samedi 30 avril 2011

BHL, LA CARTE, LES GODASSES

La soirée était douce et le champagne de qualité. L’armée française a le goût des bonnes choses. Je parlais avec un Colonel, un vrai, un au palmarès impressionnant. Je lui disais ma conviction que l’abandon du service national était une des causes de la régression sociale. Je dissertais sur les rites de passage et il souriait gentiment, comme on sourit à un enfant un peu simplet.

« De toutes façons, me dit-il, si nous devions faire face à une mobilisation générale, nous ne pourrions ni chausser, ni vêtir, ni armer les conscrits ».

Ho ! tu déconnes, mon colon. J’ai lu, moi. Je sais comment ça se passe. On sent monter la guerre, on fait tourner les usines, on entasse les godillots et les uniformes, on fait des piles de cartouches et, au jour dit, il ne manque pas un bouton de guêtre. Les jeunes gens affluent dans les casernes, on leur coupe les cheveux et en route pour la gloire. L’intendance ne suit pas, elle précède.

Ben non. C’est plus comme ça que ça marche pour cause d’Europe. Faut le savoir. Je le savais pas. J’ai demandé et la plupart de mes copains ne savaient pas. C’est simple, en fait. Les commandes militaires, c’est des commandes d’Etat. Et donc, ça doit faire l’objet d’un appel d’offres ouvert à la concurrence. Un appel d’offres international.

Déjà, ça doit être publié. L’Etat français va acheter dix millions de paires de rangers. Pour la discrétion, tu repasseras. Tout le monde est au courant. Les copains et les pas copains. Après, ça doit être ouvert et les résultats publics. Les godillots, c’est une société bretonne qui a une usine en Tunisie. Mais si c’est la grève en Tunisie ? Ben, c’est simple : y’a plus de godillots pour l’armée française, le temps que la grève se termine.

On va envoyer des soldats en Libye. Pour les godasses, c’est un retour aux sources, ou quasiment. Faudrait pas qu’on en ait trop besoin. Moi, j’ai l’imagination qui galope. Je me dis que Khadafi, il doit bien avoir des copains en Tunisie. Des copains qui pourraient bloquer la production de godasses. Du coup, nos bidasses, ils seraient obligés de refaire les soldats de l’An II et de partir pieds nus à la guerre. Pas pratique, on est plus en 1792, on a la voute plantaire délicate aujourd’hui.

Pareil pour les cartouches. On a un fournisseur aux Emirats Arabes Unis. On se bat quasiment que dans des pays musulmans et on achète nos munitions à un pays musulman. Faut avoir confiance, y’a pas à dire.

Tout ça, c’est public. On s’en vante pas trop mais ceux qui ont besoin de savoir, ils savent. Nous, on voit le Président faire des rodomontades, on admire. L’adversaire potentiel, il sait combien on a commandé de paires de godasses et il en a déjà déduit nos possibilités. Il sait. Ça peut le rendre inquiet mais ça peut aussi le rassurer. Nous, on admire le Président et l’adversaire, il pense « Cause toujours ».

Les spécialistes, ils vont te dire que le sensible, on se le garde. On sous-traite pas les chars Leclerc. Exact. Mais je suis pas sûr qu’on puisse conduire un char Leclerc pieds nus. Ou à poil, vu que les uniformes c’est pareil. Faut pas négliger les détails.

C’est assez rigolo. On te gave avec l’indépendance nationale, les capacités d’intervention de nos armées et on achète des pompes fabriquées en Tunisie. On est sûr d’un truc. L’armée défend peut être la France, en tous cas elle défend pas l’emploi en France. A son corps défendant, elle n’a pas le choix.

Mon Colonel, c’était un vrai Colonel. Le gouvernement décide, il obéit. Perinde ac cadaver. Dire qu’il était pas soucieux serait mentir. Il se rassurait (ou il me rassurait) en affirmant que, de toutes façons, on pouvait toujours réagir en urgence. Qu’on n’aurait plus jamais de conflits type Grande Guerre. Mais je sentais bien qu’il me baratinait. Que la situation avait été conçue pour la paix.

Là, on y est pas vraiment. L’angélisme est la colonne vertébrale de la politique. On intervient partout où on peut au nom de la protection des populations civiles. Autant dire qu’on a pas fini d’intervenir. C’est nouveau. Le Tsar, il pouvait pogromiser ses juifs et knouter ses moujiks, tout te monde s’en tapait. Pas d’ingérence. Le balancier a filé dans l’autre sens. On va s’ingérer partout où on peut. Va falloir des godasses et des cartouches, je vous le dis.

En fait, avec le Colonel, on s’était rencontré pour parler cartographie. Là, on reste dans la production française. Le Colonel, il avait qu’un souci, celui du changement d’échelle. Toute sa production cartographique, elle était automatisée mais il ne pouvait pas se passer de cartographes, de mecs qui décident que le changement d’échelle ne doit pas affecter tel ou tel élément en fonction du terrain. C’est pas un problème nouveau. La cartographie, c’est l’art de la tricherie vraisemblable. Tu peux pas tout mettre sur ta carte, sinon tu restes à l’échelle 1/1. Borges et Eco en ont parlé avec talent. Comme tu peux pas tout mettre, tu sélectionnes. Plus fort encore, tes symboles, ils sont jamais vraiment à l’échelle. Si tu veux que le chemin soit visible, tu dois l’élargir un poil. Tout ça, les machines peuvent pas le faire vu qu’elles fonctionnent en automatisme.

Mais, y’a pire. En fonction du terrain, tu dois privilégier tel élément contre les éléments équivalents. Tous les chemins ne sont pas égaux, tous les hameaux non plus. Et donc, il ne faut pas seulement des hommes, il faut en plus des hommes qui connaissent.. Pire encore, des hommes qui connaissent en fonction des moyens et des objectifs. Tu fais pas une carte pour des militaires comme une carte pour des touristes. La cartographie automatique, c’est du pipeau pour la télé. Dans la vraie vie, il faut des hommes.

On revenait à la première question, celle du nivellement. On fait des appels d’offres pour les militaires calqués sur les appels d’offre pour les écoles. On fait passer la procédure avant l’objet. Les moulinettes simplificatrices sont en marche. C’est vrai que le satellite, il te file des images de Buenos-Aires comme celles d’Abidjan. Sauf que t’interprètes pas Buenos-Aires comme Abidjan. Mais on demande aux responsables de prendre des décisions particulières avec des outils généraux. On te file le monde entier, démerde toi pour ton problème particulier.

C’est le fonctionnement des grands groupes marchands. On fait un magasin à Shanghai avec les procédures de Pontivy. Après quoi, on adapte. Mais les militaires, ils ont pas trop le temps d’adapter. Ils ont des mecs sur le terrain et c’est pas des parts de marché qu’ils perdent, c’est des hommes.

