménagère de moins de cinquante ans comprendra. Ils sont distillateurs de certitudes, d’idées simples et de réponses simples. La simplicité comme bonheur intellectuel. On se croirait chez Orwell.

On en reparlera…..





mardi 7 septembre 2010

NOUS AVONS PEUR D'UNE GUERRE

 C’est bien YouTube. Je cherchais des images de Kouchner. J’ai trouvé un discours que j’avais oublié. Y’a des phrases fortes.

Cella-là, par exemple : « Nous avons peur d’une guerre et nous n’en voulons pas ». Même Daladier à Munich n’avait pas osé. Remarquez, le message est clair. Poutine et Medvedev l’ont reçu 5 sur 5. Ils n’en avaient pas vraiment besoin : chaque hiver, avec le gaz russe, ils savent qu’on va s’écraser. Déjà que la Bourse s’effondre et que le pouvoir d’achat déconne, faudrait pas, en plus, que les Français se les gèlent. Medvedev, il a la main sur le robinet et il nous dit : « Y’a quelque chose qui va pas ? ».

Sarko, il fait gentil : « Excusez, m’sieur, mais la Géorgie »… Alors Poutine :« La Géorgie ? le berceau de notre immortel Staline ? Mais c’est la Russie. Staline, il était russe ? Il était aussi géorgien ? CQFD. La Géorgie est russe. T’as quelque chose à dire ? Moi, j’ai pas peur de la guerre ? On y va ? »

« Avec ça, j’ai pris conscience que mon mari risquait sa vie ». C’est pas Kouchner, c’est une femme de soldat du 8ème RPIMA. Fabuleux. La gisquette, elle épouse (1) un engagé (2) d‘un régiment classé action, (3) qui doit bien lui raconter sa formation et ses manœuvres, et (4) elle s’étonne qu’il risque sa vie. Quand elle mate le bulletin de paie avec les primes de risque, elle doit bien voir que son mec, il est pas bureaucrate à La Poste. Qu’il est payé pour ça et que sa pension de future veuve de guerre, elle est déjà prévue. Quand t’es payé pour risquer, tu risques et tu gagnes pas toujours.

Regroupons les deux infos. Medvedev se marre. Si chaque fois que les Russes avaient eu dix morts, Brejnev avait du aller à Kaboul, il avait meilleur compte d’y transporter le Kremlin. Jamais, il en serait parti.

Parce que l’affect et les bons sentiments, c’est pour les médias de la télé-réalité. Pas pour les politiques et les diplomates. A force de confondre vision médiatique et réalité, on se plante grave. Les bons sentiments, c’est pas pour la vie réelle. On peut le déplorer, ça ne change rien. Les seuls rapports opérationnels sont les rapports de force. Le plus faible perd toujours.

Quoiqu’on en pense le Mur de Berlin est toujours debout. Et de l’autre côté, il y a toujours des communistes. C’est à dire des gens qui ont le sens de l’Histoire et qui savent que l’Histoire, c’est d’abord conflictuel. La lutte des classes. Le rapport hégélien. Il est partout. En 1965, Serge Doubrovsky analysait Le Cid comme une métaphore de la lutte des classes. Aujourd’hui, ça fait rire. Mais aujourd’hui on vit le temps présent, pas le temps historique.

Alors, dit le Président, jouons les médias. De beaux mouvements de menton pour le Tibet avant d’aller à Pékin pour la cérémonie d’ouverture. Des médailles et des cérémonies après avoir renforcé le contingent en Afghanistan. Règle de base : une annonce, ça fait la première page sur cinq colonnes, le démenti ça fait cinq lignes en page 10. On torée les cons. Ça marche à tous coups.

Remarque : les cons, ce sont des hommes. Les toréer, c’est tout simplement les mépriser. Mentir, déformer, truquer, tricher, ruser, c’est mépriser un autre Homme, ne pas le croire capable de raison, de compréhension. C’est peut être vrai d’ailleurs. Il suffit alors de l’éduquer. Y compris par la force. L’éducation, c’est pas naturel. Relisons Rousseau.

