mardi 29 novembre 2011

C’EST GRATUIT !!

Marc Lemonnier poste un message outré car le texte de certains de ses livres est accessible gratuitement sur des sites qui l’ont piraté.

Ben oui, Marc. Tu découvres l’essence du Net : la gratuité. Avec ses séides : les bon plans, les remises hallucinantes et l’achat groupé.

Quand Internet cassait le marché des éditeurs d’encyclopédies, ça te gênait pas. Moi, non plus. Un clic sur Wikipédia, ça va plus vite que de se palucher les vingt volumes de l’Universalis et ça coûte rien. Les éditeurs de dictionnaires ont pleuré les premiers.

Les éditeurs ont adoré Internet qui leur permettait de faire des e-mailings. C’est bien l’e-mailing. Avant, il fallait payer les timbres à la Poste. Fini. C’est gratuit. Y compris pour faire la promotion de tes livres.

Les éditeurs ont adoré les catalogues en ligne. Plus de lettres à lire, plus d’enveloppes, de frais de port, de petites mains qui envoyaient les catalogues. Là, ce sont les routeurs et les imprimeurs qui ont pleuré. Et les petites mains quand on a contracté les services généraux.

Tout le monde a adoré le référencement. Plus besoin de chercher comment toucher les clients et les lecteurs. Ils venaient à toi. Gratuitement.

Tout le monde a adoré les réseaux sociaux. C’est immédiat et gratuit. On colle deux lignes et on communique. Plus besoin d’écrire une lettre, d’aller à la Poste, de mettre un timbre, plus besoin de téléphoner et de s’exploser le forfait. Comme dit Facebook (là où Marc Lemonnier a mis son post) : « c’est gratuit et ça le restera ».

Y’a qu’un hic : c’est qu’invariablement, un jour, c’est mon boulot qui devient gratuit. Et là, changement de musique. On a tous envie d’avoir le beurre et l’argent du beurre. Tu peux te consoler en te disant que les droits d’auteur que tu as perdus, tu les aurais investis dans une encyclopédie. Et donc, ça ne change rien à ta trésorerie. Tu as perdu par Internet ce que tu as économisé par Internet.

Je te rassure, tu ne perds rien. Ceux qui accèdent à tes textes par Internet n’auraient pas fait l’effort d’aller les acheter dans une librairie. Parce qu’Internet ça ne rend pas seulement radin. Ça rend radin ET fainéant. C’est ça le succès d’Amazon. T’achètes sans bouger, le cul vissé sur ta chaise. Bien confortable ta chaise. D’ailleurs, tu l’as achetée sur Internet. Les éditeurs adorent Amazon qui permet d’économiser les kilo-euros de frais de port qu’il fallait facturer et percevoir quand il y avait des centaines de petites librairies, des centaines de petits comptes à gérer et des comptoirs de vente en centre ville. Tout cet argent immobilisé !

Tu es piraté ? Le pire reste à venir. Les copiés-collés, les citations non affectées, les textes tronqués et utilisés à des fins que tu réprouveras. Le piratage commercial n’est que le début. Va venir désormais le piratage intellectuel. Tout le Code de la propriété intellectuelle qui va être détricoté à coup de sites installés dans des pays qui ne respectent pas la Convention de Berne, à coup de sociétés non solvables et de mecs qui ne voient aucune raison de payer ce qu’ils n’ont jamais payé : des mégabits. Car pour eux, un texte, c’est juste des mégabits.

En plus pourquoi payer ce qu’ils offrent gratuitement ? Tu sers juste d’appât pour vendre de la pub. Remarque, chez Leclerc, tu sers d’appât pour vendre de l’eau minérale. C'est pareil.

Tu n’iras pas voir un avocat spécialisé. Parce que les 500 euro de la première consultation, t’es même pas sûr de les récupérer. Alors, tu vas râler et tu as raison.

Mais c’est trop tard. Un excellent sociologue, Raymond Boudon a décrit ce fonctionnement : c’est l’effet pervers. Je suis certain que tu trouveras le texte sur Internet.

Gratuitement.

jeudi 24 novembre 2011

LES CATASTROPHES ARTIFICIELLES

Les Varois sont dans l’eau. Le Ministre annonce un « arrêté de catastrophe naturelle ». Le Ministre n’a rien compris. Ne sachant rien sauf communiquer, d’une inculture majuscule, les ministres ne comprennent rien. Il s’agit d’une catastrophe artificielle, pas naturelle.