On en reparlera…

PS : alors que je finissais ce texte, j’ai vu une photo terrifiante dans Marianne. Devant une table chargée de cartes, l’inénarrable BHL et les autorités militaires rebelles libyennes semblaient prendre d’importantes décisions. Sur la table, ce qu’il y avait, c’était des cartes ONC et JNC de l’aviation américaine. Echelle 1/1 000 000° pour les ONC (en l’occurrence, la référence H-4) et 1/2 000 000° pour les JNC. I/1 000 000°, c’est l’échelle de la carte Michelin de la France. Tu te vois, toi, défendre Marseille avec une carte générale de la France ? En plus, c’est des cartes de vol à vue, des cartes aériennes. N’y figurent que les éléments pouvant aider un pilote à se repérer au sol quand ses instruments sont nazes. La toponymie est faiblarde et les voies de communications anorexiques, sauf les lignes de chemin de fer qui sont, depuis Blériot, un guide pour tous les aviateurs, même si elles sont désaffectées. Bref, dans le cadre des opérations en cours, ça ne sert pratiquement à rien. A rien, sauf a signifier le sérieux du philosophe mondain immortalisé dans la pose du preneur de décisions stratégiques. Marrant : dans la communication iconographique, la carte reprend ses droits. Dès qu’on veut faire l’important, on colle une carte au mur ou sur la table. Il faudra un jour réfléchir sur ce grand écart.

dimanche 24 avril 2011

MENSONGE PAR OMISSION

C’était, jadis, une grande question théologique : mentir par omission, est-ce mentir ? Les Jésuites répondaient « Non ». Quand on ne dit rien, on ne ment pas. Ça semble logique. C’est cohérent avec la pensée jésuite, celle qui imbibe le fonctionnement de nos dirigeants.

Je pensais à ça en écoutant Claude Allègre. Excellent scientifique et salopard majuscule. Allègre est un immense menteur par omission. Il parlait du pétrole et des gaz de schiste. Avec un argument en béton : c’est une réserve incroyable qui va nous permettre d’avoir du pétrole pour un siècle au moins. Il te dit ça, tu t’écrases. Un siècle de réserves de plus, c’est pas rien. Faut savoir faire des sacrifices. On va un peu polluer, mais on aura de l’essence pour l’auto. De l’essence nationale. Paf ! un bras d’honneur aux Arabes qui arrêtent pas de faire des révolutions rien que pour nous empêcher d’aller en week-end dans le Perche.

Y’a qu’un truc qu’il disait pas, Allègre. C’est que ce pétrole, il va nous coûter les yeux de la tête. En ce moment, pour remplir le réservoir, tu fais un trou et tu pompes. C’est une technique bon marché. Les trous coûtent cher mais tu pompes beaucoup. Avec le pétrole de schiste, autre musique. Faut injecter, casser, fragmenter, diluer, récupérer. Les coûts d’exploitation sont énormes. Raison pour laquelle on ne l’exploite pas encore : face au pétrole conventionnel, le pétrole de schiste n’est pas rentable. On peut l’exploiter quand le prix du baril dépasse les 200 dollars. Et à ce prix là, le litre à la pompe va dépasser les 3 euro.

En clair, le pétrole de schiste, c’est pas pour toi. On te fait croire ça pour pas que tu t’opposes aux permis d’exploitation. Toi, tu vas penser à tes vacances ou à chauffer ta maison. Bernique ! Au prix qu’il va sortir, le pétrole de schiste, t’as intérêt à passer tout de suite à la voiture électrique. En clair, il est pas pour toi. Mais ça, Allègre, il se garde bien de le dire.

Je te rassure : la pollution et les emmerdes, ça va être pour toi. La technique utilisée qui consiste à fracturer la roche pour en extraire le précieux liquide, elle est loin d’être parfaite. C’est facile à comprendre : la craquelure, on sait pas trop comment elle fonctionne. En fissurant, on touche à plein de trucs dont les nappes phréatiques. Tu me diras, vu qu’elles seront à sec, ça va pas être trop grave.

Ce pétrole, il est pour l’industrie, notamment la pétrochimie, ceux qui fabriquent les plastiques tant utiles à notre vie quotidienne, les plastiques des jouets à vil prix, les plastiques des sièges des terrasses des bistrots, les plastiques des poubelles du tri sélectif ou des montures de lunettes, grâce à quoi tu peux avoir deux paires de lunettes pour le même prix. Comme t’auras toujours qu’un nez pour les poser, c’est de l’achat utile…

Mais, mééééh, me dira t-on, c’est bien pour l’industrie, bon pour l’emploi, utile à la sacro-sainte croissance. Quand le chœur des vierges, droite et gauche confondues, entonne le même cantique, je me mets à douter, c’est plus fort que moi. Je cherche qui tient le pot de vaseline.

C’est vrai que, dans le plastique, la part du prix de revient liée au pétrole n’est pas essentielle. Ça n’empêche que les prix vont augmenter. Si la matière première entre pour 5% dans le prix de revient et que son coût double, mécaniquement le prix de revient va augmenter de 5%. Le prix de vente aussi. Au minimum à cause du jeu des ratios et de la recherche de profits. On n’a pas fini de voir valser les étiquettes. D’ici à ce qu’un meuble en bois vaille pas plus cher qu’un meuble en plastique, y’a pas des kilomètres…

En fait, le pétrole de schiste, c’est un pari sur l’avenir de la pétrochimie. Y’a pas que les plastiques. Y’a les détergents, par exemple. Ben oui, quand tu lances une lessive, tu mets du pétrole dans le tambour. Enfin, un produit issu du pétrole, pas du savon de Marseille. Si tu enlèves les produits issus de la pétrochimie d’un grand magasin, tu le vides quasiment. Et donc, le pétrole de schiste, c’est un pari sur l’avenir de nos modes de consommation et un pari sur l’avenir de la grande distribution.

Ce qui est génial, c’est que tous ces gens-là nous polluent en surface. Ils détruisent les paysages, ils transportent, ils salissent. Avec le pétrole de schiste, en plus, ils pollueront le sous-sol. La totale. On vient de remettre un rapport au gouvernement. Les rapporteurs, ils demandent qu’on autorise l’exploitation pour expérimenter vu que les techniques d’extraction, elles sont pas trop au point. Tu parles ! Si le prix du baril explose, l’expérimentation, elle va pas durer trop longtemps.

Ce qui est génial, c’est que si on produit du pétrole, on va le transformer sur place. Question de coût. Et la pétrochimie, on peut pas dire que ce soit des usines fleuries et délicates et qui vont faire reculer l’effet de serre. Bref, on veut nous coller un changement majeur dans les dents, mais ça, Allègre, il se garde bien de le dire. Il ment par omission. Il utilise son statut d’Académicien des Sciences pour permettre au capitalisme consumériste de durer plus longtemps. Pour un socialiste, c’est pas joli-joli.

C’est juste reculer pour mieux sauter. Parce que le pétrole de schiste, il est pas éternel non plus. On est au moment où on devrait réfléchir un peu. A la durée des choses, par exemple. C’est très con de bourrer les jardineries de pots en plastique polluants et voués à disparaître alors qu’on peut utiliser des pots en terre et que ton fils utilisera encore. Et de l’argile, y’en a en France, qu’on extraie sans polluer. Pas besoin de pétrole pour faire des pots de fleurs. C’est très con d’acheter des meubles en plastique quand on a les plus grandes forêts d’Europe. Pas besoin de pétrole pour faire des tables. Seulement, voilà. On se refuse le droit d’interdire. Et ça aussi, c’est très con.