L’été 2008 fut un bel été. On a adoré le Tibet avant d’aller à Pékin. Le Dalai, il était content : il a rencontré Madame et elle est quand même plus bandante que son mec. Franchement, qui hésiterait entre une heure avec Carla et une heure avec Nicolas ? On a beau être Sainteté, on n’en est pas moins homme.

Pendant ce temps, ce rigolo de Laurent Joffrin exposait dans Libé que notre attitude est celle de la civilisation. Civilisés mais morts. On est content parce qu’on en prend plein la gueule dans le respect de nos principes. Nos principes ? Même pas. On fait quoi en Afghanistan ? Grâce à Joffrin, on sait : on meurt pour des principes. Joffrin, il oublie que quand t’es mort, les principes, ça sert plus à rien. Ils meurent avec toi. Les Romains, ils avaient un joli principe : si vis pacem, para bellum.

Les communistes nous font un doigt d’honneur. Ils savent que le Dalai compte moins que Airbus. Que la Géorgie ne fait pas le poids face au gaz naturel. Ils savent que Lénine a dit que le capitalisme vendra la corde pour le pendre. Ils ont aussi des principes, les communistes. Mais il paraît qu’ils sont plus communistes.

Même sur le plan discursif, on est mauvais. On justifie le Kosovo, on refuse l’Abkhazie. Au nom de quoi ? On bredouille, on merdouille. On s’en fout : le communisme est mort. Souvenez vous de madame Carrère d’Encausse expliquant que l’URSS allait mourir. Pour un cadavre, je le trouve assez remuant. C’est pas l’URSS mais la CEI ? Ah ? Comme si la marque de la capote était importante quand on se fait mettre. Pour nous, oui. On a même un nom pour ça : la brand communication.

Les communistes, c’est des salauds matérialistes. Nous, on a inventé le virtuel, les options, tout un système sophistiqué et déconnecté du réel. Eux, ils te parlent superficie, possession des matières premières, ces cons, ils en sont encore aux biens physiocratiques du 18ème siècle. On pensait que tout était réglé. Même pas : y’a plus de gaz à Lacq, le gaz on l’achète à Medvedev. C’est pas virtuel, le gaz, faut des usines, des gazoducs, du concret, du matériel, des pue-la-sueur (on peut aussi dire prolétariat, c’est pas un gros mot).

OK, dit la Bourse, mais on le paye, alors on est tranquille. Le plus tranquille, c’est Medvedev. Medvedev, il nous dit tranquillement : je ferme le robinet, ton pognon, je m’en fous. Et qui va lui répondre : ferme, ton gaz, je m’en fous ? Personne. On pourrait rêver d’un beau sarkozyen discours qui expliquerait aux Français qu’il va falloir se passer de gaz. Comme on aurait pu imaginer de refuser d’envoyer nos athlètes à Pékin. Seulement, on ne peut pas. « Le sang, la sueur et les larmes », ça avait une autre allure. Mais Churchill est mort. Et même pas d’un cancer du fumeur.

J’imagine mon vieil oncle Adrien regardant Kouchner et Sarkozy et je sais ce qu’il aurait dit. « Que de la gueule ! ». Ben oui. Et Hu Jintao et Medvedev, ils le savent parfaitement. Ils savent qu’on est englués dans une guerre qu’on appelle « maintien de l’ordre », comme en Algérie au début des années 60. Ha ! Kouchner, il a dit aussi : «  Ce n’est pas une guerre ». Y’a des soldats, des adversaires, des morts mais ça n’est pas une guerre. A force de vouloir que les mots remplacent les choses, on oublie les choses. On oublie aussi que personne n’a jamais gagné en Afghanistan, et que les guerrillas ont toujours raison des armées de métier. Tout est en place pour une branlée majuscule.