La vallée de l’Argens est sous l’eau. Qu’est ce qu’une vallée ? C’est le point le plus bas d’un bassin versant. Les mots sont clairs. Un bassin versant : des pentes qui font ruisseler l’eau vers le point le plus bas. Une vaste entonnoir qui récupère les pluies et les dirige vers le point le plus bas : la vallée. Vallée qui possède elle-même une partie haute et une partie basse. La partie la plus basse, c’est le confluent avec une autre vallée ou la mer s’il s’agit d’une vallée côtière. Et l’eau collectée, elle va de haut en bas, comme quand ta baignoire déborde et inonde ton voisin du dessous.

Hé, couillon ! Tout le monde sait ça. Ben non, pas tout le monde. En tous cas, pas tous les gens, aménageurs et politiques qui, depuis des années, installent des braves citoyens dans les parties où l’eau se collecte. A Fréjus, l’inondation frappe régulièrement la zone industrielle de La Palud. Pour ceux qui ignorent le vieux vocabulaire français ou qui ont la culture littéraire d’un moineau, un palud est tout simplement un marécage. C’est aussi le titre d’un livre de Gide.

Et donc, une bande d’incompétents ou d’imbéciles (voire les deux) ont décidé d’installer une importante activité économique à l’emplacement d’un marécage. Marécage qui depuis les siècles des siècles sert d’éponge au bassin versant en récupérant les eaux venues d’en-haut. Marécage qui depuis des siècles et des siècles est inondé quand il pleut. Il pleut, le marécage est inondé et les télés passent en boucle les couillons qui s’étonnent d’avoir les pieds dans l’eau dans une zone inondable. Après quoi, on va entendre chouiner les assureurs qui ont garanti un dégât des eaux dans une zone qui collecte l’eau. Quand on se comporte comme un con, on se retrouve tout con un jour ou l’autre.

Dans ses Lettres de Cassandre, l’ami Gentelle s’était déjà emporté contre cette obsession de faire porter au terrain les conséquences de la stupidité des aménageurs. C’est vrai que laisser s’installer des millions de couillons sur une faille tectonique dont on sait qu’elle va péter un jour, c’est quand même d’une connerie rare. Pierre ne verra pas le Big One raser San Francisco et Los Angeles. Ça arrivera fatalement, on le sait, c’est prévu. On sait aussi que les signes avant-coureurs seront perçus trop tard pour envisager une évacuation en bon ordre. En gros, les sismologues auront le choix entre faire leur boulot et annoncer le séisme un jour ou deux à l’avance, déclenchant une panique monstre et une catastrophe humanitaire, ou se taire et laisser le séisme raser la ville. Pour ma part, optimiste comme je suis, je pense qu’ils feront les deux, en retardant l’annonce au maximum, et que le tremblement de terre capturera une population affolée évacuant sauvagement la ville, doublant ainsi à coup sûr le nombre de victimes. Quand San Francisco s’écroulera, ce ne sera pas une catastrophe naturelle. Ce sera une catastrophe artificielle provoquée par un événement naturel.

Il arrive que les hommes n’aient pas vraiment le choix. T’es Japonais, t’as juste le choix de savoir sur laquelle des quatre failles tu vas installer ta maison. Ou ta centrale nucléaire. Mais si t’es Français, t’es pas obligé d’aller t’installer à Nice. Dans l’état actuel des connaissances, si t’achètes un appartement à Nice, tu sais que tu risques de te retrouver héros d’un jour, pleurant devant les caméras de TF 1 que t’as tout perdu. Personne n’est obligé de jouer à la roulette russe.

Faut se mettre à la place des maires. Ils ont besoin d’activité économique, d’emplois, de taxes. Tenir compte du terrain, c’est se priver de tout ça. Alors, ils aménagent, ils remblayent les zones inondables, ils suppriment les marécages qui sont tant dégueulasses et attirent les moustiques. Si ça inonde, les assureurs sont là. Les assureurs et l’Etat. On appelle ça la solidarité républicaine. En clair, le maire de Fréjus, il aménage, il prend les impôts locaux, il se fait de la croissance et quand le pépin est là, il demande au Strasbourgeois un peu de fric. Strasbourgeois qu’on suppose avoir bénéficié indirectement de la croissance de Fréjus.