On en reparlera….

mardi 19 avril 2011

MORT AUX CLONES

J’en ai plein le dos de tout ce ramdam autour de la diversité. Je suis allé voir les dicos. C’est utile les dicos, surtout numériques, ça va plus vite. Ça veut dire quoi « être divers » ?

Pour faire court, ça veut dire « présenter des différences caractéristiques, simultanément ou successivement ». Pas être pareil. Ou identique. Ou copie conforme. Pas être le clone d’un autre. Ben, heureusement qu’on est pas identiques. Moi, je me vois pas identique au Petit Nicolas. Je me plairais pas. Des fois, j’aimerais bien être le clone de Georges Clooney, mais ça dure pas. En général, c’est quand je vois une gazelle qui ne me voit pas.

Bon. On est tous différents. C’est pas un scoop. C’est pas très intéressant non plus. Savoir qu’il y a des blonds, des bruns, des grands, des petits, des blancs, des noirs, des maigres et des enrobés, ça n’apporte pas grand chose. Remarquez, on a essayé. Y’a eu plein de théories sur le sujet. Comme quoi ceux qui avaient un gros menton respectaient pas les lois, ou que les gros cerveaux marquaient les génies, ou des trucs dans ce genre. Vous trouverez le catalogue de ces conneries dans le fabuleux livre de Stephen Jay Gould La Malmesure de l’Homme. Ça fait plus de cinquante ans que tout ça est passé aux poubelles de l’Histoire.

Sauf que c’est resté dans les têtes. Et que la diversité a grossi comme une tumeur, qu’elle a métastasé et que c’est devenu une sorte de mot-valise qui permet toutes les outrances, toutes les erreurs. Bien sûr que la diversité, elle est pas que physique. Les cultures sont diverses, les religions sont diverses. Ne serait-ce que parce que les territoires sont divers. Si t’habites Nice, t’habites pas Longwy. Le mec de Longwy, il aimerait aller à Nice. Le mec de Nice, je suis pas sûr qu’il rêve de Longwy.

Les mecs qui parlent de politique, ils mélangent allègrement. Tous. Même ceux qui sont pleins de bonnes intentions. Je sais pas si vous savez, mais y’a une mode : on aligne quelques dizaines, centaines ou milliers de portraits pour illustrer la diversité. Dire que, avec nos gueules différentes, on est tous pareils. Ben non. Avec nos gueules différentes, on a aussi des histoires différentes, des modes de vie différents, des sexualités différentes. Tout ça ne paraît pas sur nos binettes. Nos tronches restent muettes.

C’est sûr qu’on n’est pas pareils. Quand t’habites Pointe-à-Pitre, les saisons et Noël sous la neige, ça te parle pas comme à Strasbourg. Y’a des passerelles. Moi, né au Pays basque, je me dresse pas en hurlant quand les Antillais évoquent l’indépendance. Je suis bien certain qu’un Corse comprend aussi. Un Berrichon, ça m’étonnerait. D’ailleurs, je sais pas si vous avez remarqué, mais les tendances autonomistes c’est surtout dans les régions touristiques. Quand t’es envahi régulièrement par des mecs qui se foutent de ta gueule et croient qu’ils peuvent acheter ta culture avec leur forfait hôtelier, ça te pousse au rejet. Surtout si, en plus, ils draguent ta nana.

En politique, ma Bible à moi, c’est la Déclaration des Droits de l’Homme, la vraie, celle de 1789. Nulle part, il n’y est question de diversité, au contraire. Tout simplement parce qu’elle définit le cadre de toutes les diversités. Elle les accepte toutes à condition qu’elles restent dans un cadre démocratique défini par la majorité. Tu peux être minoritaire à condition de pas emmerder tout le monde.

J’admets, c’est vachement théorique. La Constituante, elle déclare en 1792 que le français est la langue de la République. Dix ans après, Napoléon nomme le basque Harispe général d’un bataillon de soldats basques parce que les mecs, ils comprenaient pas les ordres en français. Un général qui cause comme toi, ça aide…. Quant aux femmes, elles sont pas considérées comme des hommes à part entière : elles vont attendre le droit de vote pendant un siècle et demi.

Ceci étant, que l’application des principes ne soient pas immédiate et absolue, on pouvait s’en douter. C’est même pas fini. Mais ça n’enlève pas sa valeur au cadre et au principe qu’il fixe : en politique, la diversité, ça n’existe pas. On n’a pas tous la même tronche, mais on a tous les mêmes droits politiques dans le cadre de la Nation. Point barre.

On en arrive à des concepts d’une débilité absolue. La « minorité visible » par exemple. Si t’es minoritaire politiquement, ça se voit pas sur ta tronche. Y’a pas de mentons d’anar ou d’oreilles de fachos. « Minorité visible », ça veut dire Black. Seulement Black. Tu peux être Kabyle aux yeux bleus comme mon cousin Nadir, t’es minorité et pas visible. Si t’es Juif sans kippa, ta minorité, elle est dans ton calbut, pas trop visible. Un homme politique ou un journaliste qui parle de « minorité visible », avec la bouche en cul-de-poule et l’air d’une dame patronnesse, c’est un enfoiré qui stigmatise les Blacks. Les Blacks pauvres, ça va de soi. Si t’es noir et ambassadeur, t’es plus Noir. T’es ambassadeur. Minoritaire parce que les ambassadeurs, y’en a pas beaucoup. On en a déjà parlé (http://rchabaud.blogspot.com/2010/09/je-vote-gauche.html )

Faut pas croire qu’en changeant les mots on change le monde. Si t’as rien à faire, tu peux lire Chester Himes, grand auteur américain, surtout connu pour ses polars (La Reine des Pommes, c’est pas rien). Il a écrit un truc dans les années 50 sur les Blacks américains communistes qui voulaient changer la société. Ça s’appelle La Croisade de Lee Gordon. Himes, auteur noir n’écrivant que sur les Noirs, utilise toujours le mot « Nègre ». C’est pas bien disent les imbéciles. Ça stigmatise. Non. Ça décrit. Sous la plume de Himes, un Nègre, c’est un opprimé, un petit mec des ghettos au chômage. Pas la peine de l’appeler Afro-Américain et de le laisser au chômage. La plupart des gens, ce qu’ils veulent, c’est du boulot et du pognon pour vivre, pas une étiquette. Et surtout pas une étiquette qui laisse les choses en l’état.

Oui, mais le regard des autres ? He bé, les autres, si t’as du boulot, si ils te croisent tous les matins dans les bureaux de la boîte, s’ils font du sport avec toi, ils te voient plus comme minoritaire. Les autres, ils peuvent être Bretons (un peu conservateurs), ruraux (encore plus conservateurs) et élire un Noir socialiste comme maire de leur trou du cul du monde. Voir Kofy Yamgnane. Tout simplement parce que la diversité n’est pas l’altérité. On peut être différents (physiquement) et pareils (politiquement). Divers, mais pas autres.