Ils savent aussi qu’on dépend entièrement d’eux. Pas vraiment, en fait. On pourrait se les geler tout un hiver ou cesser d’importer des milliers de containers de breloques à dix sous. Mais personne n’est prêt à en payer le prix. C’est pas le Dalai Lama qui va monter des ordinateurs à Dharamsala pour remplacer Lenovo.

Au niveau des Etats, on assiste à quelque chose comme une bataille de rue. D’un côté, les petits bourgeois, de l’autre les voyous. Ceux qui ne respectent pas les règles que les autres ont établies. Le voyou, il te savate quand t’es par terre. Le petit bourgeois s’indigne : « Hé ! c’est pas des manières de gentleman ! C’est pas comme ça qu’on fait ! » Ben non, c’est pas comme ça qu’on fait. C’était comme ça en Algérie, au Viet Nam et pendant la guerre de 40. Pour flinguer l’ennemi, t’enlèves l’uniforme, il te reconnaît pas et tu peux t’approcher de lui en douce. Les Nazis, ils le disaient déjà : « C’est contraire aux lois de la guerre ». Sauf que les lois de la guerre, ça existe pas. La loi de la guerre, c’est de survivre et de détruire l’autre.

Rigolons tant qu’il en est temps. On est pieds et poings liés, on a cassé notre appareil productif y compris agricole. On est dépendants. Comme des camés. On dépend du gaz russe et des ordinateurs chinois. Mais c’est pas grave : on fait semblant de croire qu’on dépend de Wall Street. Alors on fait pas la guerre en Afghanistan (on défend le monde libre contre le terrorisme), on n’aide pas le système bancaire (on met en place les conditions de la relance), on respecte nos principes et on va supporter le PSG. Du pain et des jeux, vieille recette.

Pendant ce temps, les Chinois ils se payent le marché de la tomate. C’est vrai qu’ils ont commencé petit avec de la main d’œuvre gratuite, des prisonniers politiques. Pas mal payés. Pas payés du tout, c’est encore moins cher. C’est pas bien ? Non. Mais quand ils rachètent les coopératives du Vaucluse, les maires du coin ferment les yeux. Au nom de leurs principes ? Ben oui. Liberté du commerce et fraternité internationale. Les principes pour un homme politique, c’est comme les couleurs pour un peintre. En fonction du tableau, tu changes.

Mais ne soyons pas négatifs. Parfois la vérité est dite : « Nous avons peur d’une guerre ». Voilà les autres prévenus. Remarque, ils le savaient.


lundi 6 septembre 2010

FERMENTS DE CIVILISATION

Y’a un truc qui m’a toujours frappé. Il n’y a pas une seule société humaine qui ne picole pas. Pas une. Cherchez. Vous ne trouverez pas. Même les Eskimos traditionnels. On pourrait croire. Là où ils vivent, y’a quasiment rien qui pousse. Si, des baies. Et bien le temps où il y a des baies (quelques semaines en été), ils se débrouillent pour les faire fermenter. Dire que ça atteint le degré alcoolique d’un armagnac hors d’âge serait mentir. Mais ça suffit pour prendre une ou deux belles torchées dans l’année. Ils savaient aussi faire fermenter des bouts de mouettes ou des morceaux de phoque. Ben oui, on peut se saouler à l’alcool de phoque.

L’alcool, le vrai, celui qui vous inonde d’une belle sensation de chaleur interne, qui accélère les connections neuronales, ne peut être obtenu qu’au moyen d’une distillation. Encore un objet de civilisation, l’alambic de cuivre aux tons chauds et cuivrés qui permet de partir d’une vieille pomme ridée pour obtenir un verre de calva ambré. L’alambic, ça demande quand même d’avoir atteint une certaine connaissance technologique.  L’alambic, ça fonctionne entre Cabourg et Dieppe, pas en Amazonie. Pas grave. On peut se contenter d’une bonne fermentation : tu prends une poterie, de l’eau, des végétaux, tu bouches, ça fermente. Plus ou moins. Le plus souvent, t’obtiens un pissat fermenté qui dépasse pas les 4-5°. Bon. Au lieu de boire trois verres (trois verres, le minimum légal pour rentrer dans la zone des dégâts), tu bois trois calebasses. Au bout du compte, le résultat est le même : un bon serre-tête de fer au petit matin et cette foutue langue qui ne veut pas se décoller du palais.