La géographie souffre d’une tare consubstantielle à son objet d’études. Elle est inégalitaire. Y’a des lieux plus propices que d’autres à l’habitat ou à l’agriculture. T’es Polonais, t’as pas le sol pour produire des quintaux de blé à l’hectare. En revanche, t’es protégé des tremblements de terre et des tsunamis. Bon, t’as pas non plus le climat de la Sicile et la Baltique, c’est pas vraiment une mer ouverte sur le monde. Y’a du pour et du contre. Si t’es Japonais, le sol est riche mais y’en a pas trop. T’as intérêt à te réguler la croissance démographique. Le Touareg, il a du terrain mais il est pas trop fertile. Et ainsi de suite….

Là aussi, la mondialisation est à l’œuvre qui veut qu’on vive tous de la même manière. Lacoste (c’est un géographe, pas un fabricant de tee-shirts) et ses héritiers spirituels ayant décrété qu’il n’y avait pas de finalisme, que le sol ne comptait pas et que la vie des hommes n’était pas conditionnée par le terrain, on ne tient plus du tout compte du terrain. Quand y’a un souci, les écolo-spiritualistes affirment que la Nature se venge. Nouvelle manière de déresponsabiliser l’Homme. Quelle salope, cette Nature, de vouloir se venger ! S’il y a une phrase stupide, c’est bien celle-là. La Nature, c’est juste des fonctionnements. T’en tiens compte ou pas. Et curieusement, les fonctionnaires tiennent peu compte des fonctionnements.

On met en place des pseudo-égalités. Tout le monde a droit à un logement. Bon, au lieu d’avoir une belle maison sur une butte, à l’abri des inondations, bien protégée des vents dominants, tu vas avoir un pavillon Bouygues dans une zone inondable ousque le mètre carré est pas au même prix. A chaque inondation, tu vas perdre un peu du peu que tu possèdes. Pas grave pour le politique qui a aménagé la zone. De toutes façons, t’étais déjà pauvre et lui, conscient de son devoir, t’as permis de te loger. Tous propriétaires, mais pas au même endroit. Faut pas exagérer.

Pour être sûr que personne, jamais, ne réintroduira le terrain dans le raisonnement, on a quasiment supprimé l’enseignement de la géographie. Comme ça, on est tranquilles. Tu te demanderas jamais pourquoi, en Europe occidentale, les beaux quartiers sont à l’ouest des villes et les campings deux étoiles dans les pires zones balnéaires. On a supprimé la géographie inégalitaire au profit d’une idéologie égalitaire. Mais le réel résiste. Les vrais pauvres le savent bien. Ils quittent leur terre pourrie pour envahir les terres favorables. Les presque pauvres s’en indignent qui se voient tirer vers le bas, obligés de partager les miettes.

Les presque pauvres sont les pauvres des pays riches. Ils sont plus pauvres que les riches des pays riches mais plus riches que les pauvres des pays pauvres. Leur situation est inconfortable parce qu’ils ne savent pas où ils sont. Une maison dans une zone inondable, c’est mieux que pas de maison du tout. Ils sont satisfaits lorsque la télé leur passe en boucle les malheurs des pauvres pauvres, ceux qui sont plus pauvres qu’eux.

Les médias guident nos regards vers le bas. Avec Jean-Luc Delarue, on contemple les catastrophes humaines auxquelles on a échappées, la voisine nymphomane ou le beau-frère égrillard. Avec Julien Courbet, on se réjouit de ne pas avoir un voisin aussi méchant. Avec la Star Ac, on se dit qu’on peut prendre la place de Johnny, même si on chante faux. On va plaindre les pauvres inondés de Fréjus en attendant notre tour. Et quand on regarde en haut, c’est trop haut, les stars qui se payent des maisons représentant plus d’argent qu’on n’en gagnera pendant toute une vie. Ça semble naturel.

La communication naturalise tout et surtout ce qui est artificiel. Elle crée une immanence du malheur auquel on ne peut pas échapper. C’est l’un des résultats de la géographie selon Lacoste qui voulait que l’homme puisse prendre son destin en mains.

Lacoste avait raison. L’homme prend son destin en mains en faisant connerie sur connerie et en refilant la responsabilité à la Nature que Lacoste lui a conseillé d’ignorer.

On en reparlera…

mardi 22 novembre 2011

ALLAH ET ALAOUITES

Bon. Je me suis fait engueuler pour mon précédent texte. Il paraît que je soutiens un dictateur. Ça, on me l’a déjà dit. A propos de la Chine notamment.

« Dictateur », c’est d’abord une étiquette. Cherchez, il y a plein de définitions. Toutes assez floues, souvent contradictoires, et toutes discutables. En général, la discussion finit par « Allez, fais pas le con, tu sais bien ce qu’on veut dire ».