Faut arrêter de tout mélanger. Faut faire comme ma copine Melina avec son site (www.directworld.fr ). Son sujet, c’est les DOM. Pas les Blacks, les DOM. Dans les DOM, y’a aussi des Blancs, des Jaunes et des qu’on sait pas trop. Si tu regardes, tu vas te dire qu’elle parle surtout des Blacks. Forcément, dans les DOM, ils sont majoritaires. C’est pas une question de couleur, c’est une question de territoire. La Semaine du Pays basque, c’est un journal qui parle surtout des Basques. C’est pareil.

Les minorités visibles, c’est dramatique. Parce que le communautarisme est dramatique. Il permet la division des citoyens. C’est pain bénit pour un gouvernement. Tout gouvernement rêve d’avoir une opposition éclatée : diviser pour régner. Plus facile de saupoudrer des mesurettes qui vont faire plaisir aux uns et aux autres que de s’attaquer aux vrais problèmes.

J’aimerais être copain avec Lilian Thuram. Il a quand même refusé d’être Ministre de la Diversité. Il avait pas envie d’être une sorte d’alibi, le Black de service. C’est vrai que, quand on a la célébrité et le fric, on est plus libre. Mais ce qu’on fait de sa liberté révèle l’homme. Et Thuram sait bien que Ministre, c’est pas ripolineur de façades sociales. L’offre était dégradante.

On en reparlera…

samedi 16 avril 2011

LE DROIT DE LA BITE

Je connais un mec sympa. De son état marabout à la mosquée de Barbès. Il est arrivé voici une quinzaine d’années du Sénégal avec sa femme et ses trois enfants. Après quoi, il a fait quatre enfants de plus à sa femme. Nés en France, les quatre poupards sont bel et bien Français. La fille aînée, Sénégalaise de naissance, s’est faite engrosser par un copain, Malien et sans-papiers. Leur fille, née en France, est Française. Le mécanisme est simple : parent de Français, tu deviens légalisable. Ce n’est plus le droit du sol, c’est le droit de la bite.

Comment le dire autrement ? Je reconnais que ce n’est pas très présentable, juridiquement. On va pas demander au Conseil Constitutionnel de statuer sur le droit de la bite. J’aurais pu être plus délicat et parler de pénis. On aurait eu le droit pénien face au droit pénal. Faut reconnaître que ça va déjà mieux même si c’est moins parlant. Mais moi, j’aime bien les mots qui claquent. La bite est dure quand le pénis est mou. Flaccide, disent les médecins. Tu parles pas de politique avec des mots flaccides. Ou alors, c’est que la politique, c’est ton métier.

Le droit du sol, ça me parle vu que le sol, c’est la base de la géographie. En ai-je assez parlé du sol avec l’ami Pierre (six mois déjà et la béance reste entière). Ce sol dans lequel les hommes, tous les hommes, plongent leurs racines. Ce sol qui n’est sol que parce qu’il est imbibé d’Histoire. Histoire de l’Etat, certes, mais aussi histoire des familles, histoire des groupes, des tribus. Nous étions d’accord, Pierre et moi : la géographie historique n’existe pas car toute géographie est historique. Aucun sol n’est vierge, même pas le Sahara parsemé de cairns et de redjems, ces traces de l’homme recensées par Jean-Charles Humbert. Nous ne vivons pas sur un sol dépourvu de sens. La terre n’est pas une feuille blanche sur laquelle on peut poser n’importe quoi. Il y a une manière de l’appréhender, de la vivre, de la cultiver, de l’irriguer. A chaque territoire correspond une utilisation du territoire et cette utilisation fait partie de notre apprentissage d’homme.

Ne nous leurrons pas : le problème de l’immigration est là, dans l’utilisation que nous faisons de nos territoires. Quand il arrive, l’immigré, s’il vient d’un monde géographiquement différent, il doit changer son rapport au territoire. Ce n’est pas seulement un problème de langue ou de religion encore que maîtriser la langue et partager la religion ne soit pas innocent. C’est un problème de fonctionnement dans l’espace commun, espace commun qui peut se confondre avec l’espace privé car l’espace privé envahit l’espace commun d’odeurs, de bruits, d’habitudes pas toujours compatibles. On en a déjà parlé (http://rchabaud.blogspot.com/2011/03/la-ville-comme-la-ville.html ).

Le droit du sol est une belle idée qui a plutôt bien marché pendant des années. Pourtant, c’est une idée qui a ses limites. La loi sur le voile est issue de ces limites. Sur nos territoires, nous marchons face nue. Nous fonctionnons selon un mode reconnaissance visuelle : l’étranger, c’est celui dont nous ne connaissons pas le visage et qu’il va falloir intégrer, au besoin en lui donnant un nom inspiré de ses caractéristiques physiques. Nos annuaires regorgent de Rousseau, Leborgne, Lepetit ou Legrand. C’est lié à la possession du sol et à la sédentarisation. Qui vit où ? Qui cultive quoi ? La reconnaissance compte moins dans une société pastorale nomade où le sol n’est pas possédé mais utilisé par des groupes. N’importe qui appartenant à une tribu peut pousser un troupeau. La tribu compte plus que l’individu car c’est elle qui possède les droits pastoraux. On existe par sa filiation.

On peut toujours prétendre que cette idée est rurale et archaïque. Ce serait oublier que nos fonctionnements sont toujours ruraux et plongent leurs racines dans notre Histoire. Il y a des milliers d’exemples auxquels on se heurte dès qu’on veut faire une analyse fine d’un territoire. Les évêchés en font partie. Aujourd’hui encore, les villes se développent en fonction de l’ancien territoire épiscopal. C’est une notion que les aménageurs modernes oublient mais qui revient vite en boomerang. Ne vous demandez pas pourquoi telle ville se développe plutôt dans telle direction. Cherchez les limites du territoire de l’évêque. C’est surprenant dans une société laïque moderne. Mais il y a quelques siècles de fonctionnement qui ont induit des tropismes qui restent sous-jacents.

L’identité nationale, c’est ça : l’utilisation d’un territoire. Comment on habite, comment on se déplace, comment on échange, comment on se marie, comment on fait la fête. On peut toujours sortir un élément de l’ensemble et essayer de le rendre pertinent. Mais c’est une tentative vaine. Car tout fait sens dans le territoire. Alors, oui, le droit du sol ne fonctionne plus car ceux qui en bénéficient ont changé et n’appréhendent plus le territoire de la même manière. Ce n’est tout de même pas du racisme de le constater ou de dire, avec Kipling, que l’ouest et l’est ne se rencontreront jamais.

Rassurons-nous : le droit du sang ne vaut guère mieux. On peut jouir du droit du sang et être traître à son groupe. On l’a vu, il n’y a guère. Dans la guerre économique, on le voit tous les matins.

Non, le problème reste un problème territorial avec des notions de territoires inadaptées. Le territoire national a t-il encore un sens ? Parce que, d’un côté, on nous gave avec la mondialisation obligatoire et de l’autre, on nous soûle avec l’inscription dans un territoire strictement national. En gros, l’immigré, on veut l’inscrire dans un territoire dont on nous affirme qu’il est dépassé. Comment tu veux qu’il s’en sorte ?