Faut pas croire qu’on picole par hasard. C’est du boulot. Dans la Chine ancienne, on trouvait que les boissons fermentées c’était bien, mais pas très sérieux. Trop long pour obtenir une grande belle biture. Alors, les outres de vin, on les chargeait sur des chameaux, de bons gros chameaux de Bactriane qu’on envoyait dans les cols du Pamir. Là-haut, à 6000 m, l’eau gelait. On enlevait les glaçons et la boisson prenait 6 ou 7 degrés de plus. C’est Pierre Gentelle qui nous a raconté ça lors d’une mémorable soirée à l’agence VDM de Lyon. Ce soir là, Pierre avait atteint les limites d’un insoutenable lyrisme en décrivant les efforts des caravaniers, la dureté du froid, les gorges et crevasses et les tourbillons de neige. Tout ça pour ne pas boire de la piquette. C’est pas rien, la civilisation chinoise tout de même. Un peuple capable de tels efforts est capable de tout. Et malin : les caravaniers étaient le plus souvent des Ouigours islamisés. Faire transporter de la bibine par un musulman, c’est aussi intelligent que de faire garder ses concubines par un eunuque. Risque zéro et plaisir garanti.

Justement. Les Musulmans. Voilà le contre-exemple. Même pas. D’abord parce qu’on parle de société, pas de religion. Des abstinents, y’en a dans toutes les sociétés. En proportions variables, comme l’eau dans le pastis. Tous les Musulmans ne sont pas abstinents comme tous les abstinents ne sont pas Musulmans. Car le Coran n’interdit pas l’alcool, il interdit l’ivresse et dans la pharmacopée traditionnelle, on utilise l’alcool.. Surtout qu’alcool, c’est un mot arabe. Quand t’as le mot c’est que t’as la chose.

Si on devait faire la liste de tout ce que les hommes ont fait fermenter ou ont distillé, faudrait publier un gros traité de botanique. Dès qu’on découvre une nouvelle plante, on peut être certain qu’on va inventer un nouvel alcool. Tout y est passé. Les céréales, les fruits, les fleurs, tout. L’alcool est un hymne permanent à l’ingéniosité de l’Homme, à sa curiosité, à son inventivité. Et si on veut l’interdire, c’est encore mieux. On a tout inventé pour contourner l’interdit. La Gogotine, par exemple. Vous connaissez pas ? Il y a vingt ans, l’Arabie Saoudite était bien plus répressive qu’aujourd’hui. Alors un petit malin mettait du whisky dans des ampoules sécables, des ampoules qu’on utilisait pour les médicaments, dans de belles boîtes bleues, avec la posologie imprimée en tout petit sur les papiers pliés en 24. Le douanier saoudien, il y voyait que du feu. L’ingénieur ou le diplomate expliquait que c’était son traitement médical et le tour était joué. On voit bien que l’alcool rend intelligent.

La preuve que c’est bon, c’est qu’on l’offre régulièrement aux Dieux, comme les anciens Mexicains par exemple. Le plus souvent, c’est quelques gouttes, faudrait pas que les Dieux picolent trop. Mais des fois, c’est l’assimilation totale. Dans le christianisme, par exemple. L’alcool, c’est le sang de Dieu. Du coup, certains se disent qu’une bonne transfusion, ça peut pas faire de mal. Relisez Rabelais et Frère Jean des Entommeures qui s’occupait de service divin après le service du vin.