Ben non, ça va pas de soi. Sois précis, je comprendrais.

A priori, Bachar Al Assad est un dictateur. Il concentre les pouvoirs, s’appuie sur l’armée et entretient une répression assez sauvage. Ce que je voulais dire, c’est que tout ça n’est pas bien, mais que je considère que c’est un moindre mal. Ou pour être encore plus clair, que le remède risque d’être pire que le mal.

Bachar Al Assad est alaouite. En clair, il appartient à une minorité religieuse. Comme tel, il sait ce que veut dire une religion dominante. Pour lui et les siens, c’est la potence. Bien que les hérésies n’existent pas vraiment dans l’Islam, les Alaouites sont considérés par les tendances majoritaires comme apostats et certains théologiens un peu excessifs ont appelé à les détruire. Ces bagarres théologiques, je m’en fous. Je vais pas vous dire que les Alaouites ne voilent pas leurs femmes ou qu’ils sont proches de l’ismaélisme (l’Aga Khan, c’est pas un sauvage). Ce sont de piètres arguments.

Ce que personne ne veut voir, c’est que la rébellion syrienne est une tentative fort bien menée des musulmans les plus orthodoxes, chiites et sunnites mélangés, pour prendre le pouvoir en Syrie. Les Turcs ne s’y sont pas trompés qui soutiennent le Conseil National Syrien. Il faut que la Syrie revienne au sein de l’Islam militant. Et si on peut détruire les Alaouites, ce sera tout bénef. On en profitera au passage pour éradiquer le christianisme, virer les Arméniens et faire le ménage.

La Syrie est le dernier rempart de la démocratie au Proche-Orient. Ecrire ça va m’attirer encore des engueulades. Bachar Al-Assad n’est pas un modèle de démocratie. Mais du moins protège t’il des minorités ce qui n’est pas le cas de l’Iran voisin. En Irak, l’Occident a contribué à détruire le parti Baas qui s’accrochait encore à ses principes de laïcité. Si la Syrie tombe, le prochain domino sera le Liban. Le cercle se referme autour d’Israël que les Frères Musulmans égyptiens ne tarderont pas à menacer au sud. Je n’ai pas une sympathie particulière pour le sionisme mais compte tenu du rapport de forces dans la région et du mental particulier du gouvernement israélien, tout sera prêt pour la grande explosion.

On ne fait pas de politique avec de bons sentiments. Il faut un peu de rigueur dans l’analyse et ne pas chouiner dès qu’il y a un peu de sang versé. En se demandant si un peu de sang, c’est pas mieux que beaucoup.

Et ne pas dire que un peu, c’est encore trop. L’angélisme peut être criminel. En 1917, les angélistes croyaient à l’avenir des mencheviks. Ça a duré six mois.

On en reparlera....

dimanche 20 novembre 2011

VALERY ET NICOLAS, REZA ET MOUAMMAR

L’Histoire bégaie. A peine Khadafi exécuté, voilà t-y pas que le CNT annonce que la loi fondamentale de la Libye est désormais la charia et que toute loi contraire à la loi islamique sera déclarée anticonstitutionnelle. Merci Nicolas ! Merci BHL ! Fallait le dire que c’est ce que vous vouliez… La semaine dernière, BHL déclarait qu’il était heureux, que le CNT était composé d’intellectuels, de juristes. Il avait juste oublié les curés. Là-bas, on dit les imams, mais c’est du pareil au même.

Souvenez-vous. En 1978, l’ayatollah Khomeini vient s’installer en France avec un visa de touriste. Il est accueilli à bras ouverts, s’installe à Neauphle-le-Château et intensifie sa propagande contre le Shah d’Iran. Pour les intellectuels et les humanistes français, le Shah d’Iran, c’est le Diable. Bien sûr, c’est un gros client. Bien sûr, il est francophile. Mais c’est un dictateur, il modernise son pays d’une main de fer. Il fait des trucs invraisemblables contre son peuple. Par exemple, il supprime le calendrier islamiste lunaire pour installer un calendrier solaire, comme en Occident. Non, je déconne. Il a une vraie police politique et vaut mieux pas s’opposer à lui.