La seule difficulté du territoire reste son appréhension. Appréhender un territoire mondial, comme nous y engage Jacques Attali, est impossible à 99,9% de la population mondiale. Quand t’habites Larrau, pour concevoir le monde, il faut beaucoup de travail, de savoir, de cartes, d’interrogations. Intellectuellement, tu dois sortir de ta vallée, puis de ton département, puis de ton pays. La plupart n’y arrivent pas. C’est facile quand on a étudié pendant vingt ans et qu’on a voyagé. C’est impossible quand on sait tout juste lire et qu’on ne sort pas de son canton. Attali, il délire complet quand il imagine que des mômes incapables d’appréhender le pays où ils vivent vont appréhender le monde. Et c’est pas les zappings affectifs de la télé qui vont les aider.

En fait Attali, ce qu’il nous dit, c’est que la société à deux vitesses, c’est drôlement bien. Qu’une élite capable d’appréhender le territoire mondial se charge de le gouverner et qu’une masse incapable de voir plus loin que le bout de la cité se laisse gouverner. C’est normal qu’il pense ça, c’est un représentant de la gauche moderne. Au besoin, on contraindra un peu la masse. On le fait depuis longtemps dans l’aménagement du territoire. Par exemple, en inventant des régions débiles où on pense que le Pays basque doit être gouverné avec le Lot-et-Garonne ou qu’on peut couper en deux la Bretagne et la Normandie.

L’abandon de la géographie est la clef de nos catastrophes sociales et même de nos catastrophes tout court. Le dernier exemple est japonais. Franchement, construire une centrale nucléaire à l’intersection de trois plaques tectoniques, c’est débile. Mais les Japonais n’ont pas le choix. Ils ne peuvent pas avoir d’énergie autre que nucléaire vu qu’ils n’ont aucune matière première, ni pétrole, ni gaz, ni charbon. Et ils ne peuvent pas avoir de localisation sismiquement neutre. Ils sont baisés par leur géographie. Sauf à refuser de s’industrialiser. Mais ça, ils n’y ont même pas pensé.

On en reparlera….

lundi 11 avril 2011

VOYAGE AU BOUT DU SEXE

Je viens de lire ça. Publié à l’Université Laval. Ecrit par Franck Michel, prof à l’Université de Corse.

Passons sur le titre, racoleur et imprécis : « le bout du sexe », c’est quoi ? le gland ? et qu’est ce que le « bout du sexe » d’une femme ? alors même qu’il va s’agir essentiellement d’exploitation de la femme. Pardonnons cet à-peu-près.

D’emblée, les règles sont posées : le tourisme est un « nouvel impérialisme » et un « colonialisme pacifique ». Je ne vois pas très bien en quoi l’impérialisme est « nouveau » ni en quoi le tourisme est « colonialiste ». Mais l’explication arrive vite : le tourisme a été inventé par les Occidentaux. Vu par le gros bout de la lorgnette surement. Mais il me semble me souvenir que Xavier de Planhol a consacré sa thèse aux pratiques touristiques au Proche-Orient dans l’Antiquité en décortiquant la naissance de la pratique sociale qui consistait à quitter les villes l’été pour aller en montagne. Ce modèle a été adopté par les Romains, puis s’est généralisé en Occident. Il s’agit d’une pratique touristique car le tourisme ne se définit pas à l’aune des kilomètres parcourus. On attend d’ailleurs une définition du tourisme : déplacement d’agrément ? avec une charge culturelle selon Augé et Urbain ? A ce compte, se vautrer dans un camping de Palavas pour partager le Ricard n’est pas du tourisme. C’est quoi alors ? Mais voilà : tout le monde comprend, pense l’auteur, qui invente même le « tourisme noir » qu’il met en parallèle avec « l’argent noir ». C’est quoi le tourisme noir ? C’est l’universitaire qui profite d’un colloque pour aller à la plage. Mieux encore : un voyageur partant sur un circuit organisé et qui va roder la nuit dans les quartiers chauds fait du « tourisme sexuel au noir ». C’est vrai que c’est la nuit.

Il faut se méfier des livres qui ne posent pas de définitions. Jamais l’auteur ne définit ni le tourisme, ni les pratiques sexuelles. Ce qui lui permet d’enfiler les stéréotypes dont celui-ci : « le citoyen, tranquille chez lui, se transforme en individu redoutable une fois passé à l’étranger. » Eh bé….on remplit les avions de fauves sans le savoir.

Donc, on démarre avec le vilain prédateur blanc qui va assouvir ses bas instincts sous les Tropiques. Suivent une soixantaine de pages sur « le sexe, un marché mondial en pleine expansion ». La dimension historique manque cruellement : le sexe a toujours été un marché mondial (les Romains dans leurs bordels n’entassaient pas des Romaines) et il n’est pas plus en expansion que le marché du soja ou de l’informatique. Mais l’auteur est fin économiste : ce qui détermine le marché du sexe, c’est « l’offre, la demande et le contexte social ». Qu’on puisse en dire autant du marché du sucre ne l’effleure pas. Encore une banalité ? « Le corps des femmes est le produit de base du marché du sexe »… c’est clair que le produit de base, c’est pas les nageoires des poissons rouges.

Mais le pire est à venir. L’auteur prétend que tourisme et sexualité pratiquent « une entente cordiale et intéressée » car « on peut interpréter le tourisme sexuel comme un avatar du néo-colonialisme occidental qui s’empare du corps des populations après avoir renoncé à leurs territoires ». La formulation est belle… et tout à fait fausse, car nombreux sont les pays à tourisme sexuel qui ne sont liés ni de près, ni de loin à la colonisation. Personne n’a renoncé aux territoires de l’Ukraine ou de la Thailande qui ne furent jamais colonies de personne. Et que dire des pays qui n’ont jamais eu de colonies ? Si on suit l’auteur, il n’y a pas de tourisme sexuel suédois. Ben voyons…. A moins que les Suédois ne soient des colonialistes cachés arrivés directement au néo-colonialisme sans passer par la case colonialisme.

Suivent une cinquantaine de pages qui sont un catalogue des destinations où se pratique le tourisme sexuel. Sans surprise, il n’est question que de pays asiatiques, africains ou sud-américains car il faut bien annoncer le chapitre suivant intitulé « Le Sud devant la colonisation touristique et l’exploitation sexuelle ». On aura bien compris que tout ce qui précédait ne servait qu’à lier fortement tourisme et exploitation sexuelle. La thèse de l’auteur commence à apparaître : sans tourisme, pas d’exploitation sexuelle.

Disons-le tout net : c’est parfaitement gonflé. Il ne faut pas avoir une connaissance fine de l’histoire pour savoir que l’exploitation sexuelle est totalement indépendante du tourisme, elle ne lui est pas consubstantielle. Elle est tout juste consubstantielle au déplacement. Quand l’étranger arrive, il peut éventuellement profiter d’une structure sexuelle existante, avec ou sans exploitation. Mais si rien n’existe, il mettra son érection dans sa poche…Flaubert, au bord du Nil, regrette les putes du Caire car il n’y en pas dans les campagnes égyptiennes et sa présence (et sa concupiscence) ne les fait pas surgir ex nihilo. Tout juste peut on dire qu’un afflux de population renforce un marché, mais c’est vrai pour les vanneries camarguaises comme pour les prostituées birmanes. Il a qu’à regarder en Corse, l’auteur, puisqu’il y enseigne. Pays touristique s’il en est, mais pour trouver une pute à Propriano, c’est le parcours du combattant. Peut-être que c’est pas assez au Sud ? Et Pigalle où se précipitaient voici trente ans les Anglo-Saxons décidés à baiser de la Française ? On peut peut-être parler de délocalisation et comparer les tarifs hors charges sociales ? Un marché, ça a une histoire.