Faut le dire clairement : l’alcool est consubstantiel à l’Homme. Ces deux-là marchent la main dans la main depuis quelques millénaires. Il doit bien y avoir des raisons : la pluie qui noie les récoltes, la tribu voisine qui te file une raclée, l’épidémie qui décime tes voisins ou le petit chef qui te pourrit la vie. Je parle même pas du CAC 40 ou de ton budget qui se colore de rouge.

Alors, faut attendre la sérénité pour se remettre à l’eau de source ? Même pas. Prenez les moines. Eux, ils devraient être sereins, détachés, spiritualisés. Tu parles ! Quand ils construisent une abbaye, le premier truc qu’ils plantent, c’est un vignoble. Ce qui a permis à la vigne de conquérir toute l’Amérique latine et un bon bout de l’Asie. Vous me direz, c’est pas pour se torcher, c’est pour communier.

Voilà. Le mot est lâché. L’alcool est une communion, la première, la plus ancienne, la plus efficace, la plus fraternelle. Pour que les poilus de Verdun aillent se faire flinguer avec joie, on les fait communier avant. Le mec avec qui t’as partagé un coup de gnôle, ça devient ton frère, même si c’est un frère d’armes.

C’est pour ça que l’alcoolisme est une maladie. L’alcoolisme c’est picoler en solitaire, se pochtroner seul dans un rade sordide, plonger dans une sorte d’onanisme hépatique. L’alcool, c’est le groupe qui se retrouve, qui fait front, qui se marre, qui s’aime. J’admets qu’il y a des dérives et des excès. Mais faut pas stigmatiser. On boit plus parce qu’on boit plus souvent. La grosse biture exceptionnelle dont on parlait encore trois ans après est devenue hebdomadaire. Peut être qu’on a beaucoup plus besoin de se retrouver, de faire la fête, de communier parce que le monde est plus dur. Et puis l’alcool est devenu incompatible avec la technologie, avec nos modes de vie, nos modes de déplacement. Dans le binôme alcool-voiture, le tueur, c’est la voiture, pas l’alcool. Suffit de penser aux anciens conseils de révision : les mômes, ils allaient au chef-lieu de canton, à pied, ils prenaient une torchée monumentale pour fêter leur intégration à la société des hommes, ils revenaient à pied, ils s’effondraient dans le fossé et ils rentraient, vivants, le lendemain matin.

Les Tarahumaras qui se mettent minables avec leur fermentation de cactus dans la Barranca del Cobre, ils ont pas d’accident de la route. Parce qu’il n’y a pas de route.




dimanche 5 septembre 2010

POURQUOI PARLER DE GAZA ?

C’est vrai ça… on ne peut pas parler de Gaza sans tomber dans l’anathème, l’injure, l’excommunication. Et dès que la conversation s’anime, les baffes ne sont pas loin. C’est vrai que les baffes font moins mal que les bombes et les roquettes. Mais le fonctionnement est le même. C’est juste que le mec de l’autre côté de la table, il a pas une arme sous la main.

En plus, Gaza c’est loin, on est pas directement concernés. On pourrait parler calmement. Avec de la distance, justement.

Et si on parlait plutôt de Bayonne ? Dans les années 1730, Bayonne c’était Gaza. Enfin, ça aurait pu. Sans rire.  Un habitant sur quatre est juif. Bon, on dit pas « juif », on dit « membre de la nation portugaise ». Mais un sur quatre, ça fait beaucoup dans la France gallicane de Louis XV. Pas très loin, à Toulouse, Calas est torturé puis roué à mort parce qu’il est protestant. Il vaut mieux être du bon côté du crucifix.
Les Juifs, ils sont arrivés au XVIème siècle. Virés d’Espagne par Isabelle, ils se sont réfugiés tout d’abord en Navarre et au Portugal. Pas de bol, Charles-Quint envahit la Navarre et le roi du Portugal, pour faire plaisir à son cousin espagnol, les expulse à son tour. Tu regardes une carte, tu comprends vite. De l’autre côté de la frontière, y’a Bayonne. Au début, ils sont pas très nombreux et ils restent un peu en dehors de la ville. En fait, ils s’installent dans la Principauté de Bidache dont le Prince, par ailleurs Duc de Gramont, est plutôt tolérant. Il a servi Henri IV, toujours d’accord avec son roi, un coup protestant, un coup catholique. La religion, il relativise, le Duc…. Je crois qu’il était religieux comme Montaigne, c’est à dire athée. Mais athée, c’est le bûcher, alors on s’écrase. Vaut mieux être duc que brûlé. Nommé Gouverneur de Bayonne, il s’y installe et les Juifs le suivent. La petite communauté se développe, fait des enfants, du commerce, de la banque. Juste pour dire que le mythe du Juif errant, c’est bien de la littérature. J’avais des copains juifs au lycée, leur famille était là depuis quatre siècles. Tu parles d’errants….