Notre Président d’alors, c’est Valéry Giscard d’Estaing. Il sait pas trop qui va gagner, alors il conserve deux fers au feu. Il pourrait expulser Khomeini, mais on ne sait jamais. Imaginez qu’il remplace le Shah : si on est copains, on garde les contrats. Il paraît (mais on n’a qu’une source, le patron des Services Secrets, c’est dire la fiabilité de la source) qu’il aurait proposé au Shah de l’expulser et que le Shah aurait refusé. Il paraît aussi (et d’après la même source) qu’il aurait proposé de le supprimer et que le Shah aurait refusé. C’est pas très cohérent : un dictateur qui refuse l’élimination d’un opposant, c’est pas un dictateur. Bref, Giscard protège Khomeiny tout en faisant semblant de pas trop le protéger. Il se prend pour Machiavel, crâne d’œuf.

La suite, on la connaît. Le Shah se fait virer, Khomeiny retourne en Iran dans un avion prêté par la France et installe une République islamique. On va garder quelques contrats. A l’époque, on nous a affirmé que le peuple iranien nageait dans le bonheur et que Giscard était le bras armé du bonheur iranien. Armé de cailloux pour la lapidation, mais ça, il le savait pas encore.

C’est assez dans le mental de Giscard. Giscard, il se prenait pour un humaniste parce qu’il aimait les curés. Je sais pas si vous avez remarqué mais les humanistes sont rarement laïques (à part Onfray, mais c’est une autre histoire, faudra creuser). Ils ont tous une tendance à mettre de la « spiritualité » partout. Spiritualité, c’est un mot valise, bien pratique pour réintroduire l’irrationnel dans le raisonnement. Le curé (ou l’imam, ou le bonze, ou le rabbin), c’est un porteur de spiritualité. On te sort toujours les mêmes, l’abbé Pierre, le Dalaï-Lama, le curé d’Ars, Maïmonide, Averroès. Jamais Torquemada, Ignace de Loyola ou Khomeiny. On refuse de voir que les porteurs de spiritualité sont juste le drapeau des allumeurs de bûchers et des lapideurs de gonzesses, le bouclier derrière lequel les voyous s’abritent. Même les bouddhistes : régulièrement, dans la Chine ancienne, les moines bouddhistes sortent en armes de leurs monastères et vont faire le ménage chez les incroyants.

Le problème du religieux, c’est qu’il est prosélyte. Il a envie que tout le monde croie au même Dieu que lui. Si c’est pas le cas, il crée l’Inquisition, histoire de favoriser la croyance. Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens. Pour un religieux, la mort c’est pas grave vu que Dieu te garantit la vie éternelle. Le mec normal, comme toi et moi, il trouve la garantie un peu faible. T’as juste un mec avec une robe (soutane noire, robe safran, le religieux aime bien se déguiser en nana) qui te donne sa parole en te promettant le Paradis. S’il se goure, tu t’emmerdes sur Terre pour rien. Les philosophes vont t’expliquer qu’il faut tenter le « pari pascalien ». Ça veut dire que t’as rien à perdre à croire en Dieu. Ben, pas vraiment. T’as à perdre le plaisir, la grasse matinée plutôt que la messe, un bon coup de rouge si Dieu t’interdit le pinard ou un coït furtif avec ta voisine vu que toutes les religions ont des interdits sexuels. Ça, c’est du sûr. Après la mort, on sait pas.

Forcément, le croyant, il t’envie. Tu te tapes un bon Saint-Emilion quand il lape de l’eau, ça l’énerve. T’enfiles ta copine pendant qu’il s’abime les genoux sur un prie-Dieu, ça l’excite. Plutôt que de faire comme toi, il veut t’imposer de faire comme lui. Et si tu refuses, il te zigouille. T’as droit au bûcher s’il y a des forêts ou à la lapidation s’il y a des cailloux.

Le curé (ou l’imam, le bonze, le rabbin, le sorcier), il a envie de gérer ta vie. Pour ça, il a la Morale qui te garantit la vie éternelle. Morale religieuse forcément mais que les sociétés ont assimilé à la Morale générale. Alors, le politique il aime les curés, même si ce sont des imams, parce que la Morale, c’est une garantie de stabilité. Et les imams, même si ce sont des curés, ils aiment le politique qui les aide à asseoir leur pouvoir. Jadis, on parlait de l’alliance entre le sabre et le goupillon. Ça marche toujours. Aujourd’hui, c’est un peu plus le Coran et la kalachnikov, mais c’est juste une question de sémantique.

On est cernés. La Libye proclame la charia, Ennadha est le parti dominant en Tunisie, les Frères Musulmans sont à l’affût en Egypte, Israël se radicalise, partout la religion reprend le pouvoir. Non, je ne citerai pas Malraux. Je n’ai pas envie de banaliser la situation.