La fin du livre est un catalogue sur la prostitution asiatique, catalogue de faits et d’anecdotes (des Français amènent des prostituées d’Ujung Padang à une cérémonie toraja qu’ils troublent). On est au niveau de la presse anglaise, ou peu s’en faut.

Bref, notre prof à l’Université de Corse fait preuve d’un angélisme certain et ne nous apprend rien. Il force les traits et fait parfois preuve d’une réelle méconnaissance, par exemple quand il affirme qu’il ne faut pas confondre prostitution forcée et prostitution volontaire (on ne peut qu’être d’accord) pour ajouter aussi sec « Dans les pays du sud, la prostitution est toujours forcée ». Ben voyons.. ça conforte sa thèse mais c’est parfaitement faux. Dans toute l’Asie (Japon inclus jusqu’à Mac Arthur) la prostitution est traditionnellement un moyen pour les jeunes filles d’épargner une dot car la vision du sexe n’est pas exactement la même que la notre. Et les jeunes Nigériennes n’hésitent pas à faire « boutique mon cul » quand les temps sont difficiles.

Ce qui me met en colère, c’est cette transformation d’un épiphénomène en problème de société. On ne peut pas nier que le tourisme sexuel existe, mais on ne peut pas affirmer non plus que tout tourisme est sexuel,ni que toute sexualité est touristique, sauf à vouloir diaboliser le tourisme. Ce qui est grave, c’est que l’Université Laval couvre ceci de son autorité. Ce qui est grave, ce sont ces analyses sociologiques à l’emporte-pièce, sans connaissance du substrat historique. On aboutit à une enfilade (si j’ose dire) de stéréotypes pour arriver à la conclusion : le Blanc, c’est caca….

Pas besoin de 400 pages pour ça…

lundi 4 avril 2011

LA MORT DE NOS GOSSES

Les statistiques sont formelles. On vit de plus en plus vieux. On gagne quasiment un mois d’espérance de vie par an. C’est pas rien.

Quand je dis « on », c’est moi et mes copains. La génération du baby-boom et environs. En gros, ceux qui sont nés entre 1920 et 1960.

Et donc, les statisticiens et prévisionnistes, ils prolongent la courbe tant qu’ils peuvent et ils nous terrifient de chiffres hallucinants. On va vers un monde de vieux, de plus en plus de gens, de plus en plus vieux. De moins en moins de gens qui travaillent, de plus en plus de retraites, une catastrophe économique, un drame de civilisation.

Leur truc est vrai, toutes choses égales par ailleurs. Or, les choses ne sont pas égales. Il y a une différence énorme entre les vieux actuels et les futurs vieux dont je tiens le pari aujourd’hui qu’ils ne seront pas vieux. Les vieux actuels sont le résultat de la combinaison de deux facteurs : une alimentation saine pendant leur croissance et les progrès remarquables de la médecine. Pour faire simple, nos générations ont bouffé de la bonne qualité pour grandir et la médecine a corrélativement progressé. Deux facteurs dont la combinaison conduit à l’explosion d’Alzheimer. Mais nos gosses ?

Nos gosses bouffent de la merde. De la merde qu’on leur donne mais on n’a pas trop le choix. Bien souvent, de la merde qu’ils nous réclament à cor et à cri parce que leur goût est façonné pour. Je ne sais plus où j’ai lu une étude statistique qui montre une corrélation entre la consommation de lait UHT et la montée des allergies. En gros, les auteurs pensaient (mais ne prouvaient pas, soyons juste) que la stérilisation UHT détruisait quantité de micro-organismes nécessaires à l’édification du système immunitaire. Jadis, quand j’étais petit, le lait était acheté cru et on le faisait bouillir pendant une heure afin de détruire ce qui pouvait nuire à la santé. C’était suffisant pour ne pas tomber malade. Il semblerait donc que le procédé UHT détruirait trop et détruirait de l’utile. Si c’est vrai, la génération UHT, elle aura pas de problème de retraites. Nos gosses risquent de mourir plus jeunes que nous.

On assiste à une explosion de l’obésité chez les gamins. Obésité accompagnée de son cortège de problèmes vasculaires et hormonaux. M’étonnerait que ces gosses voient leur espérance de vie augmenter. Même si la médecine progresse encore et encore. Cette obésité est liée, non à une sur-consommation, mais à un ensemble de facteurs que les nutritionnistes négligent parce qu’ils n’ont pas les moyens d’analyse. Par exemple, l’irrégularité de la prise de nourriture. Je ne peux pas croire qu’on puisse bouffer à toute heure sans que ça ait une influence. Il ne s’agit pas seulement du grignotage permanent. Je pense à la gestion des réserves par l’organisme. On mange, on stocke, on libère. Il existe un équilibre temporel. La pizza sur un coin de trottoir en milieu d’après-midi détruit ce rythme.

Les nutritionnistes nous filent des analyses bourrées d’approximations. C’est bien de savoir qu’il y a 20% de peau de poulet dans les nuggets. Jean-Michel Cohen le dit, non sans humour : « il n’y a pas de poulet avec 20% de peau ». Ce qu’il ne nous dit pas, parce qu’il ne peut pas le dire, c’est que la peau d’un poulet industriel n’est pas la peau d’un poulet élevé à la maison. J’ai failli écrire « poulet fermier » mais le poulet fermier est aussi un poulet industriel, le plus souvent.

C’est facile de voir la différence. J’achète mon cochon, chaque fois que je peux (mais Internet est utile dans ce cas), chez un charcutier du Pays basque. Quand je fais cuire une tranche de lard (caca, le lard, disent les nutritionnistes), le gras prend une belle couleur dorée, proche du miel, le maigre devient rouge foncé, rouge basque en fait. Si je fais cuire en même temps une tranche de lard achetée chez mon boucher parisien, le lard reste pâle, blanchâtre et le maigre tire sur le vieux rose. A l’évidence, même si les sens sont trompeurs, il ne s’agit pas de la même viande. Bien entendu, le goût n’est pas le même (trop fort pour mon fils qui n’en veut pas), mais je suis bien convaincu que les composants sont également différents et que l’organisme n’assimile pas les mêmes choses et ne réagit pas de la même manière. Attention : on est dans la différence fine. Faudrait pouvoir mesurer au niveau des acides aminés et différencier les protéines. Arrêter de parler en généralités hâtives. Cesser de comparer ce qui n’est pas comparable.