Bref, y’a tout ce qu’il faut pour que ça pète. Une communauté immigrée, nombreuse, dotée de moyens importants et appartenant à ce qu’on appelait le « peuple déicide », enkystée dans une ville bien catholique, berceau du jansénisme et de surcroît vouée à la Vierge. Une communauté avec des ramifications à Londres, Bruges, Amsterdam, Altona, toutes villes appartenant à des royaumes qui sont régulièrement en guerre contre le Roi de France. Une communauté qui accumule un énorme patrimoine foncier et dont les propriétés orgueilleuses cernent la vile.
Et, malgré tout, rien. Rien de rien. Les historiens se sont décarcassés pour trouver des incidents, des conflits avec une base religieuse ou ethnique. Rien. Rien que de très ordinaire, des conflits de voisinage, des discussions commerciales basiques. Pas un procès, pas un pogrom (c’est pas un mot gascon). Les Juifs de Bayonne ont leur cimetière, sur un terrain acheté au curé de Saint-Etienne, leurs synagogues privées, leur mikve (bains rituels). L’intégration est parfaite.

Je trouve ça désespérant. Je trouve désespérant que, deux siècles plus tard, on soit devenus incapables de vivre ensemble. On peut me donner toutes les explications qu’on voudra, tirées de l’histoire ou de n’importe quoi, on ne m’ôtera pas de l’idée qu’il y a là une immense régression.
Quand je dis ça, on me répond avec des arguments nuls, des bilans, on m’additionne les morts d’ici et les blessés de là, les orphelins, les brûlés, les gazés, les victimes civiles, les victimes militaires, les civils qui sont un peu militaires et les militaires qui sont aussi civils. On refuse de voir qu’additionner des morts ne peut donner qu’un bilan de mort, que préparer un avenir de mort.

En fait, on n’a plus envie de vivre ensemble. On a envie de vivre seuls, entre gens qui vivent pareil, qui pensent pareil, qui prient pareil, qui parlent pareil. C’est vrai, quoi, à écouter celui qui est différent, on pourrait douter, douter de son Dieu, de ses copains, de sa famille. On serait obligés de vivre sans certitudes, sans béquilles intellectuelles. C’est vrai, quoi, c’est bête de regarder les différences, c’est idiot d’être curieux, c’est stupide de vouloir apprendre, c’est à dire de se confronter à la nouveauté. Peut-être même que ça obligerait à aller chercher au fond de soi quelque chose qui ressemble à de la tolérance. A ne plus regarder l’Autre comme un danger mais comme une manière d’élargir sa vision du monde.

Qu’on ne me réponde pas hectares, maisons, colonies ou que sais-je ? Les maisons, ça peut se partager, les hectares ça peut se cultiver ensemble. A condition d’avoir envie d’être ensemble sans être pour autant obligés de penser pareil, de prier pareil, de parler pareil.

De bouffer pareil. Ha, non, ça c’est pas un bon exemple. Le seul truc dont je sois sûr, c’est que ni les habitants de Gaza, ni ceux de Tel-Aviv ne viendront me piquer mon jambon.

De Bayonne.