samedi 30 juillet 2016

TRADITION ET MARKETING

Je ne vais plus aux Fêtes de Bayonne. Trop vieux me dit ma nièce.

Non. Ce qui me rend littéralement fou, c’est la mésutilisation d’un discours auquel j’adhère et qui n’est qu’un discours. De le bouillie de mots, gerbée par les bouches et les plumes ; entre deux vomissures de vin ou d’encre. Surtout chez les journalistes et les politiques, repris par la vox populi qui ne sait rien faire d’autre. Discours axé sur la tradition, le territoire, la singularité locale. Que des mots à la con utilisés par des commentateurs à la con.

Parlons en de la tradition. Tiens, en musique, par exemple. Jadis, qui se promenait aux Fêtes de Bayonne, entendait des chansons basques et gasconnes, régénérées par quelques créations, de Luis Mariano aux Pottoroak. Je croisais, Michou, Henri et Tonton venant chanter « c’est à Baba », dans tous les bistros qui leur offraient à boire. Fantou et son orphéon (les piteux stylistes disent banda pour faire couleur locale) intercalait Nino Rota dans les paso-dobles et c’est vrai que la musique de La Strada est une musique de rue. Passons sous silence les innombrables chorales, les gaitas de Tintin et les gitans venus de Glain avec leurs guitares parfois fêlées. La fête naissait de ces improbables mélanges désormais remplacés par l’omniprésente techno et les émules anorexiques de David Guetta. Avec en prime des karaokes où l’on convoque Louane, Girac et Beyoncé. Jeter sur tout ça le manteau de la tradition me paraît pour le moins osé. Les Fêtes de Bayonne se mondialisent, restant des fêtes, mais sans Bayonne.

Bien entendu, il en va de même pour un autre de nos pôles culturels : la bouffe. Non, je ne dirais pas « gastronomie ». Ce serait donner du poids aux frites grasses et aux sandwiches piteux vendus à des prix scandaleux. Disparus les sandwichs à l’omelette ou à la ventrèche, disparues les assiettes de chipirons et les amoncellements de jambon. On va vers le pire : la nourriture étriquée et banalisée.

On habille les vêtements des oripeaux de la tradition. Jadis, les fêtes étaient l’occasion de se vêtir de la chamarra bleue, disparue au profit des insignes des requetes. Les Bayonnais ont remplacé le vêtement de travail du peuple par le rouge et blanc des troupes du général Mola, instigateur de la révolte de la Navarre contre le Front populaire. Je suis dans l’obligation d’admettre que c’est plus joli, mais c’est également lourd de sens et, en aucune façon, « traditionnel ».

Les fêtes de Bayonne sont récentes puisqu’elles ont été créées dans les années 1930. Elles venaient se surajouter aux véritables fêtes traditionnelles, des fêtes patronales qui honoraient au début de Mars, Saint Léon, patron de la ville. La pseudo-tradition a remplacé les processions en l’honneur du saint, par des mômeries autour d’une caricature.

Entendons nous bien : peut être que c‘est mieux. Ou pas. Mais vouloir faire croire aux gogos venus du Vésinet ou de Pont-à-Mousson qu’ils participent à une vieille tradition, c’est de l’escroquerie. Ou du marketing, ce qui est la même chose. Ils ne le peuvent tout simplement pas : ils ne mangent pas comme nous, ne boivent pas comme nous, ne chantent pas comme nous. Ils sont étrangers à nous et leur seul intérêt est la manne financière qu’ils font pleuvoir sur la ville. Surtout sur les bistros. Le fric qui pleut sur mes copains pendant les Fêtes, les aidera à conserver les prix sages dont je me régalerai quand les gogos seront repartis.

Et donc, je ne vais plus aux Fêtes. Parce que ce ne sont plus mes fêtes. En les ouvrant aux amateurs de Guetta et de Louane, on m’en a dépossédé. Etre victime d’un vol à l’arraché, ce n’est pas drôle, mais y retourner, c’est du masochisme.

Surtout que ma chère ville est d’abord janséniste, secte qui n’a jamais supporté le mensonge ou l’approximation. C’est juste une question de dignité. Et oui, j’ai connu des Fêtes de Bayonne dignes.

Mais ça, c’était avant….