Faut être juste : les études ont commencé mais c’est pas du tout cuit. Une équipe de l’INRA de Theix s’est intéressé à la catéchine. C’est un anti-oxydant présent dans le vin et le chocolat, entre autres. Un truc que quand t’en consommes beaucoup, tu diminues ton risque de maladies cardio-vasculaires vu que ça corrige les troubles métaboliques liés aux lipides. Comment ça marche ? On sait pas trop mais on constate que la catéchine modifie l’expression de 450 gènes. Rien que ça ! Un élément, un seul, analysé finement, vient modifier le fonctionnement d’un bon paquet de gènes. Conclusion : consommer le Bordeaux sans modération pour le bonheur du génome.

Des éléments comme la catéchine, il y en a des milliers dans nos repas. Chacun avec son action. Et surtout avec leurs interactions. C’est une combinatoire infinie dont nos gènes sont la cible. Une combinatoire dont l’étude est plus que balbutiante. Autant dire simplement que les nutritionnistes ne savent rien et ne sauront rien tant que les molécularistes n’auront pas avancé. C’est pas gagné et on a pas fini d’entendre des conneries.

J’ai trouvé sur le site de l’INRA un truc marrant. Les mecs ont testé les qualités nutritives d’agneaux issus de l’agriculture biologique et de l’agriculture conventionnelle. C’est génial les mots : pour moi, biologique et conventionnel, c’est pareil. Pour eux, conventionnel c’est industriel. On vit pas dans le même monde sémantique. Faut dire que leurs recherches sont financées par les agro-industriels, alors ils choisissent les mots. Mais faut lire ça : « Pour les agneaux à herbe, le jury a jugé que les côtelettes biologiques présentaient une odeur anormale de leur gras plus élevée que les côtelettes conventionnelles…probablement en lien avec une proportion plus élevée de légumineuses dans les prairies ». Le mouton a toujours eu une odeur un peu forte. Va te faire un méchoui sur les contreforts de l’Atlas marocain, tu vas voir si ton mouton est insipide. Cette odeur est naturelle quand le mouton broute ce qu’il veut. Mais le consommateur n’aime pas. Donc, on modifie la ration alimentaire du mouton pour mieux vendre, c’est du conventionnel. Et l’odeur naturelle devient « anormale ». C’est ça que j’aime pas à l’INRA. L’odeur de la viande de mouton, elle est normale, biologiquement normale. Il faudrait, on le fera un jour, identifier la molécule responsable de cette odeur et voir comment elle agit au niveau du génome. On verrait alors à coup sûr où se trouve la normalité. Peut-être qu’on finira par admettre que la ferme pue moins que la ville. Parce que je vais te dire : si tu amènes un petit citadin dans une ferme, il va tordre le nez. Il va trouver que le purin, ça pue plus que les gaz d’échappement. Mais les gaz d’échappement, pour lui, c’est conventionnel, normal, quotidien et donc naturel.

On a chacun sa madeleine. Moi, c’est le verre de lait bu avec avidité lors de la traite à la ferme. C’est mes dix ans. Après vingt ans à la capitale, je suis retourné à la ferme avec l’envie de retrouver le goût de mes dix ans. Et j’ai failli gerber. Après vingt ans de lait semi-écrémé et pasteurisé industriellement, le vrai lait de vache m’est apparu lourd, gras, chargé d’odeurs insupportables. Le supermarché m’avait tué mon enfance. Une enfance pourtant pas si « anormale ».

On en reparlera……

vendredi 1 avril 2011

LES ECOLOTES ET LES SUSHIS

On m’a demandé pourquoi j’écrivais « écolotes ». C’est un mot-valise, la combinaison de « écolos » et « chochottes ».

J’ai été adhérent des Verts. Vrai adhérent avec cotisation payée et tout, et tout… C’est l’ami Jean Lissar qui m’avait convaincu. J’ai donc adhéré. Ça m’allait assez bien, dans une vie antérieure j’avais édité des livres d’écologie, avec de bons auteurs, bien scientifiques, bien diplômés, bien sérieux. Je me sentais prêt, investi. Passer de la connaissance à l’action politique, ça m’allait assez bien.

Le premier truc qu’on m’a demandé, c’est si je voulais être inscrit aux listes de diffusion. Bien sûr que je voulais de l’info. Et là, patatras ! Boîte mail bloquée en deux jours. Des centaines de courriels avec des propositions d’adoption de chatons et des questions sur les lombrics propres à faire du bon compost. Tu veux influencer le cours des choses, on te propose des vers de terre. Aujourd’hui, je me dis qu’ils ont qu’à les envoyer à Fukushima leurs lombrics. Surtout qu’au Pays basque, si tu veux des lombrics, t’as qu’à prendre ta bêche. Pas la peine de t’échiner sur Internet. Quant aux chatons, je préfère ne pas dire ce que j’en pense.

Après, j’ai assisté à ma première réunion. Je pensais, naïvement, qu’on allait parler des problèmes écolo-politiques, style Plan de Prévention des Risques ou protection des zones inondables. Pour être honnête, on en a parlé. Le sujet du moment, c’était le col du Somport et l’ours. L’ours, ça m’intéressait. J’avais un vague souvenir de discussions avec Aldebert Baron qui m’avait expliqué que les ours, en captivité, ça se reproduisait comme des lapins et que, au zoo de Chizé dont il s’occupait, on pratiquait la ségrégation des sexes pour pas crouler sous les oursons. J’aurais voulu savoir pourquoi on importait des ours slovènes au patrimoine génétique différent de nos ours pyrénéens et si y’avait pas moyen de trouver en captivité des patrimoines génétiques plus conformes. Je me suis fait jeter. C’était pas la question. D’abord, les zoos c’était pas bien. Et puis, la génétique, tout le monde s’en foutait. L’essentiel était de bloquer le chantier.

Tu parles d’écolos…. L’écologie, c’est une invention du biologiste allemand Haeckel dans les années 1880. Depuis 1968, il existe une Société Française d’Ecologie qui regroupe les écologistes professionnels. Va voir le Conseil d’administration, tu comprendras. Y’a pas Hulot, ni Arthus-Bertrand, ni Cohn-Bendit, ni Duflot, Lepage ou Placé. Y’a des mecs comme Barbault, prof à Paris VI et spécialiste de biodiversité au MNHN. Ou Christophe Thébaud, prof à Paul Sabatier et chercheur au CNRS. Ou Michèle Trémolières, spécialiste des zones alluviales à l’Ecole Nationale du Génie de l’Eau. Quand tu regardes, tu comprends vite. D’un côté les professionnels, de l’autre les amateurs. Ceux qui savent et ceux qui aiment. Le savoir contre l’affect. Contre. C’est bien ça qui est gênant. Parce que, des fois, le savoir te dit le contraire de ce que te souffle l’affect. C’est son boulot. Prends les zoos, justement. L’affect te susurre que ces pauvres bêtes, enfermées, qui ont tant l’air de s’ennuyer, c’est une horreur, un quasi-scandale. Le savoir t’informe que, déjà, elles sont vivantes et protégées. Vaut mieux être gorille à Jersey chez Durrell que face aux braconniers des Virunga. Qu’en plus, elles font progresser la connaissance de l’espèce et permettent une meilleure protection dans la nature. Et qu’enfin, on garde un stock en vue de réintroduire quand les conditions seront venues. On garde même des stocks d’ovocytes, au cas où…. Le zoo est un instrument irremplaçable de préservation de la biodiversité. Alors, t’as plus qu’à essuyer tes larmes devant Coco, la panthère des neiges. Elle s’emmerde peut-être mais ses copines de l’Himalaya ouest, elles sont mortes. En plus, tu vas pleurer sur les singes et les panthères, mais les mygales et les phasmes t’en as rien à cirer. Hypocrite.