Mais alors ? Il fallait laisser faire la police secrète du Shah ? Il fallait laisser Khadafi massacrer à tout va ? Non, bien entendu. Je voudrais seulement qu’on regarde calmement la question. On sait ce qu’on perd. Ce qu’on va avoir c’est un pari. Ouais, comme Pascal qu’était un philosophe. On parie que ça va être mieux. Qui nous l’assure ? Ben, Dieu, évidemment.

Depuis des années, on s’est tapé un beau glissement sémantique. On a considéré que l’Islam, c’était pas vraiment une religion. Plutôt un ensemble de coutumes respectables. Moyennant quoi, une députée UMP a déposé un projet de loi pour que la Sécu prenne en charge la circoncision. Pourquoi pas le baptême ? Avec des coups comme ça, on banalise la religion, on la fait entrer dans le monde social. C’est à dire à l’endroit exact où elle ne devrait pas être.

Seulement, voilà… Tous nos politiques sont, plus ou moins, empreints de religion. Sarkozy va voir le Pape, Boutin et Bayrou vont à la messe, Marine Le Pen attaque l’Islam pour défendre la chrétienté et le PS vise l’électorat musulman. On n’hésite pas à parler de « vote juif » qui s’articulerait autour du soutien à Israël. J’ai oublié le nom de ce Président mexicain, fervent catholique, qui refusât de recevoir le Pape au motif que, comme Président, il devait garder sa neutralité. Pourtant, au Mexique, le catholicisme est largement majoritaire.

Si on tient compte du fait religieux, on ouvre grandes les portes de l’intolérance, du prosélytisme et de la destruction du lien social. Une société, c’est des gens qui croient différemment, qui pratiquent (ou ne pratiquent pas) différemment, qui bouffent différemment, qui s’habillent différemment. On n’a pas à privilégier les uns contre les autres.

On n’a surtout pas à corriger les inégalités entre religions. Tu n’as pas de lieu de culte ? Démerde-toi, c’est ton problème de croyant. Vous êtes beaucoup ? Ben, ce sera plus facile, la quête sera plus productive. En tous cas, c’est pas mon problème d’athée et ma pensée vaut la tienne.

Faut pas faire semblant de découvrir les choses. Le mec qui arrive de Libye en France, il sait bien qu’il arrive dans un pays historiquement chrétien et politiquement laïque. Comme l’expat en Arabie Saoudite, il sait qu’il arrive au pays de la soif et du repos le vendredi. C’est pas vraiment une surprise. Tu fais avec ou tu viens pas. T’es un homme libre de tes choix.

Toute religion est privation de liberté. Au lieu de citer Malraux, crions avec Voltaire « Ecrasons l’infâme ». Bon, admettons, on a évolué. Ignorons, n’écrasons pas. Laissons les croyants se démerder avec leurs croyances, ce ne sont pas d’innocentes coutumes. Et rappelons à tous les zélateurs de la religion que la Révolution française s’est faite contre la religion. Qu’on habillait des ânes avec des chasubles pour blasphémer volontairement car le blasphème n’était plus un délit (et ne l’est toujours pas). Rappelons que les fêtes patronales ont été supprimées et qu’on fêtait l’endive ou le topinambour plutôt que St Charles ou St Hubert. Rappelons que si on se veut l’héritier de cette gauche et de cette liberté, on a le droit de brûler ses crucifix et de jeter les prétendus livres saints dans la fosse à purin. Si tu veux garder ta Bible, tu peux. Dans ta table de nuit. Pas dans la rue. Et cesse de faire l’aumône. Depuis 1789, il y a un gouvernement pour régler les inégalités. Et ne soyons pas fiers d’être humanistes. C’est aussi une croyance.

Dieu est tapi dans nos cerveaux. Commençons par l’éradiquer de là. Et soutenons ceux qui l’ont déjà fait. J’ai interviewé la semaine dernière une jeune fille, syrienne et chrétienne. Elle soutient Bachar el-Assad. Elle admet que ce n’est pas un parangon de démocratie. Mais elle vit tranquillement en Syrie. Elle, sa famille, ses amis. Elle tremble de le voir disparaître car elle craint les conséquences. Elle sait que son départ conduira à un gouvernement islamiste et que les persécutions suivront. Elle voit se profiler une évolution à l’iranienne. Est-ce ce que nous voulons ?

Le premier pas vers la démocratie reste, encore et toujours, l’éradication du religieux.

On en reparlera…..