Les écolotes ne jouent que sur l’affect. Ils adorent les manifs où ils se déguisent et font preuve d’imagination dans les slogans et les costumes. Mais comme ils sont dans l’affect, ils s’arrêtent tout de suite de penser. Ils ne vont pas jusqu’au bout. Or, le bout, c’est le fonctionnement économique

Par exemple, ils te parlent des malheureux dauphins pris dans les filets dérivants de la pêche industrielle. Tu vas pleurer. Pleures pas. Réfléchis. Si tu veux sauver les dauphins, faut interdire la pêche industrielle. Impossible. Trop compliqué dans les faits à cause du droit maritime. L’océan est à tout le monde, hors eaux territoriales. Donc, faut prendre le problème autrement et agir sur la consommation. Si tu limites la consommation, tu limites les méfaits des pêcheurs. CQFD.

La pêche industrielle, c’est largement le fait des Japonais. C’est des gros mangeurs de poisson, les Japonais. Il paraît que le poisson, c’est bon pour la santé. Mais, faut constater qu’ils ne bouffent presque que ça et qu’ils vivent pas beaucoup plus vieux que nous. En tous cas, ils ratissent les océans et ils nous ont convaincu que leur régime alimentaire est bon. C’est l’explosion du sushi. Le sushi le plus prisé, c’est « maguro », le thon rouge. D’où les élevages hyper-polluants de thons en Méditerranée. Dame ! faut les alimenter les sushi-shops. Cinq dans ma rue, ça en fait du maguro.

Alors, moi, je suggère aux écolotes de se battre pour l’interdiction du sushi. Plus de sushi, plus besoin de ces énormes quantités de poisson. Interdiction du sushi en Europe. Dany l’ex-rouge, il est influent à Bruxelles. C’est un combat à sa mesure. Si l’Europe interdit le sushi, le marché bascule. Doit bien y avoir une réglementation à ressortir. Le sushi, c’est du poisson cru, une matière hyper-fragile, un nid à miasmes. Et tu me feras pas croire que tous les restaus de sushis tenus par des non-Japonais, ils sont rigoureux sur l’hygiène. En plus, au moment où la gastronomie française est inscrite au Patrimoine mondial, un sushi-shop dans un centre historique, ça fait désordre, je trouve. Les écolotes sont contre la mondialisation. Ils ont raison. Or le sushi est un symbole de la mondialisation, autant que McDonald. Le moustachu du Larzac, il devrait s’en occuper : le sushi à Millau, c’est un peu ridicule. A Bratislava, c’est indécent.

Y’aura un lobby du sushi, ça c’est sûr. Vont parler d’emplois menacés, par exemple. C’est le premier argument de tous les lobbys. La chaine du sushi, elle est simple : des bateaux industriels, des usines à sushi, à capitaux japonais le plus souvent, et des centaines de boutiques que les usines aident à s’installer pour pouvoir fourguer leur poisson congelé. Ben oui, congelé. Tu crois pas que le thon, il supporte plus de trois jours hors de l’eau, quand même. Et, entre le bateau et le restau, on est plus près de trois semaines que de trois heures. Le plus souvent, c’est des Chinois qui tiennent les sushi-shops. Test facile : tu leur demandes une table en japonais. Les mecs, ils entravent rien. Si tous les Japonais ont les yeux bridés, tous les yeux bridés ne sont pas Japonais. Et donc, le sushi est une industrie. Les bateaux industriels, quand ils ont baisé les emplois de mes copains de Saint-Jean-de-Luz, ça n’a fait frémir personne. Alors, eux, les destructeurs d’emploi, on va pas les laisser s’abriter derrière la protection de l’emploi. C’est comme un client de bordel qui signe une pétition contre la prostitution.

C’est ça que je leur reproche aux écolotes. Ils s’excitent sur des symboles, ils oublient la chaine de causalités. La chaine qui va du dauphin aux sushi-shops. Y’en a d’autres. Les crapauds, par exemple. Chaque année, en France, des millions de crapauds meurent sur les routes. Dans certains cas, à Iraty par exemple, c’est un vrai crapaudicide, la route devient glissante à cause des cadavres écrasés. Or, le crapaud est le meilleur insecticide possible. Il est l’un des moyens (l’un, pas le seul, on est dans un système à paramètres multiples) de diminuer l’utilisation de produits chimiques dans les champs. Ce pauvre crapaud a seulement le tort de n’être pas médiatique. Le bébé-phoque, oui. Le crapaud, non. Les écolotes se foutent des crapauds, montrant ainsi leurs limites. Je le sais : je me suis bagarré pour la protection des crapauds et tout le monde m’a pris pour un con.

On ne peut pas aimer ce qu’on ne connaît pas. La limite de l’amateurisme, elle est là. Les professionnels de l’écologie, le plus souvent, ils calment le jeu. Avant de sortir les banderoles, ils passent des heures sur leurs paillasses pour connaître les tenants et les aboutissants. Ils calment le jeu. Des fois, ils ont des conclusions qui vont à l’encontre du ressenti des écolotes. Des fois, c’est les mêmes, mais pas en même temps. Faut le temps d’étudier et les résultats, c’est pas au bon moment. Pas au moment des manifs. Pour faire court, les professionnels de l’écologie, souvent, ils empêchent les amateurs d’aimer comme ils voudraient. Alors, ils sont exclus du jeu. Y’a guère que le GIEC qui ait tiré son épingle du jeu. Faut dire que le GIEC, ça fait vingt ans qu’ils bossent et qu’ils sont nombreux.

J’ai fait un test. Je voulais savoir combien de mes copains écolos avaient lu le superbe texte de Jean Dorst Avant que Nature meure. Dorst, prof au Muséum, écolo professionnel. Toute la thématique des écolotes, elle est chez Dorst, les déchets, la pollution, la perte de biodiversité. Le livre date de 1974. Ça fait quand même 37 ans et tous les sujets dénoncés par Dorst se sont aggravés. Ça devrait les faire réfléchir mes copains Verts. Seulement, voilà. Ils sont toujours à côté de la plaque. Dorst hurle contre les déchets. Il signifie clairement qu’il faut arrêter d’en produire. Les Verts, ils s’excitent sur le tri sélectif. Ils n’ont rien compris : faut pas trier, faut arrêter. Parce qu’une tonne de merde divisée en 10 paquets de 100 kilos, ça fait toujours une tonne. Arrêter, ça veut dire légiférer, interdire, punir. Dire aux industriels que ça suffit. Leur fixer des limites obligatoires. Laisser chouiner les emballeurs et les packageurs qui nous pourrissent la vie. Ils vont perdre leur boulot ? Tant pis ! Leur boulot nous détruit. C’est de la légitime défense.

Seulement, ça, mes copains écolotes, ils savent pas faire. Ils me l’ont dit : « on peut pas être toujours en guerre ». Chochottes !

On en reparlera….